Afrique-France, les raisons d’une débâcle
Une douche glaciale. À Paris, c’est l’effet qu’a eu l’annonce surprise de N’Djamena, jeudi, de vouloir rompre la coopération militaire avec la France. Depuis des décennies, le Tchad, où 1 000 soldats sont encore positionnés, constitue la pierre angulaire du dispositif sécuritaire français au Sahel. Il est devenu encore plus stratégique après les départs forcés du Mali, du Burkina Faso et du Niger.
L’annonce tchadienne est d’autant plus mal vécue que le président sénégalais a demandé au même moment le départ des dernières troupes françaises sur son sol. Surtout, elle survient quelques jours après la remise par Jean-Marie Bockel, envoyé personnel d’Emmanuel Macron sur le continent, d’un rapport sur la reconfiguration du dispositif militaire en Afrique.
Certes, le document, qui n’a pas été rendu public, prévoit de réduire à 300 hommes la présence française au Tchad. Mais dans l’esprit de l’ancien secrétaire d’État à la Coopération de Nicolas Sarkozy, N’Djamena restait une place forte. « Il faut rester, et bien sûr nous resterons », avait-il martelé en mars. Ce projet avait semble-t‑il l’assentiment du président tchadien, Mahamat Idriss Déby.
Comment expliquer la volte-face de ce dernier ? Au ministère des Armées, on se perd en conjectures : « C’est quoi ? un coup politique ? » s’y agaçait-on vendredi. Pour Gérard Gérold, chercheur associé à la Fondation pour la recherche stratégique, ce choix serait motivé par divers facteurs. « D’abord, le président Déby s’est tourné vers une coopération élargie à d’autres pays. Il s’est rendu à Moscou l’année dernière, et surtout il bénéficie d’un soutien financier des Émirats arabes unis. » Le mois dernier, Abou Dhabi a encore octroyé un prêt de 500 millions de dollars à N’Djamena.
Les dirigeants français n’ont toujours pas compris ce qui se passait en Afrique. Le prochain dossier, ce sera la disparition du Franc CFA .
Ensuite, le chef de l’État tchadien a sans doute peu goûté que la justice française ouvre une enquête pour « détournement de fonds publics » à son encontre pour l’achat de 900 000 euros d’articles de luxe à Paris. Surtout, les autorités tchadiennes peuvent douter du soutien militaire de leur partenaire historique. Ainsi, leurs soldats n’ont reçu aucune aide des troupes françaises lors de l’opération menée le mois dernier contre les islamistes de Boko Haram. Surtout, avec seulement 300 hommes répartis sur trois emprises, le plan Bockel ne permettait plus, comme ce fut le cas pendant des décennies, de protéger le régime d’éventuelles offensives rebelles.
Le résultat est donc ce nouveau camouflet pour la France en Afrique où, si le plan Bockel est suivi, la présence militaire se réduira comme peau de chagrin avec seulement, outre Djibouti, une centaine d’hommes au Gabon et un nombre identique en Côte d’Ivoire. Dans l’entourage de Sébastien Lecornu, on essaie pourtant de positiver la chose : « On est presque soulagés des décisions tchadienne et sénégalaise. Ça va nous permettre d’économiser 2 milliards d’euros qui pourront être mis ailleurs. »
Il n’en reste pas moins que l’influence de Paris sur le continent n’en finit plus de décroître. « On est de moins en moins respectés, de moins en moins crédibles », fusille un fin connaisseur de la région. Même constat chez Gérard Gerold : « Les dirigeants français n’ont toujours pas compris ce qui se passait en Afrique. » Et de prédire de nouvelles déconvenues. « Le prochain dossier, ce sera la disparition du Franc CFA », annonce-t-il.