« Abattre ce gouvernement » (Aurélien Pradié)
Le député LR du Lot fustige dans la Tribune le projet de loi sur l’immigration réécrit par les sénateurs de son camp. Il regrette la participation d’Éric Ciotti aux rencontres de Saint-Denis vendredi.
Le projet de loi sur l’immigration a été réécrit et durci par les sénateurs LR. Ce texte, qui viendra à l’Assemblée le 11 décembre, vous satisfait-il ?
AURÉLIEN PRADIÉ- Non, car il contient des renoncements. La position de fermeté et de cohérence qui est celle des Républicains depuis le début n’a pas été suivie au Sénat. Le texte qui en sort n’est finalement pas celui des Républicains, c’est celui des centristes. Nous n’avons pas le droit de tromper les Français. Le sujet est trop grave pour leur mentir ou tenter de les illusionner. Les intérêts de la nation doivent être supérieurs aux intérêts tactiques d’une majorité sénatoriale.
Bruno Retailleau assure pourtant que c’est un texte « de droite ». Le fameux article 3 n’y figure plus…
Le cœur de la tromperie, c’est justement l’article 3 ! Il a été supprimé mais remplacé par un ersatz qui ouvre une brèche immense. Depuis le début, Les Républicains ont clamé haut et fort qu’il était hors de question d’ouvrir un nouveau droit opposable à la régularisation pour ceux qui sont entrés irrégulièrement sur le territoire. Mais en inscrivant dans la loi la circulaire Valls, nous ouvrons un nid à jurisprudence dangereux. Avec cet artifice sur un nouvel article, le droit n’est certes plus automatique mais il est encore plus opposable qu’hier. L’initiative viendra du clandestin lui-même et le contentieux va se multiplier sur le sujet. Ce « en même temps » sénatorial est un piège.
Les députés LR devront-ils déposer une motion de censure ?
Je mènerai la bataille pour que la droite ne perde pas en crédibilité et en cohérence. Je ne céderai pas. Le défi migratoire est immense et l’intransigeance politique est devenue une vertu. Si nous reculons, nous perdrons toute crédibilité aux yeux des Français et laisserons à d’autres le soin d’incarner cette fermeté qui est plébiscitée par nos concitoyens. Nous sommes de nombreux députés LR résolus à ne pas vouloir céder. Et si au bout le gouvernement s’entêtait à faire adopter un texte ne répondant pas aux urgences du pays par un 49-3, alors la réponse naturelle serait celle de la motion de censure. Disons les choses clairement : ce gouvernement a été trop longtemps soutenu artificiellement par les uns et par les autres, y compris par Les Républicains. Il est temps de mettre un terme à sa survie factice. C’est une question de réalisme politique et démocratique.
Le texte contient pourtant beaucoup de mesures réclamées par LR…
Ce texte, y compris son article 3, est un outil de diversion et de divertissement pour occuper l’espace du débat. Il manque l’essentiel, comme n’a cessé de le dire LR : la révision de notre Constitution afin de reprendre le contrôle de notre droit national. Sans cela, tout le reste est vain.
Donc, vous appelez à un cessez-le-feu…
Il ne peut y avoir de cessez-le-feu avec une organisation terroriste. Dans la fureur du temps, les mots doivent être précis. Le cœur des opérations militaires doit être l’éradication des têtes du Hamas. Répondre à la mort que sèment les terroristes par des morts civils est un piège qui conduirait à faire du Hamas un mouvement politique légitime aux yeux de l’opinion palestinienne, à l’instar du Hezbollah au Liban. Si demain la Palestine continue à être un cimetière, nous n’éradiquerons pas le Hamas. Sans reconstruction d’une autorité politique palestinienne forte, le vide sera fatal. C’est le plus grand défi : retrouver des interlocuteurs politiques nouveaux en Palestine comme en Israël.
Marine Le Pen et Jordan Bardella participent à la marche contre l’antisémitisme ce dimanche. Fallait-il refuser leur présence ?
Cette marche est un symbole fort qu’il faut soutenir, sans lâches hésitations. Mais il faut être lucide : dans cette marche, il y aura des imposteurs et des hypocrites. Les imposteurs, ce sont ceux qui, encore aujourd’hui, ne parviennent pas à dire que Jean-Marie Le Pen était antisémite. Ce sont ceux qui, hier, ont expliqué que le maréchal Pétain avait sauvé les Juifs français et qui, aujourd’hui, se présentent devant le mur des Lamentations. Et les hypocrites, c’est cette gauche qui prétend défendre l’égalité, les grandes valeurs humanistes et qui, par petits calculs misérablement électoralistes, bascule définitivement dans le camp disqualifiant de l’antisémitisme.
Est-ce à dire que vous refusez d’y participer ?
J’y participerai, à Paris ou ailleurs. Imposteurs et hypocrites ne doivent pas empêcher une marche sur une bataille aussi essentielle. Mais vous voyez bien le piège dans lequel nous sommes : celui du relativisme. Qu’est-ce qui motive la mobilisation du RN à l’égard des Français juifs ? Ce n’est pas leur amour de nos compatriotes de confession juive, c’est leur haine indifférenciée de nos compatriotes musulmans. La haine des uns ne fera jamais l’amour pour les autres. La lutte contre l’antisémitisme est une lutte universelle. Pas une posture tactique ou opportuniste.
Pour combattre ce terrorisme, jugez-vous nos renseignements suffisamment efficaces ?
La similitude entre les assassinats de nos deux enseignants Samuel Paty et Dominique Bernard m’inquiète. Ils ont été tués par deux anciens élèves qui se sont radicalisés sur le sol national et étaient dans les radars de nos services de renseignement. L’arsenal de ceux-ci est aujourd’hui concentré essentiellement sur la surveillance numérique et nous fait passer à côté de la surveillance humaine fondamentale. Un décalage s’est installé entre nos surveillances « high-tech » et le caractère « low cost » et très individuel de ceux qui passent à l’acte aujourd’hui. Les grands services de renseignement de nos démocraties semblent également aveugles sur la scène internationale. Cela a été le cas en amont de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, de l’attaque du Hamas contre Israël, et à chaque fois la France s’est retrouvée marginalisée ou en difficulté dans sa posture internationale comme en Afrique. À l’heure actuelle, nous n’avons plus aucune présence en Afghanistan, où les talibans ont annoncé la création de 300 écoles du djihad. Les seuls renseignements dont nous disposons nous proviennent du Pakistan. Cela vaut aussi pour le Gabon… Je vais écrire au ministre de l’Intérieur pour lui demander de rendre des comptes à l’Assemblée nationale, dans le format qu’il souhaite, sur l’état de nos services de renseignement. Nous devons savoir s’il y a eu des fragilités, notamment dans la perspective des Jeux olympiques. Ne pas poser la question est aujourd’hui devenu irresponsable.
Éric Ciotti se rendra vendredi à la deuxième édition des rencontres de Saint-Denis à l’invitation d’Emmanuel Macron. À raison ?
Je considère qu’il ne faut pas y aller. La comédie a assez duré, on est en train de se faire balader. Autant je comprenais au début que l’on puisse y croire un peu, autant, désormais, y aller, c’est accepter de participer à la comédie présidentielle. Les rencontres de Saint-Denis sont une dérive. Elles n’existent nulle part dans nos institutions. Dans notre Constitution, il y a un gouvernement, un Conseil des ministres, un Parlement. C’est tout. On s’habitue à avoir des bidules et des gadgets auxquels sont invités les uns ou les autres selon le bon vouloir du prince. Pardon de rappeler des fondamentaux, mais la conduite du pays se fait avec les représentants du peuple, pas avec les partis politiques. Imagine-t‑on le général de Gaulle palabrer durant six heures avec les partis politiques ? Nous tombons dans un piège : celui du dévoiement de nos institutions. Des gaullistes ne peuvent accepter d’en être complices.
François-Xavier Bellamy serait-il une bonne tête de liste LR lors des élections européennes de juin ?
François-Xavier Bellamy est un excellent philosophe et un bon député européen.
Dans Tenir bon, votre livre qui sort mercredi, vous écrivez : « Celui ou celle qui dirigera notre pays en 2027 ou au-delà devra davantage avoir le goût du grand soir que celui des petites positions présumées confortables. » Pradié 2027, c’est parti ?
Dans ce livre, je raconte mes origines et mon parcours, qui ont fait mon tempérament. J’y livre des confidences politiques et une part d’intimité. Je consacre un chapitre au temps long qui est la clé de tout. 2027 est-elle une étape ? Sûrement. De quelle nature ? Je n’en sais rien encore, l’avenir le dira. n
Propos recueillis par Jules Pecnard et Ludovic Vigogne
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Comment vivre l’horreur de ce temps
Comment vivre l’horreur de ce temps ?
L’attentat de Bruxelles lundi 16 octobre, l’assassinat de Dominique Bernard à Arras vendredi 13 octobre, les conflits armés en Europe et au Moyen-Orient, la flambée d’actes antisémites, le harcèlement scolaire… Ces faits nous rappellent que la tragédie, l’oppression et la violence sont des réalités qui peuvent nous toucher à tout moment. Comment alors faire face à l’ambiguïté, aux incertitudes et aux injustices de la vie ? Cette question est au cœur de la philosophie existentielle, qui nous invite à penser la vie concrète et située, à l’affronter avec « crainte et tremblement » selon la célèbre formule de Søren Kierkegaard.
par
Mélissa Fox-Muraton
Enseignante-chercheur en Philosophie, ESC Clermont Business School
L’existentialisme paraît parfois mettre l’accent sur la négativité : l’angoisse, la mort, le néant, le désespoir, l’absurde et la misère humaine. Cependant, elle pose aussi et surtout la question de savoir comment mieux exister, dans un monde où la détresse, les conflits, l’exploitation de l’homme par l’homme, la précarité et la discrimination sont des faits réels.
Cette question clef, comment « mieux exister » est l’un des autres versants de l’existentialisme ; Kierkegaard disait d’ailleurs que sa tâche était d’aider ses lecteurs à « exister avec plus de compétence ». Mais comment faire, concrètement ? Est-ce possible de trouver l’équilibre dans un monde incertain ? C’est ce que nous étudierons avec Simone de Beauvoir et Søren Kierkegaard.
Avant de devenir la célèbre militante féministe et figure majeure du mouvement existentialiste que nous connaissons, la jeune étudiante en philosophie âgée de 18 ans qu’était alors Beauvoir développait déjà en 1926 des réflexions philosophiques originales dans ses Cahiers de jeunesse.
S’interrogeant sur elle-même et sa place dans le monde, elle pose dès le départ au centre de sa pensée la notion d’équilibre. Le monde qu’elle observe est rempli d’inégalités, de détresse physique et morale ; face à cela, elle se demande, comment vivre « le mieux possible » ?
En tant qu’individus singuliers, nous éprouvons souvent un sentiment d’impuissance face au monde avec ses multiples sources d’oppression et problèmes à résoudre. Faut-il alors se résigner à cette impuissance ? Faut-il privilégier la vie intérieure (la seule que nous puissions contrôler) et se retirer du monde, ou alors s’engager par ses actes pour créer des nouvelles valeurs et possibilités existentielles ? Un équilibre entre les deux est-il possible ?
La question centrale pour Beauvoir est de savoir comment agir et exister dans le monde d’une manière qui crée de la valeur et du sens, en dépit du fait que nous nous trouvons toujours dans un monde qui nous résiste, et projette sur nous des manières d’être et de nous construire que nous ne déterminons pas et qui nous aliènent de nous-mêmes.
Une vie accomplie, authentique, exige à la fois une présence à nous-mêmes et une présence à autrui. Plutôt qu’un état, cependant, la recherche d’équilibre demeure toujours une tâche, une quête, le travail d’une vie. Elle écrit :
« [L]’équilibre possible [c’est l’]équilibre d’une passion qui n’ignore jamais sa propre grandeur mais qui sait la porter. Équilibre d’une pensée qui gardant dans cette passion un point d’appui solide la dépasse pourtant. Équilibre de la vie qui précise, monotone peut-être, ne laisse point, parce que sa forme extérieure est fixée, dormir ni la passion ni la pensée. »
La recherche d’équilibre, c’est surtout, selon la jeune Beauvoir, la possibilité « d’être un être indépendant… quelles que soient les contingences » et de parvenir à la pleine conscience et pleine possession de soi. D’où une affirmation de l’irréductible singularité de chaque individu, mais une affirmation indissociable d’un engagement éthique dans le monde et « pour autrui ». On ne peut, Beauvoir conclut, être pour autrui sans être pour soi, mais de la même manière on ne peut être pour soi sans être pour autrui.
Pour le formuler en d’autres termes, nous pourrions dire que les possibilités pour chaque individu d’être authentiquement soi-même dépendent des structures de soutien et des liens qui nous relient et rendent notre existence possible.
Les réflexions de jeunesse de la philosophe font écho, avant qu’elle ne l’ait lu, aux passages des journaux rédigés par Kierkegaard en 1835, lorsque âgé de 22 ans il cherchait sa propre voie, expliquant que ce qui lui manquait était « d’être au clair sur ce que je dois faire… de trouver l’idée pour laquelle je veux vivre et mourir. »
S’interrogeant sur les « malentendus » et les « petitesses » qui nous empêchent de nous comprendre mutuellement dans la société et qui causent tant de souffrance et de discrimination dans le monde, nous empêchant de voir les véritables liens qui nous unissent, le jeune danois évoque tout comme Beauvoir la nécessaire recherche d’équilibre et de subjectivité.
Se découvrir dans l’intériorité – ou « devenir subjectif », ainsi que Kierkegaard le formulerait plus tard dans le fameux Post-scriptum définitif et non scientifique (1846) – exige d’apprendre à se regarder véritablement. Cependant, même chez le jeune Kierkegaard, il ne s’agit pas de se détourner ou de s’exempter du monde.
Découvrir « l’équilibre véritable (den sande Ligevægt) » implique un apprentissage de l’humilité, un difficile travail pour se découvrir avec sincérité. Il implique que nous puissions trouver assez de stabilité en nous-mêmes pour résister aux épreuves du monde, sans pour autant oublier que notre tâche est de vivre dans le monde parmi d’autres.
La notion d’équilibre joue également un rôle important dans le développement chez Kierkegaard du stade éthique, dans la seconde partie de L’alternative (1843). Il parle ici du nécessaire « équilibre… dans la formation de la personnalité », et de la difficulté pour l’individu de réconcilier l’interne avec l’externe, la quête d’unité avec la pluralité et variabilité de la vie, et le fait que nous sommes à la fois des individus singuliers et des êtres civiques et sociaux.
Une vie pleine et dotée de sens, Kierkegaard suggère ici, ne peut chercher ses raisons d’être entièrement dans l’intériorité ni entièrement dans l’extériorité (c’est-à-dire les actions, engagements ou rôles que nous jouons dans la société).
Sans avoir connaissance du travail de son prédécesseur danois, Beauvoir parvient dès ses réflexions de jeunesse au développement d’une approche existentielle de la philosophie qui en fait écho.
Ces deux philosophes plaçaient au centre de leur démarche philosophique le rôle du choix de soi-même, mais insistaient également sur un nécessaire équilibre entre l’intérieur et l’extérieur, entre la quête de soi et les engagements et les actions dans le monde.
Beauvoir écrit dans ses Cahiers en 1927 que « c’est par la décision libre seulement, et grâce au jeu de circonstances que le moi vrai se découvre ».
Kierkegaard, pour sa part, avait écrit :
« Lorsqu’on a pris possession de soi-même dans le choix, lorsqu’on a revêtu sa personne, lorsqu’on s’est pénétré soi-même entièrement, tout mouvement étant accompagné de la conscience d’une responsabilité personnelle, alors, et alors seulement on s’est choisi soi-même selon l’éthique… on est devenu concret, et l’on se trouve en son isolement total en absolue continuité avec la réalité à laquelle on appartient. »
Constats trop optimistes, trop individualistes ? Une telle conclusion serait trop hâtive. Si Beauvoir et Kierkegaard insistent tous deux sur l’équilibre, c’est parce qu’ils n’oublient jamais que le monde dans lequel nous vivons est déséquilibré et nous déséquilibre.
Que le monde dans lequel nous vivons est marqué par les inégalités et les injustices ; que certains naissent dans la précarité alors que d’autres dans le privilège, que quel que soit notre statut ou place dans la société, celle-ci nous enjoint à nous adapter à ses systèmes et fonctionnements qui peuvent nous aliéner de nous-mêmes. Que l’angoisse, l’absurdité, les menaces et le désespoir marquent nos vies ; que l’oppression et la mort sont des réalités quotidiennes.
Rechercher l’équilibre n’est pas un oubli de ces réalités concrètes, mais l’appel à trouver l’attitude appropriée par laquelle nous pourrions regarder ces réalités avec lucidité, et nous préparer pour agir activement dans le monde. Et l’équilibre n’est pas un état à atteindre ; c’est un mouvement constant de devenir, un effort actif d’appropriation.
En 1947, avec l’essor de l’existentialisme, Beauvoir dira dans Pour une morale de l’ambiguïté que si les concepts tels que liberté et responsabilité ont tellement d’importance, c’est précisément parce que nous vivons dans un monde où beaucoup d’individus ne sont pas libres, ne bénéficient pas des mêmes avantages et privilèges.
Revendiquer le respect des droits de l’homme, pour tous, demeure toujours une lutte. Elle affirme cependant qu’une telle quête n’exige aucune capacité spécifique de la part de l’individu, à part une « présence attentive au monde et à soi-même ». Présence attentive difficile, certes, mais non impossible à atteindre.