Défense : Vers une certaine autonomie stratégique ?
Dans le domaine de la défense, Fabien Gouttefarde * souhaite la poursuite de l’effort budgétaire en faveur des armées au-delà de 2025 afin de prolonger la remontée en puissance des armées. Il souhaite également poursuivre l’action engagée par Emmanuel Macron en faveur de l’autonomie stratégique européenne. Reste à savoir si la France à aujourd’hui les moyens de son ambition militaire et diplomatique. Témoin le revirement sur l’affaire des sous-marins en Australie et la situation très fragile des forces françaises au Mali. Par ailleurs l’intégration européenne est encore bien lointaine compte tenu notamment des réticences allemandes qui entend privilégier son industrie d’armement. NDLR
TRIBUNE. (*) Par Fabien Gouttefarde, député de l’Eure, membre de la Commission de la défense et des forces armées.
Poursuivre la réparation de nos armées et entamer la remontée en puissance : nul ne le conteste, cette majorité a tenu ses promesses. La loi de programmation militaire (LPM), traduction budgétaire de l’analyse de la situation internationale faite lors de la revue stratégique et de l’ambition du président de la République, a été respectée. Cette LPM permet aux armées de connaitre une phase de réparation, touchées, entamées qu’elles avaient été par les restrictions des deux mandats précédents, expressions concrètes de politiques à courtes vues. Réparation des matériels, avec un début de renouvellement capacitaire et un effort important sur le maintien en condition opérationnelle, réparation des infrastructures, soutien aux hommes et aux femmes qui servent sous les drapeaux, avec notamment le « plan Familles », voulu par Florence Parly et une attention spécifique portée aux petits équipements, ceux du quotidien, ceux-là même qui peuvent, parfois, faire la différence au combat. L’effort budgétaire doit se poursuivre. La marche dite des trois milliards, bien que haute, devra être franchie pour poursuivre le cycle entamé de réparation de nos armées. Je propose qu’elle se poursuive, en 2026 et 2027, par le début d’un cycle non plus seulement de réparation de notre outil militaire, mais bien de remontée en puissance. Deux années, les deux dernières du prochain mandat, permettront de lancer le mouvement. Deux années, précédées d’une phase préparatoire, dès 2023, et jusqu’en 2025, qui verra un Supplément Exceptionnel de Recettes, qui pourrait éventuellement être financé par des ressources extra-budgétaires, apporter à la LPM, lame de fond, une vague d’argent frais permettant de dynamiser certains programmes (Rafale, Barracuda, HIL, Caracal), d’en accélérer d’autres – je pense notamment au SNLE3G – , de pérenniser les chaines d’assemblages de capacités stratégiques telles le missile de croisière naval et le ravitailleur en vol afin de ne plus se retrouver dans l’impasse commerciale et politique connue par le Tigre – arrêté par Airbus faute de commandes il y a quelques années, la France se retrouve dans l’impossibilité de proposer à l’export un hélicoptère de combat, justement au moment ou le marché redémarre, laissant ainsi le champ libre à ses compétiteurs, notamment l’inoxydable Apache – de lancer la réalisation d’une série de démonstrateurs, destinés à fédérer nos industries et à leur permettre d’acquérir de nouvelles compétences, notamment dans les domaines spatial, naval, aéronautique et cyber tout en créant les conditions d’une véritable dynamique industrielle française et européenne. Car, au-delà d’un redressement de nos capacités militaires, essentiel alors que se profile les conflits de « haute intensité », c’est également cette dynamique industrielle qu’il nous faut générer. Dynamique industrielle pour créer, en France, des emplois et des richesses. Dans la France post-Covid, c’est indissociable du projet de société de cette majorité. Il sera nécessaire de dialoguer avec les industriels, avec comme objectif la création de 30.000 emplois directs supplémentaires, qualifiés et non-délocalisables sur le territoire français, sur le périmètre du Conseil des industries de défense françaises (CIDEF), pendant le prochain quinquennat. Des mesures sectorielles pourront accompagner ces créations d’emplois, afin de donner corps à une certaine forme de ruissellement de la LPM au profit des salariés, cadres ou compagnons qui, par leur travail, concourent chaque jour à l’autonomie stratégique de la France et de l’Europe. Travailler à l’autonomie stratégique européenne est l’un des piliers de l’action du président de la République depuis son élection. Le choix du second tour de 2017 était d’ailleurs très clair, pour ou contre cette réalisation majeure, unique dans notre siècle, qu’est l’Union européenne. Réalisation imparfaite, sans doute. Améliorable évidemment. Cette majorité y travaille. Mais intégration néanmoins qu’il convient de faire prospérer. Son autonomie stratégique est aujourd’hui insuffisante, en témoigne l’indifférence dans laquelle la tiennent, au niveau militaire, à la fois nos partenaires américains et nos compétiteurs chinois et turcs. L’Union, et d’abord ses dirigeants, doivent en premier lieu résoudre deux questions fondamentales, pour que le sens même de l’action commune soit compris et soutenu par nos concitoyens. La question migratoire, d’abord, avec la nécessité d’une refonte totale des missions militaires de lutte contre l’immigration illégale, des actions et des moyens associés. La question migratoire est une problématique trop forte, avec des implications trop importantes que ce soit pour l’Union dans son ensemble que pour des considérations – que certains trouveraient à tord subalternes – de politique intérieure dans chacun des 27 états membres – il suffit de voir l’écho des propositions du candidat non-déclaré Eric Zemmour en France – pour que l’action, qui peut être décisive de l’Union en ce domaine ne soit méconnue. A cet égard, je propose que l’héritage napoléonien en vigueur en France, la belle institution qu’est le préfet maritime, soit élevée au niveau européen avec la création dans un premier temps d’un préfet maritime européen de la Méditerranée centrale et orientale, basé à Malte et ayant complète autorité sur les moyens navals et aériens de l’ensemble des états-membres dans sa zone de responsabilité. Il exercerait ainsi le contrôle opérationnel des missions « Irini » pour faire respecter l’embargo sur les armes imposé à la Libye par l’Organisation des Nations unies, et d’une partie de celles assurées aujourd’hui par l’agence Frontex. Ce préfet maritime serait également, comme l’est son homologue français, commandant en chef pour le théâtre d’opérations si d’aventure l’article 42.7 du TUE devait être invoqué par l’un des états-membres. La question chypriote, ensuite. Voici un pays membre de l’Union au sens politique, éminemment européen au sens culturel et historique, qui vit coupé en deux depuis 1974 et dont les eaux recèlent des richesses susceptibles d’assurer l’autonomie énergétique de l’Europe. La définition d’une position commune, destinée à favoriser la réunification de l’île, dans un contexte pacifique et inclusif, doit être un objectif du prochain mandat. L’attitude à adopter en cas de menace pesant sur l’ile devra également faire l’objet d’un consensus, si difficile soit-il à trouver. Ne pas avoir une position commune face à des menaces sur un pays européen, membre de l’Union et utilisateur de l’euro, et ne pas se donner les moyens de la mettre en œuvre serait confiner l’Union à une existence de grande zone économique, sans aucun poids stratégique. Ce n’est pas la vision de notre majorité. Poursuivre l’action entamée, prolonger la remontée en puissance de nos armées, dynamiser notre industrie et ouvrir de nouvelles perspectives pour l’Union, voilà les sillons que cette majorité doit creuser pour les années à venir. Fabien Gouttefarde (*)