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Aménagement du territoire– La cohésion territoriale passe par l’économie

Aménagement du territoire– La cohésion territoriale passe par l’économie

 

 

Associé du cabinet de conseil PwC Strategy&, et ancien délégué aux Territoires d’industrie/2019-2020, ancien délégué aux Territoires d’industrie, le consultant Olivier Lluansi souligne, dans une tribune au « Monde », l’importance des dynamiques locales, au-delà des choix sectoriels de l’Etat central

 

Tribune

 

Entre 2009 et 2015, quand le pays détruisait massivement de l’emploi industriel, une cinquantaine de zones d’emplois ont continué à créer de l’emploi industriel. Il n’y a donc pas de fatalité. L’effet local – les caractéristiques et les dynamiques propres à un territoire donné – a été longtemps sous-estimé par nos politiques industrielles.

Il représente pourtant 38 % de la dynamique de l’emploi industriel d’un territoire, contre 52 % pour les conditions macroéconomiques (sur lesquelles, dans un contexte de mondialisation, les marges de manœuvre des gouvernants sont limitées), et seulement 10 % pour l’effet de spécialisation sectorielle (Denis Carré, Philippe Frocrain et Nadine Levratto, L’Etonnante Disparité des territoires industriels. Comprendre la performance et le déclin, Fabrique de l’industrie, 2019).


L’impératif de réindustrialisation, renforcé par la crise sanitaire, est une occasion unique de raccrocher nos territoires, ruraux et villes moyennes, au récit économique national. Il en va de notre cohésion nationale. 75 % des emplois industriels français sont situés en dehors des métropoles ; 71 % des projets d’investissements industriels étrangers se réalisent dans des communes de moins de 20 000 habitants.

Plusieurs défis à relever

La mise en place du programme Territoires d’industrie est une première réponse. Il a permis la sélection de 146 territoires fin 2018. En trois ans, ces territoires animés par un binôme élu local-industriel ont porté plus de 3 200 projets industriels. C’est le fruit d’un partenariat inédit entre les industriels, l’Etat, les régions, les intercommunalités et les opérateurs publics.

Pendant quarante ans, ces territoires ont été écartés des politiques publiques de développement économique, comme si seuls comptaient les métropoles et leurs services à valeur ajoutée. Ils ont démontré que leur dynamique et leur envie d’industrie dans notre pays étaient toujours là.


Évidemment, plusieurs défis restent encore à relever : le foncier productif, dont la rareté va être croissante dans les prochaines années et sans lequel les projets de relocalisation et de réindustrialisation ne pourront se réaliser ; la disponibilité des compétences, qui constitue un nœud criant du développement de notre outil productif depuis des années ; et enfin l’acceptabilité sociale de l’industrie : nombre de projets industriels sont bloqués par des contentieux.

Refaire cohésion par l’économie

Ce dernier point doit guider la réflexion collective. Le succès de la réindustrialisation reposera sur un constat simple : une industrie puissante est un élément essentiel pour répondre à certains grands défis de ce siècle (environnement, souveraineté, cohésion).

La cohésion territoriale passe par l’économie

La cohésion territoriale passe par l’économie

 

 

Associé du cabinet de conseil PwC Strategy&, et ancien délégué aux Territoires d’industrie/2019-2020, ancien délégué aux Territoires d’industrie, le consultant Olivier Lluansi souligne, dans une tribune au « Monde », l’importance des dynamiques locales, au-delà des choix sectoriels de l’Etat central

 

Tribune Entre 2009 et 2015, quand le pays détruisait massivement de l’emploi industriel, une cinquantaine de zones d’emplois ont continué à créer de l’emploi industriel. Il n’y a donc pas de fatalité. L’effet local – les caractéristiques et les dynamiques propres à un territoire donné – a été longtemps sous-estimé par nos politiques industrielles.

Il représente pourtant 38 % de la dynamique de l’emploi industriel d’un territoire, contre 52 % pour les conditions macroéconomiques (sur lesquelles, dans un contexte de mondialisation, les marges de manœuvre des gouvernants sont limitées), et seulement 10 % pour l’effet de spécialisation sectorielle (Denis Carré, Philippe Frocrain et Nadine Levratto, L’Etonnante Disparité des territoires industriels. Comprendre la performance et le déclin, Fabrique de l’industrie, 2019).


L’impératif de réindustrialisation, renforcé par la crise sanitaire, est une occasion unique de raccrocher nos territoires, ruraux et villes moyennes, au récit économique national. Il en va de notre cohésion nationale. 75 % des emplois industriels français sont situés en dehors des métropoles ; 71 % des projets d’investissements industriels étrangers se réalisent dans des communes de moins de 20 000 habitants.

Plusieurs défis à relever

La mise en place du programme Territoires d’industrie est une première réponse. Il a permis la sélection de 146 territoires fin 2018. En trois ans, ces territoires animés par un binôme élu local-industriel ont porté plus de 3 200 projets industriels. C’est le fruit d’un partenariat inédit entre les industriels, l’Etat, les régions, les intercommunalités et les opérateurs publics.

Pendant quarante ans, ces territoires ont été écartés des politiques publiques de développement économique, comme si seuls comptaient les métropoles et leurs services à valeur ajoutée. Ils ont démontré que leur dynamique et leur envie d’industrie dans notre pays étaient toujours là.


Évidemment, plusieurs défis restent encore à relever : le foncier productif, dont la rareté va être croissante dans les prochaines années et sans lequel les projets de relocalisation et de réindustrialisation ne pourront se réaliser ; la disponibilité des compétences, qui constitue un nœud criant du développement de notre outil productif depuis des années ; et enfin l’acceptabilité sociale de l’industrie : nombre de projets industriels sont bloqués par des contentieux.

Refaire cohésion par l’économie

Ce dernier point doit guider la réflexion collective. Le succès de la réindustrialisation reposera sur un constat simple : une industrie puissante est un élément essentiel pour répondre à certains grands défis de ce siècle (environnement, souveraineté, cohésion).

« Déconstruction ou reconstruction d’une cohésion nationale » ? (Xavier Bertrand)

«  Déconstruction ou  reconstruction d’une cohésion nationale » ? (Xavier Bertrand)

 

Le président de la région Hauts-de-France et candidat à l’élection présidentielle juge, dans une tribune au « Monde », « injustes » les propos récents d’Emmanuel Macron sur la chaîne américaine CBS. Prétendre qu’il faut « déconstruire » notre histoire instille, selon lui, un « poison mortel » dans l’unité de la France.

 

Tribune. 

 

L’histoire est à une nation ce que la mémoire est à un individu. Elle fonde son identité : elle est donnée, tout entière, en héritage à ceux qui naissent sur le sol de France, et en partage à ceux qui veulent devenir français. Elle éclaire notre action. Elle nous permet de nous projeter vers l’avenir. Avec ses dimensions de grandeur et sa part d’ombre, notre histoire nous définit et forme le socle de nos valeurs.

Pourtant, sans même mesurer l’atteinte portée à notre dignité nationale, le chef de l’Etat, sur un média étranger [sur CBS News, dans l’émission « Face the Nation », dimanche 18 avril], en anglais, vient d’affirmer qu’il fallait « déconstruire » notre histoire. Au-delà de l’inconséquence sur la forme, cette position est d’une profonde naïveté. Elle est injuste au regard de ce qu’est la France. Elle instille un poison mortel dans notre unité nationale.

 

Naïveté. Monsieur le Président, ce qui est en jeu aujourd’hui, ce n’est pas le nécessaire devoir de mémoire et la lutte indispensable contre toutes les formes de discriminations. C’est un combat à mort qui est engagé contre nos valeurs, contre notre modèle de société. En instrumentalisant le débat sur la colonisation et l’esclavage, les démolisseurs de notre civilisation cherchent à imposer l’idée que l’Occident se serait construit sur l’asservissement et le crime, et qu’il continuerait aujourd’hui, dans le fonctionnement même de nos sociétés, à obéir à ces logiques. Ils gangrènent l’esprit de tant de nos enfants : vous ne pouvez pas, vous ne pouvez plus l’ignorer.

 

Ce qui est à l’œuvre, c’est une nouvelle guerre idéologique, sans merci, dans laquelle ont fait leur jonction les ennemis jurés de l’humanisme : l’islamisme radical et l’ultragauche. Comment vous, le chef de l’Etat, garant de l’unité nationale, pouvez-vous être assez aveugle pour prêter la main à cette entreprise de destruction de ce que nous sommes ?

Injustice. Loin de moi l’idée de réfuter la nécessité de faire retour sur notre histoire, d’engager les débats nécessaires, de nommer les choses afin que nous puissions tous ensemble, unis, nous projeter vers l’avenir. Mais il est hors de question de laisser penser, de laisser dire, que notre société serait fondée sur une logique de domination et de discrimination institutionnalisée. C’est une insulte à la vérité et à l’honneur de notre nation qui, dans l’histoire, a porté, dans une logique universelle, des valeurs qui ont permis l’émancipation de chacun. Une nation qui, aujourd’hui encore, est sans doute la plus solidaire au monde.

Une Agence nationale de la cohésion des territoires : pour quoi faire ?

Une  Agence nationale de la cohésion des territoires : pour quoi faire ?

 

 

 

A priori, Il paraît pour le moins curieux de créer une agence nationale (ANCT, Agence nationale de la cohésion des territoires ) pour favoriser le développement et la cohérence des territoires. On sait que la France souffre d’une centralisation extrême et que la responsabilité des structures locales demeure réduite. D’ailleurs sur deux nombreux champs d’activité économique, sociaux  ou sociétaux, c’est encore le préfet qui décide en dernier ressort. Une différence de taille avec peut se passer dans d’autres pays comparables comme l’Allemagne ou encore l’Espagne. En France, on crée une administration étatique supplémentaire pour favoriser le développement local. Une curieuse manière de favoriser la décentralisation. De toute manière l’agence demeurera sous la tutelle de l’État ;  pire, le préfet sera le représentant local de l’agence. L’ANCT se veut «un guichet unique» vers lequel pourront se tourner les élus locaux, porteurs de projets, qui se retrouvent souvent à l’heure actuelle dans «un maquis administratif», selon Jacqueline Gourault, ministre de la Cohésion des territoires. La future agence englobera le Commissariat général à l’égalité des territoires (CGET), l’Agence du numérique et l’Établissement public d’aménagement et de restructuration des espaces commerciaux et artisanaux (Epareca). Pour la gouvernance de l’agence, le Sénat avait instauré la parité entre représentants de l’Etat et élus locaux, mais l’Assemblée a rétabli la majorité pour l’Etat. Au Palais Bourbon, les élus Libertés et territoires ont redit leur mécontentement quant à un «schéma jacobin» et ont voté majoritairement contre la proposition de loi, tout comme les élus PCF et LFI. Socialistes et LR se sont abstenus, jugeant qu’elle n’était «pas à la hauteur des ambitions et des attentes des élus locaux», tandis que députés LREM, MoDem et UDI se sont prononcés pour.

La politesse une affaire politique pour la cohésion de la société (Frédéric Rouvillois)

La politesse une affaire politique pour la cohésion de la société (Frédéric Rouvillois)

Dans le cadre la sortie du Dictionnaire nostalgique de la politesse, Frédéric Rouvillois, historien  a accordé un entretien fleuve au FigaroVox.

Pourquoi avoir ainsi intitulé votre ouvrage? Y a-t-il des raisons d’être nostalgique en matière de politesse?

 

Frédéric ROUVILLOIS. – Il se trouve que dans la politesse elle-même, il y a quelque chose qui relève nécessairement de la nostalgie parce que celle-ci nous renvoie à des us et des coutumes qui sont ceux de notre enfance, de notre jeunesse, certains qui se sont accentués, d’autres qui ont été effacés par le temps. Parler de politesse, c’est aussi parler de soi, de ses parents, de ses grands-parents, de toute une tradition qui se trouve derrière nous et d’où nous viennent nos codes de politesse. Il y a cette forme de douceur et de tendresse dans la politesse qui me semblait renvoyer à la nostalgie. C’est l’aspect le plus personnel que j’ai essayé d’instiller dans ce Dictionnaire nostalgique.

 

Votre dictionnaire est aussi un livre d’histoire et de géographie. Vous évoquez la Chine impériale, l’Allemagne, les pays arabes. En montrant combien les règles de la politesse ont évolué et sont «la mesure du temps perdu», vous restez dans la nostalgie sans jamais basculer dans le désespoir du «c’était mieux avant»…

 

Le désespoir est le contraire de la nostalgie. Il y a inscrit dans la nostalgie l’idée d’un retour ou de retrouvailles, ce que ne permet pas le désespoir. Être désespéré de l’homme, c’est ne pas voir qu’il a toujours reproduit les mêmes merveilles et les mêmes crimes, les mêmes sottises et les mêmes choses admirables. L’homme poli de l’époque d’Aristote, de Cicéron ou de Saint-Augustin ressemble au fond à l’homme poli de l’époque de Louis XV ou à l’homme poli de l’époque de François Hollande. La géographie et l’histoire nous enseignent le caractère à la fois éternel et universel de la politesse, la permanence de sa nécessité, même si ses formes évoluent. Alors, elle peut être plus ou moins sophistiquée, chatoyante, complexe, byzantine, sincère, mais elle est toujours là. Comme le langage, elle est un des éléments fondamentaux des rapports sociaux, un élément sans lequel ceux-ci seraient assez rapidement condamnés à dérailler.

 

Et aujourd’hui, comment notre époque regarde-t-elle la politesse?

Il y a un rapport entre la crise économique et la prise de conscience de l’utilité de la politesse.

La politesse connaît des hauts et des bas, mais il faut constater que l’on est plutôt dans un haut relativement à la période des années 1960 ou 1970 quand celle-ci était considérée comme ringarde, archaïque, périmée, bourgeoise, bref, réservée aux lecteurs du Figaro (rires…). Les choses ont changé positivement à partir de la fin des années 1980 et du début des années 1990. On a assisté à une espèce de renversement, qui est lié à mon sens à l’émergence de l’univers de la crise. Il y a sans doute un rapport entre la crise économique et sociale, la montée du chômage, le sentiment que la vie devient plus difficile, le sentiment que l’on a quitté les Trente glorieuses et la prise de conscience de l’utilité de la politesse. Quand tout va bien, la politesse est juste la cerise sur le gâteau. Quand les choses deviennent plus difficiles, elle reprend toute sa force et son utilité s’impose. Les gestes quotidiens de la politesse deviennent le liant de ce fameux vivre ensemble.

 

La politesse est-elle donc une affaire politique?

Il y a d’abord une proximité dans les mots de politesse et de politique qui paraît évidente en français et dans d’autres langues. Dans les deux cas, il y a une racine qui apparaît commune – même si en fait ce n’est pas vrai – qui est celle de polis, la cité en grec, qui signifie plus largement la société, le fait d’être ensemble, d’être en relation avec autrui. Il semblerait que l’étymologie réelle de politesse viendrait de «pulizia» qui veut dire la propreté en italien. Pour autant, je suis très amateur des fausses étymologies. En l’espèce, la proximité entre politesse, politique et polissage dit beaucoup de l’objectif de la politesse, qui est précisément de fluidifier les relations au sein de la société. En polissant les rapports sociaux, elle permet qu’il y ait le moins possible de rugosité à l’intérieur de la société. Sans elle, la polis risque de basculer dans un rapport de violence verbale voire physique.

 

Que répondre à ceux qui vous diront que les règles bourgeoises de la politesse sont un éloge de l’hypocrisie, qu’elles sont une sorte de paravent de l’ordre établi?

 

Mais, déjà, un paravent, ce n’est pas rien! Ce n’est pas intrinsèquement mauvais. Certes, la politesse est effectivement une forme d’hypocrisie, mais il s’agit – si je puis le dire ainsi – d’une forme d’hypocrisie vertueuse. Ce n’est pas nouveau et nous en avons toujours eu conscience. Molière nous a tout appris sur la nature humaine dans le Misanthrope. Il nous décrit bien les limites de la politesse, de la bienséance et du savoir-vivre quand ceux-ci tombent trop évidemment dans l’hypocrisie, mais il montre également que si nous voulons être comme Alceste dans la transparence totale, nous finirons seul, loin des autres, y compris dans notre vie amoureuse. Cette hypocrisie vertueuse permet tout simplement de mettre un peu d’huile dans les rouages sociaux. Il faut savoir ne pas tout dire, sinon c’est la guerre.

 

Pour qu’une société tienne debout, faut-il que ses membres partagent une certaine ressemblance dans les codes de politesse qu’ils adoptent? En particulier, dans le cadre d’un projet politique multiculturaliste, quand les codes de politesse des différentes communautés sont extrêmement différents et sources de possibles incompréhensions, la politesse n’est-elle pas une gageure supplémentaire?

 

Vous avez certainement raison. À partir du moment où la politesse est un moyen de vivre ensemble, il y a un risque d’incompréhension des différents systèmes de politesse qui pourraient cohabiter entre eux. Si l’on a des communautés distinctes les unes des autres, qu’il existe des codes de politesse dans une communauté qui sont tout à fait dissemblables de ceux d’une autre communauté qui vit à côté, cela signifie que nous aurions un vivre ensemble à l’intérieur des communautés, mais pas entre elles. Ceci peut poser problème pour des choses extrêmement basiques. Le fait de cracher dans la rue a longtemps été considéré comme tout à fait normal, y compris en Occident. Mais, dans nos pays, cette pratique ne l’est plus depuis belle lurette alors qu’elle reste tout à fait admise dans d’autres systèmes de politesse. Pour que la politesse se constitue comme un liant au sein de la société, il faut que celle-ci soit relativement homogène ou qu’il existe de forts rapports hiérarchiques. Au 18e siècle, il n’y avait pas un seul système de politesse. Il y avait une politesse de la ville et une politesse des champs. Mais en définitive, elles n’avaient pas tellement l’occasion de se rencontrer. Les risques de friction n’étaient pas considérables. À la campagne, on se moquait éventuellement du noble qui se comportait comme à la Cour. De même, à la ville, on se moquait du paysan qui arrivait avec ses gros sabots. Dans une société urbaine comme la nôtre, où les communautés cohabitent entre elles, le risque me semble beaucoup plus grand.

 

Vous parlez aussi du culte de la performance, de la vitesse, de la rationalisation… Un tel monde permet-il d’être poli?

La politesse est par définition quelque chose de gratuit.

C’est le problème principal qui se pose à nous aujourd’hui. Quand je pense en particulier à ce qu’a pu écrire Françoise Mélonio sur Tocqueville et la manière dont la politesse pouvait se pratiquer aux États-Unis, je me dis que la question est moins celle du rapport entre la politesse et la démocratie que celui qui s’établit entre la politesse et la modernité technicienne. Ce monde tous azimuts fait que nous n’avons plus le temps de rien, sauf de gagner de l’argent ou de gagner en efficacité. Or, la politesse est par définition quelque chose de gratuit, ce qui est incompatible avec l’idée de performance, d’efficacité et de productivité.

 

La politesse est-elle vraiment un don gratuit? N’existe-t-il pas une forme de contre-don, même implicite?

Il y a effectivement un contre-don qui est le remerciement de celui envers qui l’on est poli. Il existe un autre contre-don, plus subtil, qui est simplement le plaisir que l’on éprouve soi-même à tenir la porte à quelqu’un. Mais dans un système où le seul but est d’aller au plus simple, au plus utile et au plus rentable, cette idée de gratuité compensée seulement par le remerciement ou le plaisir d’être poli devient illusoire. La première caractéristique de la politesse est en effet que l’on accepte de donner du temps à autrui. Dans la civilisation pressée de Paul Morand, le temps est la chose au monde la moins bien partagée. Il y a là une vraie raison d’éprouver de la nostalgie pour la politesse qui prenait le temps de s’exprimer. Les 18e et 19e sont des siècles où les gens avaient le temps de déposer des cartes de visite, d’écrire de longues lettres terminées par des formules de politesse plus alambiquées mais aussi plus belles les unes que les autres. Cette époque-là n’est plus. Le fait d’avoir commencé mon dictionnaire nostalgique par le mot abréviation est au fond assez significatif de ce mouvement. En même temps, je remarque que revient en force l’idée que la lenteur est quelque chose d’important et qu’il y a des «limites» aux choses – pour reprendre le titre d’une jeune revue que j’aime beaucoup. Ce sont des valeurs qui sont intrinsèquement bonnes et qu’on peut essayer de retrouver. Ce sont des éléments qui font que, encore une fois, politesse pas morte!




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