« Hollande est trop entouré de technocrates» (Cuvillier, ancien ministre PS)
Dans une interview accordée au Journal du Dimanche, le député socialiste Frédéric Cuvillier, soutien historique du président de la République, analyse finalement avec assez de pertinence certains facteurs explicatifs de la perte de crédibilité de l’exécutif.
JDD-La gauche a-t-elle perdu le peuple?
La gauche doit rassurer le peuple. Une partie du peuple « espère désespérément ». L’autre n’y croit plus, ne nous croit plus. Tout le monde comprend qu’on doit lutter contre les déficits, mais notre politique ne peut se limiter à cela. Le fossé se creuse entre les territoires, entre deux France. Une France se sent reléguée, ignorée. La France pauvre se réfugie dans les bras de l’extrême droite même si, heureusement, il y a des endroits, comme dans le Pas-de-Calais, où l’on résiste. Les municipales étaient un premier avertissement, les départementales en sont un nouveau. Le pouvoir semble s’éloigner de la réalité des Français.
Cuvillier- Pierre Mauroy, en 2002, disait que « le mot « ouvrier » n’était pas un gros mot », et s’alarmait que la gauche ne l’emploie plus. François Hollande parle rarement des ouvriers….
Ouvrier, c’est une fierté, un très beau mot de la langue française. Je l’utilisais quand j’étais au gouvernement. D’origine populaire, je sais ce qu’il veut dire. L’ouvrier aime son métier, son instrument de travail, son entreprise. Mais la tradition ouvrière ne se retrouve plus dans le langage du pouvoir. On ne parle plus assez au cœur des gens. Parlons de l’emploi plutôt que de la compétitivité. Défendons nos actions, le compte pénibilité, le tiers payant, la couverture sociale complémentaire. Accompagnons notre politique de mesures pour gommer les inégalités. C’est à cela que doit servir la gauche au pouvoir.
«Le monde des palais est un monde qui isole et éloigne de la réalité»
Vous êtes en colère?
Je suis en colère de voir que l’extrême droite prospère. Je suis dépité quand je vois les résultats électoraux. Je suis inquiet quand le message que je porte est insuffisamment entendu ou repris.
Pourquoi cette surdité?
Le monde des palais est un monde qui isole et éloigne de la réalité. J’en étais témoin, et j’ai lutté contre cette tendance. Pour échapper à ce travers, il faut des gens de terrain, des ministres élus. Il faut éviter de ne s’entourer que de technocrates éloignés de la société, des coteries parisiennes qui ne comprennent pas la souffrance de la France.
François Hollande n’était pas de ce monde-là…
Il ne l’est toujours pas. Mais il en est trop entouré. J’espère en sa réussite. La légitimité politique doit reprendre le pas sur la gestion technocratique. Il faut repartir à la base, s’inspirer des endroits qui résistent, car on ne perd pas partout! Il faut redonner de la dignité aux gens par le travail, il faut aider les territoires qui en ont le plus besoin, où le chômage est très fort, où les fondamentaux du savoir et de la connaissance sont à assurer. Mais le temps presse. Si les résultats sont indispensables, il ne reste que deux ans pour adresser les bons messages et prendre les bonnes mesures. «Il faut éviter de ne s’entourer que de technocrates éloignés de la société, des coteries parisiennes qui ne comprennent pas la souffrance de la France», préconise le maire de Boulogne-sur-Mer. «Le monde des palais est un monde qui isole et éloigne de la réalité», assure celui qui a occupé les bureaux du ministère des Transports de 2012 à 2014.
François Hollande est-il lui même un technocrate éloigné de la société?
«Il ne l’est toujours pas», souligne Frédéric Cuvillier. Avant d’accuser son cercle proche: «Il en est trop entouré». «La légitimité politique doit reprendre le pas sur la gestion technocratique», continue le député socialiste. En août 2014, profitant du départ de Benoît Hamon et d’Arnaud Montebourg du gouvernement, Frédéric Cuvillier avait refusé d’être reconduit comme secrétaire d’État aux transports. «Quand vous avez une forme d’idéal et que le projet qu’on vous propose est insuffisant, c’est dur», s’était-il justifié dans Le Monde. Celui qui lorgnait sur un grand ministère s’était retrouvé avec un secrétariat d’État sous la tutelle de Ségolène Royal. En janvier 2012 déjà, alors que François Hollande n’était pas encore président de la République, c’est le député socialiste Henri Emmanuelli qui l’avait mis en garde sur ses proches. «Il faut qu’il fasse attention aux gens qui parlent autour de lui», avait-il considéré. Il avait moqué, sur LCP, «ceux qui se promènent comme s’ils portaient le Saint Sacrement». «Les Français n’aiment pas ça», avait-il déjà averti. Plus récemment, en juin 2014, c’est le député Carlos Da Silva, proche de Manuel Valls, qui avait émis des réserves quant au recrutement par François Hollande de Laurence Boone, conseillère économique et chef économiste de Bank of America Merril Lynch. Elle était venue remplacer Emmanuel Macron, réclamé à Bercy, et avait du se justifier sur ses opinions, accusée de ne pas être assez de gauche.