Macron : une image clivante (Bruno Cautrès, chercheur)
Dans uen interview sur Atlantico le chercheur explique que l’intensification du clivage entre les pros et les antis Macron s’intensifie. Un clivage nourri autant par les positions de Macron que par son style. Extraits :
« L’annonce par le Premier ministre de la réforme de la SNCF et de la méthode de cette réforme (par ordonnances) constitue sans aucun doute un tournant dans la perception par les Français des deux têtes de l’exécutif. L’enquête publiée ces jours-ci par BVA pour son Observatoire de la politique nationale (février 2018) permet d’en prendre la mesure, notamment à propos de l’image d’Emmanuel Macron.
Quelque chose de très important est en train de se passer. Grâce à la richesse des réponses apportées à une question ouverte posée aux personnes interrogées sur cette image, on voit que le clivage entre les opinions positives et les opinions négatives est non seulement très important mais qu’il gagne en intensité. Mais surtout, il n’est pas symétrique : les mots utilisés pour exprimer les opinions négatives sont souvent plus forts et davantage connotés que pour les opinions positives ; ces dernières expriment un registre de commentaires moins diversifié. C’est presque toujours la détermination et le dynamisme dont fait preuve Emmanuel Macron, le fait qu’il tienne ses engagements et qu’il veut faire bouger les lignes qui sont salués.
Les opinions négatives sont en revanche nettement plus diversifiées et fortement exprimées. Regardons cela de plus près car il se passe vraiment quelque chose. On peut parler d’une forme de colère, parfois presque de rage, contre Emmanuel Macron qui s’exprime ; c’est même stupéfiant à propos du style présidentiel.
C’est tout d’abord l’image du « président des riches », qui est à présent stabilisée dans une partie de l’opinion ; mais les mots associés à cette image sont devenus plus péjoratifs : il « ne pense qu’à ses amis nantis » nous dit un sympathisant du NPA, « c’est le président des chefs d’entreprise, il déteste les plus démunis et la classe ouvrière dans son ensemble, toutes les lois mises en place sont faites par le MEDEF et pour les plus fortunés de ce pays » déclare un sympathisant de la France insoumise, « il fait tout contre le peuple… ce n’est pas un être humain » nous dit un autre ; « il est hautain, déconnecté de la souffrance sociale » dit encore un autre.
A cette première image vient se greffer celle d’un président qui n’est pas à l’écoute, qui est « déconnecté », « un dictateur » dit même une personne : « la tendance s’accentue vers une façon de gouverner sans appui sur la population et sans un regard vers les personnes en difficulté » dit un sympathisant du PS qui a voté B. Hamon puis Emmanuel Macron pourtant ; « il ne prend pas le temps de l’écoute, du dialogue. Il passe en force dans des domaines importants, il est souvent hautain, dédaigneux » dit un autre électeur qui n’est proche d’aucun parti et a voté également pour B. Hamon puis Emmanuel Macron ; « il est arrogant, il n’en a rien à faire du petit peuple » dit un électeur de François Fillon. Le passage au Salon de l’Agriculture et les images des dialogues parfois tendus avec des syndicalistes agricoles ont ici beaucoup joué : « il se croit supérieur aux paysans, dans sa façon de leur parler » dit un électeur frontiste.
Un troisième image négative est fortement présente, celle du président qui veut, à travers la réforme de la SNCF, s’en prendre au service public, au secteur public et au « social » : « il est obsédé par la destruction de la fonction publique, pour favoriser au maximum les intérêts privés », dit un sympathisant PS qui a voté pour B. Hamon puis pour Emmanuel Macron ; il « veut démanteler le système social français » dit un électeur de la France insoumise qui a pourtant voté pour Emmanuel Macron au second tour ; il « veut tout révoquer, les acquis sociaux, les acquis du travail et les retraites, mais ne touche pas les profits du patronat », dit un électeur de la France insoumise.
Si l’actuel pouvoir a bien retenu les leçons de l’hiver 1995, un sillon plus profond, plus silencieux et moins visible est peut-être en train de se creuser : un sillon d’incompréhension entre Emmanuel Macron et une partie de l’opinion, de sensibilité FN bien sûr mais aussi de gauche, même lorsqu’il s’agit d’électeurs de gauche du second tour de l’actuel Président. Une forme de radicalité exaspérée s’exprime dans plusieurs segments de l’électorat contre le style présidentiel au moins autant que contre ses choix politiques.
Bruno Cautrès
Bruno Cautrès est chercheur CNRS et a rejoint le CEVIPOF en janvier 2006. Ses recherches portent sur l’analyse des comportements et des attitudes politiques