Economie: La France aux crochets de l’Allemagne ?
La France fait-elle les poches de l’Allemagne depuis 20 ans ? A travers cette nouvelle chronique, le groupe Mars rappelle que l’Allemagne est le grand vainqueur de l’introduction de l’euro avec 1893 milliards supplémentaires pour le PIB, sur la période 1999-2017. Par le groupe de réflexions Mars*
Un article qui mérite d’être lu mais aussi contesté par son caractère un peu trop partisan teinté de nationalisme. Le groupe Mars paraît plus compétent pour analyser la politique de défense. En la circonstance, il fait l’impasse sur le fait que sans l’Euro, la France aurait connu sans doute plusieurs dévaluations et une perte de pouvoir d’achat d’au moins 20 %. Une dévaluation toujours payée davantage par les moins favorisés via l’inflation. Notons que Mars évite soigneusement de parler du boulet des fonctionnaires qui plombent le budget de l’État. En France on compte 50 % de fonctionnaires en plus qu’en Allemagne ! Et l’Allemagne ne peut être responsable de cette situation NDLR
« Il n’y a pas besoin d’être professeur d’économie pour comprendre qui fait les poches à qui quand on enregistre avec un partenaire un solde commercial structurellement déficitaire… depuis plus de vingt ans » (Le groupe Mars).
A l’heure où cette chronique sera publiée, les urnes auront rendu leur verdict. Quoi qu’il en soit, n’ayant pas vocation à commenter l’actualité, le groupe Mars souhaite inscrire ses analyses dans le temps long et traiter le fond des sujets plutôt que « l’écume des jours ». Tout juste constatera-t-il qu’il ne sert à rien de nier certaines évidences. Si aujourd’hui un ancien groupuscule d’extrême-droite est à la porte du pouvoir, la faute est entièrement celle de ses adversaires politiques, qui lui ont abandonné leur électorat en oubliant deux grands marqueurs historiques de la gauche : le progrès social et la nation.
Ce ne sont pas les gens qui « votent mal », c’est l’offre politique qui se révèle inadaptée aux attentes des électeurs. Donnez-leur la sécurité et l’espoir d’un progrès pour eux-mêmes et leurs enfants dans le cadre naturel de la nation française (le seul patrimoine de ceux qui n’ont rien, disait en substance Jaurès), et ils cesseront de jouer avec le feu en donnant leur suffrage à des partis infréquentables.
La France fait-elle « les poches de l’Allemagne »
Cela commence par dire la vérité aux électeurs, notamment sur la cause de la diminution de leur pouvoir d’achat. Et pourtant, lors de la campagne électorale que nous avons vécue, certains commentateurs de l’actualité politique sur les plateaux de télévision, souvent journalistes de profession, n’ont pas hésité à proférer les plus grossières contre-vérités pour tenter de justifier un discours de plus en plus inaudible. Ainsi, en guise de commentaire d’une déclaration controversée du chancelier allemand interprétée comme une tentative d’intrusion dans la campagne électorale française, certains affirment de manière péremptoire et sans aucune explication que « cela fait vingt ans que la France fait les poches de l’Allemagne ».
Il s’agit d’un mensonge grossier que quelques chiffres officiels suffisent à dénoncer. D’abord, interrogeons-nous sur ce qu’a voulu dire le commentateur. L’expression triviale « faire les poches » signifie dans un registre plus élevé « commettre une indélicatesse », autrement dit dérober. Comment la France pourrait-elle voler l’Allemagne, dans un système européen régi par le droit ? Mystère.
Faut-il rappeler que c’est bien l’inverse que notre pays a subi sous l’emprise de la violence allemande au XXe siècle, et que l’Allemagne n’a jamais « payé » à la hauteur de ses prédations ? Dans un souci d’apaisement, les Anglo-américains ont contraint les Français à renoncer aux réparations prévues dans le traité de Versailles de 1919. Et l’Allemagne détruite, occupée puis reconstituée à partir de 1949 a réglé sa dette morale « pour solde de tout compte » à hauteur de montants forfaitaires sans commune mesure avec l’ampleur des pillages commis dans toute l’Europe par les troupes d’occupation du IIIe Reich.
Alors, est-ce que le commentateur a voulu dire que l’Allemagne finançait volontairement la France ? Bigre, ce serait un vrai scoop ! Examinons la question plus précisément. Est-ce que le contribuable allemand finance quoi que ce soit en France par ses impôts ? Dans un cadre bilatéral, cela peut arriver de manière tout à fait marginale à l’occasion du cofinancement de projets scientifiques par exemple, et le plus souvent à titre de réciprocité.
Dans le cadre européen, il est vrai que l’Allemagne est le principal contributeur aux dépenses de l’UE et que la France reçoit de l’UE deux milliards de plus que l’Allemagne chaque année. Mais la France est aussi le deuxième contributeur net aux finances de l’UE, à hauteur d’un peu moins de dix milliards d’euros ces dernières années, quand les Allemands paient deux fois plus. Autrement dit, il est vrai que la France « gagne » deux milliards de plus que l’Allemagne chaque année dans ses relations financières avec l’UE et qu’elle « cotise » moins, mais la France reste malgré tout très déficitaire dans ses relations financières avec l’UE. Ce solde négatif a d’ailleurs quasiment doublé depuis 2017, en partie à cause du départ de cet autre financeur net qu’était le Royaume-Uni, mais pas seulement. Le Brexit a pour cause première en effet le sentiment (basé sur des faits réels) de cotiser à perte pour l’UE sans contrepartie financière ni commerciale.
Qu’en est-il en France et en Allemagne ? En contrepartie d’un solde annuel négatif d’environ vingt milliards par an, l’Allemagne bénéficie à plein des avantages du marché unique, par trois canaux principaux : un solde commercial très excédentaire dans l’UE (dont près de 9 milliards rien qu’avec la France), le développement d’un réseau de sous-traitance à bas coût (dont l’intégration de l’Ukraine va encore améliorer le rendement) et la possibilité d’imposer les normes de ses propres industriels (voire d’obtenir des dérogations quand les normes ne lui conviennent pas comme pour la fin des moteurs thermiques).
De son côté, en contrepartie d’un solde négatif de près de dix milliards, la France ne bénéficie pas des mêmes avantages du marché unique, à commencer par un solde commercial déficitaire dans l’UE de plus de cinquante milliards d’euros en moyenne sur les deux dernières années. Pour le reste, si la France est moins habile que l’Allemagne, ce n’est pas la faute des Allemands…
Mais il n’y a pas besoin d’être professeur d’économie pour comprendre qui « fait les poches » à qui quand on enregistre avec un partenaire un solde commercial structurellement déficitaire… depuis plus de vingt ans. La monnaie unique n’est d’ailleurs pas pour rien dans ce résultat, voulu, la faute à la négociation, avant d’entrer dans l’euro, d’une parité conçue pour favoriser une Allemagne alors affaiblie par la nécessité d’intégrer les Länder de l’Est.
L’euro a été construit sur le mark allemand comme une monnaie forte, ce qui ne fonctionne pas avec la spécialisation d’une grande partie de l’économie française qui est, de ce fait, trop chère en coûts pour une valeur ajoutée insuffisante et une trop faible différenciation des offres concurrentes. Hormis l’aéronautique et la défense, l’industrie française a donc été très pénalisée par l’acceptation des critères allemands de l’euro, qui servaient leurs intérêts. Ainsi la part de l’industrie dans l’économie française a été divisée par deux depuis l’adoption de l’euro.
A l’inverse, quoi qu’en disent les Allemands, la présence de la France a évité que le cours de l’euro ne soit plus élevé encore, car cela aurait dû être le cas si sa valorisation avait été fondée uniquement sur l’économie allemande. Ainsi, paradoxalement, la France a subventionné la compétitivité prix de l’économie allemande.
Selon une étude publiée en 2019 du très sérieux think tank allemand CEP, Centre de Politique Européenne, d’inspiration libérale, c’est bien l’Allemagne qui est le grand vainqueur de l’introduction de l’euro, avec 1893 milliards d’euros supplémentaires pour le PIB, sur la période 1999-2017, soit un gain de 23.116 euros par habitant. Les Néerlandais ont gagné presque autant (21.003 euros). D’après Matthias Kullas, l’économiste du CEP, l’Allemagne s’est appuyée sur la stabilité de l’euro, dans la continuité du Deutsche Mark, pour exporter ses produits de haute valeur ajoutée.
« Si l’Espagne et la Belgique n’ont pas trop vu baisser leur PIB par habitant (- 5031 et – 6370 euros), les Portugais ont plus fortement souffert de la monnaie unique (-40 604 euros par personne). Et les deux pays les plus négativement affectés sont la France et l’Italie, qui ont perdu respectivement 3591 et 4325 milliards d’euros sur 20 ans, soit 55 996 euros par Français et 73 605 euros par Italien. Le bilan global semble donc, à l’échelle de l’économie européenne, plutôt négatif », commente Le Figaro au printemps 2019.
En ce qui concerne les deux principaux perdants, le CEP mentionne l’importance d’un outil de politique économique que l’adoption de l’euro a rendu impossible : la dévaluation. Le Figaro poursuit : « Depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, la France et l’Italie avaient en effet eu plusieurs fois recours à la dévaluation du franc et de la lire, pour soutenir leur compétitivité. Une pratique aux avantages et revers nombreux, utilisée pour la dernière fois en France en 1986, justement pour rééquilibrer la valeur du franc par rapport au mark allemand, et défendre les entreprises exportatrices. Depuis l’usage de la monnaie unique, les gouvernements des deux pays n’ont plus la possibilité de dévaluer, et selon le CEP, n’ont pas engagé les réformes qui leur auraient permis de rendre l’économique plus efficace, et de bénéficier de l’euro. »
En conclusion de son scoop, le journaliste du Figaro veut rassurer son lectorat : « Au lieu de conseiller à la France de reprendre le contrôle de sa monnaie, et donc de précipiter la fin de la monnaie unique, le think tank souligne plutôt l’importance d’engager des améliorations structurelles sur l’économie et l’État : « des réformes structurelles sont nécessaires maintenant ». Jusqu’à donner un avis très personnel sur la politique économique française : « pour profiter de l’euro, la France doit suivre avec rigueur la voie de la réforme du président Macron », conclut l’étude. »
L’ironie de cette conclusion prend tout son éclat cinq ans plus tard. On peut le déplorer, mais la démocratie française a ceci de regrettable que la volonté des citoyens est censée prévaloir sur l’opinion des experts et des politiciens allemands qui s’expriment pour le bien de notre pays.
Notons que la méthode retenue par le think tank allemand consistait à imaginer une évolution du PIB pour chaque pays, dans l’hypothèse où l’euro n’aurait pas existé. Les projections ont été réalisées en récréant virtuellement des trajectoires économiques à l’aide d’algorithmes, eux-mêmes basés sur les données de pays hors zone euro. La courbe de PIB de la France entre 1999 et 2017 se présente ainsi, en bleu avec l’euro, et en orange, une projection sans l’euro. La surface entre les deux courbes représente exactement la perte de pouvoir d’achat des Français, qu’il faudrait corréler avec le gain pour les Allemands. Alors, depuis 20 ans, qui a fait les poches à qui ?
Ajoutons pour mémoire que les mécanismes européens semblent fonctionner à sens unique : verboten für Dich, sehr gut für mich (interdit pour toi, très bon pour moi). C’est typiquement le cas des aides d’État, dont l’Allemagne a le quasi-monopole en Europe (à hauteur de 1,5% de son PIB), sans doute en toute légalité. De même, le trop fameux Semestre européen, qui est aux « pays du Club Med » ce que le Père Fouettard était aux enfants dissipés, permet aux Allemands de signifier aux Français, via l’UE, que leurs ambitions militaires sont déraisonnables car ils n’ont plus les moyens de les financer.
Enfin, alors que l’industrie allemande gagnait à l’Est de l’UE, avec les élargissements successifs, à la fois des parts de marché et une sous-traitance à bas coûts, le tout financé par les fonds européens auxquels la France (et l’Italie) cotisait à perte, la France ne cessait de se désindustrialiser et de s’appauvrir. La carte (Eurostat) des perspectives de croissance en Europe ci-dessous est à superposer avec le vote en faveur du RN.
On observera incidemment que l’Allemagne gagne sur tous les tableaux : le vote extrémiste tend à marginaliser non seulement les eurodéputés français, mais aussi la position de la France dans l’ensemble des institutions européennes. D’où une influence de la France dans l’UE en déclin, et pour tout dire, quasiment nulle aujourd’hui.
Reste la question des taux d’intérêt. Le fait de rembourser ses créanciers en euros permet il est vrai à la France d’emprunter à un taux moins élevé que si elle devait le faire en francs. Mais cela ne signifie pas pour autant que les Allemands financent cet avantage en aucune façon. Au contraire, les marchés financiers discriminent toujours les emprunteurs en fonction de la qualité de leur signature et le taux auquel le Trésor français emprunte reste supérieur à celui pratiqué vis-à-vis de l’Allemagne. En fait, la monnaie unique n’a pas grand-chose à voir avec cette pratique : ce que le créancier observe, ce n’est pas l’apparence de la monnaie, mais la capacité de remboursement en termes réels, c’est-à-dire à la fois effective et dans une monnaie aussi peu dévalorisée que possible. Mais qu’il se rassure, le contribuable allemand n’est en rien concerné par le remboursement des emprunts français.
C’est bien pourquoi l’Allemagne refuse toujours de développer les capacités d’emprunt de l’UE en tant qu’institution. Cela a encore été le cas lors du dernier Conseil du 26 juin à propos des « Euro-Bonds » pour la défense. Car alors le risque existerait que d’autres « fassent les poches » du contribuable allemand en lui demandant de rembourser des dettes consenties pour financer les dépenses des autres. Mais ce n’est pas le cas actuellement, sauf pour le plan de relance post-Covid, très encadré par les règles budgétaires européennes. S’il existe en France une tentation de « faire les poches » de l’Allemagne, c’est par ce biais. Et le plus grand promoteur de cette fuite en avant n’est autre que le Président français. Mais si Mme Von Der Leyen a été nommée à la présidence de la Commission européenne en dépit de son triste bilan à la tête de la Bundeswehr, et reconduite en dépit de son triste bilan à la tête de la Commission, c’est précisément pour éviter cela.
Signalons incidemment dans le domaine de la défense l’instrument étrange qu’était la « facilité européenne pour la paix » (FEP), financé par des contributions volontaires des États participants assises sur leur richesse nationale. Si certains pays comme la Pologne ont profité des largesses de la FEP, non encadrée par les règles financières de l’UE, pour « faire les poches » des autres, la France, en tant que deuxième contributeur, était plutôt, avec l’Allemagne et l’Italie, du côté des victimes de l’indélicatesse, à hauteur de près de deux milliards d’euros. Un solde négatif qui s’ajoute donc à la contribution nette de la France à l’UE.
En un mot, que le Chancelier se rassure : ses meilleurs alliés en matière d’orthodoxie budgétaires sont en France les partis souverainistes. L’Allemagne aurait en effet beaucoup à perdre à financer les autres États au sein d’une Europe fédérale. Elle aurait alors effectivement l’impression de se faire « faire les poches ». Alors, pourquoi s’inquiète-t-il ?
Ce n’est pas faire preuve de germanophobie que constater que la France n’a pas en l’Allemagne un partenaire fiable et compréhensif. Au contraire, indépendamment de la froideur des relations entre Scholtz et Macron, force est de constater que l’Allemagne pèse de tout son poids en Europe pour aller contre les intérêts français, qu’il s’agisse par exemple d’inscrire le nucléaire dans la liste des énergies décarbonnées, d’investir dans le New Space ou de tenir ses engagements dans les projets de défense conjoints.
La raison est peut-être à trouver dans la boutade selon laquelle les Français respectent les Allemands mais ne les aiment pas, quand les Allemands aiment bien les Français mais ne les respectent pas.
Plus prosaïquement, l’Allemagne de la chancelière Merkel (et de son successeur) a trop profité de l’affaiblissement de la France en Europe depuis vingt ans pour souhaiter rééquilibrer la relation franco-allemande. C’est pourtant une nécessité absolue pour quiconque croit à un projet européen de long terme. Sans quoi le décrochage de la France risque d’emporter dans sa chute toute la construction européenne.
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(1) Tous les chiffres sont issus des données officielles les plus à jour publiées par les administrations de Bercy : https://www.budget.gouv.fr/documentation/file-download/22029 et https://www.tresor.economie.gouv.fr/Articles/2024/02/07/rapport-2024-sur-le-commerce-exterieur-de-la-france
(2) Cf. parmi nos précédentes chroniques : De quoi la France bénéficie-t-elle en « juste retour » de sa générosité envers l’Union européenne ? et La France, seul pays à s’enfoncer dans un déficit commercial abyssal avec ses partenaires de l’UE
(3) Selon une étude allemande, l’euro aurait particulièrement nui aux Français (lefigaro.fr) ; l’étude en allemand «20 ans d’euro: perdants et gagnants, une enquête empirique» se trouve sous le lien : cepStudy
(4) https://www.latribune.fr/opinions/quelle-strategie-pour-renforcer-l-influence-de-la-france-dans-l-ue-940527.html
(5) Cf. l’une de nos précédentes chroniques : Comment les Français financent l’effort de guerre polonais et l’industrie de défense extra-européenne
(6) Cf. https://www.latribune.fr/opinions/elections-allemandes-que-restera-t-il-des-cinq-programmes-d-armement-emblematiques-de-2017-892845.html et https://www.latribune.fr/opinions/l-avenir-de-la-defense-de-la-france-a-tout-a-perdre-dans-le-scaf-2-2-936113.html
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* Le groupe Mars, constitué d’une trentaine de personnalités françaises issues d’horizons différents, des secteurs public et privé et du monde universitaire, se mobilise pour produire des analyses relatives aux enjeux concernant les intérêts stratégiques relatifs à l’industrie de défense et de sécurité et les choix technologiques et industriels qui sont à la base de la souveraineté de la France.