Logement et Patrimoine : Des inégalités croissantes
L’économiste Jean-Benoît Eyméoud identifie, dans une tribune au « Monde », quatre inégalités qui concernent les jeunes générations dans leur souhait d’accéder à un logement. Celles-ci se sont même fortement accentuées depuis trente ans.
Tribune.
Depuis quelques semaines la question du logement s’est imposée dans la course à l’élection présidentielle à travers la question de la fiscalité de l’héritage. Si l’on ne peut que se réjouir de voir le thème du logement enfin devenir une question du débat, se concentrer uniquement sur les inégalités de patrimoine conduit à laisser de côté des questions de solidarité intergénérationnelle plus larges qui pourtant structurent la société et mériteraient d’être replacées au cœur du débat.
Toutes les études le montrent, depuis quelques années, le logement est devenu le premier poste de dépenses des ménages français, devant l’alimentation, les transports ou encore la santé. Si la crise sanitaire et la guerre en Ukraine n’ont pas encore d’effets tangibles sur les
prix de l’immobilier, leur impact sur le coût de l’énergie est déjà visible et viendra, à terme, alourdir encore un peu plus la barque des dépenses de logement. Pourtant, derrière cette tendance moyenne se cachent des inégalités générationnelles profondes qui méritent qu’on s’y attarde.
Première inégalité, l’accès au patrimoine immobilier. Si l’on ne choisit pas sa famille, on ne choisit pas non plus la période économique dans laquelle on fait ses premiers pas. A cet égard, la génération des baby-boomeurs a bénéficié de cieux économiques incomparables. Au cours de leur trajectoire professionnelle, les bébés post-seconde guerre mondiale ont eu la chance d’évoluer dans un monde prospère où le chômage était une vue de l’esprit et l’achat d’un appartement dans le centre de Paris ou Bordeaux un horizon tout à fait atteignable.
Entre 1967 et 2013, le taux de propriétaires a fortement augmenté, passant de 41 % à 58 %. A partir des années 1980, un parfait alignement de planètes s’est produit : la baisse des taux couplée à l’allongement des durées d’emprunt a rendu les ménages plus solvables et donc la demande plus forte. L’offre foncière en France étant plutôt rigide, les prix se sont envolés et les propriétaires ont pu capitaliser la hausse des prix.
Aussi, si la croissance des années 1970 a permis de créer une génération de propriétaires, la baisse des taux des années 1990 les a rendus riches. Cette histoire, certes un peu rapide, ne s’observe pas qu’en France mais dans beaucoup de pays développés, et de nombreuses études s’intéressent à ses implications économiques.
Ainsi, une étude américaine s’alarme que, en 1990, une génération de baby-boomeurs, dont l’âge médian était de 35 ans, possédait un tiers des biens immobiliers américains en valeur, alors qu’en 2019, une cohorte de taille similaire de milléniaux, âgés de 31 ans, n’en possédait que 4 %. Actuellement, les données françaises ne permettent pas de construire une telle statistique mais tout laisse à penser qu’une dynamique comparable est à l’œuvre.