Affrontements entre Macron et la convention citoyenne sur le climat
Dans une interview au JDD INTERVIEW, le réalisateur Cyril Dion répond avec vigueur aux critiques qu’ avait formulées Macron à son égard. Lors de son entretien avec Brut, Emmanuel Macron s’en est pris au réalisateur Cyril Dion, qui lui avait soufflé l’idée de la Convention citoyenne pour le climat et qui a lancé une pétition pour la « sauver ». «
Le Président s’est dit « très en colère » contre « ces activistes qui [l'ont] aidé au début » et qui émettent aujourd’hui des critiques. « C’est la solution des fainéants le ‘à prendre ou à laisser et si vous ne prenez pas, c’est nul », a-t-il lancé, exaspéré. « J’étais étonné de voir qu’il perde son sang-froid, commente l’intéressé. Ça montre que ça le touche qu’on le rappelle à ses engagements, qu’on lui dise qu’il n’a pas tenu sa parole. » Le réalisateur a lancé une pétition pour « sauver la Convention citoyenne », qui compte déjà plus de 320.000 signatures. Son objectif? « Obtenir la loi climat la plus ambitieuse possible. »
En juin 2019, Cyril Dion avait refusé l’ordre du mérite pour protester contre les violences policières. Six mois plus tard, il indiquait au JDD ne plus avoir de contact avec le Président. Depuis, les deux hommes avaient très brièvement échangé en juin dernier, lors de la réception des 150 tirés au sort dans les jardins de l’Elysée. Cyril Dion répond aux propos de Macron dans le JDD :
Qu’avez-vous pensé des propos vous concernant tenus par Emmanuel Macron?
J’étais étonné de voir qu’il perde son sang-froid. Ça montre que ça le touche qu’on le rappelle à ses engagements, qu’on lui dise qu’il n’a pas tenu sa parole. Ce qu’on fait avec la Convention citoyenne a l’air de compter pour lui. Mais il est de mauvaise foi. Personne ne l’a obligé à prendre les engagements qu’il a pris, personne ne l’a obligé au « sans filtre ». Il fallait bien que ça veuille dire quelque chose…
On lui demande quelque chose de simple : tenir sa parole
Et être qualifié « d’activiste »?
Activiste, ce n’est pas une insulte. Si les gouvernements faisaient leur travail depuis quarante ans sur le changement climatique, on n’aurait pas besoin d’être activiste. Le 20 janvier, Macron a expliqué aux 150 citoyens qu’il appliquerait le « sans filtre » s’ils faisaient des propositions de loi assez précises. Le 29 juin, il leur a dit qu’il prenait toutes les propositions, à l’exception de trois jokers. Mais depuis, des mesures ont été rejetées, le moratoire sur la 5G par exemple, d’autres propositions ont été modifiées avant d’être transmises au Parlement, comme le malus sur les véhicules les plus polluants. C’est un peu facile aujourd’hui de dire qu’il n’a pas de leçon à recevoir. On lui demande quelque chose de simple : tenir sa parole.
Avec votre pétition – plus de 320.000 signataires samedi – et vos prises de parole, quel est votre objectif?
Mon objectif est d’obtenir le projet de loi Climat le plus abouti possible. Si je faisais tout ça pour qu’on s’intéresse à moi et jouer à l’activiste, c’est-à-dire critiquer, ne jamais être constructif, être dans le pointage de doigt, j’attendrais la fin et à la fin, je dirais que c’est nul et qu’il n’a pas respecté sa parole. Mais c’est maintenant que je me mobilise au moment où les arbitrages sont pris sur la loi climat. Mon but est qu’elle soit la plus ambitieuse possible.
S’agit-il aussi de défendre le travail des citoyens?
Oui, car ce processus fait avancer la cause climatique et montre aussi que les assemblées citoyennes fonctionnent. Elles permettent de produire de la décision publique. C’est donc une voie que peuvent emprunter tous les gouvernements pour prendre des décisions qu’ils n’arrivent pas à prendre pour enrayer le dérèglement du climat. Alors quand j’entends Macron dire que ce qu’on fait, c’est la solution des fainéants, c’est vraiment des absurdités.
Mais n’y a-t-il pas une forme de naïveté de votre part d’avoir cru au « sans filtre », ou de stratégie en faisant semblant d’y croire?
Certes, toutes les propositions n’étaient pas formulées de façon à pouvoir être « sans filtrable ». On a toujours été d’accord pour sans filtrer les sans filtrable. Les autres pouvaient faire l’objet d’un travail. Mais par exemple, le malus sur les voitures les plus polluantes, c’était sans filtrable! Quand on relève le poids de 1,4 à 1,8 tonnes et que ça réduit le nombre de voitures concernées par le malus, qu’on ne vienne pas me dire que ça relève de la compétence technique des ministères! C’est clairement l’intérêt de l’industrie automobile. Il faut arrêter de prendre les gens pour des imbéciles. Si le ministère de la Transition écologique faisait un travail technique pour améliorer la rédaction des propositions des citoyens, en respectant leur ambition, on ne serait pas en train de faire des pétitions! Je suis prêt à travailler avec un gouvernement avec lequel je ne partage pas tout un tas d’options – par exemple les violences policières me révoltent – mais il faut un peu de bonne foi et d’honnêteté de leur côté.
Le texte est attendu en mars à l’Assemblée, faites-vous confiance aux députés pour l’améliorer?
J’ai envie de leur faire confiance. Parmi eux, il y en a plein qui ont vraiment envie que l’écologie avance. La difficulté en France, est que le Parlement n’a pas les moyens d’instruire de façon aussi précise que le gouvernement les propositions de la Convention citoyenne. C’est pour ça que le « sans filtre » n’est pas appliqué. Le rôle du Parlement dans la Ve République est faible. Mais si les députés peuvent améliorer le débat, je dis chiche!
Si on aboutit à un projet de loi climat vraiment ambitieux qui répond aux objectifs fixés par les Accords de Paris, je serai le premier à applaudir
Même si toutes les propositions ne sont pas reprises, ce sera le texte le plus important du quinquennat sur l’écologie. N’est-ce pas déjà une avancée?
Contrairement à ce que Macron affirme, personne n’a dit que les propositions étaient à prendre ou à laisser. Personne ne dit « si vous ne prenez pas tout, c’est nul ». Si on aboutit à un projet de loi climat vraiment ambitieux qui répond aux objectifs fixés par les Accords de Paris, je serai le premier à applaudir. Mais vous voyez bien : le mandat des citoyens était de réduire les objectifs d’émissions de gaz à effet de serre de 40% d’ici à 2030 par rapport au niveau de 1990, l’Union européenne va rehausser son objectif entre 50 et 55%, la Grande-Bretagne vient d’annoncer qu’elle fixait – 68% ; donc réduire la portée des propositions de la Convention, malheureusement, ça va nous emmener à une réduction de 20% au mieux des émissions. Or, pour être dans les clous des Accords de Paris, la France devrait réduire de 60 ou 65% ses émissions. La vraie question est là, ce n’est pas seulement une question politique : est-on à la hauteur du problème qui se pose à nous et qui est un problème d’urgence vitale pour les générations futures?