Taxes Trump: La Chine gagnante ?
Après la décision du président américain d’appliquer des taxes de 104 % aux importations chinoises, la guerre économique est bien déclarée entre les deux pays. mais Déjà préparé à l’offensive d’ampleur de Donald Trump et ayant bien intégré la brutale mutation de l’Oncle Sam, l’empire du Milieu va pouvoir montrer son vrai poids industriel, économique et géopolitique
Par David Baverez dans l’Opinion
La date du 2 avril 2025 restera dans l’histoire, au même titre que les accords de Bretton Woods de 1944 ou l’abandon de l’étalon-or en 1971. La réaction immédiate des marchés financiers a été de sanctionner plus fortement les indices américains et de pénaliser le dollar, pourtant censé jouer le rôle de monnaie-refuge dans les grandes crises. La Chine, de manière contre-intuitive, pourrait se révéler gagnante de l’offensive du Président Trump, à laquelle elle s’est déjà préparée.
D’abord, sur le plan économique : certes, Pékin va souffrir du ralentissement mécanique de ses exportations vers les Etats-Unis, mais elle va également pouvoir tester son rapport de force dans les chaînes de production mondiales, notamment par sa maîtrise croissante des produits semi-finis. Il est illusoire de la part des Etats-Unis de penser facturer 600 milliards de dollars de « tarifs » au reste du monde sans réaction de sa part. La stagflation qui nous attend en Occident, miroir de celle de la décennie 1970, va permettre à la Chine de continuer à exporter efficacement sa déflation meurtrière, quitte à en prolonger le coût pour sa propre population.
Ensuite, sur le plan géopolitique, le président Trump offre sur un plateau à Pékin le leadership mondial du « libre échange ». Loin d’isoler la rivalité systémique du capitalisme d’Etat chinois, Washington allie l’ensemble de la planète contre elle. Elle invite même le Japon, la Corée du Sud et la Chine à se rapprocher pour commercer librement !
Ce qui est en jeu est bien la redéfinition d’un « Nouvel ordre mondial », qui va passer par une période de fort chaos, à laquelle la Chine, et plus largement l’Asie, sont par tradition mieux préparées que l’Occident
Rupture. Une rupture historique s’opère en Asie du Sud-Est, où Washington troque l’apport d’une « sécurité hégémonique » pour une « insécurité hégémonique », qui va favoriser la dédollarisation accélérée des échanges intra-asiatiques. Pékin va pouvoir fédérer à son avantage l’ensemble du Sud Global, en commençant dans les instances multinationales.
Enfin, ce qui est en jeu est bien la redéfinition d’un « Nouvel ordre mondial », qui va passer par une période de fort chaos, à laquelle la Chine, et plus largement l’Asie, sont par tradition mieux préparées que l’Occident. « Le concept de traité appartient désormais à l’ancien monde », confiait récemment au Financial Times le ministre des Affaires étrangères indien Jaishankar.
En ce sens, Robert Habeck, le ministre allemand de l’Economie, a raison de déclarer que ce « Jour de la Libération » est pour l’Europe un choc comparable à celui de la guerre d’Ukraine. Le vrai sujet est celui de la guerre monétaire : celui du financement du déficit budgétaire américain de 6 % du PNB, intenable dans la durée. Les Etats-Unis sont bien décidés à imputer sa réduction au reste de la planète, y compris l’Europe, enterrant ainsi la relation atlantique. La dévaluation attendue du dollar vise à anéantir par l’inflation les quelques restes de compétitivité industrielle européenne, que la déflation chinoise achèvera par derrière.
Fin du libre-échange, fin de l’Etat de droit, fin de la relation atlantique : la Chine a déjà bien intégré la brutale mutation de l’Oncle Sam, alors que les élites européennes veulent encore croire au monde d’hier. Pourtant, la réaction initiale des marchés semble vouloir indiquer que Donald Trump, si l’Europe se ressaisissait enfin en fédérant le reste de la planète, pourrait bien finir en arroseur arrosé.
David Baverez est investisseur, installé à Hong Kong depuis 2011. Son nouvel essai, Bienvenue en économie de guerre !, est paru en mai 2024 chez Novice.