Crise sanitaire : les erreurs de communication du gouvernement
Le vice-président du groupe Havas, Stéphane Fouks dans son livre pandémie médiatique donne une véritable leçon de communication au gouvernement à propos de la crise sanitaire ( interview dans Marianne)
Dans votre livre Pandémie médiatique*, vous donnez aux politiques, et d’abord à la Macronie, une leçon de communication de crise. Pourquoi?
Je m’adresse à tout le monde! J’ai écrit ce livre parce que je suis inquiet : alors que la pandémie continue de frapper, une crise démocratique gagne la France. Nous sommes menacés par trois échecs, qui forment ce que j’appellerais le triangle du fiasco français. Le premier, c’est l’incompréhension, par nos dirigeants, du monde médiatique dans lequel nous vivons : un monde accéléré, où l’image l’emporte sur l’écrit, l’émotion sur la raison. A l’heure des réseaux sociaux, aucune élite n’a le privilège de l’information ; qu’elle soit fausse ou vraie, elle est partagée par tous. Aujourd’hui, tout le monde est épidémiologiste, comme tout le monde est sélectionneur de l’équipe de France de foot!
Emmanuel Macron et les « Macron boys » sont pourtant arrivés à l’Elysée avec des mentalités de start-upeurs…
Le monde politique dans son ensemble continue de fonctionner à l’ancienne, avec le logiciel mitterrando-gaulliste d’une époque où la télévision était en noir et blanc, où il y avait trois radios et trois journaux, où la communication pouvait être verticale, martiale et virile et où, quand on avait fait Europe 1- Le Monde – TF1, on avait parlé à tous les Français. Il faut sortir des vieilles règles de com dépassées. Les entreprises, elles, ont su évoluer - beaucoup l’ont montré dès les débuts de la pandémie – pour mieux répondre aux aspirations des salariés et des consommateurs. Les dirigeants politiques gagneraient à s’en inspirer.
Vous parliez d’un triangle ; quid du deuxième sommet?
Le mode d’organisation de la France est inadapté au monde d’aujourd’hui. Ce pays de particularismes locaux s’est construit autour de la verticalité d’une administration toute-puissante. La France des préfets a sa légitimité, mais elle montre ses limites dans la crise actuelle : une même mesure pour tous partout, ça ne fonctionne pas. On l’avait pourtant vu avec la limitation de vitesse à 80 km/h : la décision n’est devenue acceptable qu’une fois décentralisée. La crise du Covid a révélé que l’arbitraire technocratique menait à des décisions absurdes et à des injonctions contradictoires! C’est le deuxième échec.
Quel est le troisième?
C’est l’infantilisation. Elle conduit nos dirigeants à sous-estimer les Français, leur maturité, leur civisme. On voit, par les données Google, que la France est le deuxième pays au monde pour le respect du confinement, loin devant l’Allemagne. Pourtant, l’infantilisation se poursuit avec les mesures récentes, comme la décision de fermer tous les restaurants et tous les bars. Pourquoi pas seulement ceux qui ne respectent pas les règles? On envoie alors un mauvais signal, qui décourage l’esprit de responsabilité.
Le mensonge n’est-il pas également une forme d’infantilisation ?
C’est une autre forme de ce mépris du peuple qu’entretiennent les élites françaises! En France, par une sorte de complaisance médiatique, on considère comme normal que le mensonge fasse partie de la boîte à outils politiques. Edouard Philippe a été le premier, et pour l’instant le seul, à oser dire « je ne sais pas » quand il ne savait pas. Ce qui est incroyable, c’est qu’on ait trouvé ça incroyable! Imaginez : un dirigeant qui fait confiance aux Français… En 2003, avec Bernard Sananès, nous avons écrit La Société de défiance généralisée, où nous analysions la méfiance de l’opinion envers les élites. On voit aujourd’hui, avec la crise du Covid, qu’elle est le miroir de la défiance des élites envers le peuple. Cette absence de confiance réciproque alimente une crise démocratique dont les conséquences peuvent être dévastatrices.
Si l’on vous suit, la crise sanitaire n’est qu’un accélérateur, pas un déclencheur?
La crise sanitaire révèle de façon aiguë une crise structurelle de notre pays. Mais elle marque aussi un tournant. Du point de vue médiatique, cette pandémie a une portée anthropologique : jamais un événement n’avait autant capté l’attention des médias. Pendant deux mois, 80% des contenus d’information, dans l’audiovisuel et sur Internet, n’ont été consacrés qu’à ce sujet. Le 11 septembre 2001 avait connu la même intensité médiatique, mais durant trois jours! Aujourd’hui encore, la pandémie représente 60% des contenus. La comparaison avec la grippe de Hongkong à la fin des années 1960 est édifiante : même nombre de morts en France (30.000), même nombre de morts dans le monde (1 million), et pourtant, on ne s’en souvient quasiment pas. J’y vois une raison : la grippe de Hongkong est la dernière pandémie de l’ère Gutenberg, la nôtre est la première de l’ère numérique.
Ce que vous soulignez aussi, c’est la déconnexion entre la qualité des politiques sanitaires et le jugement porté par l’opinion.
D’un point de vue sanitaire, le bilan, provisoire, du gouvernement semble plutôt honorable. Pourtant, la France est, avec les Etats-Unis, le pays où l’opinion juge le plus sévèrement la gestion de la crise par ses dirigeants. A l’inverse, en Suède, alors que le gouvernement a fait des choix contestables, 71% des Suédois lui font encore confiance. Cela prouve que la communication est essentielle pour maintenir le lien démocratique.
Avez-vous envoyé votre livre à Emmanuel Macron et Olivier Véran?
Bien sûr! Je suis aussi allé présenter mes analyses à l’Elysée, devant la mission chargée de l’évaluation de la crise, et j’ai évidemment rencontré Olivier Véran.
Si vous deviez résumer d’une formule ce que vous leur avez dit?
Il n’est jamais trop tard pour changer!
* « Pandémie médiatique – Com de crise/Crise de com », Plon, 182 pages, 17 euros.