L’âge des citadelles identitaires
Le nouveau livre de l’essayiste d’Elisabeth Roudinesco est une enquête inspirée sur l’obsession contemporaine à assigner une identité à chacun : un manuel de progressisme pragmatique.
Par Florent Georgesco du Monde
« Soi-même comme un roi. Essai sur les dérives identitaires », d’Elisabeth Roudinesco, Seuil, « La couleur des idées », 276 p., 17,90 €, numérique 13 €.
Qui est Elisabeth Roudinesco* ? A sa surprise, la question, ce jour-là, à Beyrouth, prend vite l’allure d’un problème d’appartenance, religieuse de surcroît. Son interlocuteur, relevant son nom roumain, suppose qu’elle est orthodoxe. Mais non ; tout sauf ça, en réalité. Issue d’une famille en partie juive, en partie protestante, élevée dans le catholicisme, athée, elle ne peut se revendiquer que d’une identité, laquelle n’en est pas une, mais vous permet à la fois d’assumer la mosaïque qui vous constitue et de ne pas y être assigné : elle est la citoyenne d’un pays laïque, où elle peut dire, avec Michel Serres, « je suis je, voilà tout ».
La scène ouvre Soi-même comme un roi et pourrait tromper sur la nature du nouvel essai de l’historienne de la psychanalyse, qui n’a pas grand-chose à voir avec une confession. Rapidement, le « je » s’estompe, les dossiers s’ouvrent et, au long de ce qui se révèle une enquête sur l’obsession du prisme identitaire dans les débats contemporains, les grandes et moins grandes figures intellectuelles du passé et du présent sont convoquées, de Simone de Beauvoir, Jean-Paul Sartre, Frantz Fanon, Aimé Césaire ou Jacques Derrida à Robert Stoller, Judith Butler ou Eric Fassin.
La question, dès lors, pourrait devenir, si l’interlocuteur beyrouthin la poursuivait jusqu’en ces pages : où est Elisabeth Roudinesco, où se situe-t-elle dans les batailles sur le genre, la race, le postcolonialisme, l’intersectionnalité ? La mauvaise foi, en la matière, est toujours possible. Mais il en faudrait une dose massive pour l’assigner, cette fois, à une posture idéologique. Elle n’est nulle part, avant tout présente aux textes, où il s’agit de saisir les ruptures qui ont fait de notre vie publique ce qu’elle est désormais.