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Crise du logement : le pavillon remis en cause ?

Crise du logement : le pavillon remis en cause ?

par Fabien Jannic-Cherbonnel , France Télévisions

Un article intéressant mais qui milite quand même pour la densification et la sur urbanisation résultat d’un modèle qui favorise la mètropolitisation et les grandes villes. La question de l’aménagement du territoire avec un meilleur équilibre et une meilleure répartition de l’habitat et de l’emploi n’est pas posée. NDLR

Considéré comme « moche » par certains, le pavillon reste privilégié par les Français et les Françaises. Mais face aux objectifs de zéro artificialisation des sols et à l’envolée des coûts de construction, il est remis en cause. Une rangée de maisons, chacune au milieu d’un jardin, une route qui se termine en cul-de-sac, le tout dans la périphérie d’une ville, en bordure de champs. C’est, en une phrase, la façon dont on pourrait décrire le modèle pavillonnaire à la française, mis en place dans les années 1970. Accusé de rendre la France « moche » par le magazine Télérama en 2010, de grignoter les terres agricoles, de favoriser l’endettement des ménages et d’être incompatible avec la transition écologique, ce modèle est de plus en plus remis en cause.

« Il faut en finir avec la maison individuelle », avait même lancé Emmanuelle Wargon, alors ministre du Logement, en 2021, rappelle Le Figaro. Des propos qui avaient fait polémique, alors que la maison individuelle est encore vue comme un idéal par une large majorité des Français. Mais la future loi zéro artificialisation nette, qui empêchera théoriquement la création de lotissements sur des terres agricoles ou naturelles, risque de venir doucher ces aspirations. Et de signer la fin du pavillon, cette « passion française » selon l’expression des sociologues Hervé Marchal et Jean-Marc Stébé.

Rembobinons. Nous sommes au milieu des années 1970. Les autorités, après avoir fortement développé l’habitat collectif au sortir de la Seconde Guerre mondiale, décident de changer de braquet. « Ce que l’on appelle le modèle pavillonnaire est une construction politique et économique, mis notamment en place après l’élection de Valéry Giscard d’Estaing en 1977, et qui promet un logement à tous grâce à l’accession à la propriété », détaille Lionel Rougé, maître de conférences à l’université de Toulouse 2 et spécialiste du sujet.

Très vite, les lotissements fleurissent un peu partout en France, presque toujours en périphérie des villes. Eloignés des lieux de travail, des centres-villes ou des écoles, ces lotissements s’y font dortoirs et la voiture y est reine. La France « a choisi de s’inspirer du modèle américain », souligne Lucile Mettetal, géographe et chargée d’études et de projets à l’institut Paris Région. Les maisons y sont construites « au milieu d’un jardin », à l’inverse de ce qui se fait dans d’autres pays comme le Royaume-Uni ou l’Allemagne, où les maisons sont fréquemment mitoyennes. A la clé, la promesse d’un environnement sécurisant, où l’on peut s’épanouir en bricolant ou jardinant, à l’abri des regards des voisins.

Ce modèle, poussé par les politiques locales d’aménagement du territoire, mais aussi par des dispositifs nationaux comme le prêt à taux zéro depuis les années 1990, permet aux classes moyennes et populaires d’accéder à la propriété. Près de 62% des ménages français étaient ainsi propriétaires de leur résidence principale en 2020, contre 44% en Allemagne, d’après l’OCDE. Et parmi ces logements, la maison est reine : selon les derniers chiffres du ministère de la Transition écologique, 79% des ménages propriétaires habitent dans une maison.

Malgré son succès, le pavillon est la cible de critiques régulières, d’abord pour l’imaginaire qu’il charrie, comme Télérama dézinguant « la France moche ». La cible à abattre ? Ces longues rues bordées de maisons similaires, situées à l’entrée d’une commune et proches d’une zone commerciale. « Les zones pavillonnaires sont le symbole d’un monde urbain qui grignote la campagne », résume Hervé Marchal, professeur de sociologie à l’université de Bourgogne. Une contradiction forte pour un type d’habitat censé rapprocher ses habitants de la nature.

Au-delà de l’aspect esthétique, le modèle pavillonnaire est surtout critiqué pour son impact sur l’environnement. « Ce développement par zones – pavillonnaires, d’activités et commerciales – séparées est problématique », explique Christine Leconte, présidente de l’Ordre des architectes. C’est « un urbanisme totalement tourné vers la voiture » qui, en plus de forcer les habitants à faire des kilomètres pour se rendre au travail, a « fait perdre aux enfants énormément d’autonomie », ajoute-t-elle.

Malgré ces critiques, l’attrait de la maison individuelle reste important. « Le désir de maison n’a pas faibli, il a même été réactivé par les confinements et l’étendue du télétravail », souligne Lucile Mettetal. Ainsi, 84% des personnes interrogées préféreraient vivre dans ce type de logement, selon un sondage Ifop de la Fédération française des constructeurs de maisons individuelles réalisé en mars et rapporté par Le Journal de l’Agence.

Si tous les Français, ou presque, ont le même rêve, ils n’habitent pas tous de la même façon. « Toutes les maisons ne se valent pas, souligne Lionel Rougé. On voit les classes supérieures investir les zones pavillonnaires, souvent construites dans les années 1970, qui sont désormais bien insérées dans le milieu urbain. » Ce « pavillon enchanté », comme l’appelle Hervé Marchal, a tout pour lui : il est connecté à la ville, aux transports en commun et aux services.

A l’inverse, les classes populaires peinent de plus en plus à trouver des maisons à prix abordable. « Ceux qui allaient dans le périurbain sont dorénavant forcés d’aller encore plus loin », résume Lionel Rougé, qui s’alarme de voir des ménages « s’installer à 70 km de Toulouse pour accéder à une maison ». « Ce pavillonnaire désenchanté va fréquemment de pair avec un ressentiment de ses habitants », résume le chercheur.

« Loin de tout, ils ont le sentiment d’être oubliés. Les façades en crépi, l’état des fenêtres sont autant de choses qui rappellent aux gens qu’ils sont moins bien lotis. »

Hervé Marchal, professeur de sociologie à l’université de Bourgogne à franceinfoCe sentiment d’exclusion, « l’un des moteurs derrière la colère des ‘gilets jaunes’ », rappelle Christine Leconte, pourrait encore s’exacerber avec l’augmentation des prix de l’énergie liée à la guerre en Ukraine. D’autant que les constructions neuves ont fortement ralenti en 2022, rapporte Le Monde. En cause, la poussée des coûts de construction, de 8,8% sur un an selon l’Insee, ainsi que la hausse des taux d’intérêts qui freine l’accession aux prêts immobiliers.

A ces difficultés conjoncturelles s’ajoute une problématique de long terme : celle de la transition écologique. Le pavillon et sa voiture quasi obligatoire semblent peu compatibles avec la lutte contre le réchauffement climatique. Et l’objectif de zéro artificialisation nette d’ici à 2050, inclus dans la loi Climat, risque bien de remettre en cause tout le modèle de développement urbain français. Le gouvernement veut d’ailleurs faire adopter un nouveau texte, pour préserver la biodiversité et empêcher l’étalement urbain en incitant la construction sur des friches ou des espaces vacants dans les villages. La future loi, pour l’instant votée par le Sénat, inquiète les maires de petites villes, qui craignent de ne plus attirer de ménages. Logique, souligne Hervé Marchal, « car pendant longtemps, la figure d’un bon maire a été celle de l’élu qui attirait sans cesse de nouveaux habitants ».

De quoi signer la fin du pavillon ? « Non », répond Lionel Rougé, pour qui l’on assiste « à un renouvellement du modèle pavillonnaire » plutôt qu’à sa mort. Pour se réinventer, les zones pavillonnaires vont donc devoir évoluer. « L’une des clés est la densification des zones périurbaines, souligne Christine Leconte. Il va falloir se préoccuper de l’intégration de ces zones dans le tissu urbain, rapprocher les gens des services publics et sortir du tout-voiture. » Une « clé de la transition écologique » qui demande de diversifier l’usage des zones pavillonnaires, pour en faire des lieux de vie.

Reste à savoir comment densifier. Lucile Mettetal distingue « la densification dure », qui remplace des zones pavillonnaires par des barres d’immeubles, à l’œuvre notamment en petite et moyenne couronne en Ile-de-France, comme le raconte Le Monde, de « la densification douce » : « Il s’agit d’une division des parcelles ou d’un remplissage des dents creuses. » Par exemple, un couple qui vend une partie de son jardin pour rénover sa maison achetée dans les années 1970.

Réenchanter la zone pavillonnaire ne se fera en tout cas pas sans ses habitants. « Nous n’avons pas d’autre solution que de travailler avec les personnes qui y habitent », met en garde Christine Leconte. « Il ne faut pas diaboliser les zones pavillonnaires, mais plutôt y mettre de la pensée urbaine, ajoute Lionel Rougé. Il faut réfléchir à une manière de les agencer et de les urbaniser qui soit démocratique. Les gens souhaitent de la ville à la campagne, il faut les laisser l’inventer. »

La France pourrait s’inspirer de certains de ses voisins européens, alors que « notre pays est le champion du mitage [l'implantation d'édifices dispersés dans un paysage naturel]« , s’exclame Hervé Marchal. Le chercheur suggère de regarder vers « le Royaume-Uni, où le pavillonnaire mitoyen est plus développé et intégré dans les villes ». Lucile Mettetal invite le législateur à se poser la question du partage de l’habitat : « On pourrait regarder en Allemagne, où les générations cohabitent plus fréquemment. »

Si la France n’en est pas encore à révolutionner son habitat, certaines envies semblent être en train d’évoluer, selon les observateurs et professionnels du secteur. Les jeunes ménages n’ont plus tout à fait les mêmes aspirations que leurs parents. « La place du jardin est toujours importante, mais il n’a pas besoin d’être très grand. Surtout, l’envie d’avoir une maison avec quatre faces est moins forte aujourd’hui et les ménages ne veulent pas être trop loin du centre-ville », souligne Lionel Rougé.

Est-ce un signe que le discours écologique est en train d’infuser ? « La réduction de la taille des maisons et des jardins est notamment liée à une question d’économies et de confort, mais quelque part, ça pénètre », pense Christine Leconte. Au législateur d’arriver à convaincre les Français de changer leurs aspirations, et de répondre aux contradictions qui poussent les ménages à « vouloir habiter à proximité de la nature, tout en étant intégrés au tissu urbain », résume Hervé Marchal.

Crise immobilier: La conséquence d’une urbanisation folle

Crise immobilier: La conséquence d’une urbanisation folle


Comme souvent, il y a bien sûrs plusieurs facteurs explicatifs pour tenter de comprendre la grave crise du logement qui se prépare et pourrait déboucher sur l’éclatement d’une bulle. En clair sur un effondrement de la production en même temps que des prix. Parmi les facteurs explicatifs, il faut surtout prendre en compte le coût du foncier qui en moyenne équivaut à peu près à la moitié du prix du logement. Des prix qui se sont envolés car la demande est surtout concentrée dans les métropoles et autres grandes villes où on a aussi concentré l’emploi. Du coup même à 10 ou 20 km du centre, le foncier a enregistré des augmentations qui d’une certaine manière tuent l’activité du logement. Des augmentations du foncier économiquement non fondées et qui sont le résultat de la pure spéculation.

Pour résoudre ce problème il faudrait évidemment remettre en cause la philosophie de la métropolisation qui a pour objet de concentrer la population dans 10 à 15  villes de plus d’un million d’habitants. Le reste du territoire étend abandonné aux moins favorisés contraints de faire des déplacements domicile travail de 40,60, voire 100 kms par jour. Ce qui est en cause c’est évidemment le concept d’aménagement du territoire.

Les mesures cosmétiques du gouvernement ne sont évidemment pas à la hauteur de l’enjeu. Les mesures cosmétiques du gouvernement ne sont évidemment pas à la hauteur de l’enjeu. La situation est problématique tant dans le neuf que sur le marché de la location. . Sur les trois premiers mois, les ventes de logements collectifs se sont effondrées de 34 % par rapport à la même période de l’année précédente. Et la chute atteint 46 % par rapport au premier trimestre 2019. Les acheteurs-habitants sont en très fort recul (- 31 %), mais c’est encore pire du côté des investisseurs (- 52 %). Cette dégringolade du marché du neuf a forcément ses conséquences sur l’activité des professionnels de la construction. La Fédération française du bâtiment (FFB) estime à 100.000 le nombre d’emplois menacés à un horizon de 18 à 24 mois.

Crise du logement : des propositions complètement cosmétiques du gouvernement

Crise du logement : des propositions complètement cosmétiques du gouvernement


Finalement le gouvernement commet une erreur d’appréciation grave en considérant que la crise du logement est seulement conjoncturelle et non pas structurelle. Un gouvernement qui oublie notamment de prendre en compte le coût énorme du foncier qui représente à peu près en moyenne la moitié du prix du logement. Le gouvernement a donc annoncé des mesures cosmétiques qui ne répondent pas à la crise fondamentale concernant aussi bien le neuf que la location. Le problème fondamental est en effet la perte de solvabilité d’un nombre croissant de candidats à l’accession du fait des taux d’intérêt, de l’inflation qui affecte le pouvoir d’achat et surtout de la folle envolée des prix (En 20 ans les prixont doublé mais le pouvoir d’achat des ménages n’a augmenté que de 40 ans). Côté location, l’offre est gelée du fait du prix exorbitant de la mise aux normes. Côté neuf, il y a un assèchement faute de solvabilité des acquéreurs potentiels. Le gouvernement aggrave en outre encore la situation avec l’objectif de zéro artificialisation des sols)

Cinq axes retenus par le gouvernement

Il s’agit de favoriser l’accession à la propriété, l’accès à la location, de soutenir la production et la rénovation des logements sociaux, de relancer la production de logements, et enfin d’amplifier la rénovation énergétique et thermique des logements du parc privé.

Au premier chapitre sur l’accession à la propriété, la mensualisation de la révision du taux d’usure sera prolongée « jusqu’à la fin de l’année » De même que les règles d’octroi du crédit immobilier vont être « assouplis » pour faciliter l’accès au crédit pour les primo-accédants et pour les investissements locatifs.

Aujourd’hui, les taux d’intérêt sont si élevés et mécaniquement les taux d’efforts si soutenus que plus de la majorité des demandes de prêt sont refusées par les banques. Réponse le 13 juin à l’issue de la réunion du Haut Conseil de stabilité financière (HCSF) qui fait la pluie et le beau temps.

En attendant, l’exécutif pense avoir trouvé la parade : le prêt à taux zéro (PTZ) ne s’arrêtera fin 2023 et sera prolongé jusqu’en 2027 mais dans deux cas de figure pour l’achat d’un bien neuf en immobilier collectif ou pour l’acquisition d’un habitat ancien en zone tendue, c’est-à-dire où la demande excède largement neuf, sous réserve de le rénover.

Pour favoriser l’accès à la location pour les classes moyennes, le cabinet d’Elisabeth Borne annonce que le logement locatif intermédiaire (LLI) sera ouvert à davantage de communes et au rachat de logements dans l’ancien pour les rénover. En cela, il ne fait que traduire en actes les paroles du chef de l’Etat dans Challenges qui avait invité à « regarder comment développer beaucoup plus de LLI pour baisser les prix, parce que la crise du logement se situe là ».

Par logement locatif intermédiaire, il faut entendre des habitats réservés à des populations trop riches pour accéder au logement social et trop pauvres pour acquérir du logement sur le marché libre, et qui ais restent aujourd’hui cantonnés à l’immobilier neuf et réservés aux zones A, A Bis et B1, des zones tendues où la demande prime sur l’offre.

La Première ministre assure aussi travailler sur une remise à plat de la fiscalité des locations pour favoriser les locations de longue durée, et ce alors qu’une proposition de loi transpartisane devait être examinée à l’Assemblée la semaine prochaine avant d’être reportée, et qu’une loi de la majorité présidentielle propose d’agir dessus pour faire baisser les prix dans les zones tendues. Par ailleurs, un rapport de l’Inspection générale des Finances préconise la fin des ristournes sur les meublés touristiques de courte durée.

Autre piste : une convention signée avec Action Logement, le premier bailleur social et le premier producteur de logements sociaux. Il va acquérir 30.000 logements en vente en état futur d’achèvement (VEFA) auprès des promoteurs immobiliers, mais à la différence de CDC Habitat qui en achète 17.000, les modalités de financement ne sont pas (encore ?) connues. Ce n’est pas tout, le gouvernement et l’organisme qui collecte la participation de l’employeur à l’effort de construction (PEEC) vont signer une convention visant à doubler le nombre de bénéficiaires de la garantie Visale, caution ouverte à tous les moins de 30 ans.

L’Etat sera lui-même « exemplaire », dit-on encore à Matignon. Il est question en effet d’accélérer la transformation du foncier de l’État et de ses opérateurs en faisant notamment évoluer les règles des Domaines pour contribuer à la modération des prix. Est-ce à dire que les ventes aux enchères seront interdites ? Rien n’est moins sûr…

Il est également prévu de lever les derniers freins juridiques pour favoriser la production de logements compatibles avec les objectifs de sobriété foncière pour accélérer la transformation des bureaux en logements par exemple. D’autant que le temps presse: à horizon 2031, la consommation foncière devra avoir diminué de moitié, avant d’être arrêtée d’ici à 2050 avec la politique de zéro artificialisation nette (ZAN) des sols.

Sauf que les freins sont avant tout financiers. Les propriétaires d’actifs en mutation continuent de s’acquitter de la taxe foncière et de la taxe d’équipement le temps des travaux, à la différence de ceux qui détruisent tout pour reconstruire aussi. La réponse viendra peut-être du « hors site » dont l’exécutif veut bâtir « une filière d’excellence ».

Dernier point : l’amplification de la rénovation énergétique et thermique des logements du parc privé. Comment ? En poursuivant le développement de Ma Prime Rénov « renforcée en moyens » avec un objectif de 200.000 rénovations « performantes », sans révéler ce que signifie concrètement cet adjectif.

Immobilier : une crise structurelle grave

Immobilier : une crise structurelle grave

Alors que plus que jamais la question du logement et des solutions pouvant être apportées à la crise est d’actualité et après l’annonce des conclusions d’un Conseil national de la reformation faisant l’unanimité des regrets et des commentaires négatifs, André Yché, Président du conseil de surveillance chez CDC Habitat, apporte sa pierre à l’édifice en nous présentant la vision d’un véritable acteur du secteur ( dans la Tribune)

Comme à la guerre, le risque qui pèse constamment sur l’entrepreneur et, plus généralement, sur tout décideur privé ou public consiste à préparer la bataille passée, en perfectionnant une stratégie fondamentalement obsolète et vouée à l’échec dans l’avenir. Ainsi la ligne Maginot s’inspirait-elle de l’expérience des tranchées de 1914 / 1918 alors que le moteur thermique réhabilitait la guerre de mouvement ; de même, la capacité de projection du porte-avions marquait-elle le déclin du cuirassé, acteur dominant du combat naval depuis la seconde moitié du XIXe siècle.

Dès lors, quels sont les facteurs de rupture qui vont bouleverser l’économie immobilière au cours du deuxième quart du XXIe siècle ?
Des taux d’intérêt réels élevés (3% à 4% à court / moyen terme) dont les niveaux de la dette souveraine et du déficit budgétaire écartent, du moins à brève échéance, toute perspective de baisse.

Un fort ralentissement de la construction neuve dans le secteur résidentiel (de l’ordre de 40% à 50%, vers un flux annuel compris entre 200 000 et 300 000 unités) du fait de la rareté organisée du foncier constructible et de la difficulté croissante de trouver l’équilibre économique de nouveaux projets (diminution de la constructibilité imposée par les pouvoirs locaux, baisse du pouvoir d’achat disponible après dépenses contraintes et de la capacité d’endettement des ménages.

À cet égard, il convient de souligner l’impact des critères de solvabilité imposés, à juste titre, par le secteur bancaire ainsi que l’exigence, pour l’attribution de la garantie financière d’achèvement des opérations (GFA) aux promoteurs, de taux de pré-commercialisation de 50% à 80%, sur la base de refus de prêt de l’ordre de 30% à 50% des demandes).

Des surcapacités structurelles d’immobilier tertiaire (bureaux notamment) alimentées par la généralisation du télétravail et accentuées par la nécessité, pour les entreprises, de tirer les conséquences de la baisse de productivité de l’économie enregistrée en 2022 (-3%) et pour les administrations, de l’impasse budgétaire et du risque croissant de « jacquerie fiscale ».

L’ampleur de la perte de valeur menaçant les sociétés foncières fortement engagées dans le tertiaire, par suite du comportement mimétique des directions d’investissement, apparaîtra lors du renouvellement des baux (hors « prime ») au cours des prochaines années ; elle pourrait atteindre, pour la seule région d’Île-de-France, de l’ordre de 5 à 10 milliards d’euros.

La reconfiguration inévitable de plusieurs centaines de centres commerciaux, dont le modèle est atteint par le développement du e-commerce et qui devront réduire l’emprise de leurs immobilisations physiques, voire les reconvertir entièrement dans les situations les plus critiques. L’urbanisme des entrées de ville doit donc être repensé, avec l’émergence possible de nouveaux « micro-quartiers » destinés à éviter l’apparition de friches urbaines et indispensables pour la préservation de l’attractivité résidentielle de nombreuses villes moyennes (ex. « villes dortoirs ») en périphérie des agglomérations.

L’impact sur l’offre locative privée et publique (et l’accueil de l’opinion, dont celui réservé aux projets de ZFE permet de préjuger) de la règlementation thermique excluant progressivement de la relocation les logements classés G, F, E, soit, a minima, huit millions d’unités résidentielles, c’est-à-dire le quart du parc des résidences principales.

La remise aux normes thermiques, impliquant des investissements (CAPEX) non programmés sans évolution significative des produits locatifs associés, eu égard au niveau atteint par les taux d’intérêt réels pour de tels projets (plus de 4%), impliquera une perte de valeur de marché des actifs concernés de l’ordre de 30% à 35%.

Politiquement, ce sont les classes moyennes, déjà frappées par l’absence d’actualisation du barème de l’IFI, qui subiront cette déflation patrimoniale, alors qu’elles ne s’étaient guère mobilisées à l’occasion de la crise des « Gilets jaunes », alimentée par les catégories dites « populaires » composées essentiellement de ruraux modestes.

Ainsi donc, c’est tout un secteur économique dont le poids est constamment sous-estimé, en termes d’emploi, de support d’épargne de précaution et de transmission intergénérationnelle, c’est-à-dire, in fine, de préservation de l’ordre politique et social, qui est exposé au risque croissant d’une déstabilisation profonde et durable.

Comment les grands acteurs de l’économie immobilière peuvent-ils prendre en compte ces bouleversements imminents et s’y préparer dans l’intérêt général ?
La seule voie de sortie « par le haut » de cette crise structurelle réside, plutôt que dans la résurrection du passé, dans l’innovation : financière, architecturale et urbanistique, managériale et stratégique, mais aussi politique, administrative et fiscale. Mais l’auteur de cet article peut témoigner personnellement, à partir d’une expérience d’un quart de siècle, que promouvoir des solutions originales est un exercice épuisant et risqué, car tous les conservatismes se liguent spontanément contre le changement ; les exemples sont légion : la sortie du secteur HLM d’une pure économie d’endettement subventionnée et la prise en compte d’un besoin accru de fonds propres, destinés à compenser l’écart entre l’évolution des coûts de production et celle des loyers en introduisant dans le modèle les plus-values latentes dans le patrimoine par le biais de l’accession à la propriété dans le parc HLM ancien, et donc amorti ; les démembrements de propriété, à travers le recours à des baux emphytéotiques ; plus récemment, pour compenser les effets d’éviction de la loi DALO au détriment des « key-workers » et des classes moyennes, l’invention du logement locatif intermédiaire, financé par le secteur privé institutionnel.

À partir des enseignements procurés par ces expériences dont la généralisation a fini par s’imposer en dépit d’années, sinon de décennies, de dénigrement, comment penser l’innovation de nos jours ? Trois données essentielles doivent nous guider.

L’époque de la « promotion facile » par aménagement de terrain agricole (les « champs de betteraves » et les « terrains à vaches ») est révolue, conduisant désormais à concevoir des opérations complexes et risquées ; le secteur de la promotion est donc à la veille d’un mouvement de concentration d’où émergeront deux catégories d’acteurs : les plus puissants, mieux à même de se diversifier ; les plus agiles, qui sauront se repositionner sur des créneaux porteurs.

Les foncières significativement investies dans le tertiaire, en dehors des produits « prime » (et encore…) doivent s’apprêter à enregistrer de fortes moins-values, qui seront révélées lors du renouvellement (ou non) de leurs baux. La transformation de leurs actifs s’avèrera de plus en plus difficile, du fait de la saturation du plan de charge du BTP, par ailleurs mobilisé par la mise aux normes thermiques de l’habitat privé et public. De surcroît, des obstacles actuellement dirimants devront être surmontés, par exemple le surcoût de travaux effectués hors du champ de récupération de la TVA.

Enfin, l’État central, contraint par la dette souveraine, ne sera plus en situation d’assurer la régulation d’un secteur très capitalistique et sera amené à engager un mouvement de décentralisation vers les collectivités territoriales conservant quelques capacités d’investissement (régions, métropoles) en considération d’arguments stratégiques : l’évidente complémentarité logement / mobilité ; le poids de l’immobilier dans la transition environnementale ; les enjeux en matière d’emploi et de formation. Observons enfin qu’en matière de fiscalité foncière, aucun gouvernement n’assumera spontanément la responsabilité d’une révision des valeurs cadastrales…

La crise globale qui affecte aujourd’hui, et plus encore demain, le secteur immobilier présente donc de multiples opportunités à condition d’être correctement appréhendée.

Un exemple parmi d’autres : la reconversion d’immeubles de bureaux en logements : l’affaire n’est pas si simple. Sur le plan économique, le surcoût par rapport à une construction neuve est considérable, la facture étant aisément doublée ; les difficultés techniques sont multiples : l’accès aux issues de secours qui implique la création de nouvelles cages d’escalier ou de galeries extérieures, l’épaisseur des trames qui impose la conception d’immeubles multifonctionnels : co-working en second jour, etc., le coût spécifique, pour les immeubles de grande hauteur, de la règlementation IGH, incitant à la « neutralisation » des étages supérieurs, la fiscalité pénalisante puisque le passage en secteur résidentiel met fin à la récupérabilité de la TVA sur travaux (faut-il compenser un allègement de la TVA sur travaux de transformation en logement intermédiaire par une fiscalité progressive sur les bureaux vacants ?) ; enfin, l’accord des maires qui suppose, en regard de la perte (apparente) des taxes prélevées sur les immeubles de bureau (destinés, pour certains, à devenir des « friches verticales »), une forme d’intéressement au résultat final de l’opération (via la participation minoritaire d’EPL au montage ?). La meilleure manière d’avancer dans ce chantier consiste à conduire de premières expérimentations.

À partir de ces considérations, la redéfinition des stratégies d’entreprises et territoriales s’impose d’évidence, dans la perspective de prendre en compte une donnée longtemps absente de l’économie immobilière et de la politique afférente (réglementaire, fiscale notamment) : la réapparition du risque de promotion et de transformation. L’absence apparente (et illusoire) de risque a conduit les collectivités, à tous les niveaux : national, local, à opérer une lourde taxation foncière, parfois en anticipant des prélèvements sur plusieurs années de futures contributions, telles qu’escomptées : par exemple au titre de redevances domaniales. L’hypothèse sous-jacente, largement partagée, résidait alors dans le découplage de la sphère immobilière vis-à-vis de l’économie générale.

Cette situation est manifestement révolue, de telle sorte que les acteurs privés devront réfléchir à l’introduction de nouveaux mécanismes issus de l’économie financière (contrats d’options du type « put » et « call » et dérivés) afin de redistribuer les risques de perte et les opportunités de gain, de même que les collectivités publiques devront mettre en place les instruments permettant de raccorder des décisions d’investissement à court terme avec des horizons qui, s’agissant d’immobilier, ressortissent nécessairement du long terme (fonds territoriaux dédiés à la rénovation thermique des logements et à la reconversion des emprises foncières).

La conjugaison d’une problématique particulièrement complexe met en cause de multiples intérêts particuliers, comme chaque fois que, dans l’histoire, des mécanismes de rente sont menacés ; dans ce cas d’espèce, l’ampleur des enjeux touche intimement à la confiance publique, de telle sorte que c’est l’intérêt général lui-même qui n’est pas exempt des conséquences d’une crise dont le caractère inédit, car global et systémique, se révèlera tardivement aux « laudatores temporis acti » (cf. Horace, Art poétique).

Crise logement: La conséquence d’une urbanisation folle

Crise logement: La conséquence d’une urbanisation folle


Comme souvent, il y a bien sûrs plusieurs facteurs explicatifs pour tenter de comprendre la grave crise du logement qui se prépare et pourrait déboucher sur l’éclatement d’une bulle. En clair sur un effondrement de la production en même temps que des prix. Parmi les facteurs explicatifs, il faut surtout prendre en compte le coût du foncier qui en moyenne équivaut à peu près à la moitié du prix du logement. Des prix qui se sont envolés car la demande est surtout concentrée dans les métropoles et autres grandes villes où on a aussi concentré l’emploi. Du coup même à 10 ou 20 km du centre, le foncier a enregistré des augmentations qui d’une certaine manière tuent l’activité du logement. Des augmentations du foncier économiquement non fondées et qui sont le résultat de la pure spéculation.

Pour résoudre ce problème il faudrait évidemment remettre en cause la philosophie de la métropolisation qui a pour objet de concentrer la population dans 10 à 15  villes de plus d’un million d’habitants. Le reste du territoire étend abandonné aux moins favorisés contraints de faire des déplacements domicile travail de 40,60, voire 100 kms par jour. Ce qui est en cause c’est évidemment le concept d’aménagement du territoire.

Les mesures cosmétiques du gouvernement ne sont évidemment pas à la hauteur de l’enjeu. Les mesures cosmétiques du gouvernement ne sont évidemment pas à la hauteur de l’enjeu. La situation est problématique tant dans le neuf que sur le marché de la location. . Sur les trois premiers mois, les ventes de logements collectifs se sont effondrées de 34 % par rapport à la même période de l’année précédente. Et la chute atteint 46 % par rapport au premier trimestre 2019. Les acheteurs-habitants sont en très fort recul (- 31 %), mais c’est encore pire du côté des investisseurs (- 52 %). Cette dégringolade du marché du neuf a forcément ses conséquences sur l’activité des professionnels de la construction. La Fédération française du bâtiment (FFB) estime à 100.000 le nombre d’emplois menacés à un horizon de 18 à 24 mois.

Immobilier- Crise du logement : des propositions complètement cosmétiques du gouvernement

Immobilier- Crise du logement : des propositions complètement cosmétiques du gouvernement


Finalement le gouvernement commet une erreur d’appréciation grave en considérant que la crise du logement est seulement conjoncturelle et non pas structurelle. Un gouvernement qui oublie notamment de prendre en compte le coût énorme du foncier qui représente à peu près en moyenne la moitié du prix du logement. Le gouvernement a donc annoncé des mesures cosmétiques qui ne répondent pas à la crise fondamentale concernant aussi bien le neuf que la location. Le problème fondamental est en effet la perte de solvabilité d’un nombre croissant de candidats à l’accession du fait des taux d’intérêt, de l’inflation qui affecte le pouvoir d’achat et surtout de la folle envolée des prix (En 20 ans les prixont doublé mais le pouvoir d’achat des ménages n’a augmenté que de 40 ans). Côté location, l’offre est gelée du fait du prix exorbitant de la mise aux normes. Côté neuf, il y a un assèchement faute de solvabilité des acquéreurs potentiels. Le gouvernement aggrave en outre encore la situation avec l’objectif de zéro artificialisation des sols)

Cinq axes retenus par le gouvernement

Il s’agit de favoriser l’accession à la propriété, l’accès à la location, de soutenir la production et la rénovation des logements sociaux, de relancer la production de logements, et enfin d’amplifier la rénovation énergétique et thermique des logements du parc privé.

Au premier chapitre sur l’accession à la propriété, la mensualisation de la révision du taux d’usure sera prolongée « jusqu’à la fin de l’année » De même que les règles d’octroi du crédit immobilier vont être « assouplis » pour faciliter l’accès au crédit pour les primo-accédants et pour les investissements locatifs.

Aujourd’hui, les taux d’intérêt sont si élevés et mécaniquement les taux d’efforts si soutenus que plus de la majorité des demandes de prêt sont refusées par les banques. Réponse le 13 juin à l’issue de la réunion du Haut Conseil de stabilité financière (HCSF) qui fait la pluie et le beau temps.

En attendant, l’exécutif pense avoir trouvé la parade : le prêt à taux zéro (PTZ) ne s’arrêtera fin 2023 et sera prolongé jusqu’en 2027 mais dans deux cas de figure pour l’achat d’un bien neuf en immobilier collectif ou pour l’acquisition d’un habitat ancien en zone tendue, c’est-à-dire où la demande excède largement neuf, sous réserve de le rénover.

Pour favoriser l’accès à la location pour les classes moyennes, le cabinet d’Elisabeth Borne annonce que le logement locatif intermédiaire (LLI) sera ouvert à davantage de communes et au rachat de logements dans l’ancien pour les rénover. En cela, il ne fait que traduire en actes les paroles du chef de l’Etat dans Challenges qui avait invité à « regarder comment développer beaucoup plus de LLI pour baisser les prix, parce que la crise du logement se situe là ».

Par logement locatif intermédiaire, il faut entendre des habitats réservés à des populations trop riches pour accéder au logement social et trop pauvres pour acquérir du logement sur le marché libre, et qui ais restent aujourd’hui cantonnés à l’immobilier neuf et réservés aux zones A, A Bis et B1, des zones tendues où la demande prime sur l’offre.

La Première ministre assure aussi travailler sur une remise à plat de la fiscalité des locations pour favoriser les locations de longue durée, et ce alors qu’une proposition de loi transpartisane devait être examinée à l’Assemblée la semaine prochaine avant d’être reportée, et qu’une loi de la majorité présidentielle propose d’agir dessus pour faire baisser les prix dans les zones tendues. Par ailleurs, un rapport de l’Inspection générale des Finances préconise la fin des ristournes sur les meublés touristiques de courte durée.

Autre piste : une convention signée avec Action Logement, le premier bailleur social et le premier producteur de logements sociaux. Il va acquérir 30.000 logements en vente en état futur d’achèvement (VEFA) auprès des promoteurs immobiliers, mais à la différence de CDC Habitat qui en achète 17.000, les modalités de financement ne sont pas (encore ?) connues. Ce n’est pas tout, le gouvernement et l’organisme qui collecte la participation de l’employeur à l’effort de construction (PEEC) vont signer une convention visant à doubler le nombre de bénéficiaires de la garantie Visale, caution ouverte à tous les moins de 30 ans.

L’Etat sera lui-même « exemplaire », dit-on encore à Matignon. Il est question en effet d’accélérer la transformation du foncier de l’État et de ses opérateurs en faisant notamment évoluer les règles des Domaines pour contribuer à la modération des prix. Est-ce à dire que les ventes aux enchères seront interdites ? Rien n’est moins sûr…

Il est également prévu de lever les derniers freins juridiques pour favoriser la production de logements compatibles avec les objectifs de sobriété foncière pour accélérer la transformation des bureaux en logements par exemple. D’autant que le temps presse: à horizon 2031, la consommation foncière devra avoir diminué de moitié, avant d’être arrêtée d’ici à 2050 avec la politique de zéro artificialisation nette (ZAN) des sols.

Sauf que les freins sont avant tout financiers. Les propriétaires d’actifs en mutation continuent de s’acquitter de la taxe foncière et de la taxe d’équipement le temps des travaux, à la différence de ceux qui détruisent tout pour reconstruire aussi. La réponse viendra peut-être du « hors site » dont l’exécutif veut bâtir « une filière d’excellence ».

Dernier point : l’amplification de la rénovation énergétique et thermique des logements du parc privé. Comment ? En poursuivant le développement de Ma Prime Rénov « renforcée en moyens » avec un objectif de 200.000 rénovations « performantes », sans révéler ce que signifie concrètement cet adjectif.

Crise du logement : des mesurettes !

Crise du logement : des mesurettes !


La déception des professionnels du logement est totale après l’annonce par le gouvernement des mesures sensées mettre fin à la très grave crise du logement en cours.

« Le gouvernement a-t-il conscience que la situation deviendra hors de contrôle et que toute la chaîne du logement continuera à se bloquer ? , s’interrogent ces professionnels.

Le Conseil de la Refondation consacré au logement n’aura pas servi à grand-chose. Très peu de mesures auront été entendues par le gouvernement. Rien vraiment d’étonnant à cela car ce conseil de la Refondation en plus n’a aucune vraie légitimité démocratique. Le conseil national de la Refondation a donc estimé que le plan du gouvernement était à la foie minimaliste et imprécis un plan « minimaliste et imprécis ».

« Rien ne change la donne sur le marché de la location. Le bailleur n’est pas dans un paradis fiscal. Le logement est aussi un secteur matraqué fiscalement », a insisté Véronique Bédague, répondant, sans le dire, aux propos du chef de l’Etat qui avait taclé un « paradis pour les investisseurs immobiliers ».

Son binôme le délégué général de la Fondation Abbé Pierre, a, de son côté, appelé à « sortir le logement de la technique, de la lecture que pourraient en avoir les financierss de la République ». « C’est une question de Première ministre, de président de la République, de société », a-t-il ajouté, à l’adresse… du ministre Klein.

« Sur le logement social, ce n’est pas acceptable. Sur la nécessité de faire quelque chose sur le foncier, maîtrisons-le. Enfin, je regrette qu’il n’y ait pas d’aides aux maires bâtisseurs. Je ne comprends pas, alors que ce serait un super message de l’Etat ! », a soutenu Christophe Robert.

la Première ministre a pourtant admis que « le nombre de permis de construire recule dans les zones tendues [où la demande prime sur l'offre] là où nous avons le plus besoin de logements », avec un marché locatif de longue durée « qui se réduit » et des conséquences « préoccupantes » pour les Français.

« Pas de déni mais un défi. Il n’y a pas de mesures magiques seules et uniques pour débloquer la situation », a fait valoir Elisabeth Borne, appelant à la mobilisation collective et à l’engagement.

Et d’annoncer que 600 millions d’euros seront débloqués chaque année jusqu’en 2027 pour la prolongation du prêt à taux zéro, à condition d’acheter dans le collectif neuf ou dans l’ancien sous réserve de rénovation. Mais aussi près de 1 milliard d’euros de prêts de la Caisse des Dépôts pour le bail réel solidaire, des logements moins chers car distinguant les prix du foncier et du bâti.

« L’Etat a une exigence d’efficacité de la dépense publique », a aussi souligné la cheffe du gouvernement. Pourtant en contradiction complète avec l’enflure de l’endettement global et du déficit budgétaire qui permet de se poser la question de savoir où passe l’argent ?

Crise du logement : des mesurettes !

Crise du logement : des mesurettes !


La déception des professionnels du logement est totale après l’annonce par le gouvernement des mesures sensées mettre fin à la très grave crise du logement en cours.

« Le gouvernement a-t-il conscience que la situation deviendra hors de contrôle et que toute la chaîne du logement continuera à se bloquer ? , s’interrogent ces professionnels.

Le Conseil de la Refondation consacré au logement n’aura pas servi à grand-chose. Très peu de mesures auront été entendues par le gouvernement. Rien vraiment d’étonnant à cela car ce conseil de la Refondation en plus n’a aucune vraie légitimité démocratique. Le conseil national de la Refondation a donc estimé que le plan du gouvernement était à la foie minimaliste et imprécis un plan « minimaliste et imprécis ».

« Rien ne change la donne sur le marché de la location. Le bailleur n’est pas dans un paradis fiscal. Le logement est aussi un secteur matraqué fiscalement », a insisté Véronique Bédague, répondant, sans le dire, aux propos du chef de l’Etat qui avait taclé un « paradis pour les investisseurs immobiliers ».

Son binôme le délégué général de la Fondation Abbé Pierre, a, de son côté, appelé à « sortir le logement de la technique, de la lecture que pourraient en avoir les financierss de la République ». « C’est une question de Première ministre, de président de la République, de société », a-t-il ajouté, à l’adresse… du ministre Klein.

« Sur le logement social, ce n’est pas acceptable. Sur la nécessité de faire quelque chose sur le foncier, maîtrisons-le. Enfin, je regrette qu’il n’y ait pas d’aides aux maires bâtisseurs. Je ne comprends pas, alors que ce serait un super message de l’Etat ! », a soutenu Christophe Robert.

la Première ministre a pourtant admis que « le nombre de permis de construire recule dans les zones tendues [où la demande prime sur l'offre] là où nous avons le plus besoin de logements », avec un marché locatif de longue durée « qui se réduit » et des conséquences « préoccupantes » pour les Français.

« Pas de déni mais un défi. Il n’y a pas de mesures magiques seules et uniques pour débloquer la situation », a fait valoir Elisabeth Borne, appelant à la mobilisation collective et à l’engagement.

Et d’annoncer que 600 millions d’euros seront débloqués chaque année jusqu’en 2027 pour la prolongation du prêt à taux zéro, à condition d’acheter dans le collectif neuf ou dans l’ancien sous réserve de rénovation. Mais aussi près de 1 milliard d’euros de prêts de la Caisse des Dépôts pour le bail réel solidaire, des logements moins chers car distinguant les prix du foncier et du bâti.

« L’Etat a une exigence d’efficacité de la dépense publique », a aussi souligné la cheffe du gouvernement. Pourtant en contradiction complète avec l’enflure de l’endettement global et du déficit budgétaire qui permet de se poser la question de savoir où passe l’argent ?

Immobilier- Crise du logement : des propositions complètement cosmétiques du gouvernement

Immobilier- Crise du logement : des propositions complètement cosmétiques du gouvernement


Finalement le gouvernement commet une erreur d’appréciation grave en considérant que la crise du logement est seulement conjoncturelle et non pas structurelle. Un gouvernement qui oublie notamment de prendre en compte le coût énorme du foncier qui représente à peu près en moyenne la moitié du prix du logement. Le gouvernement a donc annoncé des mesures cosmétiques qui ne répondent pas à la crise fondamentale concernant aussi bien le neuf que la location. Le problème fondamental est en effet la perte de solvabilité d’un nombre croissant de candidats à l’accession du fait des taux d’intérêt, de l’inflation qui affecte le pouvoir d’achat et surtout de la folle envolée des prix (En 20 ans les prixont doublé mais le pouvoir d’achat des ménages n’a augmenté que de 40 ans). Côté location, l’offre est gelée du fait du prix exorbitant de la mise aux normes. Côté neuf, il y a un assèchement faute de solvabilité des acquéreurs potentiels. Le gouvernement aggrave en outre encore la situation avec l’objectif de zéro artificialisation des sols)

Cinq axes retenus par le gouvernement

Il s’agit de favoriser l’accession à la propriété, l’accès à la location, de soutenir la production et la rénovation des logements sociaux, de relancer la production de logements, et enfin d’amplifier la rénovation énergétique et thermique des logements du parc privé.

Au premier chapitre sur l’accession à la propriété, la mensualisation de la révision du taux d’usure sera prolongée « jusqu’à la fin de l’année » De même que les règles d’octroi du crédit immobilier vont être « assouplis » pour faciliter l’accès au crédit pour les primo-accédants et pour les investissements locatifs.

Aujourd’hui, les taux d’intérêt sont si élevés et mécaniquement les taux d’efforts si soutenus que plus de la majorité des demandes de prêt sont refusées par les banques. Réponse le 13 juin à l’issue de la réunion du Haut Conseil de stabilité financière (HCSF) qui fait la pluie et le beau temps.

En attendant, l’exécutif pense avoir trouvé la parade : le prêt à taux zéro (PTZ) ne s’arrêtera fin 2023 et sera prolongé jusqu’en 2027 mais dans deux cas de figure pour l’achat d’un bien neuf en immobilier collectif ou pour l’acquisition d’un habitat ancien en zone tendue, c’est-à-dire où la demande excède largement neuf, sous réserve de le rénover.

Pour favoriser l’accès à la location pour les classes moyennes, le cabinet d’Elisabeth Borne annonce que le logement locatif intermédiaire (LLI) sera ouvert à davantage de communes et au rachat de logements dans l’ancien pour les rénover. En cela, il ne fait que traduire en actes les paroles du chef de l’Etat dans Challenges qui avait invité à « regarder comment développer beaucoup plus de LLI pour baisser les prix, parce que la crise du logement se situe là ».

Par logement locatif intermédiaire, il faut entendre des habitats réservés à des populations trop riches pour accéder au logement social et trop pauvres pour acquérir du logement sur le marché libre, et qui ais restent aujourd’hui cantonnés à l’immobilier neuf et réservés aux zones A, A Bis et B1, des zones tendues où la demande prime sur l’offre.

La Première ministre assure aussi travailler sur une remise à plat de la fiscalité des locations pour favoriser les locations de longue durée, et ce alors qu’une proposition de loi transpartisane devait être examinée à l’Assemblée la semaine prochaine avant d’être reportée, et qu’une loi de la majorité présidentielle propose d’agir dessus pour faire baisser les prix dans les zones tendues. Par ailleurs, un rapport de l’Inspection générale des Finances préconise la fin des ristournes sur les meublés touristiques de courte durée.

Autre piste : une convention signée avec Action Logement, le premier bailleur social et le premier producteur de logements sociaux. Il va acquérir 30.000 logements en vente en état futur d’achèvement (VEFA) auprès des promoteurs immobiliers, mais à la différence de CDC Habitat qui en achète 17.000, les modalités de financement ne sont pas (encore ?) connues. Ce n’est pas tout, le gouvernement et l’organisme qui collecte la participation de l’employeur à l’effort de construction (PEEC) vont signer une convention visant à doubler le nombre de bénéficiaires de la garantie Visale, caution ouverte à tous les moins de 30 ans.

L’Etat sera lui-même « exemplaire », dit-on encore à Matignon. Il est question en effet d’accélérer la transformation du foncier de l’État et de ses opérateurs en faisant notamment évoluer les règles des Domaines pour contribuer à la modération des prix. Est-ce à dire que les ventes aux enchères seront interdites ? Rien n’est moins sûr…

Il est également prévu de lever les derniers freins juridiques pour favoriser la production de logements compatibles avec les objectifs de sobriété foncière pour accélérer la transformation des bureaux en logements par exemple. D’autant que le temps presse: à horizon 2031, la consommation foncière devra avoir diminué de moitié, avant d’être arrêtée d’ici à 2050 avec la politique de zéro artificialisation nette (ZAN) des sols.

Sauf que les freins sont avant tout financiers. Les propriétaires d’actifs en mutation continuent de s’acquitter de la taxe foncière et de la taxe d’équipement le temps des travaux, à la différence de ceux qui détruisent tout pour reconstruire aussi. La réponse viendra peut-être du « hors site » dont l’exécutif veut bâtir « une filière d’excellence ».

Dernier point : l’amplification de la rénovation énergétique et thermique des logements du parc privé. Comment ? En poursuivant le développement de Ma Prime Rénov « renforcée en moyens » avec un objectif de 200.000 rénovations « performantes », sans révéler ce que signifie concrètement cet adjectif.

Crise logement: La conséquence d’une urbanisation folle

Crise logement: La conséquence d’une urbanisation folle


Comme souvent, il y a bien sûrs plusieurs facteurs explicatifs pour tenter de comprendre la grave crise du logement qui se prépare et pourrait déboucher sur l’éclatement d’une bulle. En clair sur un effondrement de la production en même temps que des prix. Parmi les facteurs explicatifs, il faut surtout prendre en compte le coût du foncier qui en moyenne équivaut à peu près à la moitié du prix du logement. Des prix qui se sont envolés car la demande est surtout concentrée dans les métropoles et autres grandes villes où on a aussi concentré l’emploi. Du coup même à 10 ou 20 km du centre, le foncier a enregistré des augmentations qui d’une certaine manière tuent l’activité du logement. Des augmentations du foncier économiquement non fondées et qui sont le résultat de la pure spéculation.

Pour résoudre ce problème il faudrait évidemment remettre en cause la philosophie de la métropolisation qui a pour objet de concentrer la population dans 10 à 15  villes de plus d’un million d’habitants. Le reste du territoire étend abandonné aux moins favorisés contraints de faire des déplacements domicile travail de 40,60, voire 100 kms par jour. Ce qui est en cause c’est évidemment le concept d’aménagement du territoire.

Les mesures cosmétiques du gouvernement ne sont évidemment pas à la hauteur de l’enjeu. Les mesures cosmétiques du gouvernement ne sont évidemment pas à la hauteur de l’enjeu. La situation est problématique tant dans le neuf que sur le marché de la location. . Sur les trois premiers mois, les ventes de logements collectifs se sont effondrées de 34 % par rapport à la même période de l’année précédente. Et la chute atteint 46 % par rapport au premier trimestre 2019. Les acheteurs-habitants sont en très fort recul (- 31 %), mais c’est encore pire du côté des investisseurs (- 52 %). Cette dégringolade du marché du neuf a forcément ses conséquences sur l’activité des professionnels de la construction. La Fédération française du bâtiment (FFB) estime à 100.000 le nombre d’emplois menacés à un horizon de 18 à 24 mois.

Crise du logement : des propositions complètement cosmétiques du gouvernement

Crise du logement : des propositions complètement cosmétiques du gouvernement


Finalement le gouvernement commet une erreur d’appréciation grave en considérant que la crise du logement est seulement conjoncturelle et non pas structurelle. Le gouvernement va donc annoncer des mesures cosmétiques qui ne répondent pas à la crise fondamentale concernant aussi bien le neuf que la location. Le problème fondamental est en effet la perte de solvabilité d’un nombre croissant de candidats à l’accession du fait des taux d’intérêt, de l’inflation qui affecte le pouvoir d’achat et surtout de la folle envolée des prix (En 20 ans les prixont doublé mais le pouvoir d’achat des ménages n’a augmenté que de 40 ans). Côté location, l’offre est gelée du fait du prix exorbitant de la mise aux normes. Côté neuf, il y a un assèchement faute de solvabilité des acquéreurs potentiels. Le gouvernement aggrave en outre encore la situation avec l’objectif de zéro artificialisation des sols)

Cinq axes retenus par le gouvernement

Il s’agit de favoriser l’accession à la propriété, l’accès à la location, de soutenir la production et la rénovation des logements sociaux, de relancer la production de logements, et enfin d’amplifier la rénovation énergétique et thermique des logements du parc privé.

Au premier chapitre sur l’accession à la propriété, la mensualisation de la révision du taux d’usure sera prolongée « jusqu’à la fin de l’année » De même que les règles d’octroi du crédit immobilier vont être « assouplis » pour faciliter l’accès au crédit pour les primo-accédants et pour les investissements locatifs.

Aujourd’hui, les taux d’intérêt sont si élevés et mécaniquement les taux d’efforts si soutenus que plus de la majorité des demandes de prêt sont refusées par les banques. Réponse le 13 juin à l’issue de la réunion du Haut Conseil de stabilité financière (HCSF) qui fait la pluie et le beau temps.

En attendant, l’exécutif pense avoir trouvé la parade : le prêt à taux zéro (PTZ) ne s’arrêtera fin 2023 et sera prolongé jusqu’en 2027 mais dans deux cas de figure pour l’achat d’un bien neuf en immobilier collectif ou pour l’acquisition d’un habitat ancien en zone tendue, c’est-à-dire où la demande excède largement neuf, sous réserve de le rénover.

Pour favoriser l’accès à la location pour les classes moyennes, le cabinet d’Elisabeth Borne annonce que le logement locatif intermédiaire (LLI) sera ouvert à davantage de communes et au rachat de logements dans l’ancien pour les rénover. En cela, il ne fait que traduire en actes les paroles du chef de l’Etat dans Challenges qui avait invité à « regarder comment développer beaucoup plus de LLI pour baisser les prix, parce que la crise du logement se situe là ».

Par logement locatif intermédiaire, il faut entendre des habitats réservés à des populations trop riches pour accéder au logement social et trop pauvres pour acquérir du logement sur le marché libre, et qui ais restent aujourd’hui cantonnés à l’immobilier neuf et réservés aux zones A, A Bis et B1, des zones tendues où la demande prime sur l’offre.

La Première ministre assure aussi travailler sur une remise à plat de la fiscalité des locations pour favoriser les locations de longue durée, et ce alors qu’une proposition de loi transpartisane devait être examinée à l’Assemblée la semaine prochaine avant d’être reportée, et qu’une loi de la majorité présidentielle propose d’agir dessus pour faire baisser les prix dans les zones tendues. Par ailleurs, un rapport de l’Inspection générale des Finances préconise la fin des ristournes sur les meublés touristiques de courte durée.

Autre piste : une convention signée avec Action Logement, le premier bailleur social et le premier producteur de logements sociaux. Il va acquérir 30.000 logements en vente en état futur d’achèvement (VEFA) auprès des promoteurs immobiliers, mais à la différence de CDC Habitat qui en achète 17.000, les modalités de financement ne sont pas (encore ?) connues. Ce n’est pas tout, le gouvernement et l’organisme qui collecte la participation de l’employeur à l’effort de construction (PEEC) vont signer une convention visant à doubler le nombre de bénéficiaires de la garantie Visale, caution ouverte à tous les moins de 30 ans.

L’Etat sera lui-même « exemplaire », dit-on encore à Matignon. Il est question en effet d’accélérer la transformation du foncier de l’État et de ses opérateurs en faisant notamment évoluer les règles des Domaines pour contribuer à la modération des prix. Est-ce à dire que les ventes aux enchères seront interdites ? Rien n’est moins sûr…

Il est également prévu de lever les derniers freins juridiques pour favoriser la production de logements compatibles avec les objectifs de sobriété foncière pour accélérer la transformation des bureaux en logements par exemple. D’autant que le temps presse: à horizon 2031, la consommation foncière devra avoir diminué de moitié, avant d’être arrêtée d’ici à 2050 avec la politique de zéro artificialisation nette (ZAN) des sols.

Sauf que les freins sont avant tout financiers. Les propriétaires d’actifs en mutation continuent de s’acquitter de la taxe foncière et de la taxe d’équipement le temps des travaux, à la différence de ceux qui détruisent tout pour reconstruire aussi. La réponse viendra peut-être du « hors site » dont l’exécutif veut bâtir « une filière d’excellence ».

Dernier point : l’amplification de la rénovation énergétique et thermique des logements du parc privé. Comment ? En poursuivant le développement de Ma Prime Rénov « renforcée en moyens » avec un objectif de 200.000 rénovations « performantes », sans révéler ce que signifie concrètement cet adjectif.

Crise environnementale : comment en est-on arrivé là ?

Crise environnementale : comment en est-on arrivé là ?

La Terre à l’époque de l’Anthropocène : comment en est-on arrivé là ? Peut-on en limiter les dégâts ?

Par
Victor Court
Économiste, chercheur associé au Laboratoire interdisciplinaire des énergies de demain, Université Paris Cité dans The Conversation

En 2000, deux scientifiques proposèrent pour la première fois l’hypothèse que l’époque de l’Holocène, amorcée il y a 11 700 ans, était révolue.

L’emprise de l’humanité sur le système terrestre serait devenue si profonde qu’elle rivaliserait avec certaines des grandes forces de la nature, au point d’avoir fait bifurquer la trajectoire géologique et écologique de la Terre.

Il faudrait désormais utiliser le terme d’« Anthropocène » pour désigner avec plus de justesse l’époque géologique actuelle. Cette annonce a ouvert des débats considérables.

Parmi les nombreuses polémiques soulevées par ce nouveau concept, la plus évidente porte encore aujourd’hui sur la date du début de l’Anthropocène.

La proposition initiale portait symboliquement sur 1784, l’année du dépôt du brevet de James Watt pour sa machine à vapeur, véritable emblème de l’amorce de la révolution industrielle. Ce choix coïncide en effet avec l’augmentation significative des concentrations atmosphériques de plusieurs gaz à effet de serre, comme en témoignent les données extraites des carottes de glace.

Des chercheurs d’autres disciplines, archéologie et archéobiologie en l’occurrence, avancèrent ensuite l’idée que l’Anthropocène et l’Holocène devraient être considérés comme une même époque géologique.

Dans la perspective de ces disciplines, c’est la fin de la dernière période glaciaire, il y a plus de 10 000 ans, qui aurait favorisé une augmentation sans précédent de la population humaine (grâce à l’apparition progressive de l’agriculture) et, donc, l’émergence de son rôle de force géoécologique.

Une autre approche défend une idée assez similaire, mais en ajoutant quelques milliers d’années à la date du début de l’Anthropocène. Il aurait fallu attendre que la domestication des plantes et des animaux soit suffisamment développée pour que les répercussions environnementales des sociétés agraires – en particulier les rejets de dioxyde de carbone (CO2) dus à la déforestation – soient assez importantes pour faire sortir la Terre de l’Holocène.

À l’opposé, certains membres de la communauté scientifique penchent pour une date plus récente que celle initialement avancée.

La course de l’humanité semble en effet suivre dans sa partie la plus contemporaine une trajectoire particulière qu’on a qualifiée de « Grande Accélération ». C’est autour de 1950 que les principaux indicateurs du système socioéconomique mondial et du système Terre se sont mis à avoir une tendance réellement exponentielle.

L’empreinte écologique de l’humanité prend des formes diverses et interconnectées qui ne cessent de s’aggraver depuis cette date : une modification du climat sans précédent, par sa vitesse et son intensité ; une dégradation généralisée du tissu de la vie, par l’artificialisation des écosystèmes et les rejets de substances entièrement nouvelles (comme les produits de la chimie de synthèse, les plastiques, les pesticides, les perturbateurs endocriniens, les radionucléides et les gaz fluorés) ; un effondrement de la biodiversité d’une ampleur et d’une rapidité inédites (signe pour certains d’une sixième grande extinction, la cinquième étant celle qui vit disparaître les dinosaures, il y a 66 millions d’années) ; et de multiples perturbations des cycles biogéochimiques (notamment ceux de l’eau, de l’azote et du phosphore).

En parallèle avec cette question sur la date du début de l’Anthropocène, d’autres débats ont émergé autour de ce concept. Le plus important a été porté par Andreas Malm et Alf Hornborg, tous deux membres du département de géographie humaine de l’Université de Lund (Suède).

Ces deux chercheurs ont remarqué que le concept d’Anthropocène suggère que toute l’espèce humaine serait responsable des bouleversements planétaires. C’est pour cette raison que de nombreux auteurs ont tendance, même lorsqu’ils font remonter l’Anthropocène au moment du décollage industriel de quelques nations, à affirmer que la cause ultime de l’émergence de sociétés reposant sur les énergies fossiles correspondrait à un processus évolutif long, donc naturel, qui aurait commencé avec la maîtrise du feu par nos ancêtres (il y a au moins 400 000 ans).

Malm et Hornborg affirment que parler de l’Anthropocène en utilisant des catégories généralisantes, comme « l’espèce humaine », « les humains » ou « l’humanité », revient à naturaliser ce phénomène, c’est-à-dire à supposer qu’il était inéluctable, car découlant d’une propension naturelle de notre espèce à exploiter un maximum de ressources dès qu’elle en a l’occasion.

Pour les deux chercheurs, cette naturalisation occulte la dimension sociale du régime fossile des 200 dernières années.

L’adoption de la machine à vapeur alimentée par le charbon, puis des technologies reposant sur le pétrole et le gaz, n’a pas été réalisée à la suite d’une décision unanime de tous les membres de l’humanité, et ce ne sont pas non plus quelques représentants de cette dernière – qui auraient été élus sur la base de caractéristiques naturelles – qui ont décidé de la trajectoire empruntée par notre espèce.

L’exploitation des énergies fossiles émet du CO₂, première cause du réchauffement climatique. Zbynek Burival/Unsplash
Pour Malm et Hornborg, ce sont au contraire des conditions sociales et politiques particulières qui ont, chaque fois, créé la possibilité d’un investissement lucratif pour quelques détenteurs de capitaux, quasi systématiquement des hommes blancs, bourgeois ou aristocrates.

Par exemple, la possibilité d’exploiter les travailleurs britanniques dans les mines de charbon a été déterminante dans le cas de la machine à vapeur aux XVIIIe et XIXe siècles ; tout comme le soutien de plusieurs gouvernements occidentaux l’a été en ce qui concerne la mise en place des infrastructures nécessaires à l’exploitation du pétrole depuis le milieu du XIXe siècle.

L’Anthropocène perçu à l’échelle de la totalité de l’humanité occulte un autre fait majeur : l’inégalité intraespèce dans la responsabilité des bouleversements climatiques et écologiques.

À l’heure actuelle, parmi tous les habitants du monde, les 10 % qui émettent le plus de gaz à effet de serre (GES) sont responsables de 48 % du total des émissions mondiales, alors que les 50 % qui en émettent le moins sont responsables d’à peine 12 % des émissions globales. Parmi les plus gros émetteurs individuels de la planète, les estimations mettent en avant le 1 % le plus riche (composé majoritairement d’Américains, de Luxembourgeois, de Singapouriens, de Saoudiens, etc.), avec des émissions par personne supérieures à 200 tonnes d’équivalent CO2 par année.

À l’autre extrémité du spectre des émetteurs, on trouve les individus les plus pauvres du Honduras, du Mozambique, du Rwanda et du Malawi, avec des émissions 2000 fois plus faibles, proches de 0,1 tonne d’équivalent CO2 par personne et par an.

Ce lien étroit entre richesse et empreinte carbone implique une responsabilité commune, mais différenciée, qui sied mal à la catégorisation englobante de l’Anthropocène.

Par ailleurs, cette critique prend encore plus de sens dans une perspective historique puisque le dérèglement climatique dépend du cumul des émissions de GES. À titre d’exemple, on peut se dire que le Royaume-Uni n’a pas à être à l’avant-garde de la lutte contre le changement climatique, car il ne représente actuellement qu’environ 1 % des émissions mondiales de carbone… C’est oublier un peu vite que ce pays a contribué à 4,5 % des émissions globales depuis 1850, ce qui le place au huitième rang des plus gros pollueurs de l’histoire.

Les nations du monde, et les individus au sein de chacune d’entre elles, n’ont pas contribué de façon équivalente à la trajectoire exponentielle du système Terre depuis 200 ans. L’Europe et l’Amérique du Nord sont historiquement les régions les plus polluantes de l’histoire. Le Royaume-Uni et les États-Unis, chefs d’orchestre respectifs du développement économique mondialisé du XIXe et du XXe siècle, ont une dette écologique particulièrement colossale envers les autres nations. Le charbon a été le carburant du projet de domination impériale britannique, alors que c’est le pétrole qui a joué ce rôle pour les États-Unis.

Pour garder les idées claires sur ce sujet épineux de la contribution historique de chaque nation à la dérive climatique, il peut être avisé de toujours garder en tête que les émissions de GES, et plus généralement l’empreinte environnementale d’un pays ou d’une personne donnée, sont déterminées au premier ordre par leur niveau de consommation de biens et de services.

Habiter dans un pays riche et penser être « écolo » n’a généralement aucun rapport avec la réalité. De plus, toutes les données quantitatives en notre possession ne disent rien de la nécessité vitale – ou, au contraire, de la futilité la plus extrême – à l’origine de l’émission d’un même kilogramme de dioxyde de carbone !

Pour certains, émettre un peu plus de gaz à effet de serre est une question de survie : cela peut représenter une ration de riz ou l’installation d’une toiture. Pour d’autres, il ne s’agit que d’acheter un gadget de plus pour se divertir quelques heures. À ceux qui avancent qu’il faudrait réduire la taille de la population mondiale pour lutter efficacement contre le dérèglement climatique (et toutes les autres perturbations environnementales), on répondra qu’il suffirait plutôt d’empêcher les plus riches de continuer de mener leur train de vie indécent et climaticide.

Parce qu’il fabrique une humanité abstraite qui est uniformément concernée, le discours dominant sur l’Anthropocène suggère une responsabilité tout aussi uniformisée. Les Yanomami et les Achuar d’Amazonie, qui vivent sans recourir à un gramme d’énergie fossile et se contentent de ce qu’ils retirent de la chasse, de la pêche, de la cueillette et d’une agriculture vivrière, devraient-ils donc se sentir aussi responsables du changement climatique et de l’effondrement de la biodiversité que les plus riches industriels, banquiers et autres avocats d’affaires ?

Si la Terre est vraiment entrée dans une nouvelle époque géologique, les responsabilités de chaque nation et de chaque individu sont trop différentes dans l’espace et dans le temps pour qu’on puisse considérer que « l’espèce humaine » est une abstraction satisfaisante pour endosser le fardeau de la culpabilité.

Au-delà de ces nombreux débats et controverses, le dérèglement climatique et l’érosion de la biodiversité réclament des actions massives, concrètes, sans délai. Les efforts et les initiatives, dont certaines conduites à un niveau global, ne semblent pas manquer… Mais lesquelles fonctionnent véritablement ?

Quelle efficacité réelle pour l’Accord de Paris ?

Prenons par exemple la 21e Conférence des parties (COP21) à la Convention-cadre des Nations unies sur le changement climatique, qui s’est tenue à Paris en 2015.

Celle-ci a débouché sur un accord qualifié d’historique puisque, pour la première fois, 196 pays se sont engagés à décarboner l’économie mondiale. En pratique, cet accord laisse à chaque État le soin de définir sa stratégie nationale de transition énergétique. Chaque pays membre doit ensuite présenter aux autres signataires sa « contribution déterminée au niveau national » (CDN). L’addition des CDN forme la trajectoire attendue des émissions mondiales de gaz à effet de serre.

Le problème d’une telle stratégie (si tant est qu’elle soit effectivement appliquée), c’est que le compte n’y est pas : même si toutes les promesses annoncées étaient réalisées, les émissions de GES d’origine humaine nous conduiraient à un réchauffement climatique d’environ 2,7 °C d’ici la fin du siècle.

En 2030, il y aura déjà un écart de 12 milliards de tonnes d’équivalent CO₂ par an (Gtéq-CO₂/an) par rapport au plafond requis pour limiter la hausse des températures à 2 °C. Cet écart grimpe à 20 Gtéq-CO2/an si on considère un réchauffement maximal de 1,5 °C.

Dans le cadre de l’Accord de Paris de 2015, les États peuvent théoriquement amender leurs engagements tous les cinq ans pour renforcer leurs ambitions. Dans les faits, rappelons que les émissions continuent d’augmenter pour quasiment tous les pays signataires (lorsqu’elles sont comptabilisées selon la consommation et non selon la production).

Laurent Fabius acte l’adoption de l’accord de Paris, lors de la COP21 de 2015. Cop Paris/Flickr
Comment pourrait-il en être autrement puisque l’Accord de Paris n’incorpore aucun mécanisme de sanction pour les États qui ne respectent pas leurs engagements ? Seule la pression internationale et populaire est censée les contraindre. Mais quel intérêt peut avoir une stratégie de dénonciation si tous les acteurs sont en faute ?

Bien que l’Accord de Paris ait été présenté comme un succès diplomatique, il faut bien admettre qu’il constitue une coquille vide de plus dans la grande liste des engagements inefficaces pour lutter contre le dérèglement climatique. On aurait d’ailleurs pu s’en douter dès la ratification de ce texte puisque les mots « énergie fossile » n’y apparaissent pas une seule fois… Tout a donc été fait pour ne froisser aucun acteur (public ou privé) et pour qu’ainsi un maximum d’États en viennent à signer un accord qui n’apportera aucune solution au problème le plus urgent de l’humanité.

Arriver à se féliciter du contenu de l’Accord de Paris comme l’ont fait de nombreux représentants politiques montre à quel point ces derniers – et les médias relayant complaisamment leurs idées – n’ont pas du tout saisi l’ampleur du problème.

Au moment de la signature de l’accord en 2015, le volume cumulé de CO2 que l’humanité pouvait se permettre d’émettre pour conserver une chance raisonnable de limiter le réchauffement climatique à 2 °C n’était plus que de 1000 Gt. Compte tenu des émissions des cinq dernières années, ce budget carbone n’est déjà plus que de 800 Gt. Cela correspond donc au tiers des 2420 Gt de CO2 émises jusqu’à présent, de 1850 à 2020, dont 1680 Gt par la combustion des énergies fossiles (et la production de ciment) et 740 Gt par l’usage des sols (principalement la déforestation).

Et à raison d’environ 40 Gt d’émissions annuelles, ce budget carbone se réduit comme peau de chagrin : il sera épuisé d’ici 20 ans si rien ne change.

La solution par un traité de non-prolifération des énergies fossiles ?
Pour atteindre ces objectifs de réduction, les humains, et en particulier les plus riches d’entre eux, doivent consentir à ne plus utiliser ce qui a historiquement représenté la source de leur opulence matérielle.

Les réserves de combustibles fossiles correspondent en effet à des émissions potentielles colossales : au niveau mondial, un tiers des réserves de pétrole, la moitié des réserves de gaz et plus de 80 % des réserves de charbon doivent rester inutilisés. Dans ce cadre, l’augmentation de la production d’hydrocarbures, que ce soit au travers de mines de charbon ou de gisements de pétroles et de gaz déjà connus, ou par l’exploitation de nouvelles ressources fossiles (par exemple en Arctique), vont à contresens des efforts nécessaires pour limiter le dérèglement du climat.

Par ailleurs, plus nous retardons le moment où nous amorcerons réellement la décarbonation de l’économie mondiale, plus les efforts nécessaires deviendront draconiens. Si la réduction des émissions mondiales de CO2 avait été engagée en 2018, l’humanité aurait pu se contenter d’une baisse annuelle de 5 % jusqu’en 2100 pour limiter le réchauffement à 2 °C. Amorcer ce travail colossal en 2020 aurait demandé une réduction annuelle de 6 %. Patienter jusqu’en 2025, c’est s’obliger à une réduction de 10 % par an.

Face à l’urgence, certains en appellent depuis quelques années à un traité de non-prolifération des combustibles fossiles.

Il « suffirait », en somme, que tout le monde s’engage à ne plus utiliser ce qui active l’économie mondiale depuis 150 ans !

À ce jour, seuls les pays insulaires les plus vulnérables (comme le Vanuatu, les Fidji ou encore les îles Salomon) ont signé ce traité, pas les pays producteurs d’hydrocarbures ni les grands pays importateurs. Il est facile de comprendre pourquoi : cette initiative ne comporte aucun mécanisme financier pour compenser les gouvernements détenteurs de ressources d’hydrocarbures qui accepteraient de laisser sous leurs pieds ce PIB potentiel.

Or, pour que les réserves de combustibles fossiles ne soient pas exploitées, c’est bien une compensation de ce type qu’il faudrait mettre en place pour qu’un accord international puisse aboutir à des résultats significatifs.

La finance, cet acteur clé
Alors, tout est foutu ? Pas forcément !

Une étude a récemment apporté une lueur d’espoir. Deux chercheurs de la Harvard Business School ont montré que le choix de certaines banques de ne plus investir dans le secteur du charbon semble porter leurs fruits.

Les données étudiées (de 2009 à 2021), montrent que les entreprises charbonnières confrontées à de fortes politiques de désinvestissement de la part de leurs bailleurs de fonds réduisent leurs emprunts d’un quart par rapport à leurs homologues non affectés. Ce rationnement du capital semble bien entraîner une réduction des émissions de CO2, car les entreprises « désinvesties » sont plus susceptibles de fermer certaines de leurs installations.

Pourrait-on envisager la même approche avec le secteur du pétrole et du gaz ? En théorie, oui, mais cela serait plus difficile à mettre en œuvre.

Les acteurs du charbon disposent d’un nombre limité d’options pour obtenir un financement alternatif de leur dette si une source existante disparaît. En effet, le nombre de banques qui facilitent les transactions liées au charbon est si faible – et les relations si profondément ancrées – que, par défaut, les banquiers exercent une grande influence sur ce qui est financé dans ce secteur. Ce n’est pas le cas dans le secteur du pétrole et du gaz, où les possibilités de financement sont plus diversifiées. Néanmoins, tout cela montre que le secteur de la finance a bel et bien un rôle à jouer dans la transition bas carbone.

Mais croire que le secteur financier va rediriger l’économie mondiale vers une voie plus écologique, comme par enchantement, serait un leurre.

Le capitalisme impose un impératif de croissance qui n’a tout simplement aucun sens dans un monde aux ressources finies. Ne plus dépasser les limites écologiques du système Terre demande de redéfinir entièrement ce à quoi nous tenons et ce à quoi nous sommes prêts à renoncer.

Comment en est-on arrivé à un telle crise environnementale ?

Comment en est-on arrivé à un telle crise environnementale ?

La Terre à l’époque de l’Anthropocène : comment en est-on arrivé là ? Peut-on en limiter les dégâts ?

Par
Victor Court
Économiste, chercheur associé au Laboratoire interdisciplinaire des énergies de demain, Université Paris Cité dans The Conversation

En 2000, deux scientifiques proposèrent pour la première fois l’hypothèse que l’époque de l’Holocène, amorcée il y a 11 700 ans, était révolue.

L’emprise de l’humanité sur le système terrestre serait devenue si profonde qu’elle rivaliserait avec certaines des grandes forces de la nature, au point d’avoir fait bifurquer la trajectoire géologique et écologique de la Terre.

Il faudrait désormais utiliser le terme d’« Anthropocène » pour désigner avec plus de justesse l’époque géologique actuelle. Cette annonce a ouvert des débats considérables.

Parmi les nombreuses polémiques soulevées par ce nouveau concept, la plus évidente porte encore aujourd’hui sur la date du début de l’Anthropocène.

La proposition initiale portait symboliquement sur 1784, l’année du dépôt du brevet de James Watt pour sa machine à vapeur, véritable emblème de l’amorce de la révolution industrielle. Ce choix coïncide en effet avec l’augmentation significative des concentrations atmosphériques de plusieurs gaz à effet de serre, comme en témoignent les données extraites des carottes de glace.

Des chercheurs d’autres disciplines, archéologie et archéobiologie en l’occurrence, avancèrent ensuite l’idée que l’Anthropocène et l’Holocène devraient être considérés comme une même époque géologique.

Dans la perspective de ces disciplines, c’est la fin de la dernière période glaciaire, il y a plus de 10 000 ans, qui aurait favorisé une augmentation sans précédent de la population humaine (grâce à l’apparition progressive de l’agriculture) et, donc, l’émergence de son rôle de force géoécologique.

Une autre approche défend une idée assez similaire, mais en ajoutant quelques milliers d’années à la date du début de l’Anthropocène. Il aurait fallu attendre que la domestication des plantes et des animaux soit suffisamment développée pour que les répercussions environnementales des sociétés agraires – en particulier les rejets de dioxyde de carbone (CO2) dus à la déforestation – soient assez importantes pour faire sortir la Terre de l’Holocène.

À l’opposé, certains membres de la communauté scientifique penchent pour une date plus récente que celle initialement avancée.

La course de l’humanité semble en effet suivre dans sa partie la plus contemporaine une trajectoire particulière qu’on a qualifiée de « Grande Accélération ». C’est autour de 1950 que les principaux indicateurs du système socioéconomique mondial et du système Terre se sont mis à avoir une tendance réellement exponentielle.

L’empreinte écologique de l’humanité prend des formes diverses et interconnectées qui ne cessent de s’aggraver depuis cette date : une modification du climat sans précédent, par sa vitesse et son intensité ; une dégradation généralisée du tissu de la vie, par l’artificialisation des écosystèmes et les rejets de substances entièrement nouvelles (comme les produits de la chimie de synthèse, les plastiques, les pesticides, les perturbateurs endocriniens, les radionucléides et les gaz fluorés) ; un effondrement de la biodiversité d’une ampleur et d’une rapidité inédites (signe pour certains d’une sixième grande extinction, la cinquième étant celle qui vit disparaître les dinosaures, il y a 66 millions d’années) ; et de multiples perturbations des cycles biogéochimiques (notamment ceux de l’eau, de l’azote et du phosphore).

En parallèle avec cette question sur la date du début de l’Anthropocène, d’autres débats ont émergé autour de ce concept. Le plus important a été porté par Andreas Malm et Alf Hornborg, tous deux membres du département de géographie humaine de l’Université de Lund (Suède).

Ces deux chercheurs ont remarqué que le concept d’Anthropocène suggère que toute l’espèce humaine serait responsable des bouleversements planétaires. C’est pour cette raison que de nombreux auteurs ont tendance, même lorsqu’ils font remonter l’Anthropocène au moment du décollage industriel de quelques nations, à affirmer que la cause ultime de l’émergence de sociétés reposant sur les énergies fossiles correspondrait à un processus évolutif long, donc naturel, qui aurait commencé avec la maîtrise du feu par nos ancêtres (il y a au moins 400 000 ans).

Malm et Hornborg affirment que parler de l’Anthropocène en utilisant des catégories généralisantes, comme « l’espèce humaine », « les humains » ou « l’humanité », revient à naturaliser ce phénomène, c’est-à-dire à supposer qu’il était inéluctable, car découlant d’une propension naturelle de notre espèce à exploiter un maximum de ressources dès qu’elle en a l’occasion.

Pour les deux chercheurs, cette naturalisation occulte la dimension sociale du régime fossile des 200 dernières années.

L’adoption de la machine à vapeur alimentée par le charbon, puis des technologies reposant sur le pétrole et le gaz, n’a pas été réalisée à la suite d’une décision unanime de tous les membres de l’humanité, et ce ne sont pas non plus quelques représentants de cette dernière – qui auraient été élus sur la base de caractéristiques naturelles – qui ont décidé de la trajectoire empruntée par notre espèce.

L’exploitation des énergies fossiles émet du CO₂, première cause du réchauffement climatique. Zbynek Burival/Unsplash
Pour Malm et Hornborg, ce sont au contraire des conditions sociales et politiques particulières qui ont, chaque fois, créé la possibilité d’un investissement lucratif pour quelques détenteurs de capitaux, quasi systématiquement des hommes blancs, bourgeois ou aristocrates.

Par exemple, la possibilité d’exploiter les travailleurs britanniques dans les mines de charbon a été déterminante dans le cas de la machine à vapeur aux XVIIIe et XIXe siècles ; tout comme le soutien de plusieurs gouvernements occidentaux l’a été en ce qui concerne la mise en place des infrastructures nécessaires à l’exploitation du pétrole depuis le milieu du XIXe siècle.

L’Anthropocène perçu à l’échelle de la totalité de l’humanité occulte un autre fait majeur : l’inégalité intraespèce dans la responsabilité des bouleversements climatiques et écologiques.

À l’heure actuelle, parmi tous les habitants du monde, les 10 % qui émettent le plus de gaz à effet de serre (GES) sont responsables de 48 % du total des émissions mondiales, alors que les 50 % qui en émettent le moins sont responsables d’à peine 12 % des émissions globales. Parmi les plus gros émetteurs individuels de la planète, les estimations mettent en avant le 1 % le plus riche (composé majoritairement d’Américains, de Luxembourgeois, de Singapouriens, de Saoudiens, etc.), avec des émissions par personne supérieures à 200 tonnes d’équivalent CO2 par année.

À l’autre extrémité du spectre des émetteurs, on trouve les individus les plus pauvres du Honduras, du Mozambique, du Rwanda et du Malawi, avec des émissions 2000 fois plus faibles, proches de 0,1 tonne d’équivalent CO2 par personne et par an.

Ce lien étroit entre richesse et empreinte carbone implique une responsabilité commune, mais différenciée, qui sied mal à la catégorisation englobante de l’Anthropocène.

Par ailleurs, cette critique prend encore plus de sens dans une perspective historique puisque le dérèglement climatique dépend du cumul des émissions de GES. À titre d’exemple, on peut se dire que le Royaume-Uni n’a pas à être à l’avant-garde de la lutte contre le changement climatique, car il ne représente actuellement qu’environ 1 % des émissions mondiales de carbone… C’est oublier un peu vite que ce pays a contribué à 4,5 % des émissions globales depuis 1850, ce qui le place au huitième rang des plus gros pollueurs de l’histoire.

Les nations du monde, et les individus au sein de chacune d’entre elles, n’ont pas contribué de façon équivalente à la trajectoire exponentielle du système Terre depuis 200 ans. L’Europe et l’Amérique du Nord sont historiquement les régions les plus polluantes de l’histoire. Le Royaume-Uni et les États-Unis, chefs d’orchestre respectifs du développement économique mondialisé du XIXe et du XXe siècle, ont une dette écologique particulièrement colossale envers les autres nations. Le charbon a été le carburant du projet de domination impériale britannique, alors que c’est le pétrole qui a joué ce rôle pour les États-Unis.

Pour garder les idées claires sur ce sujet épineux de la contribution historique de chaque nation à la dérive climatique, il peut être avisé de toujours garder en tête que les émissions de GES, et plus généralement l’empreinte environnementale d’un pays ou d’une personne donnée, sont déterminées au premier ordre par leur niveau de consommation de biens et de services.

Habiter dans un pays riche et penser être « écolo » n’a généralement aucun rapport avec la réalité. De plus, toutes les données quantitatives en notre possession ne disent rien de la nécessité vitale – ou, au contraire, de la futilité la plus extrême – à l’origine de l’émission d’un même kilogramme de dioxyde de carbone !

Pour certains, émettre un peu plus de gaz à effet de serre est une question de survie : cela peut représenter une ration de riz ou l’installation d’une toiture. Pour d’autres, il ne s’agit que d’acheter un gadget de plus pour se divertir quelques heures. À ceux qui avancent qu’il faudrait réduire la taille de la population mondiale pour lutter efficacement contre le dérèglement climatique (et toutes les autres perturbations environnementales), on répondra qu’il suffirait plutôt d’empêcher les plus riches de continuer de mener leur train de vie indécent et climaticide.

Parce qu’il fabrique une humanité abstraite qui est uniformément concernée, le discours dominant sur l’Anthropocène suggère une responsabilité tout aussi uniformisée. Les Yanomami et les Achuar d’Amazonie, qui vivent sans recourir à un gramme d’énergie fossile et se contentent de ce qu’ils retirent de la chasse, de la pêche, de la cueillette et d’une agriculture vivrière, devraient-ils donc se sentir aussi responsables du changement climatique et de l’effondrement de la biodiversité que les plus riches industriels, banquiers et autres avocats d’affaires ?

Si la Terre est vraiment entrée dans une nouvelle époque géologique, les responsabilités de chaque nation et de chaque individu sont trop différentes dans l’espace et dans le temps pour qu’on puisse considérer que « l’espèce humaine » est une abstraction satisfaisante pour endosser le fardeau de la culpabilité.

Au-delà de ces nombreux débats et controverses, le dérèglement climatique et l’érosion de la biodiversité réclament des actions massives, concrètes, sans délai. Les efforts et les initiatives, dont certaines conduites à un niveau global, ne semblent pas manquer… Mais lesquelles fonctionnent véritablement ?

Quelle efficacité réelle pour l’Accord de Paris ?

Prenons par exemple la 21e Conférence des parties (COP21) à la Convention-cadre des Nations unies sur le changement climatique, qui s’est tenue à Paris en 2015.

Celle-ci a débouché sur un accord qualifié d’historique puisque, pour la première fois, 196 pays se sont engagés à décarboner l’économie mondiale. En pratique, cet accord laisse à chaque État le soin de définir sa stratégie nationale de transition énergétique. Chaque pays membre doit ensuite présenter aux autres signataires sa « contribution déterminée au niveau national » (CDN). L’addition des CDN forme la trajectoire attendue des émissions mondiales de gaz à effet de serre.

Le problème d’une telle stratégie (si tant est qu’elle soit effectivement appliquée), c’est que le compte n’y est pas : même si toutes les promesses annoncées étaient réalisées, les émissions de GES d’origine humaine nous conduiraient à un réchauffement climatique d’environ 2,7 °C d’ici la fin du siècle.

En 2030, il y aura déjà un écart de 12 milliards de tonnes d’équivalent CO₂ par an (Gtéq-CO₂/an) par rapport au plafond requis pour limiter la hausse des températures à 2 °C. Cet écart grimpe à 20 Gtéq-CO2/an si on considère un réchauffement maximal de 1,5 °C.

Dans le cadre de l’Accord de Paris de 2015, les États peuvent théoriquement amender leurs engagements tous les cinq ans pour renforcer leurs ambitions. Dans les faits, rappelons que les émissions continuent d’augmenter pour quasiment tous les pays signataires (lorsqu’elles sont comptabilisées selon la consommation et non selon la production).

Laurent Fabius acte l’adoption de l’accord de Paris, lors de la COP21 de 2015. Cop Paris/Flickr
Comment pourrait-il en être autrement puisque l’Accord de Paris n’incorpore aucun mécanisme de sanction pour les États qui ne respectent pas leurs engagements ? Seule la pression internationale et populaire est censée les contraindre. Mais quel intérêt peut avoir une stratégie de dénonciation si tous les acteurs sont en faute ?

Bien que l’Accord de Paris ait été présenté comme un succès diplomatique, il faut bien admettre qu’il constitue une coquille vide de plus dans la grande liste des engagements inefficaces pour lutter contre le dérèglement climatique. On aurait d’ailleurs pu s’en douter dès la ratification de ce texte puisque les mots « énergie fossile » n’y apparaissent pas une seule fois… Tout a donc été fait pour ne froisser aucun acteur (public ou privé) et pour qu’ainsi un maximum d’États en viennent à signer un accord qui n’apportera aucune solution au problème le plus urgent de l’humanité.

Arriver à se féliciter du contenu de l’Accord de Paris comme l’ont fait de nombreux représentants politiques montre à quel point ces derniers – et les médias relayant complaisamment leurs idées – n’ont pas du tout saisi l’ampleur du problème.

Au moment de la signature de l’accord en 2015, le volume cumulé de CO2 que l’humanité pouvait se permettre d’émettre pour conserver une chance raisonnable de limiter le réchauffement climatique à 2 °C n’était plus que de 1000 Gt. Compte tenu des émissions des cinq dernières années, ce budget carbone n’est déjà plus que de 800 Gt. Cela correspond donc au tiers des 2420 Gt de CO2 émises jusqu’à présent, de 1850 à 2020, dont 1680 Gt par la combustion des énergies fossiles (et la production de ciment) et 740 Gt par l’usage des sols (principalement la déforestation).

Et à raison d’environ 40 Gt d’émissions annuelles, ce budget carbone se réduit comme peau de chagrin : il sera épuisé d’ici 20 ans si rien ne change.

La solution par un traité de non-prolifération des énergies fossiles ?
Pour atteindre ces objectifs de réduction, les humains, et en particulier les plus riches d’entre eux, doivent consentir à ne plus utiliser ce qui a historiquement représenté la source de leur opulence matérielle.

Les réserves de combustibles fossiles correspondent en effet à des émissions potentielles colossales : au niveau mondial, un tiers des réserves de pétrole, la moitié des réserves de gaz et plus de 80 % des réserves de charbon doivent rester inutilisés. Dans ce cadre, l’augmentation de la production d’hydrocarbures, que ce soit au travers de mines de charbon ou de gisements de pétroles et de gaz déjà connus, ou par l’exploitation de nouvelles ressources fossiles (par exemple en Arctique), vont à contresens des efforts nécessaires pour limiter le dérèglement du climat.

Par ailleurs, plus nous retardons le moment où nous amorcerons réellement la décarbonation de l’économie mondiale, plus les efforts nécessaires deviendront draconiens. Si la réduction des émissions mondiales de CO2 avait été engagée en 2018, l’humanité aurait pu se contenter d’une baisse annuelle de 5 % jusqu’en 2100 pour limiter le réchauffement à 2 °C. Amorcer ce travail colossal en 2020 aurait demandé une réduction annuelle de 6 %. Patienter jusqu’en 2025, c’est s’obliger à une réduction de 10 % par an.

Face à l’urgence, certains en appellent depuis quelques années à un traité de non-prolifération des combustibles fossiles.

Il « suffirait », en somme, que tout le monde s’engage à ne plus utiliser ce qui active l’économie mondiale depuis 150 ans !

À ce jour, seuls les pays insulaires les plus vulnérables (comme le Vanuatu, les Fidji ou encore les îles Salomon) ont signé ce traité, pas les pays producteurs d’hydrocarbures ni les grands pays importateurs. Il est facile de comprendre pourquoi : cette initiative ne comporte aucun mécanisme financier pour compenser les gouvernements détenteurs de ressources d’hydrocarbures qui accepteraient de laisser sous leurs pieds ce PIB potentiel.

Or, pour que les réserves de combustibles fossiles ne soient pas exploitées, c’est bien une compensation de ce type qu’il faudrait mettre en place pour qu’un accord international puisse aboutir à des résultats significatifs.

La finance, cet acteur clé
Alors, tout est foutu ? Pas forcément !

Une étude a récemment apporté une lueur d’espoir. Deux chercheurs de la Harvard Business School ont montré que le choix de certaines banques de ne plus investir dans le secteur du charbon semble porter leurs fruits.

Les données étudiées (de 2009 à 2021), montrent que les entreprises charbonnières confrontées à de fortes politiques de désinvestissement de la part de leurs bailleurs de fonds réduisent leurs emprunts d’un quart par rapport à leurs homologues non affectés. Ce rationnement du capital semble bien entraîner une réduction des émissions de CO2, car les entreprises « désinvesties » sont plus susceptibles de fermer certaines de leurs installations.

Pourrait-on envisager la même approche avec le secteur du pétrole et du gaz ? En théorie, oui, mais cela serait plus difficile à mettre en œuvre.

Les acteurs du charbon disposent d’un nombre limité d’options pour obtenir un financement alternatif de leur dette si une source existante disparaît. En effet, le nombre de banques qui facilitent les transactions liées au charbon est si faible – et les relations si profondément ancrées – que, par défaut, les banquiers exercent une grande influence sur ce qui est financé dans ce secteur. Ce n’est pas le cas dans le secteur du pétrole et du gaz, où les possibilités de financement sont plus diversifiées. Néanmoins, tout cela montre que le secteur de la finance a bel et bien un rôle à jouer dans la transition bas carbone.

Mais croire que le secteur financier va rediriger l’économie mondiale vers une voie plus écologique, comme par enchantement, serait un leurre.

Le capitalisme impose un impératif de croissance qui n’a tout simplement aucun sens dans un monde aux ressources finies. Ne plus dépasser les limites écologiques du système Terre demande de redéfinir entièrement ce à quoi nous tenons et ce à quoi nous sommes prêts à renoncer.

Crise climatique: une question aussi de comportements individuels

Crise climatique: une question aussi de comportements individuels

L’activiste britannique, Rob Hopkins, auteur de plusieurs livres sur la transition écologique, nous incite à faire preuve de créativité et de détermination pour lutter contre le réchauffement climatique sans quitter son quartier. Invité au sommet ChangeNOW, qui se tient à Paris du 25 au 27 mai et dont franceinfo est partenaire, Rob Hopkins explique ce qui motive ou freine notre capacité à revoir nos façons de vivre ensemble à l’aune du changement climatique.

Aujourd’hui, le réseau que vous avez développé revendique des projets dans plus de 48 pays, dont la France. Comment l’aventure a-t-elle démarré ?

Mon ambition était de trouver un moyen de s’organiser pour vivre mieux à Totnes, la petite ville où j’habite dans le sud-ouest de l’Angleterre. Rien de plus. Très vite, on m’a écrit des villes voisines pour me dire : « C’est génial ! Comment faire chez moi ? » Il n’y a jamais eu de plan machiavélique pour conquérir le monde ! On s’est aperçu qu’un petit groupe d’habitants délesté des lourdeurs administratives – comme une communauté de personnes motivées dans un village, un quartier, etc. – peut lancer des projets très rapidement et faire preuve de beaucoup plus d’imagination que les gouvernements ou les collectivités.

« On croit qu’il faut d’emblée convaincre la majorité et embarquer tout le monde pour réussir à faire changer les choses. Mais dans les faits, il ne suffit souvent que de quelques personnes dans leur coin avec une bonne idée. »

La responsabilité de transformer la société ne doit en aucun cas reposer sur ces petits groupes, mais ils sont une pièce cruciale du puzzle de la transition. L’action doit venir de partout. Des universités aux banques, en passant par les petites villes et les multinationales.

Comment ces initiatives locales peuvent-elles aboutir à de véritables politiques de transition, notamment à l’échelle locale ?

En général, pendant deux ou trois ans, les acteurs institutionnels sont sceptiques. Puis, quand le projet s’avère une réussite, les mairies appellent et demandent : « Comment peut-on vous aider ? » « Quels blocages pouvons-nous lever ? » Quand on me demande ce qu’il faut faire, je réponds qu’il suffit de commencer ! Au pire, ça ne fonctionne pas et ce n’est pas grave. Car quand ça marche, le voisin se sentira encouragé à tenter quelque chose, puis son voisin et ainsi de suite.

En 2014, des habitants de Liège, en Belgique, se sont demandé comment faire pour que la nourriture qu’ils consomment soit en majorité produite localement à l’horizon de quelques années. Ils ont organisé une simple réunion publique. Aujourd’hui, on compte 27 coopératives dans la ville et un réseau composé d’une ferme, de vignes, d’une brasserie, de quatre magasins… Et tout a démarré sans l’aide des banques, ni de la ville, ni rien. Les porteurs du projet discutent avec la municipalité pour livrer les cantines scolaires, les hôpitaux, etc. Le concept a essaimé dans d’autres communes de Belgique, et même en France.

Sécheresse en Espagne et en France, inondations en Italie, incendies et vagues de chaleur précoces dans toute l’Europe… Ces catastrophes récentes sont-elles les meilleures avocates de la transition, ce changement de modèle que vous prônez depuis des années ?

C’est le problème avec le réchauffement climatique. Personne ne peut se réjouir que les catastrophes nous donnent raison. D’autant plus que, quand bien même les effets du réchauffement climatique sont clairs et indéniables, les entreprises du secteur pétrogazier continuent de mener d’énormes campagnes de désinformation, extrêmement bien organisées, pour préserver leurs intérêts et freiner la sortie des énergies fossiles.

J’ai vu de mes propres yeux des embouteillages de vélos aux heures de pointe, des quartiers agréables et dynamiques interdits aux voitures, d’innombrables solutions pour produire de l’énergie renouvelable, des innovations, partout dans le monde, etc. Nous avons la preuve depuis longtemps que des alternatives existent, mais la transition se heurte au pouvoir de ces géants du pétrole, du gaz, etc.

Le mot de « transition » étant employé à tout va, comment éviter le « greenwashing » ?

Il m’arrive de me rendre dans des villes et de m’apercevoir que ce qu’on y appelle « transition » n’est pas toujours très intéressant. Par exemple, je me méfie quand on me parle d’ »atteindre la neutralité carbone d’ici 2050″. Les gouvernements et les pouvoirs publics adorent cette expression, or elle cache souvent l’incapacité à réagir à l’urgence et l’illusion qu’on peut continuer sans rien changer.

« La transition, ce n’est pas faire comme d’habitude et se contenter d’installer des panneaux solaires sur le toit ou de se déplacer en voiture électrique. »

La culture dominante selon laquelle plus l’on consomme et mieux l’on vit est de plus en plus remise en question. Les choses évoluent car il apparaît que ce modèle nous a rendus de moins en moins capables de résister aux crises. A l’inverse, des petites communautés en transition à qui j’ai récemment rendu visite, à Londres, et qui existent depuis parfois quatorze ou quinze ans, se portent mieux que jamais. Que ce soit un « repair café » par-ci, un jardin communautaire par-là… Outre l’aspect économique de ces initiatives, tous les membres de la communauté créée autour de ces projets nous font part de la satisfaction d’avoir retrouvé du contact humain et d’avoir renoué des relations, alors qu’un mode de vie tourné vers la consommation nous isole les uns des autres. Il faut changer d’état d’esprit et réfléchir à ce à quoi nous accordons de la valeur.

Comment voyez-vous l’avenir de ce réseau ?

Tout d’abord, je suis très fier et honoré d’avoir contribué à la naissance d’un réseau qui aide les gens à impulser ce genre de transformations. Mais je suis aussi réaliste : depuis que nous avons mis en place le réseau, l’humanité s’est rendue responsable de 30% du total des émissions de CO2 dans l’atmosphère. C’est donc une très belle histoire, c’est vrai, mais elle se finira mal si nous perdons le combat contre les entreprises du pétrole et du gaz qui, contrairement à nous, sont riches, puissantes et politiquement influentes.

« Quand tout le monde réalisera l’ampleur de la tâche qui nous attend, j’espère que ce réseau jouera le rôle d’une immense bibliothèque d’expériences. »

Ces projets répartis à travers le monde alimentent un catalogue de tous ce que nous avons appris, de tous les outils utilisés, de toutes les idées que des groupes de citoyens ont mises en pratique. Ces connaissances n’ont pas de prix.

D’expérience, constatez-vous davantage de difficultés à imaginer ces nouveaux modèles en ville ou à la campagne ? Entre l’injonction à abandonner la voiture et les appels répétés à la sobriété, urbains, périurbains et ruraux s’accusent parfois mutuellement de ne pas faire leur part de l’effort de transition…

Partout où je vais, j’entends : « Ce que vous racontez est très chouette, mais ce sera plus difficile à faire ici que chez le voisin. » C’est vrai dans un village ou en plein centre de Paris, et même d’un pays à l’autre ! Si je parle à des Allemands d’un projet français ou italien dont ils pourraient s’inspirer, quelqu’un argumentera que « oui, mais en France et en Italie, c’est facile ». La réalité, c’est qu’avec un peu de créativité et de curiosité, on peut tous se lancer et tenter quelque chose de nouveau. Parfois, un même problème se pose en ville et dans un petit village, mais les solutions trouvées pour y remédier sont différentes. Si vous vivez dans un endroit isolé, vous n’aurez jamais le métro et le bus à toute heure devant chez vous. En revanche, j’ai vu des gens se regrouper pour créer leur propre service de transports en commun, adapté à leurs besoins, ou d’autres se concerter pour optimiser les trajets. L’arrivée des vélos électriques offre aussi énormément de possibilités.

Une chose est sûre : si l’on continue à penser que les autres doivent changer mais que nous, juste nous, pouvons continuer comme avant, alors cela nous conduira dans le mur. Car le climat, lui, change déjà.

Crise climatique : taxer la richesse ou les comportements ?

Crise climatique : taxer la richesse ou les comportements ?


Alors que la question du financement de la transition écologique semble se poser avec de plus en plus d’acuité certains estiment qu’il faut faire payer les riches, d’autres au contraire qu’il s’agit de s’attaquer aux comportements.

Le problème du financement de la transition énergétique pose une difficulté particulière en France où le taux de prélèvements obligatoires figure déjà parmi les plus hauts du monde. De toute manière en dernier ressort, l’éventuel taxation environnementale retombera nécessairement sur les consommateurs ou les citoyens. Au final, il est vraisemblable qu’il faudra trouver à la fois des financements et changer aussi le comportement des Français.

Gilbert Cette ,professeur d’économie à Neoma Business School estime dans le Figaro que la priorité est de changer les comportements.

LE FIGARO. – Le président du Medef, Geoffroy Roux de Bézieux, a fustigé mardi la «solution pavlovienne de l’énarchie française: un problème, une taxe». Le recours à la fiscalité est-il ancré dans la tradition française?

Gilbert CETTE. – Oui, c’est un mauvais réflexe «génétiquement» français. Quelque chose à financer? Une taxe. C’est habituel et culturel en France. Et cela nous amène à être le pays avancé, avec le Danemark, à la fiscalité la plus lourde, y compris en termes de progressivité. Au contraire, économiser sur des dépenses pour en financer d’autres, par exemple pour la transition climatique, est un bon réflexe pour un pays comme le nôtre qui est le champion de la dépense publique, et co-champion en matière de prélèvements publics.

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