Emprunts massifs de la France « Il faudra cet argent » (gouverneur de la Banque de France)
Alors que des illuminés comme Alain Minc , conseiller des princes (qui a tout dit et le contraire aussi ) propose le concept de dette illimitée et perpétuelle, le gouverneur de la Banque de France rappelle à la réalité en indiquant que les emprunts devront bien entendu être remboursés. (Interview dans le JDD)
Comment l’Etat pourra-t-il se désendetter?
La France va sortir de ce choc avec une dette publique accrue d’au moins 15 points de PIB, à 115%. Dans la durée, il faudra rembourser cet argent. Le retour de la croissance par notre travail y contribuera. Les précédents dans l’histoire peuvent aussi conduire à cantonner la dette liée au coronavirus, pour ne la rembourser que dans plus longtemps. Mais nous devrons également, sans freiner la reprise à court terme, traiter ensuite ce qui était déjà notre problème avant la crise : pour le même modèle social que nos voisins européens, nous dépensons beaucoup plus. Donc il faudra viser une gestion plus efficace, d’autant que les Français ne souhaitent pas payer plus d’impôts. L’Allemagne peut répondre massivement au choc actuel parce qu’elle a su diminuer sa dette quand cela allait mieux.
Le président de la République a fixé le début du déconfinement au 11 mai. Les entreprises anticipent-elles cette date pour redémarrer?
Le déconfinement sera progressif, mais il devrait être une bonne nouvelle, non seulement sur le plan économique mais aussi pour le vivre ensemble de notre pays. Il y a déjà une tendance graduelle à la reprise dans l’industrie, elle va s’amplifier. Le 11 mai, nous ne passerons cependant pas d’un coup à une reprise normale. Ce sera un acte 2, où il faudra faire grandir en même temps la confiance sanitaire et la confiance économique, pour les entrepreneurs comme pour les salariés.
A-t-on atteint le point bas de la récession?
Nous sommes très prudents sur l’effet global. Actuellement, chaque quinzaine de confinement entraîne une baisse de la croissance annuelle d’environ 1,5 point et presque autant en matière de déficit budgétaire supplémentaire. Mais nous ne connaissons pas encore la durée de l’acte 2 jusqu’à la reprise complète.
Cette crise est-elle encore pire que vous ne l’imaginiez?
Personne ne l’imaginait, à vrai dire : elle est totalement inédite dans sa nature, et plus violente que les crises précédentes. La France devrait connaître en 2020 une chute du PIB d’au moins 8%. Selon le Fonds monétaire international, le choc économique est très sévère partout, y compris dans les pays moins touchés par la pandémie comme le Japon, le Canada ou l’Allemagne. Si nous gérons bien la suite, le choc peut rester temporaire. Il faut être prudent, mais le FMI prévoit que la France pourrait retrouver l’an prochain une croissance forte à + 4,5%.
Si la reprise est très lente, ne faudra-t-il pas prolonger les aides versées par l’Etat ?
Les leçons de la crise de 2008 ont été retenues : les gouvernements ont agi cette fois très vite, très fort et de façon convergente. L’Etat ne peut pas tout compenser mais joue un rôle d’amortisseur majeur : l’intervention publique massive a absorbé au moins les deux tiers du choc et réduit d’autant son impact pour les ménages et les entreprises. Son rôle protecteur devrait diminuer au fur et à mesure de la reprise dans les différents secteurs. D’autant que, bien sûr, cet amortisseur collectif devra être payé dans le futur.
Le nombre d’entreprises demandant des prêts garantis par l’Etat (PGE) augmente-t-il encore?
Selon nos derniers chiffres, les banques ont enregistré 290.000 demandes de prêts pour un montant de 55 milliards d’euros. Le succès s’amplifie : on est à 20.000 demandes supplémentaires par jour. Autre élément favorable : les bénéficiaires des PGE sont surtout des TPE de moins de 10 salariés, qui représentent près de 90% des décisions et plus de la moitié des montants. Sans surprise, les premiers secteurs concernés sont le commerce et l’hébergement-restauration.
Certaines entreprises ne manquent-elles pas de fonds propres?
Le PGE est conçu pour soulager toutes les entreprises dont les problèmes de trésorerie sont provoqués par la crise du coronavirus. Pour la petite minorité qui avait des difficultés avant, il y a d’autres dispositifs spécifiques en cours de renforcement. A l’avenir, il faudra voir si toutes les entreprises retrouvent la capacité financière pour rembourser leur prêt. On pourrait envisager, au cas par cas, notamment pour les secteurs les plus durablement touchés, que les reports de charges fiscales et sociales deviennent des abandons, voire imaginer des apports en quasi-fonds propres. Mais il faudra être pragmatique et sélectif car il s’agit d’argent public.
L’enveloppe de 110 milliards d’euros mobilisée par le gouvernement suffira-t-elle?
Il est trop tôt pour le dire. Cela dépendra de notre perte économique en PIB, et donc de la façon dont vont se dérouler les redémarrages graduels d’activité. Cela dépendra aussi de nos partenaires européens et mondiaux : si leurs économies mettent du temps à repartir, nous exporterons moins vers eux et cela augmentera le coût.
Les banques et assureurs jouent-ils pleinement leur rôle de soutien à l’économie?
Cette bataille, nous la gagnerons tous ensemble. Les banques françaises sont heureusement solides, grâce notamment aux réformes imposées depuis 2008. Nous constatons globalement qu’elles font leur travail et que les salariés de leurs agences, partout en France, sont très mobilisés. S’il reste des erreurs, la médiation du crédit de la Banque de France est alors là, dans chaque département, pour les corriger. De leur côté, les assureurs ont annoncé qu’ils augmentaient leurs efforts. En revanche, nous attendons clairement que les assureurs-crédit, qui garantissent le paiement des factures des PME, se mobilisent davantage.
Comment inciter les donneurs d’ordre à payer vite leurs fournisseurs ?
Malgré le bouclier de trésorerie mis en place par le gouvernement et la Banque centrale, certaines entreprises ont eu la tentation d’améliorer leur situation en pénalisant leurs fournisseurs. C’est une grave erreur, qui pourrait entraîner des défaillances en chaîne. Nous avons donc créé un comité de crise avec Bruno Le Maire, pour rappeler à l’ordre les acteurs aux comportements anormaux. Nous donnerons des noms s’il le faut mais, après nos craintes du mois de mars, cela semble aller mieux. Nous avons même cité jeudi l’exemple de dix entreprises solidaires.
Après la fin du chômage partiel, faut-il s’attendre à une montée du chômage?
Le choc du coronavirus frappe la France et tous les acteurs économiques. Mais les salariés sont dans l’ensemble relativement moins touchés grâce au dispositif de chômage partiel. Leur consommation baisse aujourd’hui nettement plus que leurs revenus. Ceux qui le peuvent accumulent donc une épargne qui devrait être demain un réservoir d’achats, et donc de croissance. Il faudra pour cela que les consommateurs soient rassurés sur le plan sanitaire. Il faudra parallèlement être attentifs, secteur par secteur, à la situation de chaque entreprise. Et réserver l’éventuel argent public à celles qui en auront vraiment besoin en évitant les effets d’aubaine ou les échecs coûteux.
L’immobilier a subi un coup d’arrêt. Quand et comment va-t-il repartir?
La construction est l’un des secteurs qui a le plus souffert avec une chute de 75% de son activité à la fin mars. Les dispositifs de protection négociés dans le secteur devraient permettre son redémarrage progressif. De son côté, la demande de logements des ménages sera soutenue par un facteur favorable : nous devrions garder des taux d’intérêt très bas pendant les prochaines années car l’inflation va rester faible (moins de 1% en France en 2020 comme en 2021).
Les Français épargnent-ils encore plus que d’ordinaire?
Selon nos premières estimations sur le premier trimestre 2020, leur épargne financière, nette des crédits, a déjà augmenté d’une trentaine de milliards de plus que la tendance habituelle. Ce mouvement semblerait correspondre à l’épargne supplémentaire d’environ 20% des revenus du mois de mars.
Les paiements en cash régressent-ils?
On constate une érosion progressive du recours au cash depuis plusieurs années. Mais il ne va absolument pas disparaître. Le libre choix des citoyens entretient leur confiance dans la monnaie. Au passage, je veux répondre à deux craintes : les billets de banque ne sont pas plus porteurs de virus que d’autres objets, et les distributeurs sont normalement approvisionnés et le resteront durablement. Pour autant, les paiements par carte, et notamment ceux sans contact dont le plafond vient d’être porté à 50 euros, vont continuer à augmenter.
Que doit-on faire pour accélérer la reprise?
Pour maximiser la croissance, il faut d’abord restaurer la confiance, pour que les ménages consomment et que les entreprises continuent d’investir et d’embaucher comme elles le faisaient depuis quatre ans. Un des accélérateurs de croissance passerait par des programmes d’investissement publics européens. Cela permettrait d’augmenter nos capacités de production et de renouer avec nos priorités de long terme comme la lutte contre le changement climatique.
Quel peut être le rôle de l’Europe?
Regardons nos atouts communs : un modèle social européen qui évite les 22 millions de licenciements qu’on voit aux États-Unis en trois semaines ; l’euro qui permet aux Etats dont l’Italie de financer leurs besoins actuels à bas coût. Pour la reprise, le principe d’un fonds de relance proposé par la France est acté : restera à déterminer son montant et son financement. L’Europe est frappée ensemble ; elle s’en sortira ensemble.
La BCE doit-elle faire encore plus?
Nous avons fait déjà énormément! Jusqu’à 4.000 milliards de liquidités cette année pour aider l’économie européenne à tenir le choc. Pour l’avenir, l’inflation restant au-dessous de notre cible de 2%, nous devrions maintenir des taux très bas et des liquidités très abondantes. Et s’il fallait faire plus pour remplir le mandat de stabilité des prix que nous ont confié les traités, en toute indépendance, alors nous ferons plus.
Que retenez-vous des réunions du FMI et du G20 auxquelles vous avez participé?
Ces réunions, tenues à distance, ont été empreintes de gravité. A temps exceptionnels, mesures exceptionnelles : la réaction de tous les pays avancés, dont la France, a été saluée. Les actions extraordinaires déployées par la BCE et la Federal Reserve américaine ont été les bonnes. Les organisations internationales se sont aussi mobilisées pour dégager de nouveaux crédits rapides pour les pays en développement. Il a en outre été décidé un moratoire du service de la dette des pays les plus pauvres. Mais nous ne sommes pas sortis d’affaire. Les défis et les risques restent extrêmement forts, et ils nécessitent plus de solidarité : pour dire les choses clairement, le gouvernement américain actuel a donné un mauvais signal en suspendant sa contribution à l’OMS, et en s’opposant à des droits de tirages spéciaux supplémentaires pour le FMI.