Retraites-Une réforme qui va coûter beaucoup plus cher François Hommeril (CFE-CGC)
Pour François Hommeril, (CGC) La nouvelle réforme va coûter davantage que ce qu’elle va rapporter. Interview la Tribune.
À la veille de la mobilisation du mardi 31 janvier, l’intersyndicale regroupant les huit principales organisations de salariés a exprimé sa volonté de mobiliser encore plus massivement. En face, le gouvernement continue d’avancer ses pions sur cette réforme décriée des retraites. Quelle est votre stratégie à la CFE-CGC pour faire reculer l’exécutif alors que le texte arrive au Parlement ?
FRANÇOIS HOMMERIL – Notre stratégie est de construire un argumentaire et une position syndicale, de la défendre et de la faire connaître. Sur certains sujets, nous avons contribué à faire voler en éclats la position gouvernementale. Notre stratégie est aussi de poursuivre cette intersyndicale avec les organisations.
Cette intersyndicale, qui réunit les huit principaux syndicats, est le fruit d’un travail en profondeur depuis des années. Sur le sujet des retraites, nous travaillons ensemble depuis six mois. Le gouvernement a déjà reculé. L’objectif est qu’il retire le décalage de l’âge légal à 64 ans. Pour les autres sujets, nous sommes prêts à discuter.
Selon vous, le système de retraites est-il en « danger » comme l’affirme le gouvernement ?
Après les législatives de juin 2022, le gouvernement a beaucoup insisté sur « le déficit et la faillite du système de retraite ». Dans les syndicats, nous connaissons très bien la situation financière des caisses complémentaires des retraites en tant qu’administrateur, nous participons au conseil d’orientation des retraites (COR). En ne donnant pas les indicateurs en juin dernier, le gouvernement a empêché la publication du rapport du COR au début de l’été pour le rendre public à l’automne. Nous contestons les indicateurs retenus par le gouvernement.
Le président du Conseil d’orientation des retraites (COR) Pierre Louis Bras a affirmé récemment que « le système n’était pas en danger dans sa trajectoire ». Aujourd’hui, les réserves des régimes complémentaires augmentent. Les déficits prévus de la CNAV (Caisse nationale d’assurance vieillesse) seraient très faibles. Sur les régimes du privé, tout est à l’équilibre. Tout le déficit vient du régime des fonctionnaires.
C’est à ce moment que le gouvernement affirme qu’il va faire une réforme des retraites « juste ». Or, on s’est aperçus que les grandes perdantes sont les femmes mères de famille. Aujourd’hui, elles peuvent faire valoir des retraites à taux plein avant 62 ans. Le décalage à 64 ans va les obliger à travailler deux ans de plus. Dans l’étude d’impact, il est écrit que les femmes seront plus affectées que les hommes. Le gouvernement est dans une attitude de dénégation.
L’exécutif assure qu’il n’y aura pas de perdants à cette réforme. Pourtant, des économistes sont montés au front pour affirmer le contraire, notamment chez les femmes qui seront davantage pénalisées. Pourquoi le gouvernement n’assume pas ces effets négatifs ?</strong
C'est une réforme injustifiée et injuste. La seule motivation du gouvernement est que pour son budget le gouvernement a besoin de récupérer de l'argent donné aux entreprises. Il va chercher de l'argent dans les poches des salariés et des agents de la fonction publique. Ce qui lui permettra de diminuer son engagement à verser des pensions aux fonctionnaires. La seule raison est de faire monter les réserves dans les régimes complémentaires.
Or, la mesure qui fait monter rapidement les réserves est le décalage de l'âge de départ à la retraite. Dans l'Agirc-Arrco, il est prévisible que les réserves vont monter en flèche. Le scénario a changé au moment des élections législatives. Le décalage de l'âge de départ à la retraite sélectionne des catégories d'individus qui vont tout payer. C'est une réforme qui ne touche pas tout le monde dans son équilibre.
Les gens qui ne sont pas touchés par la réforme correspondent aux cadres masculins, diplômés et qui entrent sur le marché du travail à 23 ans. Ce profil particulier dans la population cadre ne correspond pas à la majorité des salariés. Je représente en majorité des gens qui ont plus de 50 ans et sont entrés techniciens dans la banque à 20 ans, des techniciens dans la métallurgie qui sont entrés comme ouvriers à 18 ans.
Cette image d'Epinal du cadre en cravate qui partira en retraite à 66 ans ne représente qu'une minorité. La réforme sera plus défavorable pour les générations nées à partir des années 70. Le décalage va se faire progressivement avec la montée en charge de la réforme.
La pénibilité chez les cadres est moins évoquée dans les débats. Est-elle prise en compte par l’exécutif ?
La pénibilité du travail chez les cadres n’est absolument pas prise en compte par l’exécutif. La première ministre Elisabeth Borne m’a dit que l’on ne pouvait rien faire. Elle a une vision des années 80 sur le sujet qui consiste à dire qu’il y a des individus plus fragiles que d’autres.
Cette vision est très grave. Les entreprises ont compris aujourd’hui que si elles ne prenaient pas en compte la question des risques psychosociaux, elles allaient dans le mur. La question des risques psychosociaux est liée aux conditions de travail et à l’environnement de travail. Le gouvernement n’a pas envie de traiter cette problématique.
Le gouvernement a annoncé la mise en place d’un index de l’emploi des seniors dans les entreprises. Quel regard portez-vous sur cet outil ?
Le gouvernement va probablement être obligé de sortir l’index de la loi. L’index des seniors ne doit pas être intégré à un projet de loi rectificative de financement de la sécurité sociale (PLFRSS). Le ministre du Travail, Olivier Dussopt a commencé à reculer sur ce sujet. Il a d’ailleurs annoncé un projet de loi en juin. Le gouvernement n’a pas de maîtrise du dossier sur l’emploi des seniors. Leur seul argument est de dire que si on décale l’âge de deux ans, le taux d’emploi des 60-62 ans va augmenter. La hausse prévue ne va pas permettre de combler le déficit du taux d’emploi des seniors en France par rapport à la moyenne européenne.
Ce décalage va générer une population entre 62 et 64 ans qui ne sera pas en retraite mais va se retrouver au chômage. Dès qu’une personne dépasse l’âge de 60 ans, chaque année coûte beaucoup plus à la sécurité sociale car le risque de maladie augmente beaucoup. Sur le plan économique, c’est une réforme catastrophique qui va probablement coûter beaucoup plus cher qu’elle ne rapporte.
Comment analysez-vous la stratégie budgétaire et la politique économique du gouvernement ?
Dès la campagne de présidentielle de 2022, l’argument d’Emmanuel Macron était de dire que la France n’a pas de budget pour financer les grands projets. Il faut que les gens travaillent plus et il est nécessaire de décaler l’âge de départ à la retraite. Les gouvernements successifs ces dernières années ont doublé les subventions aux entreprises, en passant de 90 milliards d’euros à plus de 200 milliards d’euros en huit ans. Emmanuel Macron était déjà aux manettes de l’Économie sous François Hollande.
Nous avons dénoncé le CICE (crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi), les baisses consécutives de la CVAE (Cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises), les politiques d’exonération de cotisations sociales. Ces exonérations sont nocives sur le plan économique et social. Cette gabegie d’argent publique a complètement asséché les marges de manœuvre budgétaires.
Le premier février, les nouvelles règles de l’assurance-chômage présentées à l’automne vont entrer en vigueur. Quel regard portez-vous sur ce changement de règles ?
Ce projet consiste à priver le chômeur des droits pour lesquels il a cotisé. Ces indemnités permettent de limiter la précarité quand les travailleurs se retrouvent au chômage. Ce durcissement va obliger les gens à accepter des emplois qui ne correspondent pas aux qualifications, aux souhaits des personnes, ou aux salaires attendus.
C’est une réforme populiste qui aura pour effet de faire baisser artificiellement le taux de chômage. Cette réforme va faire sortir des demandeurs d’emploi des statistiques de la catégorie A. Cette catégorie A correspond aux demandeurs d’emploi indemnisés. C’est une réforme qui risque de faire basculer de nombreux chômeurs dans la précarité.