Marchés d’actions: risques de grande correction ?
Les niveaux atteints par les marchés d’actions reflètent soit une grande complaisance des investisseurs en termes de risque supporté, soit une forte exigence en termes de bénéfices anticipés pour les entreprises. Par Karl Eychenne, chercheur chez Oblomov & Bartleby ( dans la Tribune)
Les marchés d’actions de la zone euro se sont appréciés de près de 30% depuis l’été dernier, alors que l’inflation reste officiellement un sujet de préoccupation majeur pour les autorités, que les Banques centrales durcissent de plus en plus les conditions de financement, que le risque d’une récession est à peine écarté. Et surtout, alors que les taux d’intérêt à 10 ans s’inscrivent en hausse significative de 0,8 à 2,8% sur la période. Une telle résilience des actions à tous ces vents contraires interroge.
Il n’existe que deux histoires susceptibles de justifier les niveaux actuels des marchés d’actions. Soit l’investisseur se montre très optimiste quant aux bénéfices que les entreprises vont générer pour les mois à venir. Soit l’investisseur se montre très complaisant quant au risque qu’il accepte de supporter. Dans le premier cas, l’investisseur anticipe alors que les bénéfices élevés permettront à l’entreprise de distribuer davantage de dividendes encore. Dans le deuxième cas, l’investisseur exige alors une plus faible compensation (faible prime de risque) pour accepter de détenir une action plutôt qu’une obligation. Dans les deux cas, l’investisseur accepte donc de payer un prix plus élevé encore, contribuant à faire monter les marchés d’actions.
Quelle est la bonne histoire justifiant les niveaux actuels des actions ? Impossible de le savoir. Le prix d’une action ne se dévoile jamais totalement. Ce qui relève la complaisance en termes de risque, ou ce qui relève de l’exigence en termes de bénéfices anticipés est indétricotable. Nous sommes condamnés à l’ambiguïté. Mais cela n’est pas grave. En effet, l’important dans cette affaire est de réaliser que ces deux histoires, justifiant la résilience des actions, arrivent à leur terme.
Le niveau de complaisance de l’investisseur en termes de risque est historiquement élevé. Le niveau d’exigence de l’investisseur en termes de croissance des bénéfices anticipés est aussi historiquement élevé. Les marchés d’actions n’ont donc plus d’arguments pour monter davantage. Ce qui ne signifie pas pour autant qu’ils doivent baisser. C’est juste qu’ils se retrouvent tout nu, vulnérables à la moindre mauvaise nouvelle. Un diagnostic d’autant plus troublant que le niveau de complaisance et d’exigence de l’investisseur semblent en complet décalage avec ce que le réel nous renvoie comme information.
En effet, concernant la complaisance de l’investisseur en termes de risque supporté, elle semble anormalement élevée au vu du flux de nouvelles économiques. Certes, les indicateurs avancés s’améliorent et suggèrent que le risque de récession s’éloigne. Mais le niveau de complaisance qui est observé aujourd’hui serait davantage compatible avec une phase de vraie embellie économique. Concrètement, cela signifie que la prime de risque exigée par l’investisseur se trouve sur sa borne basse d’un point de vue historique, et que cette borne basse est généralement atteinte lorsque le cycle économique est en pleine expansion, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.
Enfin, concernant l’exigence de l’investisseur en termes de bénéfices anticipés pour les entreprises, là encore elle semble excessive quand on compare aux anticipations des analystes financiers. En effet, si l’on s’attarde sur les seuls bénéfices anticipés pour 2023, alors les analystes n’anticipent une croissance proche de 0%, alors que l’investisseur anticiperait au moins 10 % pour justifier les niveaux actuels. Si l’on s’attarde plutôt sur les bénéfices anticipés à plus long terme, alors les analystes calent d’ordinaire leurs anticipations sur le potentiel de croissance du PIB en valeur, soit des niveaux proches de 4% (2% de croissance en volume et 2% de croissance de l’inflation), alors que les niveaux actuels des marchés requièrent plutôt des niveaux de 5%.
Les marchés d’actions semblent donc plus vulnérables que jamais. La moindre anicroche en termes de nouvelle ou de commentaire pourrait donc les faire décrocher. Mais parmi toutes les mauvaises nouvelles possibles, une seule pourrait véritablement les faire chuter sévèrement : des taux encore plus hauts.
En effet, la hausse des taux est l’ennemi numéro 1 des marchés d’actions. En 2022, le principal facteur expliquant la baisse des actions fut la hausse des taux de long terme (taux 10 ans par exemple). Et si les actions n’ont alors baissé que de -15%, on le doit principalement à la très bonne tenue des bénéfices des entreprises et l’extrême complaisance des investisseurs (baisse de la prime de risque). Ces deux effets ont largement limité la baisse des actions. Or, nous avons vu qu’aujourd’hui, les marchés d’actions ne disposaient plus de ces deux jokers. Désormais, les marchés d’actions ne peuvent plus supporter de nouvelles hausses des taux. La question essentielle à se poser est donc la suivante : jusqu’où iront les taux ?
Aujourd’hui, les taux à 10 ans allemands (taux référence pour la zone euro) s’établissent à près de 2,7%. D’après les anticipations des marchés (déduite de la courbe des taux), nous ne serions pas loin du maximum prévu. D’après le consensus Bloomberg, nous serions même déjà au-delà des taux prévus pour fin 2023, soit 2%. Même la prévision haute des économistes les plus agressifs s’établit à seulement 2,75%. Si l’on croit à ces anticipations, alors on peut trouver des motifs à se rassurer sur les marchés d’actions. Mais tant que la Banque centrale européenne répétera à l’envie que « le travail n’est pas terminé », on peut avoir quelques doutes.
Enfin, même si les marchés d’actions évitent la correction parce que les taux ne montent plus, cela ne signifie pas pour autant que la hausse des actions va se poursuivre. Le seul vrai motif capable de justifier une poursuite de la hausse des actions serait une détente des taux. Pour cela, il faudra que les chiffres d’inflation s’inscrivent en baisse significative et durable, suffisamment pour que la Banque centrale tempère son propos.