Numérique : conseils un ministre qui n’y connaît rien
Arrivé le 4 Juillet avec le remaniement ministériel, Jean-Noël Barrot est nommé « ministre délégué chargé de la transition numérique et des télécommunications ».
Autant le dire d’emblée, le nouveau Ministre du numérique a peu d’expérience du numérique. Tout au plus pourra-t-on noter sa proposition de plateforme des ateliers citoyens qui aurait un rôle d’ « ascenseur de revendications », et l’utilisation d’un analyseur de sentiment avec Twitter pour mesurer le bien-être des territoires.
Il devra donc se familiariser avec les dossiers en cours : reprise de contrôle sur les Big Tech (Digital Services Act, Digital Markets Act), souveraineté (identité, pass et data de santé, cyber-sécurité), protection des personnes (mineurs, harcèlement). Il devra surtout préciser la politique du numérique, en particulier pour le « métavers européen » promis dans le programme présidentiel. Les options sont grandes ouvertes. C’est le jardin de tous les possibles mais aussi de toutes les tentations.
La première tentation est de confondre innovation de rupture et technologie de rupture. Aucune des 12 Big Techs GAFA, BATX et NATU n’est fondée sur une technologie de rupture. Pourtant, cette confusion est à l’origine du Fonds pour l’Innovation et l’Industrie, doté de 10 milliards, dont les résultats sont sans surprise critiqués par France Stratégie.
La deuxième tentation est d’oublier la finalité de l’innovation : apporter du progrès pour tous. C’est l’erreur de la French Tech, qui a alimenté le ressentiment des gilets jaunes, et l’erreur de la Commission Villani sur l’intelligence artificielle, qui l’a opposée à l’intelligence humaine. Il faut mettre en avant la raison d’être de chaque initiative.
La troisième tentation est de vouloir combattre les Big Techs au titre de leurs monopoles. La concurrence monopolistique est le nouveau régime économique dominant, et il est inhérent à l’informatique. Il faut s’y faire. Ce qu’il faut combattre, c’est que trop de niches de monopoles soient dans les mêmes mains.
La quatrième tentation est celle de dénigrer la propriété intellectuelle, aux motifs de l’open source, de l’open data ou de la recherche au bénéfice de la science mondiale. Pendant ce temps, les GAFA moissonnent nos data et la Chine contrôle les technologies de la blockchain avec ses brevets.
La cinquième tentation est de vouloir concurrencer les Big Techs avec des initiatives publiques. Penser à une crypto-monnaie, une carte d’identité numérique, un cloud ou un métavers souverains face à la puissance de l’innovation privée n’a pas de sens. Il faut plutôt penser en termes d’infrastructure publique ouverte à l’innovation.
La sixième tentation serait de vouloir résoudre les grands problèmes avec des grandes solutions. C’est l’erreur du Forum de Davos, qui réunit l’élite économique mondiale et milite pour un « monde moins clivant, moins polluant, moins destructeur, plus inclusif, plus équitable et plus juste ». Pourtant les dix dernières années ont vu prospérer la manipulation des informations, la concentration des richesses, la concurrence déloyale, l’obsolescence programmée, le marketing de l’addiction et la surveillance de masse. Pour polliniser un champ, on n’a pas trouvé de machine plus efficace que le travail de milliers d’abeilles. Les grands problèmes ne peuvent se résoudre qu’avec une multitude de petites solutions.
La septième tentation est de vouloir imiter le modèle américain. Il est entendu que la forge de la Silicon Valley, la puissance du capital-risque, le contrôle des startups par les brevets et la capacité de rachat sans limite des Big Techs sont d’une efficacité redoutable. Mais il est illusoire de vouloir les rattraper sur leur terrain. Il faut plutôt cultiver le modèle européen, orienté vers la responsabilité sociale et environnementale, la coopération, la co-propriété, la gouvernance collective, la solidarité, la culture et la qualité de vie. Nos valeurs sont un avantage compétitif fondamental. Il suffit pour s’en convaincre de se rappeler la France de la deuxième révolution industrielle. Malgré son lourd retard dans les techniques, elle a développé un supplément d’âme dans les usages, ce qui l’a propulsée alors au faîte de sa prospérité et de son rayonnement dans le monde. Elle a apporté la mode aux tissages mécanisés, la cosmétique à la chimie fine, la mise en scène des grands magasins à la distribution de masse, l’esthétique à l’automobile, l’animation à la photographie.
Pour ne pas commettre ces 7 péchés capitaux, Jean-Noël Barrot devra développer un environnement favorable – subvention, allègement et stabilité réglementaire, défense de la propriété intellectuelle, labélisation – aux technologies et usages qui contribuent au modèle européen.
La blockchain permet par exemple de certifier la provenance du riz acheté en supermarché, de vérifier l’authenticité d’une information ou d’attester l’origine de chaque contribution dans un projet collectif. Les tokens mesurent les comptabilités extra-financières et garantissent la répartition équitable du prix dans la chaîne de sa production. Les contrats intelligents orientent les achats en fonction des notations des fournisseurs. Les crypto-monnaies font chuter les coûts de l’intermédiation financière, rendent solvable la vente d’une photo ou d’un micro-service à distance, favorisent une région sinistrée. La réalité virtuelle permet, grâce à un jumeau numérique en 3D, d’apprendre rapidement à réparer un moteur, de visiter un monument disparu ou de simuler l’esthétique d’une ville après rénovation. La réalité augmentée, qui superpose dans les lunettes des informations sur les objets réels, aide à gérer une panne dans une usine et à s’instruire pendant un voyage.
Aujourd’hui nous avons besoin d’un renouveau de notre vision collective, mieux enracinée dans les valeurs européennes. C’est le rôle du Ministre de fixer la politique du numérique pour impulser cette dynamique, soulever la vague française et la propager en Europe.
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(*) Tribune co-signée par (mise à jour sur le site de l’institut de l’Iconomie):
Vincent Lorphelin, Entrepreneur, Auteur et Coprésident de l’Institut de l’Iconomie
Christian Saint-Etienne, Professeur émérite au Conservatoire National des Arts et Métiers, Coprésident de l’Institut de l’Iconomie
Michel Volle, Economiste et Coprésident de l’Institut de l’Iconomie
Jean-Paul Betbèze, Professeur émérite de l’Université de Paris-Panthéon-Assas
Boris Kesler Fasano, Fondateur de Mainbot
Jordan Ietri, Fondateur de Revomon
Nouredine Abboud, Directeur Général de Novaquark
Clément Tequi, co-Fondateur de Capsule Corp Labs
Alexis Arragon, Fondateur de Skinvaders
Diaa Elyaacoubi, Directrice Générale de Monnier Frères
Stéphanie Flacher, co-Fondatrice de Logion
Casey Joly, Avocate du cabinet ipSO
Jennifer Verney Dahan, Fondatrice de Vernsther
Emmanuel François, Fondateur de Smart Building Alliance
Raphaël Rossello, Partner de Invest Securities
Alain Garnier, co-Fondateur de Jamespot