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Co-développement: Quelles aides publiques face aux crises ?

Co-développement: Quelles aides publiques face aux crises ?

Par
Florian Léon
Chargé de recherche, Fondation pour les Etudes et Recherches sur le Développement International (FERDI); Chercheur associé au CERDI (UMR UCA-CNRS-IRD), Université Clermont Auvergne (UCA) dans The Conversation

Jean-Baptiste Jacouton
Chargé de recherche, Agence française de développement (AFD) dans The Conversation .

Les 22 et 23 juin prochains se tiendra à Paris le Sommet pour un nouveau pacte financier mondial voulu par le président français Emmanuel Macron. L’objectif est de proposer des solutions pour faciliter l’accès des pays vulnérables aux financements nécessaires pour faire face aux conséquences des crises récentes et futures. Cet agenda place les banques publiques de développement au centre du débat et témoigne de la renaissance institutionnelle dont jouissent ces institutions depuis plusieurs années. Selon la base de données produite conjointement par l’Agence française de développement (AFD) et l’Institute of New Structural Economics de l’Université de Pékin, il existe plus de 500 banques publiques de développement, réparties sur tous les continents, et totalisant 23 000 milliards de dollars d’actifs. Cet écosystème regroupe des institutions très diverses. Les banques publiques de développement constituent un maillon essentiel pour le financement des économies vulnérables, notamment en période de crise. Divers travaux ont mis en évidence l’importance de ces banques pour soutenir l’activité économique durant une crise, au moment où les flux financiers privés se tarissent.

La capacité d’action contracyclique des banques publiques de développement repose sur deux raisons principales.

D’une part, ces acteurs ont un mandat explicite ou implicite de soutien à l’activité en période de crise. Ce rôle s’est confirmé au cours de la crise sanitaire pendant laquelle de nombreux pays ont utilisé leurs banques publiques de développement pour soutenir les entreprises les plus vulnérables, en particulier les plus petites.

D’autre part, les banques publiques de développement sont des institutions dont les ressources sont moins sensibles aux variations du cycle économique, comme nous l’avons montré dans une étude portant sur les banques publiques africaines. Contrairement aux banques commerciales, elles accueillent peu de dépôts et bénéficient d’une garantie implicite de l’État. Autrement dit, en période de crise, leurs ressources sont stables et elles peuvent maintenir leur activité tandis que les banques privées voient leurs ressources se contracter.

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Certaines banques publiques de développement accroissent même leur activité en période de crise. Lors de la pandémie de Covid-19, l’US Small Business Administration a par exemple vu ses capitaux propres multipliés par 53 pour soutenir les entreprises états-uniennes, en faisant l’une des plus grosses banques publiques de développement au monde.

Bien qu’essentiel, le rôle des banques publiques de développement à la suite d’un choc risque de devenir insuffisant dans le futur. En effet, la multiplication et l’intensification des crises (économiques, climatiques, géopolitiques, sanitaires, etc.) met en danger leur capacité d’adaptation. Sous pression constante pour soutenir l’économie et la société, les banques publiques de développement accroîtraient leur exposition aux risques (par exemple en finançant des entreprises qui auraient fait faillite indépendamment de la survenue d’une crise), menaçant la pérennité de leurs activités.

Dès lors, il paraît essentiel que les banques publiques de développement adoptent une approche plus proactive, alors qu’elles restent dans une optique très réactive (soutien à l’économie suite à une crise). En orientant leurs activités vers les secteurs sociaux, en contribuant activement à la réduction des inégalités ou en renforçant la résilience face aux changements climatiques, leurs investissements doivent permettre de réduire l’ampleur et les conséquences des chocs en cas d’occurrence, autrement dit la vulnérabilité des économies.

La Banque africaine de développement, l’une des quelque 500 banques de développement recensées dans le monde. Shutterstock
Les banques privées ne sont pas incitées pour investir dans de tels projets, généralement associés à des rendements financiers limités et des risques élevés, en dépit d’impacts forts à long terme sur l’économie, la société ou l’environnement. Ainsi, les banques de développement doivent davantage de combler ce vide et entraîner avec elles des investissements privés.

Or, dans une étude récente, nous montrons que le narratif stratégique de nombreuses banques publiques de développement reste principalement centré sur la croissance économique et le financement des infrastructures, au détriment des considérations environnementales, notamment en matière de biodiversité, et sociales (réduction de la pauvreté et des inégalités économiques).

Il convient de se confronter aux défis que pose le passage à une vision proactive du rôle des banques publiques de développement. Trois points clés, parmi de nombreuses autres questions, sont soulevées ci-dessous.

Tout d’abord, les banques publiques de développement sont appelées à jouer un rôle clé dans les transitions. Les pays les plus vulnérables souffrent souvent d’une vulnérabilité multi-dimensionnelle : économique, sociale, politique, climatique.

Disposant de ressources limitées et de mandat parfois très spécifique, les banques publiques de développement se retrouvent confrontées à des arbitrages : un projet d’infrastructures peut permettre de désenclaver un territoire mais peut s’avérer très émissif ; la mise en œuvre de zones protégées peut se faire au détriment des agriculteurs locaux qu’il convient de dédommager. La gestion de ces arbitrages nécessite que les banques publiques de développement soient suffisamment bien outillées pour appréhender les impacts ex ante et ex post de leurs projets.

Afin d’être proactive, les banques publiques de développement doivent également pouvoir innover. Ce constat s’applique notamment aux banques nationales de développement, qui ont une meilleure connaissance des problématiques des géographies dans lesquelles elles interviennent. Les gouvernements doivent garantir l’indépendance de leurs banques nationales et viser à leur donner un cadre stratégique plutôt que d’entrer dans des logiques de micro-management.

Dans ce contexte, les banques nationales de développement devraient pouvoir innover en matière de processus, d’instruments financiers, d’accompagnement de leurs clients. En initiant les premières obligations vertes, ou via le co-financement de projets avec des investisseurs privés (financement mixte ou « blended finance »), les banques multilatérales telles que la Banque mondiale ou la Banque européenne d’investissement ont déjà montré que l’écosystème des banques publiques de développement a la capacité d’impacter les marchés financiers de façon significative. Aussi, les institutions multilatérales sont appelées à travailler davantage avec les banques nationales de développement pour renforcer leur capacité de financement et d’innovation.

Enfin, la puissance de feu des banques publiques de développement doit s’inscrire en synergie avec d’autres acteurs, notamment privés. L’ampleur des montants à engager (3 900 milliards de dollars par an) pour financer les transitions ne peut être assumée seulement par des investissements publics.

Il s’agit donc de mobiliser l’épargne privée mondiale pour la traduire en impacts positifs pour l’environnement et la société. Au-delà des investisseurs institutionnels, les banques publiques de développement sont également appelées à travailler plus étroitement avec les organisations philanthropiques, les organisations de la société civile, et les régulateurs (tels que le réseau des banques centrales et superviseurs pour le verdissement du système financier).

Ces différents enjeux, parmi tant d’autres, ont conduit à la création du mouvement Finance en Commun, initié en 2020 par l’AFD. En rassemblant l’ensemble des banques publiques de développement, Finance en Commun vise à accroître les échanges d’expérience et l’expertise de ces institutions. Dans le même temps, l’inclusion dans un réseau structuré permet aux banques publiques de développement de gagner en visibilité sur la scène internationale, avec pour but de catalyser davantage de financements en faveur des Objectifs de développement durable des Nations unies.

Afrique et co-développement : des projets rentables

Afrique et co-développement : des projets rentables

 

 

 

Un article intéressant de Charles-Henri Malécot est ancien directeur général de Stoa dans l’Opinion sur la possibilité de participer au co-développement en Afrique il y a des projets rentables financés par des fonds privés. Reste que l’analyse est très discrète pour ne pas dire très allusive pour dénoncer l’un des principaux maux de l’Afrique : la corruption. NDLR

 

«Des fonds d’investissement français spécialisés dans les infrastructures comme Meridiam et Stoa permettent de financer, sans accroître l’endettement, des projets rentables à fort impact sur le développement et le réchauffement climatique»

J’étais présent à Ouagadougou le 28 novembre 2017 lorsque le président de la République, Emmanuel Macron, a prononcé un remarquable discours destiné à la jeunesse africaine. Il a alors énuméré les grands défis auxquels elle est confrontée : extrémisme religieux et terrorisme, réchauffement climatique, explosion démographique et place des femmes, éducation, développement économique, urbanisation, démocratie… Et tout cela en même temps…

Quatre années et demie plus tard, force est de constater que ces défis demeurent et que leur résolution n’a pas beaucoup avancé. On a même l’impression que dans certains domaines la situation s’est aggravée. Certes la crise sanitaire n’a pas arrangé les choses, mais elle n’explique pas tout. Elle n’explique pas la dégradation de la situation dans un certain nombre de domaines et de pays. Elle n’explique notamment pas le fait que la situation de la démocratie et de l’Etat de droit ait reculé dans un certain nombre de pays, il suffit de constater la série de coups d’Etat qui viennent de se produire — et ce n’est pas fini —, et la liste des pays en guerre civile.

Peu de pays africains connaissent une situation stable, démocratique, où les principes de l’Etat de droit sont respectés et permettent d’envisager un développement économique conséquent seul capable de résoudre les problèmes évoqués par le président de la République.

Et pourtant, pendant la période récente, des milliards d’euros et de dollars ont été déversés sur l’Afrique par les institutions internationales, et par les Etats occidentaux, dont la France. Et l’Afrique est redevenue surendettée, avec un ratio dette publique/PIB supérieur à 65 %, en grande partie à cause de la Chine qui détient plus de 60 % de la dette extérieure bilatérale de l’Afrique subsaharienne.

Selon les statistiques de l’OCDE, l’aide totale bilatérale et multilatérale destinée à l’Afrique s’est élevée à environ 60 milliards de dollars en 2020. Pour ce qui concerne la France uniquement, l’aide publique au développement bilatérale destinée à l’Afrique s’élève à plus de 3 milliards d’euros par an (3,6 milliards en 2020), soit sous forme de dons, soit sous forme de prêts de l’Agence française de développement.

« L’argent de l’aide publique au développement, celui des organisations multilatérales appuyées par les Etats occidentaux, doit servir à financer la consolidation de la démocratie, à financer l’éducation, la mise en place de législations solides et le renforcement des systèmes judiciaires »

Ces montants considérables, ce « pognon de dingue », n’ont pas permis de résoudre les défis du sous-développement africain, et ont été déversés en vain, même s’ils n’ont pas été perdus pour tout le monde… Et cela fait soixante ans que cela dure… Il faut donc changer de méthode !

L’urgence absolue est de renforcer les Etats et de les transformer en Etats de droit. L’argent de l’aide publique au développement, celui des organisations multilatérales appuyées par les Etats occidentaux, doit servir à financer la consolidation de la démocratie, à financer l’éducation, la mise en place de législations solides et le renforcement des systèmes judiciaires, de la police aux services de la justice, et de l’armée pour combattre le terrorisme.

Parallèlement les infrastructures de base doivent être consolidées, souvent même créées. Les besoins sont énormes, la Banque africaine de développement les estime à 170 milliards de dollars par an, et les financements publics ne suffiront pas.Les fonds privés doivent utilement les compléter. Des fonds d’investissement spécialisés dans les infrastructures en Afrique existent. Certains sont français, Meridiam, Stoa. Ils permettent de financer, sans accroître l’endettement des Etats, des projets rentables à fort impact sur le développement et le réchauffement climatique, avec des effets de levier très importants : un euro investi par ces fonds permet de financer environ 15 euros d’infrastructures, car ils attirent d’autres fonds propres et les SPV (special purpose vehicules) créés pour financer et gérés ces projets.

D’autre part, ces fonds s’engagent dans la gestion et l’entretien sur le long terme de ces infrastructures à travers ces SPV, évitant ainsi les « éléphants blancs » trop souvent financés par l’aide internationale non intéressée aux résultats financiers de ces infrastructures. Ainsi Stoa participe-t-il au capital de la SPV qui construit et va gérer le barrage hydroélectrique de Nachtigal au Cameroun aux côtés d’EDF et de l’IFC (International finance corporation). Cette SPV a levé de la dette auprès d’une quinzaine d’établissements financiers locaux et internationaux pour compléter le financement de ce barrage de 420 mégawatts qui va fournir plus de 30 % des besoins d’électricité du Cameroun à un prix inférieur au prix actuel de l’électricité dans le pays.

« La France devrait encourager le développement de ces fonds d’investissement, sans pour autant y consacrer d’argent public. Ce n’est pas l’argent privé qui manque »

C’est donc un projet à fort impact pour le développement du pays, qui va lui fournir de l’énergie totalement décarbonée à un prix compétitif, et qui sera également rentable pour les investisseurs sous réserve qu’ils arrivent à contrôler la construction et l’exploitation pendant la durée de vie de cet équipement. Les dividendes, qui seront perçus si tout va bien par les investisseurs, ne sont pas de l’argent soustrait au Cameroun, mais bien au contraire une juste rémunération du risque pris et du service rendu, qui va permettre de réinvestir dans de nouveaux projets à fort impact. Un cercle vertueux s’installe !

La France devrait encourager le développement de ces fonds d’investissement, sans pour autant y consacrer d’argent public. Ce n’est pas l’argent privé qui manque. Les grandes compagnies d’assurances, les familly offices, recherchent des placements rentables à impacts. Un fonds de deux milliards d’euros pourrait financer environ trente milliards d’euros d’infrastructures, routes, ports, barrages, solaire, éolien, etc.

Voilà ce dont a besoin l’Afrique. Le cercle vertueux du développement économique peut résoudre les immenses défis de ce continent si nous osons aborder de face les causes premières du sous-développement, la corruption et l’absence d’Etat de droit.

Charles-Henri Malécot est ancien directeur général de Stoa et a été expert pour la Banque mondiale.




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