En Chine, l’épidémie pourrait avoir commencé en octobre 19
Ce qu’affirme un articlede Drew Hinshaw, Jeremy Page et Betsy McKay dans le Wall Street Journal.
Quelque 90 patients ont été hospitalisés dans le centre de la Chine pour des symptômes évocateurs de la Covid-19 deux mois avant que la maladie ne soit officiellement repérée à Wuhan fin 2019, affirment les enquêteurs de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), qui ajoutent avoir demandé aux autorités chinoises l’autorisation de poursuivre les tests pour savoir si la propagation du virus aurait pu débuter plus tôt que prévu.
Ces derniers mois, Pékin a réalisé des tests sérologiques sur environ deux tiers de ces patients, ont précisé les enquêteurs, et n’a trouvé aucune trace d’infection. Mais, selon les membres de l’équipe de l’OMS qui planche sur les origines de la pandémie, leurs anticorps ont peut-être baissé jusqu’à devenir indétectables.
« D’autres analyses sont nécessaires », a déclaré mercredi Peter Ben Embarek, spécialiste de la sécurité des aliments qui dirige la mission de l’OMS, à l’issue de quatre semaines en Chine.
Les membres de l’équipe précisent qu’ils ont incité le pays à réaliser davantage de tests sur les échantillons sanguins recueillis à l’automne 2019 dans le Hubei, la province où est située la ville de Wuhan, pour tenter de savoir à quel moment le virus a commencé de circuler. Les autorités chinoises affirment qu’elles n’avaient jusqu’à présent pas obtenu les autorisations nécessaires pour tester les échantillons, en grande partie stockés dans des banques de sang, soulignent les enquêteurs de l’OMS.
Pour de nombreux scientifiques, le virus avait commencé de circuler avant que, à Wuhan, le nombre de cas simultanés soit tel qu’il attire l’attention. A l’automne dernier, une modélisation réalisée par les chercheurs de l’université de l’Arizona et de l’université de Californie indiquait qu’il était possible que le virus ait été présent dans le Hubei dès la mi-octobre 2019 à un niveau faible
Les éléments fournis par Pékin soulèvent plusieurs questions : est-il possible que la Covid-19, qui a tué plus de 2,3 millions de personnes dans le monde, se soit propagée en Chine dès le mois d’octobre 2019 ? Une détection plus précoce aurait-elle permis de contenir la maladie avant qu’elle ne se transforme en pandémie mondiale ? La Chine affirme que le premier cas sur son sol a développé des symptômes le 8 décembre 2019.
Liang Wannian, responsable du panel d’experts de la Covid-19 de la commission nationale de santé chinoise, a déclaré mardi que les autorités chinoises avaient réalisé des tests sérologiques et vérifié les dossiers médicaux des patients de 233 hôpitaux et cliniques, sans trouver de preuves de présence du virus dans les environs de Wuhan avant début décembre 2019.
Aucune fluctuation inattendue de la mortalité due à la pneumonie ou d’autres maladies n’a été constatée dans les mois précédents, a-t-il ajouté, précisant que les ventes de médicaments contre la toux et le rhume n’indiquaient rien non plus.
La Chine cherche sans relâche à prouver qu’elle a bien géré une épidémie qui avait débuté en dehors de ses frontières. Mercredi, le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères a répété le message de Pékin : des éléments indiquent que le virus était présent dans d’autres pays, dont les Etats-Unis, au second semestre 2019. Il a incité ces pays à demander à l’OMS d’enquêter.
Mardi, l’OMS a également déclaré qu’il était peu probable que le virus se soit échappé d’un laboratoire à la suite d’un accident. L’agence des Nations unies va désormais concentrer son attention sur l’Asie du Sud-Est, où elle veut étudier la faune et les filières animales, a indiqué Peter Daszak, l’un des membres de la mission.
Pendant leur déplacement, les enquêteurs ont eu accès aux dossiers médicaux d’environ 92 personnes ayant séjourné dans les 233 établissements médicaux de la province du Hubei étudiés par les autorités chinoises. Ces 92 patients souffraient de pneumonie ou de symptômes évocateurs de la Covid-19. Pékin a souhaité réaliser des tests sérologiques sur ces malades ces derniers mois, mais environ un tiers d’entre eux a refusé ou était décédé, a précisé le docteur Embarek. Les tests des autres personnes se sont révélés négatifs, a-t-il indiqué.
« Les chiffres ne comptent pas forcément beaucoup. Ce qui compte, en revanche, c’est que l’on ne sait pas vraiment si les tests sérologiques sont fiables pour détecter les anticorps du SARS-CoV-2 plus d’un an après l’infection », a-t-il poursuivi. Fabian Leendertz, microbiologiste et chercheur à l’OMS, estime de son côté que la probabilité de retrouver des anticorps à ce stade est faible.
Marion Koopmans, virologue néerlandaise membre de l’équipe de l’OMS, est du même avis. « De ce que l’on sait de la sérologie, sur les 92 cas, il devrait y avoir au moins quelques résultats positifs, explique-t-il. Les anticorps sont là, leur niveau baisse, mais moins en cas d’infection grave. »
La possibilité que certains de ces 90 malades aient été contaminés par la Covid-19 pourrait expliquer la présence potentielle du virus en Europe et aux Etats-Unis en novembre et décembre 2019.
Dans une étude récente, des chercheurs italiens ont trouvé des preuves d’infection par la maladie chez un enfant de quatre ans, traité à Milan pour des problèmes respiratoires et des vomissements le 30 novembre 2019. Ils affirment avoir trouvé de l’ARN identique à une partie de celui du virus responsable de la Covid-19 lors de tests effectués a posteriori sur des échantillons pulmonaires du petit garçon et d’autres patients.
Le coronavirus était peut-être aussi présent aux Etats-Unis dès décembre 2019, soit plusieurs semaines avant la confirmation du premier cas dans le pays, le 19 janvier 2020.
Les chercheurs ont en effet trouvé des traces d’infection potentielle dans les échantillons de plusieurs dizaines de patients, sans que l’on sache pour autant combien avaient contracté le virus. Selon les chercheurs, l’hypothèse la plus probable est celle d’une naissance du virus ailleurs dans le monde, puis d’une importation sur le sol américain.
Pour de nombreux scientifiques, le virus avait commencé de circuler avant que, à Wuhan, le nombre de cas simultanés soit tel qu’il attire l’attention. A l’automne dernier, une modélisation réalisée par les chercheurs de l’université de l’Arizona et de l’université de Californie indiquait qu’il était possible que le virus ait été présent dans le Hubei dès la mi-octobre 2019 à un niveau faible.
L’OMS espérait avoir accès aux tests sérologiques de toutes les personnes hospitalisées autour de Wuhan pour des symptômes de la Covid-19 dans les jours qui ont précédé le premier cas connu. Ces tests auraient pu signaler une infection et fournir des informations précieuses… s’ils avaient été réalisés avant janvier dernier
Les symptômes de la Covid-19 peuvent ressembler à ceux d’autres maladies respiratoires. Pour Joel Wertheim, biologiste à l’université de Californie et co-auteur de l’étude, publiée en ligne et soumise à une revue scientifique pour publication, il serait étonnant que les 90 patients hospitalisés aient tous contracté le coronavirus, mais cela vaut la peine d’étudier leur dossier.
« Tout cas confirmé apporte des informations, tout séquençage du génome nous fait avancer, explique-t-il. Cela pourrait changer la manière dont nous envisageons le début de la pandémie. »
Mais pour Maureen Miller, épidémiologiste spécialiste des maladies infectieuses à l’université Columbia, « la politique a tout biaisé ». Le virus « circulait probablement beaucoup plus qu’on ne le pense… Il est trop tard pour faire des tests sérologiques, on a raté le coche. »
Pour l’équipe de l’OMS, l’hypothèse la plus probable est celle d’une propagation de la chauve-souris à un autre animal, puis à l’homme. Ils pensent aussi que le virus est peut-être arrivé en Chine depuis un autre pays, potentiellement dans des produits surgelés importés d’Asie du Sud-Est.
La Chine a toujours affirmé qu’il était impossible que le virus se soit échappé d’un laboratoire de Wuhan, possibilité qui, selon l’administration Trump, était étayée par de nombreuses preuves, qui n’ont jamais été révélées. Elle répète que l’agent pathogène est peut-être arrivé sur son sol par des produits surgelés.
Le docteur Liang explique que l’équipe chinoise a lu les études (non publiées) réalisées dans plusieurs pays dont l’Italie et suggérant que le virus circulait à l’étranger depuis plusieurs semaines déjà quand il a été découvert à Wuhan. L’équipe de l’OMS a, elle, indiqué qu’elle souhaitait examiner ces études plus en profondeur.
Mardi, les Etats-Unis ont déclaré que le virus ne pouvait provenir d’aucun autre pays que la Chine et ont demandé à voir les données sur lesquelles s’est appuyée la mission de l’OMS.
L’organisation espérait avoir accès aux tests sérologiques de toutes les personnes hospitalisées autour de Wuhan pour des symptômes de la Covid-19 dans les jours qui ont précédé le premier cas connu. Ces tests auraient pu signaler une infection et fournir des informations précieuses… s’ils avaient été réalisés avant janvier dernier.
En raison de ce dépistage tardif, l’OMS dépend des prélèvements sanguins réalisés autour de novembre 2019 et stockés depuis cette date dans des hôpitaux et des banques de sang. Mais les échantillons fournis n’étaient pas représentatifs de la population, déplorent les membres de l’équipe, qui soulignent qu’il s’agissait essentiellement d’enfants, ce qui n’apporte pas beaucoup d’information sur le début de la transmission.
Des études plus systématiques permettraient de savoir si le virus a circulé en Chine avant décembre 2019.
« C’est facile à demander, moins facile à faire, résume le docteur Koopmans, qui cite les déclarations des autorités chinoises indiquant qu’elles n’avaient pas obtenu l’autorisation de réaliser ces tests. La question a été abordée et il y avait sans conteste un intérêt du côté chinois. »
Thea Fischer, épidémiologiste danoise membre de l’équipe de l’OMS, raconte qu’elle a recommandé une étude sérologique systématique sur un échantillon représentatif de la population saine, à l’image de ce qui s’est fait dans d’autres pays, ce qui permettrait « de nous rapprocher d’une circulation potentielle antérieure ».
Elle avait demandé à rencontrer le centre de don du sang de Wuhan et compris, à l’occasion de la réunion, que des échantillons existaient et que les autorités étaient ouvertes à l’idée d’une étude conjointe.
Les chercheurs ajoutent qu’il était important de savoir si des échantillons de matière pulmonaire ou autre avaient été prélevés et stockés, et s’ils pouvaient être testés.
(Traduit à partir de la version originale en anglais par Marion Issard)