Législatives: L’abstention encore gagnante (Bruno Cautrès, CNRS)
À la veille du premier tour des élections législatives, quel est l’état des rapports de force politiques ?
BRUNO CAUTRÈS - La Nouvelle union populaire écologique et sociale (Nupes) et la coalition de la majorité présidentielle Ensemble sont au coude-à-coude. Cela fait plusieurs semaines qu’il y a presque match nul entre ces deux mouvements. Ces deux formations tournent respectivement autour de 27%-28% des intentions de vote. Du côté du Rassemblement national (RN), les intentions de vote se situent autour de 20%. Il y a un décrochage entre les deux coalitions et le RN.
Pour l’instant, le scénario est très différent de 2017. Très tôt après le second tour de la présidentielle, la République en Marche avait dominé les intentions de votes et les projections en sièges. Il faut néanmoins rappeler que les rapports de force en intentions de vote ne se traduisent pas forcément de la même manière en projections de sièges à l’Assemblée nationale. Les projections de sièges continuent de donner davantage de députés à la coalition Ensemble qu’à la coalition Nupes. Cet avantage est en train de se réduire. Quand on regarde les projections de la plupart des sondeurs aujourd’hui, la situation est moins favorable qu’il y a deux ou trois semaines.
Les Français ont boudé les urnes à la dernière présidentielle alors que c’est un scrutin traditionnellement mobilisateur. Doit-on s’attendre à une forte abstention dimanche prochain au premier tour des élections législatives ?
Oui, la plupart des indicateurs annoncent une forte abstention, même s’il est difficile de bien estimer son niveau avec des sondages préélectoraux. Même si la campagne est aujourd’hui davantage polarisée sur les tirs de barrage de la majorité contre Jean-Luc Mélenchon, et inversement, le désintérêt des Français pour cette campagne est visible dans les enquêtes, même s’ils la suivent. L’abstention devrait être nettement plus importante qu’à la présidentielle.
À qui pourrait profiter cette abstention ?
La sociologie des abstentionnistes donnerait un avantage à la majorité. Son électorat est composé de seniors, de catégories sociales favorisées. Ces deux caractéristiques sociologiques favorisent la participation. Ce qui est plus difficile à mesurer, c’est le degré de mobilisation dans certaines catégories de l’électorat de Jean-Luc Mélenchon à la présidentielle.
La part des Français indécis est-elle encore importante à deux jours du scrutin ?
Elle reste importante. Plus que l’indécision, c’est la difficulté pour les électeurs à bien comprendre le thème principal de cette campagne électorale qui se réduit aujourd’hui à un combat entre Jean-Luc Mélenchon et Emmanuel Macron.
Le président a accéléré le tempo sur le thème « il me faut une majorité absolue ». Jean-Luc Mélenchon a insisté sur le thème « qu’il ne fallait pas laisser les coudées franches à Emmanuel Macron ». Les Français voient surtout cette campagne comme une simple déclinaison de la campagne présidentielle.
Quel bilan tirez-vous de cette campagne électorale ?
C’est une non-campagne. Il n’y a pas vraiment eu de campagne au sens traditionnel. Nous n’avons pas été submergés d’images de candidats en train de faire campagne. Les candidats n’ont pas vraiment mis en avant des axes de politique publique. La Première ministre, Élisabeth Borne, fait campagne dans une circonscription du Calvados. Le pilote de cette campagne a bien été Emmanuel Macron.
Du côté de la Nupes, il y a eu une vraie dynamique. La mise en œuvre de cette coalition a créé un événement politique de très grande importance. Cette coalition va être un vrai marqueur de ces élections législatives. Cette coalition va qualifier au second tour beaucoup de candidats issus de la gauche. Ce sera sans doute un des résultats spectaculaire de dimanche soir.
Dans un récent billet, vous affirmez que, « si Jean-Luc Mélenchon a incontestablement réussi à transformer une élection de confirmation de la présidentielle en élection à enjeu (imposer une cohabitation à Emmanuel Macron), il lui reste à faire la démonstration que le soufflé n’est pas retombé et que les effets mobilisateurs escomptés auront bien lieu à gauche ». Faut-il s’attendre à une forte mobilisation des électeurs de gauche au premier tour des élections législatives ?
Les sympathisants de la France insoumise (LFI) et ceux de Jean-Luc Mélenchon sont très mobilisés. Dans les électorats de centre gauche du Parti socialiste ou des Verts, c’est un peu moins le cas.
Le Rassemblement national peut-il faire une percée à l’Assemblée nationale ?
Oui, le Rassemblement national aura sans doute plus de députés en 2022 qu’en 2017. Il y a 5 ans, le RN avait fait élire 8 députés au Palais Bourbon. Les députés RN ne devraient pas avoir de mal à former un groupe à l’Assemblée nationale [pour former un groupe à l'Assemblée, il faut au minimum 15 députés élus, Ndlr]. Cela pourrait être un événement très important – ce serait une première depuis les élections législatives de 1986.
Emmanuel Macron a-t-il sous-estimé ses adversaires après les résultats de l’élection présidentielle ?
Emmanuel Macron a voulu faire la même campagne qu’à la présidentielle, c’est-à-dire une non-campagne. Il a tout misé sur le fait que les Français voulait lui donner une majorité. Le chef de l’État s’est sans doute impliqué un peu tard dans cette campagne. La nomination de la Première ministre et la mise en place du gouvernement ont pris beaucoup de temps. Il y a eu une forme d’inertie post-présidentielle.
L’inversion du calendrier entre la présidentielle et les législatives il y a 20 ans a toujours donné une majorité confortable au chef de l’État. Que pourrait-il se passer si Emmanuel Macron n’obtenait pas la majorité absolue ?
Tout dépendra du nombre de sièges qu’il lui manquerait à ce moment-là pour obtenir la majorité absolue, fixée à 289 sièges. S’il ne lui manque que quelques sièges, il pourra sans doute compter sur des rapprochements individuels de députés de centre-droit. Du côté du centre-gauche, ces rapprochements me semblent plus compliqués.
Les députés socialistes qui seront élus seront issus en grande majorité de la coalition de la Nupes. S’il lui manque beaucoup plus de sièges pour former cette majorité, le chef de l’État sera sans doute obligé de faire un accord électoral avec une autre formation politique.
Cette annonce peut signifier la volonté de donner un nouveau souffle à cette campagne et de donner de la perspective en rappelant que le chef de l’État réformateur est toujours là. Ce n’est plus la « start-up nation » de 2017 mais un « changement profond de modèle » basé sur les fondamentaux de l’action publique (santé, école, écologie, production et emploi), nous explique le chef de l’État. Je pense que cette annonce est passée inaperçue chez beaucoup d’électeurs.
Propos recueillis par Grégoire Normand