Quelle compatibilité entre démocratie et souveraineté
Dans son livre « la grande réinitialisation », paru en 2020, le Président du Forum Economique Mondial de Davos, Klaus Schwab, cite (pages 118 et suivantes) une étude fondamentale de Dani Rodrik, économiste à Harvard. Elle concerne la mondialisation. Dani Rodrik démontre que les trois notions suivantes sont incompatibles entre elles : la démocratie, la souveraineté de l’Etat-nation et enfin une mondialisation forte. Seules, deux de ces trois notions peuvent être associées. C’est ce qu’il dénomme le « trilemme de la mondialisation ».
Par Bertrand de Kermel, Président du Comité Pauvreté et Politique dans la Tribune
La démocratie et la souveraineté nationale ne sont compatibles que si la mondialisation est contenue. Si la démocratie et la mondialisation se développent toutes les deux, il n’y a plus de place pour l’État-nation. Enfin, si la mondialisation et l’État-nation prospèrent tous les deux, la démocratie devient intenable !
Par nature, la démocratie ne peut en aucun cas devenir « intenable » et par conséquent la mondialisation doit s’adapter, et pas l’inverse.
Ce n’est pas évident pour tout le monde. Chacun aura noté qu’au sein de l’Union européenne et dans les 27 États, ce « trilemme de la mondialisation » n’est jamais évoqué. Pire, on ne parle jamais de « démocratie », seulement de « souveraineté économique ». Or, sans la démocratie, les peuples perdront mécaniquement leur pouvoir au profit des lobbies.
Ce n’est pas une vue de l’esprit. C’est déjà le cas aux États-Unis. Le Président Macron déclarait lui-même au salon Vivatech en mai 2019 : « Le modèle économique américain n’est plus sous contrôle démocratique » (le journal « l’Opinion » du 16 mai 2019). Ce n’est pas rassurant pour l’Europe.
Ajoutons qu’en présentant un bilan accablant de la mondialisation devant l’Assemblée générale de l’ONU, le 22 septembre 2020, le Président Macron affirmait que la mondialisation actuelle met en cause à la fois la souveraineté et la démocratie, tout en utilisant les classes moyennes comme « variables » de la mondialisation. Il est clairement impossible de poursuivre la politique européenne sur le commerce extérieur, sans y apporter des aménagements majeurs.
La remise à plat de la politique européenne est incontournable et urgente : deux solutions sont possibles.
Pour ne sacrifier ni la souveraineté ni la démocratie, il faut impérativement « contenir la mondialisation ». Deux solutions sont possibles. Soit régionaliser la mondialisation par grands ensembles cohérents, soit mettre en place des protections intelligentes et équilibrées.
La régionalisation de la mondialisation est la solution proposée par Klaus Schwab, dans son livre, page 123. C’était également la solution proposée (en vain) par Maurice Allais, prix Nobel d’économie, dans sa « lettre aux français » publiée par le journal Marianne en décembre 2009. Elle est lisible là, ou encore en tapant sur votre navigateur : « lettre aux Français : contre les tabous indiscutés ».
Lorsqu’on lit la démonstration de Maurice Allais, on ne peut que constater la justesse de son propos. Ce qu’il craignait s’est produit (saccage de notre industrie, chômage de longue durée pendant 30 ans, inégalités hors de contrôle, etc.).
Maurice Allais démontrait également dans cette « lettre aux français » que le système de régionalisation qu’il préconisait ne constituait pas une atteinte aux pays en développement, bien au contraire.
La deuxième solution pour « contenir la mondialisation » consiste à mettre en place des mesures équilibrées de protectionnisme. Elle est aujourd’hui prônée par… les États-Unis ! Ceux-là mêmes qui ont poussé la planète au néolibéralisme en 1994.
Sous le titre « Les États-Unis dénoncent « une version insoutenable » de la mondialisation » le journal de Montréal du 15 juin 2023 rapporte une interview de Mme Tai, la représente américaine au commerce. Remettant en question certains aspects des théories libérales et de la mondialisation dans sa version actuelle, Madame Tai demande des réformes et des améliorations, précisant : « nous n’avons pas intégré de garde-fous ».
Les « garde fous » évoqués sont ces mesures équilibrées de protectionnisme encore dénommées à Bruxelles : «autonomie stratégique ». C’est ce qui permettra de passer du libre-échange déloyal au « juste-échange ».
Quelle que soit la solution retenue (qui se recoupent) il faut renégocier les accords bilatéraux de libre-échange signés par l’UE, car ces accords constituent « La Loi » de la mondialisation.
Ce sujet doit être médiatisé et débattu pendant la campagne des européennes
Toutes les listes candidates aux européennes devront se positionner clairement sur ce point. Pour ne pas tromper les électeurs, elles devront aussi faire connaître la position du parti européen auquel elles vont adhérer. Sans cette information, les électeurs ne seront pas en état de choisir.