Santé–Microbiote et polluants : Cocktail dangereux
Depuis quelques années, les médias et les produits présents sur les étagères de nos supermarchés vantent les propriétés étonnantes de notre microbiote, cet écosystème microbien avec lequel nous vivons une relation symbiotique étroite. Mais comme tous les organismes vivants, le microbiote est soumis aux polluants environnementaux sans que l’on en connaisse encore les conséquences sur son fonctionnement et sur la santé de son hôte. Pour prendre la mesure de cette réalité, l’étude des espèces aquatiques peut être particulièrement éclairante.
par Anthony Bertucci
Chercheur en écotoxicologie | Titulaire de la Chaire « Contaminants, Mer et Santé », Ifremer dans The Conversation
Avant de comprendre comment, il est nécessaire de revenir un peu en arrière. En 1971, dans un contexte de développement de l’industrie chimique et des risques écologiques associés, le chercheur français Jean-Michel Jouany donnait naissance à l’écotoxicologie. Cette discipline, à l’interface de la chimie et de la biologie, a pour objectif d’évaluer, de comprendre et de prédire l’impact des contaminants biologiques ou chimiques, sur les organismes, les populations, les communautés et les écosystèmes.
Les effets des polluants chimiques sur les organismes peuvent être analysés à différentes échelles, du gène à l’organisme, en passant par la cellule et le fonctionnement des organes.
On parle par exemple de génotoxicité quand l’intégrité du matériel génétique est menacée. C’est le cas avec certains composants de colles ou de vernis tels que le dichlorométhane et le trichloréthylène, ainsi que la radioactivité ou les rayons UV. Cette action se manifeste par des mutations délétères de l’ADN et par l’apparition de cancers.
D’autres substances peuvent avoir un effet néfaste sur un type de cellule précis comme les neurones avec le méthanol et l’acétone ou encore un organe. Par exemple, les branchies des organismes aquatiques qui sont en contact direct avec leur environnement.
Chez l’Homme, le foie est particulièrement sensible aux effets toxiques en raison de son rôle dans la transformation, l’élimination et de stockage des polluants chimiques parmi lesquels l’alcool et certains médicaments d’usage courant comme le paracétamol, certains antibiotiques (comme l’amoxicilline) ou les anti-inflammatoires non-stéroïdiens.
À une échelle supérieure, enfin, une substance chimique peut altérer des fonctions physiologiques essentielles comme la reproduction et l’immunité. Les métaux, la radioactivité, ou les perturbateurs endocriniens peuvent impacter le développement des organes reproducteurs, la production de gamètes (spermatozoïdes et ovules), ainsi que le développement et la survie de la descendance. Ils sont qualifiés de reprotoxiques. Enfin des composés comme les pesticides organochlorés ou les polychlorobiphényles (PCB) ont eux des effets dits « immunotoxiques » en altérant la capacité des organismes à faire face aux infections.
Mais dans cette approche globale qui souhaite étudier les effets des agents nocifs auxquels un organisme est exposé pendant sa vie, un organe primordial demeure grandement négligé.
Cet organe, c’est le microbiote : l’ensemble des Archées, des bactéries, des champignons, des levures, des virus et des petits eucaryotes avec lesquels tout organisme vit en symbiose. Étymologiquement symbiose signifie « vivre ensemble » et englobe différents types de relations allant du mutualisme (relation mutuellement bénéfique) au parasitisme ou commensalisme (relation ni bénéfique, ni nuisible).
Quelques chiffres suffisent à montrer l’importance de cette symbiose. Chez l’Humain par exemple, longtemps, la communauté scientifique a considéré que le nombre de cellules bactériennes dépassait d’un facteur 10 le nombre de cellules humaines. Une réévaluation récente revoit ce rapport à la baisse et estime que chez un sujet masculin de 1,70m et 70 kg, on retrouve 39 000 milliards de bactéries, majoritairement dans l’intestin.
Ce chiffre est très proche des 30 000 milliards de cellules humaines qui constituent cet individu. Soit 13 bactéries pour 10 cellules humaines chez l’homme. Dû à quelques différences morphologiques (par exemple une taille moyenne plus faible pour un volume intestinal comparable) et physiologiques (par exemple un volume sanguin réduit de 20-30 %), ce rapport peut monter à 17 pour 10 chez les femmes.
Selon ces chiffres, notre microbiote pèserait environ 200 grammes. Un poids proche du rein (120 grammes) ou du cœur (330 grammes). Autre particularité, contrairement à ces organes « humains » qui sont formés de quelques types cellulaires possédant tous le même matériel génétique (environ 60 000 gènes), le microbiote contient plusieurs milliers d’espèces qui représentent un répertoire additionnel de près de 10 millions de gènes. Ce microbiote est en grande majorité constitué par la communauté microbienne qui colonise le système digestif de l’hôte et qui a attiré l’essentiel des recherches ; mais d’autres niches comme le système respiratoire, l’épiderme ou les organes sexuels possèdent également un microbiote spécifique.
Grâce aux progrès techniques depuis 15 à 20 ans, en particulier concernant le séquençage de l’ADN, l’étude des microbiotes est désormais possible chez toutes les espèces animales et végétales. Une véritable révolution en biologie qui introduit un niveau supérieur d’organisation du vivant remettant en cause la définition même d’individu : l’holobionte, soit l’association de l’organisme hôte et des microorganismes vivant en symbiose avec lui.
Les microorganismes symbiotiques jouent un rôle important dans de nombreuses fonctions physiologiques qui vont de la production de nombreux composés que l’hôte est incapable de synthétiser (comme des acides gras, des vitamines ou des composés phénoliques), à l’établissement et au maintien du système immunitaire. Ils participent donc au bon état de santé de l’organisme hôte. Ce qui explique les liens possibles entre perturbation du microbiote (dysbiose) et pathologies. Ces perturbations peuvent se manifester par un changement de composition du microbiote et/ou un changement dans son fonctionnement.
Actuellement les effets des polluants chimiques sur le microbiote humain restent peu connus car l’étude du microbiote est relativement récente, tout comme celle, nous l’avons vu des polluants chimiques.
Mais de nombreux travaux montrent déjà que, parmi les paramètres environnementaux induisant une dysbiose, la contamination chimique a un impact majeur, particulièrement en milieu aquatique où les organismes sont fortement exposés aux pollutions d’origine humaine. En effet, le microbiote est généralement associé à des organes situés à l’interface entre environnement et individu comme l’épiderme, les voies respiratoires ou le tractus digestif. Ce qui fait du microbiote un acteur non négligeable dans l’impact possible d’un polluant sur l’organisme.
Les interactions polluants – microbiote peuvent être multiples. La capacité du microbiote à faire face ou non aux pollutions dépend en fait de sa diversité. Car plus une communauté est diversifiée et plus elle est susceptible de contenir un membre capable de s’adapter à cette contamination. Les polluants peuvent ainsi être métabolisés et transformés par certains partenaires microbiens.
Certaines substances comme les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) (par exemple le benzo[a]pyrène contenu dans les fumées de combustion incomplète de pétrole, de bois ou la fumée de cigarette), ou certains pesticides peuvent par exemple être éliminés ou rendus moins toxiques par certains microorganismes. Mais d’autres peuvent également favoriser l’absorption et les effets toxiques des polluants chimiques, comme le Mercure ou l’Arsenic.
Les polluants peuvent aussi déséquilibrer la composition et le fonctionnement du microbiote des organismes aquatiques. Le glyphosate, par exemple, favorise la croissance de bactéries pathogènes (Salmonella ou Clostridium) au détriment des souches bénéfiques (Bifidobacterium ou Lactobacillus). Si depuis 2014, l’écotoxicologie microbienne se propose d’étudier les interactions entre polluants et communautés microbiennes dans leur environnement (air, eaux, sols), les liens entre environnement, partenaires symbiotiques et physiologie de l’hôte sont encore peu connus malgré l’importance médiatique du microbiote.
Que ce soit la santé humaine ou la santé des espèces aquatiques, les microbes pathogènes ont longtemps attiré l’essentiel des travaux. Le rôle des partenaires bénéfiques, quant à lui, est encore peu étudié alors même que ces partenaires peuvent devenir néfastes face à une perturbation environnementale. Face à la diversité des polluants et l’émergence permanente de nouvelles molécules, il convient donc, en premier lieu, de considérer l’ensemble des compartiments biologiques et d’intégrer le microbiote à l’écotoxicologie. En second lieu, il est nécessaire d’étudier l’ensemble des constituants du microbiote et de définir leurs fonctions afin de comprendre et d’anticiper les effets des polluants.
Partant de ce constat, j’ai récemment introduit le concept de « symbiotoxicité »(par analogie avec les termes précédents de « génotoxicité », « reprotoxicité » ou « immunotoxicité ») Ce terme désigne la capacité d’un polluant à produire ses effets toxiques sur un organisme par l’intermédiaire de son microbiote. Cet objet d’étude permet de prendre en compte l’organe microbiote et se place à l’intersection entre l’écotoxicologie classique, l’écotoxicologie microbienne et l’étude des interactions symbiotiques entre organismes
En milieu aquatique, l’impact des modifications du microbiote face aux contaminations est particulièrement étudié chez des espèces consommées par l’Homme afin d’améliorer les pratiques, limiter les traitements pharmacologiques, etc. Parmi ces espèces, de nombreux mollusques bivalves, comme les huîtres, ont un rôle crucial dans le fonctionnement de leur écosystème et ont une valeur économique importante.
Or chez les huîtres, un microbiote sain pourrait limiter l’installation de souches pathogènes, jouer un rôle dans la prévention de la dysbiose et aider au rétablissement de l’état de santé après un stress. Des effets non négligeables car bien souvent les pathogènes ont des effets néfastes en cascades sur la santé des consommateurs, des écosystèmes, les filiales économiques dépendant du commerce de produits de la mer.
La symbiotoxicité pourrait alors permettre d’identifier des polluants dont la présence favorise l’apparition et la diffusion de pathogènes dans l’environnement et ainsi révéler un mode d’action encore inconnu des polluants, mieux comprendre les conséquences physiologiques de cette exposition pour la santé des organismes vivants, le fonctionnement de leurs écosystèmes et in fine l’impact sur la santé humaine.
La symbiotoxicité pourrait alors permettre d’identifier des polluants dont la présence favorise l’apparition et la diffusion de pathogènes dans l’environnement et ainsi révéler un mode d’action encore inconnu des polluants, mieux comprendre les conséquences physiologiques de cette exposition pour la santé des organismes vivants, le fonctionnement de leurs écosystèmes et in fine l’impact sur la santé humaine.