Fret ferroviaire Lyon–Turin : pas seulement une question d’ infrastructure
Par
Pierre-Louis Rémy
Ancien membre du Conseil d’administration de la SNCF, représentant de l’Etat
Le tunnel ferroviaire entre Lyon et Turin doit apporter de la souplesse et de la fiabilité aux transporteurs et aux affréteurs, sans quoi il ne pourra concurrencer la route, explique l’ancien haut fonctionnaire Pierre-Louis Rémy, dans une tribune au « Monde ».
Habitant la Maurienne depuis plus de trente ans, j’ai entendu les arguments des partisans et des adversaires du tunnel ferroviaire Lyon-Turin. Tous s’affirment comme partisans du transfert modal de la route vers le rail. Cela n’est pas surprenant, puisque environ 800 000 poids lourds traversent, chaque année, notre vallée ; mais pour les uns ce projet est inutile, coûteux et porteur de nuisances, pour les autres il est indispensable.
Le débat s’est ainsi focalisé sur l’opportunité du tunnel de base. Il est sans issue : qui peut juger de la pertinence d’une infrastructure dont la durée de vie dépassera probablement cent cinquante ans (l’actuel tunnel du Mont-Cenis date de 1871), même si on reconnaît que les conditions économiques et de trafic ne sont plus celles qu’on envisageait dans les années 1990, quand ont été lancés les projets de grands tunnels alpins, Gothard, Lötschberg, Brenner… Et les livres d’histoire nous rappellent les manifestations contre l’installation des premières voies ferrées au XIXe siècle.
Les possibilités d’accroître le trafic sous le tunnel existant sont réelles, mais minimes pour les uns, importantes pour les autres, selon notamment l’interprétation faite des règles de sécurité. Force, en tout cas, est de constater que, malgré les travaux de modernisation importants réalisés sur le tunnel actuel entre 2003 et 2011, le trafic ferroviaire de marchandises n’a pas augmenté, mais plutôt diminué. Et, depuis une quinzaine d’années, en France, la route a absorbé l’essentiel de l’augmentation du trafic de marchandises.
C’est que le développement du transport de fret ferroviaire ne dépend pas seulement des infrastructures. Bien sûr, celles-ci sont indispensables. Mais elles ne peuvent se limiter aux quelques dizaines de kilomètres du tunnel de base. La rentabilité et la pertinence environnementale du transfert modal sont d’autant plus fortes qu’elles portent sur des trajets longs. Et ce qui est légitimement mis en avant par les partisans du nouveau tunnel, ce sont les trajets de l’Espagne ou du nord de la France et de l’Europe vers l’Italie et au-delà. C’est pourquoi la question de l’organisation des accès est primordiale ; accès proche d’abord depuis la région lyonnaise.
Aujourd’hui, on parle d’une échéance 2045, voire au-delà, alors que le tunnel doit ouvrir en 2032 et que le dérèglement climatique n’attend pas. Les tergiversations, les retards dans les décisions relatives aux accès minent la crédibilité de l’Etat dans sa volonté de favoriser le transfert modal ; d’autant plus que, si le tunnel central est très largement financé par des fonds européens, les accès relèvent principalement de la responsabilité de chaque Etat national. Le tunnel sans accès, c’est un transfert modal limité et des nuisances supplémentaires liées à l’accroissement du trafic marchandises qu’on peut cependant envisager, ainsi qu’une détérioration accrue du trafic voyageurs.
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