Bourses:« Début damné » ?
Avec des taux d’intérêt au plus bas, des actions qui plafonnent, on ne voit pas bien comment les marchés pourraient bien commencer l’année.
Par Karl Eychenne, chercheur chez Oblomov & Bartleby dans « La Tribune »
Les marchés financiers n’ont pas besoin d’arguments pour monter. Mais s’ils en ont, c’est mieux. Problème, le dernier trimestre 2023 a été particulièrement gourmand en termes de promesses, avec des hausses spectaculaires des marchés d’actions, d’obligations, des actifs bien ou mal notés, jusqu’aux cryptomonnaies évidemment.
Sur ces entrefaites de fin d’année, il ne resterait désormais plus grand-chose à croquer. Les marchés seraient condamnés à errer autour des niveaux actuels en 2024, avec bien entendu la gueule de bois de début d’année passée l’ivresse de la fin d’année passée. Un scénario plutôt crédible d’après les experts. Et donc fortement douteux. L’investisseur en a vu d’autres. Il a l’habitude de telles imprécations. Alors il attend son heure, puisqu’on lui dit qu’elle doit venir.
« Les taux ne peuvent plus baisser. C’est donc qu’ils doivent monter »
Il est vrai que les niveaux actuels des taux d’intérêt anticipent déjà des gestes forts de la part des Banques centrales américaine et européenne pour 2024. Près de 5 ou 6 baisses de taux directeurs sont anticipées par les marchés, avec des baisses dès ce trimestre. Le consensus des économistes croit aussi à des baisses de taux, mais avec modération. Sans parler des autorités monétaires qui elles osent à peine évoquer le sujet.
Mais il y a plus fort encore. Car non seulement les taux directeurs anticipés par les marchés ont baissé, mais l’incertitude liée à un tel scénario s’est aussi effondrée. Les investisseurs semblent convaincus que cela doit se passer ainsi, que les Banques centrales n’auront pas d’autre choix que de valider leurs anticipations. Comme si les investisseurs n’exigeaient plus de couverture contre le risque de se tromper. Les initiés reconnaitront la prime de terme, cet objet invisible à l’œil nu, mais dont la faiblesse constitue une des plus grandes énigmes de la finance du 21e siècle. Autrement dit, les niveaux des taux longs semblent déjà à bout de souffle, comme s’ils avaient déjà inspiré toutes les bonnes nouvelles disponibles, et n’étaient plus capables que d’expirer. Dans un tel scénario, difficile d’imaginer un début d’année serein sur les marchés obligataires.
Si les taux ne peuvent plus baisser, alors cela pose un sérieux problème aux marchés d’actions. En effet, les taux d’intérêt sont devenus le principal animateur des actions depuis quelques mois. Lorsque les taux montent, les actions baissent. Et lorsque les taux baissent, les actions montent. Aucune ruse, juste du bon sens et un peu de finance. Le taux est la monnaie d’échange entre aujourd’hui et demain, un taux élevé témoigne de votre préférence pour le présent. Si le taux monte, vous préférez garder votre argent aujourd’hui plutôt que de l’investir pour demain. Et si le taux baisse, vous êtes prêt à vous priver du présent pour prêter au futur. Aujourd’hui, le taux est au plus bas. Vous avez donc prêté beaucoup au futur. Effectivement, l’investisseur semble beaucoup croire aux promesses des marchés d’actions, au vu des niveaux atteints.
Mais sans baisse de taux supplémentaire, comment les marchés d’actions pourraient-ils monter davantage ? Il y aurait bien les bénéfices des entreprises pour compenser l’absence de soutien des taux. Mais il ne semble pas que l’année 2024 se présente sous les meilleurs hospices. Le consensus des analystes anticipe plutôt une correction… après celle de 2023 qui n’est jamais venue. Autrement dit, 2024 paierait la résilience de 2023. Dans le détail, les initiés parleront d’une correction des marges des entreprises, des marges enfin pénalisées par les tensions sur salaires, alors que le volume de vente serait lui enfin bridé par la faiblesse croissance économique. Pas de soutien des bénéfices, donc. Pas de soutien des taux non plus. Dernier espoir, la prime de risque action ?
Cette prime de risque actions est la grande sœur de la prime de terme vue plus haut pour les taux. Sauf qu’ici, il ne s’agit pas de monnaie d’échange contre le temps, mais contre le risque. Le risque d’acheter une action plutôt qu’une obligation. Lorsque l’investisseur est agressé par le cycle économique qui menace son épargne, il se montre plutôt réticent à acheter des actifs vulnérables à une baisse de la croissance, ce qui est le cas des actions. On dit alors qu’il exige une prime de risque actions plus élevée afin d’accepter d’acheter une action plutôt qu’une obligation réputée moins risquée (voire sans risque). Il suffirait donc que la prime de risque baisse pour donner un nouveau souffle aux marchés d’actions. C’est possible, techniquement. Mais peu probable en pratique. En effet, on a du mal à imaginer un investisseur détendu alors que les taux montent, les bénéfices baissent. Ainsi donc, les marchés d’actions seraient finalement privés de tout élan vital. Panne sèche.
Alors courage, fuyons ? Faut-il prendre ses jambes à son cou, et courir à vau-l’eau ? La thèse semble convaincante. On a beau tourner les marchés dans tous les sens, aucun profil ne semble plus favorable qu’un autre. Concrètement, tous les marchés seraient promis à une correction de début d’année, une correction presque nécessaire afin de restaurer quelque potentiel d’appréciation pour des jours meilleurs.
Curieusement, cette quasi-conviction que tous les marchés ne peuvent que baisser pourrait motiver quelque espoir. Le mathématicien nous apprend qu’il existe des jeux de fortune qui produisent de telles conditions favorables à l’expression de bizarreries. Lorsque tout semble perdu d’avance, il existe (parfois) une mécanique de la bonne surprise. Très sérieux. Il s’agit du Paradoxe de Parrondo. Un genre de double jeu qui vous promet la défaite si vous jouez à l’un ou à l’autre (obligations ou actions), mais assure la victoire si vous jouez aux deux en même temps. Assurément, la finance de marché n’a pas besoin d’arguments aussi techniques pour produire de tels paradoxes. En général, elle se contente juste de faire l’inverse du bon sens. Et puisque le bon sens nous dit que les marchés doivent baisser en ce début d’année, on peut raisonnablement imaginer qu’ils pourraient faire l’inverse.