Un « certain nombre de prix baissent » d’après Bruno Lemaire
Rebelote pour le ministre de l’économie qui annonce la baisse des prix. Une baisse qu’il avait déjà prédit pour l’été de l’année en cours et qui bien sûr n’est pas intervenue. Cette fois il se montre un peu plus prudent avec sa formule » un certain nombre de prix baissent » mais en relativisant immédiatement avec cet autre formule « mais ne reviendront pas au niveau pré-vovid. Traduction : les prix resteront un très haut niveau car évidement l’inflation se cumule avec les inflations intérieures. Et la baisse de l’inflation ne signifie évidemment pas une baisse des prix. Interview de Jean-François Robin, directeur de la recherche chez Natixis (groupe BPCE). dans la » tribune »
Peut-on se fier à cette prévision ? Les réponses de Jean-François Robin, directeur de la recherche chez Natixis (groupe BPCE).
Va-t-on bientôt sortir de la crise inflationniste comme l’a affirmé Bruno Le Maire qui précise que nous serons sous la barre des 4% d’inflation d’ici la fin de l’année ?
JEAN-FRANÇOIS ROBIN – Nous sommes déjà passés ce jeudi sous la barre des +4%, et le ralentissement progresse assez vite. Ces chiffres valident l’idée que ce phénomène d’inflation était temporaire. Même si nous ne reviendrons pas au niveau d’avant, nous constatons une baisse plus forte que prévu de l’inflation, qui a quasiment déjà été divisée par deux ! Et ce alors que nous avons subi un choc violent avec le Covid, la guerre en Ukraine et la crise énergétique. Pour rappel, l’inflation était à +7,3% à son plus haut.
Ce qui est rassurant, c’est que les prix de l’énergie baissent, mais ce sont surtout ceux des services. Les prix de l’alimentation ont l’air de se calmer, avant même les négociations commerciales entre les distributeurs et les industriels, avancées de mars à janvier 2024. L’inflation va tout de même remonter un peu début 2024 car nous disposons d’un effet de base moins favorable : les factures d’électricité vont donc monter en janvier.
Si l’inflation reflue, les Français vont-ils le sentir concrètement dans leur porte-monnaie ou faudra-t-il encore attendre ?
Nous constatons déjà qu’un certain nombre de prix baissent nettement, comme les pâtes ou encore le beurre. De plus en plus de baisse sont à prévoir. Les prix des intrants baissent, à commencer par le blé.
Par ailleurs, la consommation n’a jamais autant baissé depuis les années 1980. Si les producteurs et distributeurs veulent continuer à vendre des produits, il faut baisser les prix.
Cependant, je ne pense pas que nous reviendrons aux prix d’avant Covid. Et notamment à cause du réchauffement climatique qui impacte les récoltes. De plus, il n’y a jamais eu autant d’embargo sur les exportations alimentaires ou sur d’autres biens. C’est la fin du commerce mondiale tel que nous le connaissons. La démondialisation va maintenir les prix élevés.
Bruno Le Maire affirme que « l’inflation est vaincue » mais ce n’est pas du tout le discours de la présidente de la Banque centrale européenne, Christine Lagarde…
Si l’inflation va remonter en début d’année, nous anticipons qu’elle baissera par la suite. La BCE est donc dans son rôle, car comme le marché prévoit une baisse des taux d’intérêt, il faut calmer les anticipations qui peuvent induire concrètement une baisse. C’est un phénomène auto-réalisateur.
La BCE doit donc se dire que les conditions monétaires se détendent trop vite même si ce n’est pas mon avis. Notre scénario chez Natixis, c’est d’avoir des baisses fortes dès 2024 de la part de la BCE, car l’inflation va continuer de baisser. La BCE a alors intérêt à baisser ses taux d’intérêt pour ne pas mener une politique monétaire à contre-sens.
Les hausses de taux sont derrière nous, en sachant que les effets de ces augmentations ne sont pas encore ressentis dans l’économie. Chez Natixis, on anticipe une première baisse avant l’été 2024, au mois de juin plus précisément.
L’inflation peut peser négativement sur la croissance. Bruno Le Maire maintient sa prévision à 1,4% en 2023 et une croissance positive en 2024. Qu’en pensez-vous ?
Ces prévisions paraissent élevées, après ce n’est pas délirant. Car si les prix baissent, les Français vont regagner du pouvoir d’achat. Comme il y a beaucoup d’épargne disponible, ils auront de quoi dépenser. De plus, les salaires continuent de monter, dans une moindre mesure comparée à l’année dernière, et on continue à créer de l’emploi.
Peut-être que Bruno Le Maire est optimiste mais honnêtement avec Bercy, ils ont été les meilleurs prévisionnistes pour 2023. Alors que tout le monde prévoyait une récession, les chiffres doivent s’établir a priori entre 0,8% et 1%. Pour rejoindre le ministre de l’Economie, je pense que la croissance en 2024 sera meilleure qu’en 2023.
Faut-il s’attendre au pire concernant la note de la dette française de l’agence américaine Standard & Poor’s, qui doit sortir ce vendredi ?
Pourquoi l’inflation va autant baisser ? Est-ce grâce à la politique monétaire de la BCE ?
Pour être provoquant, la baisse de l’inflation n’est pas dû à la politique monétaire de la BCE. C’est davantage la politique énergétique de l’Europe, qui a fait baisser les prix. L’Union Européenne s’est organisée pour repenser ses circuits énergétiques car elle dépendait de la Russie. Elle a de plus accéléré sa transition énergétique. En France, nous sommes redevenus exportateur d’électricité et nous avons reconstitué nos stocks de gaz. L’énergie n’est aujourd’hui plus un facteur d’inflation.
La seule chose que la BCE a impacté, c’est l’immobilier. Les dix hausses de taux consécutives ont mis un sacré coup au marché immobilier européen : les prix baissent partout, et la capacité d’emprunt des ménages a été fortement dégradée. L’institution monétaire combat un choc de demande qui n’existe pas, elle réagit à un choc d’offre…
Propos recueillis par Margot Ruault