Démantèlement des GAFA: Quelles conséquences sur les consommateurs ?
Scinder les activités de Facebook, Apple, Amazon et Google pourrait favoriser la concurrence et l’innovation estimeChristopher Mims Dans le Wall Street Journal entre parenthèses (extrait)
Les entreprises, leurs lobbyistes et leurs alliés s’opposent déjà avec force à ces législations et à la nouvelle directrice de la Commission fédérale du commerce (FTC), Lina Khan, une opposante aux géants de la tech. La décision d’un juge fédéral, la semaine dernière, de rejeter les poursuites antitrust contre Facebook au motif qu’elles étaient « juridiquement insuffisantes » laisse penser que la mise en œuvre de règles plus strictes ne sera pas chose aisée.
Il existe peu de précédents permettant de se faire une idée claire de ce que serait la situation pour les utilisateurs en cas de démantèlement majeur d’Amazon, ou si Apple était contraint de se défaire de son App Store
Mais il y a de plus en plus de chances que les dispositions de ces projets de loi deviennent les règles auxquelles les grandes entreprises technologiques auront à se conformer. Cela pourrait passer par le biais d’une législation du Congrès, de lois à l’échelon des Etats, de procès, d’une nouvelle génération de régulateurs comme Mme Khan ou d’une volonté politique bipartisane de lutter contre le secteur de la tech.
Il est intéressant d’imaginer comment les choses pourraient se passer. Après avoir parlé avec des spécialistes de l’histoire des batailles antitrust, de l’impact de la concentration du marché sur la concurrence et des effets de la réglementation sur les entreprises en position dominante, ainsi qu’avec des sociétés elles-mêmes, voici quelques pistes.
Amazon
Tous les projets de loi proposés par la Chambre semblent viser Amazon d’une manière ou d’une autre. Mais le plus important d’entre eux, le Ending Platform Monopolies Act, permettrait à la FTC de démanteler les géants de la tech si elle estime que leurs produits et services sont susceptibles de concurrencer ceux vendus par d’autres entreprises sur les plateformes de ces mastodontes.
Si cela semble couvrir de nombreuses activités de ces plateformes et que nous considérons comme normales — des applications préinstallées sur l’iPhone aux produits de marques distributeurs comme Kindle et Amazon Basics sur Amazon — c’est parce que le projet de loi est rédigé en des termes très généraux.
Dans le passé, les spécialistes de la lutte antitrust ont proposé de scinder Amazon en au moins quatre sociétés, en séparant les éléments qui constituent les piliers de sa domination : son activité principale de vente au détail, sa marketplace où des vendeurs tiers opèrent, sa division extrêmement rentable de services de cloud et ses services de traitement de commandes et de logistique.
Même si le géant de Seattle ne devait se séparer que de sa marketplace, les effets pourraient être perceptibles pour les consommateurs. Amazon a déclaré le mois dernier que les projets de loi pourraient l’amener à interdire aux vendeurs tiers l’accès à sa plateforme, alors qu’ils y proposent la majorité des articles. Ce serait comme si Amazon était scindé en deux, avec d’un côté une division de vente au détail fonctionnant comme Walmart — avec ses marques distributeur et les articles d’autres sociétés qu’il propose directement — et, de l’autre, une marketplace distincte comme eBay.
Dans ce même communiqué, Amazon indique que tout cela « aurait des effets négatifs importants sur les centaines de milliers de petites et moyennes entreprises américaines qui commercialisent leurs produits dans notre magasin, et sur les dizaines de millions de consommateurs qui les achètent sur Amazon ».
Il est difficile d’évaluer l’impact potentiel d’un tel démantèlement et téméraire de professer des certitudes à ce sujet — l’Amérique n’a rien vu de tel depuis la scission de Bell System. Amazon affirme que cela signifierait la fin de prestations comme la livraison gratuite. Mais les programmes de la société destinés à proposer aux vendeurs tiers le même service de livraison gratuite que Prime sans l’aide des départements logistiques d’Amazon, laissent penser que l’entreprise pourrait, malgré tout, trouver un moyen de poursuivre ses activités.
Apple
Une autre proposition de loi, l’American Choice and Innovation Online Act, poursuit un objectif similaire. Elle vise à empêcher les entreprises qui possèdent de grandes plateformes dominant le marché de donner à leurs propres services et produits qui y sont vendus un avantage injustifié sur leurs concurrents. L’App Store, via lequel Apple contrôle 100 % du marché des applications pour iPhone, pourrait ainsi être ciblé. C’est un marché lucratif. Un expert, sollicité comme témoin par Epic Games dans son récent litige judiciaire avec la firme à la pomme, a estimé que les marges d’exploitation de l’App Store pouvaient atteindre 80 %.
Dans une lettre au Congrès et un rapport qu’elle a publié sur la sécurité, Apple explique que les attaques contre sa situation de monopole sur la distribution des applications pour ces appareils menacent sa capacité à assurer leur sécurité
Apple conteste qu’elles soient aussi élevées, mais a refusé de communiquer un chiffre. Le géant de Cupertino a déclaré au cours du procès que sa marge globale en 2020 avait été de 20,9 % et que sa boutique d’applications ne devrait pas être examinée séparément de ses pertes et profits totaux.
Le système d’exploitation mobile d’Apple est utilisé sur six appareils mobiles sur dix aux Etats-Unis.
Dans une lettre au Congrès et un rapport qu’elle a publié sur la sécurité, Apple explique que les attaques contre sa situation de monopole sur la distribution des applications pour ces appareils menacent sa capacité à assurer leur sécurité.
L’impact potentiel pourrait être plus important, à la fois pour Apple et pour ses clients. Cela pourrait conduire au démantèlement du très rentable « jardin clos » — constitué de matériel, de logiciels et de services — qui rend ses produits relativement pratiques pour les utilisateurs, mais qui limite également leurs choix.
De nouvelles règles et de nouveaux régulateurs pourraient contraindre Apple à décloisonner ce système, en cédant son App Store ou en laissant les consommateurs installer des applications depuis n’importe quel endroit. Cela pourrait faciliter l’accès des utilisateurs d’iPhone aux produits d’autres entreprises, mais aussi les exposer aux menaces de rançongiciels ou d’usurpation d’identité numérique.
Facebook
Le Platform Competition and Opportunity Act, un troisième projet de loi, est plus ou moins conçu pour interdire ce qui a été la marque de fabrique de Facebook : acquérir un concurrent avant qu’il ne devienne une menace.
La plainte de la FTC contre Facebook qui figurait parmi celles qui ont été rejetées la semaine dernière, accusait l’entreprise de pratiques anticoncurrentielles lors des rachats de WhatsApp et Instagram. Si la nouvelle législation devait être adoptée, il pourrait être beaucoup plus facile pour la FTC de gagner ce type de procès.
Facebook a déclaré qu’il serait, par exemple, plus difficile pour les utilisateurs de poster des publications partagées à la fois sur Instagram et Facebook. D’autre part, le dossier complet dont dispose Facebook sur chacun d’entre nous, qu’il vend aux annonceurs — sous une forme toutefois de plus en plus anonyme — serait beaucoup plus difficile à constituer pour l’entreprise.
Un porte-parole de Facebook a qualifié ces projets de « remède empoisonné pour le secteur américain de la tech à un moment où notre économie peut le moins se le permettre ».
Un autre projet de loi, l’Augmenting Compatibility and Competition by Enabling Service Switching Act, est censé permettre aux utilisateurs d’échanger des messages entre n’importe quels services, ou du moins de faire migrer leur activité sur un réseau social vers une autre plateforme, en obligeant des entreprises comme Facebook à ne pas se limiter à nous remettre nos données lorsque nous le demandons, mais à en faciliter la transmission, sans les altérer, à d’autres sociétés.
Les avantages en matière de protection de la vie privée n’ont peut-être pas d’importance pour de nombreux consommateurs, mais ils pourraient figurer parmi les conséquences les plus immédiates de ce projet de loi pour les plus de 2,8 milliards de personnes qui utilisent chaque mois l’un des produits de Facebook.
Alphabet (Google)
L’empire de Google dans le secteur des moteurs de recherche — où il contrôle 92 % du marché à l’échelle mondiale — serait également touché par l’American Choice and Innovation Online Act. La société affirme que l’impossibilité de privilégier ses propres services impliquerait qu’ils n’apparaissent plus en tête des résultats de recherche.
Il est clair que toute action contre les Big Tech nécessitera encore beaucoup de temps pour avoir un impact sur les consommateurs. Le litige gouvernement fédéral contre Microsoft, par exemple, s’est prolongé sous trois administrations présidentielles, de 1991 à 2001. A la fin, le gouvernement a préféré conclure un accord plutôt que de tenter de faire démanteler l’entreprise
A court terme, ne plus voir les résultats de Google Maps lorsqu’ils font une recherche pourrait perturber les utilisateurs, mais de nombreux concurrents seraient enthousiastes à l’idée d’occuper cette place, notamment Yelp, qui lutte depuis des années contre le géant de Mountain View et la prédominance de son moteur de recherche. On pourrait dire la même chose de la plupart des autres services que Google et ses lobbyistes ont cités comme étant des outils que les consommateurs considèrent actuellement comme normaux — et qui vont des paroles de chansons aux vidéos YouTube apparaissant en haut dans les résultats de recherche.
« Nous ne sommes pas opposés à un examen antitrust ou à une réglementation mise à jour sur des questions spécifiques, assure Mark Isakowitz, vice-président en charge des relations avec les pouvoirs publics chez Google. Mais les consommateurs et les petites entreprises américaines seraient choqués de voir comment ces projets de loi mettraient fin à nombre de leurs services préférés. »
Il est clair que toute action contre les Big Tech nécessitera encore beaucoup de temps pour avoir un impact sur les consommateurs. Le litige gouvernement fédéral contre Microsoft, par exemple, s’est prolongé sous trois administrations présidentielles, de 1991 à 2001. A la fin, le gouvernement a préféré conclure un accord plutôt que de tenter de faire démanteler l’entreprise.
Même si ces bouleversements n’auront pas lieu de sitôt, les utilisateurs doivent pourtant se préparer à des modifications de ces services. Ces changements pourraient conduire à une concurrence accrue et, en fin de compte, à de l’innovation.