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« Woke », le nouveau politiquement correct

« Woke », le nouveau politiquement correct

Issu de l’argot des Afros-Américains, le terme qui désigne à l’origine celui qui est « éveillé » face à l’oppression des minorités ethniques, sexuelles ou religieuses, sert aujourd’hui outre-Atlantique à railler la gauche radicale qui, au nom de la justice sociale, va parfois jusqu’à prôner la « cancel culture ».

Par Marc-Olivier Bherer du Monde

 

Histoire d’une notion. Peu de mots ont autant marqué notre époque. La controverse qui entoure celui-ci est si forte que plus aucune ambivalence n’est acceptée, il faut embrasser ou rejeter ce qu’il incarne : reconnaître l’existence d’un privilège blanc ou défendre l’universalisme. Ce mot, « woke », était pourtant inconnu en France il y a encore peu. Le terme provient de l’argot des Afros-Américains et désigne de manière élogieuse un état d’éveil et d’alerte face à l’oppression qui pèse sur les personnes issues des minorités ethniques, sexuelles, religieuses, etc.

Woke se répand au début des années 2010 à la faveur du mouvement Black Lives Matter. Aujourd’hui, il a un tout autre usage, il sert avant tout à railler la gauche radicale qui, au nom de la justice sociale, pratiquerait parfois une « cancel culture » prompte à la censure et à l’intimidation. L’intersectionnalité, un concept né en Amérique et qui entend démontrer comment les différentes formes d’exclusion interagissent, fournirait le cadre idéologique du discours woke. Résultat, en France comme aux Etats-Unis, la liberté d’expression serait particulièrement compromise dans les facs, la presse et les arts. Se rejoue ainsi une controverse débutée il y a plus de trente ans.

Les « ravages » du politiquement correct

« Bien que ce mouvement soit né d’un souhait louable de balayer les débris du racisme, du sexisme et de la haine, il remplace d’anciens préjugés par de nouveaux », déclare George Bush père en… 1991. Président des Etats-Unis, il prononce alors un discours contre les ravages du « politiquement correct » dans les institutions d’enseignement supérieur. Rien n’a changé, si ce n’est que l’on disait alors « politiquement correct » (ou PC) plutôt que « woke ».

Le terme « politiquement correct » a lui-même une histoire sinueuse. Issu du vocabulaire léniniste, il servait alors à entériner les opinions jugées fidèles à la ligne officielle. Puis, à la fin des années 1970-1980, « PC » commence à être utilisé par la gauche centriste pour moquer le zèle des progressistes dits bien pensants, souvent inspirés par la « French Theory », la philosophie postmoderne associée à Michel Foucault, Jacques Derrida, Gilles Deleuze. L’ensemble de la gauche revoit alors ses priorités.

La défense des droits des Noirs, des femmes et des homosexuels occupe désormais une plus grande place. A l’époque, certaines expressions sont soudainement bannies des campus. On ne dit plus « Noirs », mais « Afro Américains ». L’universalisme américain est remplacé par le multiculturalisme. Il ne convient plus alors de dire « High School Girls », mais « High School Women » (non des « filles », mais plutôt des « femmes fréquentant le lycée »), comme le rappelle l’essayiste et journaliste américain Paul Berman, dans l’introduction au livre collectif qu’il a dirigé sur la question « Debating P.C. The Controversy over political correctness on college campuses » (« Le PC en débat, la controverse du politiquement correct à l’université », non traduit, Laurel, 1992). Des intellectuels cherchaient également à ouvrir le canon littéraire pour y faire entrer des œuvres produites par des auteurs non blancs. D’autres y voyaient les affres d’un dangereux relativisme culturel. La décennie 1990 est profondément marquée par ces débats, Philip Roth (1933-2018) en tire un magnifique roman, La Tâche (Gallimard, 2002, prix Médicis étranger).

L’humour condamné au nom du politiquement correct ? (Douglas Kennedy)

L’humour condamné au nom du politiquement correct ? (Douglas Kennedy) 

L’écrivain américain Douglas Kennedy déplore, dans une tribune au « Monde », que notre époque manque aussi cruellement d’humour et que les rares à oser encore manier la dérision subissent les foudres des forces du politiquement correct.

 

Tribune.

 

 Pour moi, tout a commencé par un sombrero. Il y a quelques années, dans une des petites universités les plus élitistes du pays, Bowdoin College, dans le Maine, ce chapeau est devenu objet de controverse. Un étudiant d’origine colombienne avait décidé d’organiser une fête d’anniversaire pour un ami, dont l’invitation disait : « Le thème est la tequila… faites-en ce que vous voulez. » Outre le breuvage mexicain, l’hôte avait aussi prévu pour ses invités des mini-sombreros, dont beaucoup se coiffèrent. Certains firent des photos et elles se retrouvèrent aussitôt sur les réseaux sociaux.

Et voilà soudain que les forces du politiquement correct s’abattirent sur les intéressés. De nombreux participants furent placés en « quarantaine sociale » par l’université. Les hôtes de la fête durent quitter la résidence étudiante. Bowdoin les accusait de « stéréotype ethnique » et le bureau des élèves – d’après un article du Washington Post – publia une « déclaration de solidarité » à l’égard de toutes les personnes « blessées ou affectées » par cet incident, qu’il considérait comme un acte d’« appropriation culturelle ».

Or la semaine suivante, par un délicieux hasard du calendrier, la cantine de l’université organisait un dîner à thème mexicain, et je ne pus m’empêcher de penser : « Au moins, personne n’avait de sombrero pour manger son guacamole. » Ce qui était une autre façon de dire que ce genre d’ironie survient toujours quand on a justement perdu tout sens de l’ironie.

Théâtre de l’absurde politique

L’ironie est un concept mouvant, surtout en ces temps déconcertants. J’écris ces lignes au milieu de ce qu’on pourrait décrire comme un théâtre de l’absurde politique, alors qu’un président américain continue d’affirmer que l’élection sans doute la plus rigoureusement administrée de l’histoire récente lui a été volée, et après que son avocat Rudolph Giuliani a livré une diatribe paranoïaque sur des malversations infondées. En voyant M. Giuliani littéralement péter les plombs en direct, je me suis dit : si c’était un opéra, ce serait assurément Pagliacci, de Ruggero Leoncavallo. Mais ce commentaire caustique n’est qu’une tentative d’humour sur un sujet – le sabotage de la démocratie – qui n’a rien de comique.

De même, à une époque où de nombreux chefs d’Etat sont animés d’une perspective totalitaire – de Donald Trump à Jair Bolsonaro en passant par Viktor Orban, Vladimir Poutine, Recep Tayyip Erdogan… –, peut-on vraiment se permettre d’être ironique à propos de tels démagogues ? Surtout quand plus de 70 millions d’Américains ont voté pour M. Trump avec enthousiasme. Ou que, selon un sondage récent, plus de 70 % de ses partisans croient encore que l’élection a été volée.

La dictature du politiquement correct (Consigny)

 La dictature du  politiquement correct (Consigny)

 

Chroniqueur à ONPC, Charles Consigny dénonce en quelque sorte le retour du politiquement correct. (Interview le Figaro)

Laurent Ruquier a regretté qu’ «on ne puisse plus rien dire sur quoi que ce soit», ajoutant «Nous vivons sous la dictature de Twitter et de Marlène Schiappa. Nous sommes en permanence la proie des lobbies, des associations, de corporatismes catégoriels, du communautarisme…». Après une saison de l’émission, «On n’est pas couché», partagez-vous ce sentiment?

 

Charles CONSIGNY.- Je crois qu’il y a en effet une crispation du débat, l’avènement en France d’une hypersensibilité catégorielle d’inspiration américaine. Des porte-parole souvent auto-proclamés de «minorités» surveillent les discours publics et se ruent sur le moindre «dérapage». De fait, les discours publics sont devenus plus lisses qu’auparavant. Mais je crois que la société, la population, d’une certaine manière, y consentent. Après plusieurs années de «grand déballage» où l’on ne pouvait plus allumer sa télévision sans entendre parler des sujets qui fâchent, il est possible que les individus aient eu envie d’un peu de calme. Ils savent qu’il y a des problèmes, mais ils préfèrent qu’on n’en parle pas. C’est de l’ordre du confort psychologique.

J’ai fait en sorte de ne pas devenir une de ces marionnettes à buzz dont se nourrit le système médiatique.

Quel bilan faites-vous de cette saison? Avez-vous des regrets?

C’était une expérience intéressante. L’actualité culturelle a souvent amené des bonnes choses, comme le très beau livre d’Olivia de Lamberterie, Avec toutes mes sympathies (Stock) ou les lives de musiciens comme Angèle, Robert Charlebois, Jeanne Added, et beaucoup d’autres bonnes surprises.

Sur le plan politique, tout est compliqué par le macronisme qui a ringardisé le clivage droite/gauche, mais en un sens ce n’est pas plus mal car cela conduit à des échanges plus «thématiques» et moins idéologiques.

J’ai pu dire par exemple ce que je pensais de la répression du mouvement des Gilets jaunes, constatant en tant qu’avocat une sévérité judiciaire totalement excessive (mais les gilets jaunes ne sont pas les seuls à la subir).

Quant aux regrets, je n’ai pas de regrets si ce n’est que Michel Houellebecq ne soit pas venu parler de Sérotonine, qui est vraiment un livre sublime.

Vous êtes-vous parfois sentis censurés? Vous étiez-vous fixés des limites?

J’ai fait en sorte de ne pas devenir une de ces marionnettes à buzz dont se nourrit le système médiatique. Donc j’ai évité les déclarations tonitruantes et les clashs inutiles, d’autant que les invités des plateaux de télévision ne sont, la plupart du temps, pas armés pour répondre. Je n’avais aucune envie d’être le roquet qui exécute des proies faciles tous les samedis soir: je sais que c’est ce qu’attendaient certains commentateurs mais franchement je me serais senti ridicule à faire ça.

Le politiquement correct est tout simplement la traduction d’une lassitude du débat.

Au-delà de l’émission, assistons-nous au grand retour du politiquement correct?

Oui, mais en réalité il est faible, il est tout simplement la traduction d’une lassitude du débat. Les gens n’aiment plus débattre. Il y a une aspiration à la tranquillité qui passe par le politiquement correct dans les médias. C’est une phase, un peu comme une dépression. Cela ne durera pas indéfiniment.

Laurent Ruquier s’en prend à Marlène Schiappa. Le phénomène «Balance ton porc» a-t-il été un tournant?

Si cela a pu calmer les ardeurs d’hommes qui s’autorisaient des comportements désagréables ou illégaux sur des femmes, tant mieux, mais honnêtement ce phénomène ne m’a pas passionné et je ne peux pas soutenir un mouvement qui passe par la dénonciation.

Peut-on parler d’américanisation de la société française?

Bien sûr. On continue d’importer les modes américaines avec retard. Toutes ces histoires de genre, cet activisme sur les questions relatives aux minorités, tout cela vient des États-Unis. D’ailleurs, attention au retour de bâton: après les années Obama, qui à mon sens ont surtout consisté en une période de politiquement correct furieux, de communication pure et de mollesse dans l’action, de délaissement des classes défavorisées, les Américains ont élu Donald Trump, qui donne de l’urticaire à la plupart des grands prêtres du politiquement correct. Cela pourra toucher aussi la France après les années Macron.

La majorité actuelle ne semble pas passionnée par la préservation des libertés et se laisse volontiers aller à des tentations autoritaires.

Laurent Ruquier s’en est également pris à Twitter. Les réseaux sociaux sont-ils la cause ou le miroir du politiquement correct?

En tout cas ils créent ou relaient les polémiques, et contribuent probablement à hystériser le débat, avec l’aide des chaînes d’information en continu. Mais je les considère tout de même comme un bon baromètre de l’opinion, et plus généralement de l’humeur du temps. À titre personnel je fais généralement l’objet de commentaires positifs sur les réseaux sociaux et ils me font plaisir! Je crois qu’on y trouve des opinions spontanément exprimées par des citoyens qui ont autant le droit d’avoir la parole que Jean-Michel Apathie (à qui je n’ai rien de particulier à reprocher) et consorts.

Que pensez-vous de la loi Avia. La proposition de loi substitue au contrôle par le juge judiciaire, un contrôle réalisé par un opérateur privé… Est-ce au GAFA de réguler la liberté d’expression?

Je pense que c’est une tentative de museler la parole. La majorité actuelle ne semble pas passionnée par la préservation des libertés et se laisse volontiers aller à des tentations autoritaires. Je suis assez effaré par le vide dans lequel prospèrent les responsables politiques actuels: comme plus personne ne veut faire de politique, les plus nuls y creusent leur sillon! Je ne parle pas spécialement de Mme Avia que je ne connais pas, mais qui peut dire qu’on a un personnel politique de qualité dans le soi-disant «nouveau monde»? La politique actuelle n’a aucun intérêt.

 




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