Crise de recrutement dans le public : la faute à l’absence de marché du travail
Le spécialiste des relations sociales et du marché du travail, Charles de Froment observe, dans une tribune au « Monde », que l’absence d’un véritable marché du travail nuit gravement à l’accomplissement des missions de service public, et propose des pistes d’amélioration.
En clair ne se pose pas une crise de vocation mais une crise de rémunération des compétences NDLR
A l ’hôpital, mais plus largement dans l’ensemble du système de soins, les mêmes mots reviennent, comme dans une mauvaise antienne : manque de personnel, manque de reconnaissance, épuisement physique et psychique ; perte de chance pour les patients, actes de négligence, voire maltraitance, auprès de personnes fragiles.
Au sein de l’école républicaine, ce n’est guère mieux : 30 % de candidats en moins en quinze ans aux concours d’enseignement et mille admissibles pour deux mille cinq cents postes à pourvoir au concours de professeurs des écoles dans deux des académies concentrant les élèves avec le plus de difficultés socioculturelles, celles de Créteil et de Versailles ; les démissions d’enseignants en poste, certes rares, ont en outre plus que triplé depuis 2012.
Comment un pays passionné d’égalité en est-il arrivé à construire de fait, contre toutes ses valeurs et en dépit de ses institutions, un système de santé et un système éducatif à deux vitesses ?
Le fil rouge qui unit ces dysfonctionnements en apparence autonomes, puisque présents dans des institutions de nature très différentes, publiques et privées notamment, est en réalité une faille de marché, au sens littéral : dans les hôpitaux, les cliniques, les écoles, les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), les crèches, c’est le marché du travail qui fait défaut depuis des années.
Son absence fait l’objet d’un consensus paradoxal entre deux acteurs pourtant antagonistes : d’un côté, Bercy, qui pilote année après année le point d’indice et les niveaux de dotation en cherchant à minimiser les dépenses, et en se gardant de convoquer trop d’éléments de « benchmark » ; de l’autre, les enseignants, les soignants et leurs syndicats, qui, attachés à la notion de service public et fiers de leur choix de carrière altruiste au service de l’intérêt général, écartent d’emblée toute référence à l’univers privé marchand.
Mais, faute de boussole pour rendre ces métiers stratégiques attractifs, le système prend l’eau. En fixant, directement ou indirectement (avec les dotations soins et dépendances pour les Ehpad, par exemple), des grilles de rémunération déconnectées des réalités, l’Etat attire toujours davantage d’agents économiques « irrationnels » – et héroïques –, qui acceptent de sacrifier leur propre intérêt sur l’autel du bien commun ou du service public.
Ce recrutement de personnels sur une logique de vocation est à l’origine d’autres dérives, que l’on retrouve parfois dans le secteur de l’entrepreneuriat social et solidaire : oubli du droit du travail, effacement des frontières entre vie professionnelle et vie privée, burn-out, etc.