Attentat de Conflans : l’urgence d’une charte déontologique sur les réseaux sociaux
Après l’assassinat de Samuel Paty, le philosophe Eric Sadin explique, dans une tribune au « Monde », que s’est mis en place un festival permanent de positions tranchées, d’invectives et du rejet d’autrui, favorisé par le fait de se trouver à l’abri derrière son écran, engendrant un sentiment d’impunité et des réflexes de lâcheté.
Un professeur de l’école publique s’est attelé avec persévérance à célébrer le droit fondamental de la liberté d’expression, en s’appuyant sur l’un des principes cardinaux de notre République, la laïcité. Pour ce faire, il a notamment exposé et analysé certaines caricatures publiées par Charlie Hebdo, en les prolongeant par des séquences de discussion impliquant les élèves en vue d’aiguiser leur esprit critique.
Un parent s’est offusqué de ces méthodes et s’est mis à les dénoncer sur les réseaux sociaux, à poster des messages et des vidéos accusant sans preuve l’enseignant de tous les maux. Les propos et images ont été aussitôt repris et se sont propagés de façon virale. Samuel Paty, en quelques jours, est devenu un coupable tout désigné, du fait d’individus fermement décidés à organiser une fatwa par écrans interposés. Cette campagne de dénigrement et ces expressions de colère indignée ayant fini par une exécution.
Une mécanique devenue folle
Il convient de relever que tant de pratiques plus ou moins similaires, et à des niveaux de violence variables, ont lieu tous les jours sur Internet. La formulation publique de ses rancœurs ou de ses expériences déçues étant devenue un nouveau sport social quotidien. Si ces usages ne débouchent pas toujours sur le crime, ils blessent des personnes, brisent des carrières, mènent à la dépression et parfois à des suicides du fait de la mise à la vindicte populaire ou du harcèlement en ligne.
Car ce qu’il s’est passé depuis l’avènement des réseaux sociaux, principalement sur Twitter, du fait de l’interface imposant une brièveté des messages, c’est le privilège de l’assertion, de formules expéditives et catégoriques, ayant vite entraîné une brutalisation croissante des échanges interpersonnels. Plutôt que la fable de « réseau social », ce à quoi ces plates-formes auront surtout concouru, c’est à généraliser des formes de surdité délétères entre les différentes composantes du corps social et dont nous ne cessons, à divers titres, de payer le prix.
S’est mis en place un festival permanent de positions tranchées, d’affirmations unilatérales des points de vue, de l’invective et du rejet d’autrui. Dimensions qui ont été favorisées par le fait de se trouver à l’abri derrière son écran, engendrant non seulement un sentiment d’impunité, mais autant, et il faut bien le dire, des réflexes de lâcheté, c’est-à-dire de se laisser aller à des propos qui n’auraient jamais été prononcés dans le cadre d’une proximité sociale.
Tout cela a généré une mécanique devenue folle de l’expression des ressentiments et de la volonté d’avoir raison de tout, faisant le lit d’idéologies mortifères. YouTube a alors joué le rôle de relais, accueillant à bras ouverts des vidéos conspirationnistes, antisémites, xénophobes, suprémacistes, offrant une tribune mondiale à tous les affects négatifs.