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Environnement-Le bilan carbone caché des traités commerciaux

Environnement-Le bilan carbone caché des traités commerciaux 

Le mécanisme d’ajustement à la frontière proposé par la Commission européenne, MAC, entre en conflit avec les négociations commerciales menées par la même Commission. Estime dans la Tribune Stefan Ambec et Claude Crampes, Toulouse School of Economics.

 

 

La Commission européenne a lancé une consultation publique sur le mécanisme d’ajustement carbone (MAC). Tous les citoyens européens sont invités à donner leur avis sur cet élément central du pacte vert en remplissant un questionnaire sur le site de la Commission d’ici au 28 octobre. En France, le Président Macron compte sur le MAC pour financer le plan de relance. Est-ce une manière de faire resurgir la taxe carbone balayée par les gilets jaunes dans le débat politique français ? Il s’agit bien d’une mesure qui a la saveur de la taxe carbone puisqu’elle est adossée à la même assiette fiscale, l’empreinte carbone. Néanmoins, contrairement à la taxe carbone, le MAC ne grève pas les émissions de CO2 lors de l’utilisation du produit (par exemple, le carburant automobile) mais le volume de CO2 émis lors de sa production. De plus, seuls les produits importés au sein de l’Union européenne (UE) sont éligibles.

Dans MAC, le terme « ajustement » fait référence à la différence de coût entre les produits fabriqués à l’intérieur des frontières de l’UE et les produits importés, différence imputable au contrôle des émissions de CO2 plus restrictif au sein de l’UE du fait du système de quota d’émissions (EU ETS). Dans un esprit de juste concurrence entre producteurs localisés de part et d’autre des frontières de l’UE, il s’agit de réduire cette différence par une surtaxe sur les produits importés en provenance de pays moins regardant en matière de réchauffement climatique. L’objectif est d’éviter des « fuites de carbone », c’est-à-dire la délocalisation des industries les plus émettrices de CO2 dont les produits nous reviennent plus carbonés que s’ils étaient fabriqués au sein de l’UE. Ces produits importés altèrent notre bilan carbone au moment où ils sont consommés. Comme l’a souligné le Haut Conseil pour le Climat dans son dernier rapport, si le bilan carbone de la France a globalement diminué depuis 2005, les émissions importées n’ont pas cessé d’augmenter de sorte que près de la moitié des émissions attribuable à la France ont lieu hors de ses frontière. Avant d’appliquer de nouveaux tours de vis réglementaires à la machine économique européenne, il paraît judicieux de colmater les fuites de carbones en s’attaquant à ces importations.

Comme souvent en économie, les solutions fondées sur des raisonnements relativement simples s’avèrent compliquées à mettre en pratique. Le MAC n’échappe pas à la règle. Les économistes ont identifié plusieurs écueils sur le chemin de son application.[1] Le premier est la mesure de l’empreinte carbone d’un bien, c’est-à-dire des émissions de gaz à effet de serre générées par sa production. Cette information est difficile à obtenir sur notre sol, a fortiori hors de nos frontières. L’empreinte carbone est généralement estimée sur la base d’hypothèses techniques discutables appliquées à des processus de production plus ou moins standardisés.

Deuxième écueil, l’empreinte carbone d’un même bien varie selon la technologie de production, la localisation, et les entrants de productions. L’acier n’émet pas la même quantité de CO2 selon qu’il est produit par réduction du minerai de fer avec du coke ou par recyclage de ferrailles dans un four électrique. Il faut prendre en compte le mix énergétique (la part de sources d’énergie renouvelables versus fossiles) du pays d’origine, les éventuelles politiques environnementales adoptées pour en estimer les coûts afin d’apprécier le différentiel d’ajustement. Cela nécessite non seulement de différencier les produits selon ces critères mais également d’assurer leur traçabilité le long de la chaine de valeur jusqu’à nos frontières.

Troisième écueil, le colmatage de certaines fuites de carbone peut accélérer le débit des émissions importées dans d’autres secteurs. La Commission propose d’imposer un MAC pour les seuls secteurs obligés du système de quotas d’émissions de CO2 EU ETS comme l’acier et le ciment. Mais cela aura pour effet d’augmenter le coût de ces produits quand ils sont utilisés par les producteurs européens sans affecter leurs concurrents extérieurs. Les constructeurs automobiles américains ou japonais auront accès à un acier dont l’empreinte carbone n’est pas taxée contrairement aux constructeurs européens. Les émissions de la production d’acier hors UE pourraient alors re-franchir la frontière sous forme de véhicules, de carrosseries et de pièces automobiles, des biens exemptés de MAC car non soumis à l’EU ETS. Au final, les fuites colmatées en amont de la chaîne de valeur se déplaceraient vers l’aval.

Dans sa réponse à la consultation publique mis en place par la Commission, le Gouvernement français a fait des propositions pour rendre le MAC opérationnel. Il s’agit, comme préconisé par la Commission, de se limiter à quelques secteurs impliqués dans l’EU ETS. Le MAC prendrait la forme de quotas d’émissions virtuels que les entreprises devraient acheter à hauteur de l’empreinte carbone importée au prix de marché de l’EU ETS.

Le problème de mesure serait réglé en prenant une moyenne des émissions européenne du secteur d’activité considéré. La différenciation par mode de production et pays d’origine pourrait se faire en transférant le fardeau de la preuve aux producteurs. Ceux-ci devraient démontrer que leur produit à une empreinte carbone moindre ou qu’ils sont soumis à des politiques publiques à des coûts significatifs, voire comparable à ceux de l’EU ETS, dans leur pays d’origine.

L’adossement à l’EU ETS a l’avantage de réduire les risques de contentieux juridique à l’OMC au titre de la clause de la nation la plus favorisée puisque les importateurs font face aux mêmes coûts que les entreprises au sein de l’UE tant pour le prix de la tonne de CO2 que pour le calcul de l’empreinte carbone de leur produit. Néanmoins, la différenciation des produits ouvre la porte à un activité de lobby intense de la part des industriels et des pays partenaires commerciaux de l’UE.

 

La Commission européenne a le mandat de négocier des traités commerciaux dont l’objectif principal est de libéraliser les échanges en réduisant les droits de douane et les barrières non-tarifaires. Des accords avec le Canada et la zone Mercosur (Argentine, Brésil, Paraguay, Uruguay) ont été signés et sont en phase de ratification, d’autres avec l’Australie et la Nouvelle-Zélande sont encore en négociation.[2] La baisse inconditionnelle des droits de douane prévue par ces traités tranche avec le MAC qui, au contraire, vise à une hausse différenciée des charges appliquées aux importations. Même si les traités commerciaux contiennent des dispositions sur le climat (comme le rappel des engagements pris par les pays signataires dans le cadre de l’Accord de Paris), ceux-ci ne conditionnent pas la libéralisation des échanges.

Ainsi, le traité avec le Mercosur prévoit une baisse progressive des droits de douanes sur 99.000 tonnes équivalent carcasse de viande bovine importée en Europe. Ce faisant, ce traité ouvre une nouvelle fuite de carbone puisque produire un kilo de viande bovine émet près de trois fois plus de gaz à effet de serre s’il est produit en Amérique Latine plutôt qu’en Europe selon les calculs de la FAO. Remplacer le bœuf français par le bœuf brésilien dans son assiette augmente le bilan carbone de la France via la déforestation importée. Selon les estimations du rapport Ambec, le risque de déforestation induit par le contingent tarifaire de viande bovine libéralisé aurait un impact important sur le bilan carbone du traité. Sa contribution en terme émissions de gaz à effet de serre serait telle que le coût climatique de l’accord Mercosur deviendrait supérieur aux gains économiques.

Le pacte vert remet en cause la cohérence des actions de la Commission européenne. Alors que son bras droit cherche à colmater les fuites de carbones, son bras gauche en ouvre d’autres en éliminant des droits de douane dans les traités commerciaux. La Commission lance une consultation sur un mécanisme qui vise à ériger des barrières tarifaires en fonctions de l’empreinte carbone des produits importés tout en continuant à négocier une libéralisation des échanges avec des pays connus pour leur bilan carbone désastreux, par exemple l’Australie. C’est à se demander si cette consultation n’est pas un écran de fumée pour cacher le bilan carbone des traités commerciaux. Si sa conversion à la cause climatique est sincère, la Commission devrait plutôt utiliser les accords commerciaux comme levier pour colmater les fuites carbones. Une solution, préconisée par le rapport Ambec et une initiative commune des Pays-Bas et de la France, consiste à conditionner la baisse des droits de douanes à des engagements concrets des pays signataires visant à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre.

________

[1] Voir par exemple : Cosbey, A., S. Droege, C. Fischer and C. Munnings (2019) « Developing Guidance of Implementing Border Carbon Adjustments : Lessons, Cautions, and Research Needs from the Literature, » Review of Environmental Economics and Policy, 13(1): 3-22.

[2] Pour une liste exhaustive de ces accords négociés, voir https://ec.europa.eu/trade/policy/countries-and-regions/negotiations-and-agreements/

Le bilan carbone caché des traités commerciaux

Le bilan carbone caché des traités commerciaux 

Le mécanisme d’ajustement à la frontière proposé par la Commission européenne, MAC, entre en conflit avec les négociations commerciales menées par la même Commission. Estime dans la Tribune Stefan Ambec et Claude Crampes, Toulouse School of Economics.

 

 

La Commission européenne a lancé une consultation publique sur le mécanisme d’ajustement carbone (MAC). Tous les citoyens européens sont invités à donner leur avis sur cet élément central du pacte vert en remplissant un questionnaire sur le site de la Commission d’ici au 28 octobre. En France, le Président Macron compte sur le MAC pour financer le plan de relance. Est-ce une manière de faire resurgir la taxe carbone balayée par les gilets jaunes dans le débat politique français ? Il s’agit bien d’une mesure qui a la saveur de la taxe carbone puisqu’elle est adossée à la même assiette fiscale, l’empreinte carbone. Néanmoins, contrairement à la taxe carbone, le MAC ne grève pas les émissions de CO2 lors de l’utilisation du produit (par exemple, le carburant automobile) mais le volume de CO2 émis lors de sa production. De plus, seuls les produits importés au sein de l’Union européenne (UE) sont éligibles.

Dans MAC, le terme « ajustement » fait référence à la différence de coût entre les produits fabriqués à l’intérieur des frontières de l’UE et les produits importés, différence imputable au contrôle des émissions de CO2 plus restrictif au sein de l’UE du fait du système de quota d’émissions (EU ETS). Dans un esprit de juste concurrence entre producteurs localisés de part et d’autre des frontières de l’UE, il s’agit de réduire cette différence par une surtaxe sur les produits importés en provenance de pays moins regardant en matière de réchauffement climatique. L’objectif est d’éviter des « fuites de carbone », c’est-à-dire la délocalisation des industries les plus émettrices de CO2 dont les produits nous reviennent plus carbonés que s’ils étaient fabriqués au sein de l’UE. Ces produits importés altèrent notre bilan carbone au moment où ils sont consommés. Comme l’a souligné le Haut Conseil pour le Climat dans son dernier rapport, si le bilan carbone de la France a globalement diminué depuis 2005, les émissions importées n’ont pas cessé d’augmenter de sorte que près de la moitié des émissions attribuable à la France ont lieu hors de ses frontière. Avant d’appliquer de nouveaux tours de vis réglementaires à la machine économique européenne, il paraît judicieux de colmater les fuites de carbones en s’attaquant à ces importations.

Comme souvent en économie, les solutions fondées sur des raisonnements relativement simples s’avèrent compliquées à mettre en pratique. Le MAC n’échappe pas à la règle. Les économistes ont identifié plusieurs écueils sur le chemin de son application.[1] Le premier est la mesure de l’empreinte carbone d’un bien, c’est-à-dire des émissions de gaz à effet de serre générées par sa production. Cette information est difficile à obtenir sur notre sol, a fortiori hors de nos frontières. L’empreinte carbone est généralement estimée sur la base d’hypothèses techniques discutables appliquées à des processus de production plus ou moins standardisés.

Deuxième écueil, l’empreinte carbone d’un même bien varie selon la technologie de production, la localisation, et les entrants de productions. L’acier n’émet pas la même quantité de CO2 selon qu’il est produit par réduction du minerai de fer avec du coke ou par recyclage de ferrailles dans un four électrique. Il faut prendre en compte le mix énergétique (la part de sources d’énergie renouvelables versus fossiles) du pays d’origine, les éventuelles politiques environnementales adoptées pour en estimer les coûts afin d’apprécier le différentiel d’ajustement. Cela nécessite non seulement de différencier les produits selon ces critères mais également d’assurer leur traçabilité le long de la chaine de valeur jusqu’à nos frontières.

Troisième écueil, le colmatage de certaines fuites de carbone peut accélérer le débit des émissions importées dans d’autres secteurs. La Commission propose d’imposer un MAC pour les seuls secteurs obligés du système de quotas d’émissions de CO2 EU ETS comme l’acier et le ciment. Mais cela aura pour effet d’augmenter le coût de ces produits quand ils sont utilisés par les producteurs européens sans affecter leurs concurrents extérieurs. Les constructeurs automobiles américains ou japonais auront accès à un acier dont l’empreinte carbone n’est pas taxée contrairement aux constructeurs européens. Les émissions de la production d’acier hors UE pourraient alors re-franchir la frontière sous forme de véhicules, de carrosseries et de pièces automobiles, des biens exemptés de MAC car non soumis à l’EU ETS. Au final, les fuites colmatées en amont de la chaîne de valeur se déplaceraient vers l’aval.

Dans sa réponse à la consultation publique mis en place par la Commission, le Gouvernement français a fait des propositions pour rendre le MAC opérationnel. Il s’agit, comme préconisé par la Commission, de se limiter à quelques secteurs impliqués dans l’EU ETS. Le MAC prendrait la forme de quotas d’émissions virtuels que les entreprises devraient acheter à hauteur de l’empreinte carbone importée au prix de marché de l’EU ETS.

Le problème de mesure serait réglé en prenant une moyenne des émissions européenne du secteur d’activité considéré. La différenciation par mode de production et pays d’origine pourrait se faire en transférant le fardeau de la preuve aux producteurs. Ceux-ci devraient démontrer que leur produit à une empreinte carbone moindre ou qu’ils sont soumis à des politiques publiques à des coûts significatifs, voire comparable à ceux de l’EU ETS, dans leur pays d’origine.

L’adossement à l’EU ETS a l’avantage de réduire les risques de contentieux juridique à l’OMC au titre de la clause de la nation la plus favorisée puisque les importateurs font face aux mêmes coûts que les entreprises au sein de l’UE tant pour le prix de la tonne de CO2 que pour le calcul de l’empreinte carbone de leur produit. Néanmoins, la différenciation des produits ouvre la porte à un activité de lobby intense de la part des industriels et des pays partenaires commerciaux de l’UE.

 

La Commission européenne a le mandat de négocier des traités commerciaux dont l’objectif principal est de libéraliser les échanges en réduisant les droits de douane et les barrières non-tarifaires. Des accords avec le Canada et la zone Mercosur (Argentine, Brésil, Paraguay, Uruguay) ont été signés et sont en phase de ratification, d’autres avec l’Australie et la Nouvelle-Zélande sont encore en négociation.[2] La baisse inconditionnelle des droits de douane prévue par ces traités tranche avec le MAC qui, au contraire, vise à une hausse différenciée des charges appliquées aux importations. Même si les traités commerciaux contiennent des dispositions sur le climat (comme le rappel des engagements pris par les pays signataires dans le cadre de l’Accord de Paris), ceux-ci ne conditionnent pas la libéralisation des échanges.

Ainsi, le traité avec le Mercosur prévoit une baisse progressive des droits de douanes sur 99.000 tonnes équivalent carcasse de viande bovine importée en Europe. Ce faisant, ce traité ouvre une nouvelle fuite de carbone puisque produire un kilo de viande bovine émet près de trois fois plus de gaz à effet de serre s’il est produit en Amérique Latine plutôt qu’en Europe selon les calculs de la FAO. Remplacer le bœuf français par le bœuf brésilien dans son assiette augmente le bilan carbone de la France via la déforestation importée. Selon les estimations du rapport Ambec, le risque de déforestation induit par le contingent tarifaire de viande bovine libéralisé aurait un impact important sur le bilan carbone du traité. Sa contribution en terme émissions de gaz à effet de serre serait telle que le coût climatique de l’accord Mercosur deviendrait supérieur aux gains économiques.

Le pacte vert remet en cause la cohérence des actions de la Commission européenne. Alors que son bras droit cherche à colmater les fuites de carbones, son bras gauche en ouvre d’autres en éliminant des droits de douane dans les traités commerciaux. La Commission lance une consultation sur un mécanisme qui vise à ériger des barrières tarifaires en fonctions de l’empreinte carbone des produits importés tout en continuant à négocier une libéralisation des échanges avec des pays connus pour leur bilan carbone désastreux, par exemple l’Australie. C’est à se demander si cette consultation n’est pas un écran de fumée pour cacher le bilan carbone des traités commerciaux. Si sa conversion à la cause climatique est sincère, la Commission devrait plutôt utiliser les accords commerciaux comme levier pour colmater les fuites carbones. Une solution, préconisée par le rapport Ambec et une initiative commune des Pays-Bas et de la France, consiste à conditionner la baisse des droits de douanes à des engagements concrets des pays signataires visant à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre.

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[1] Voir par exemple : Cosbey, A., S. Droege, C. Fischer and C. Munnings (2019) « Developing Guidance of Implementing Border Carbon Adjustments : Lessons, Cautions, and Research Needs from the Literature, » Review of Environmental Economics and Policy, 13(1): 3-22.

[2] Pour une liste exhaustive de ces accords négociés, voir https://ec.europa.eu/trade/policy/countries-and-regions/negotiations-and-agreements/

La loi climat européenne : une neutralité carbone illusoire en 2050

La loi climat européenne : une neutralité carbone illusoire  en 2050

Pour respecter l’Accord de Paris, l’objectif européen en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre devrait être de 65, voire de 70% au lieu d’environ 50 % prévus en 2030 explique Marie Toussaint, députée européenne EELV. Elle considère que la loi européenne n’est pas à la hauteur de l’enjeu

« Nous perdons un temps précieux. Il y a près d’un an, pourtant, la Commission européenne était élue avec ce grand cri : « Vive le Green deal ! ». Quel gâchis. Le pacte vert promis ressemble en réalité davantage à une indigeste mixture libérale, où la révolution consiste en une longue liste de législations environnementales à réviser ou à créer, sans même avoir ajusté en conséquence les objectifs qui nous permettraient d’être à la hauteur de la catastrophe annoncée.

Nous voilà à la veille du premier crash-test : la « loi climat européenne », qui vise la neutralité carbone de l’Union en 2050 et fixe les objectifs intermédiaires pour y parvenir. Votée ce mercredi en séance plénière du Parlement européen, elle devra dire si nous mettons vraiment en œuvre les mesures nécessaires à la préservation des droits humains et du climat. Cette loi est déjà dénoncée par Greta Thunberg comme une « capitulation ». Et il y a de quoi.

Pour respecter l’Accord de Paris, pour éviter les sécheresses comme celle du Doubs, où la rivière a disparu par endroits au courant du mois d’août, pour freiner l’écroulement des glaciers comme celui de Nioghalvfjerdsfjorden au nord-est du Groenland il y a trois semaines, ou juguler les records de chaleur enregistrés cet été dans 50 villes de France, l’objectif européen en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre devrait être de 65, voire de 70%. Disons le franchement : la proposition de la Commission est totalement à côté de la plaque avec sa timide promesse de viser une baisse de 55% de CO2. Un objectif qui, à la faveur de jeux de chiffres et d’experts risque fort d’être ramené à 52,8% à l’horizon 2030.

Nous perdons un temps précieux, parce que les scientifiques sont formels : si nous voulons tenir nos engagements internationaux, il nous reste dix ans pour agir. Chaque hésitation, chaque tremblement sont autant de redditions devant le chemin qu’il nous reste à parcourir pour préserver une planète vivable.

Alors certes, le Parlement européen devrait la semaine prochaine adopter une proposition ambitieuse, avec la création d’un Haut Conseil pour le climat européen, une amélioration de l’accès à la justice pour faciliter le contrôle citoyen comme tente de le faire la campagne de justice climatique l’Affaire du siècle. Bien sûr les parlementaires défendront la fin des subventions directes et indirectes aux énergies fossiles d’ici 2025. Evidemment ils rappelleront le lien étroit entre réchauffement climatique et conditions sociales.

Mais le risque est là, et il est grand, que l’Union européenne passe une nouvelle fois à côté de l’Histoire, en se dotant d’objectifs dérisoires. Et le Parlement européen, autrefois si pionnier, cède peu à peu du terrain aux productivistes et aux tenants du mirage de la croissance verte, en refusant le rapport de force avec la Commission européenne.

Pire, les parlementaires et notamment les élus LREM ont tendance à se contredire eux-mêmes, en demandant la fin des subventions directes et indirectes aux énergies fossiles d’ici 2025 tout en défendant la place du gaz dans le mix énergétique et les nouvelles infrastructures de l’Union (qui nous enfermeront dans le gaz pour les 30 à 40 prochaines années), ou en abandonnant la bataille budgétaire là où il manque au moins 470 milliards d’euros par an pour financer la transition.

Le refus d’ouvrir les yeux face aux émissions importées de l’Union européenne et de la France est une autre faute grave de la majorité de notre pays, si prompt à défendre les intérêts du climat dans les mots… et les intérêts économiques ou financiers des grandes firmes dans les actes. Ne parlons même pas des outils de contrôle de l’atteinte des objectifs climatiques de l’Union par ses Etats-membres, à peine renforcés, et certainement pas contraignants ou adossés à des sanctions.

Une nouvelle fois, les néolibéraux, les productivistes et les conservateurs semblent avoir noué une alliance indéfectible. Elle repose sur l’idée que, puisque les grandes puissances du monde sont dirigées par des climato-sceptiques, nous ne pourrions agir. Un nouveau mensonge, puisqu’y compris en termes de rationalité économique, toute innovation de notre modèle énergétique, de production et de consommation, constitue une belle promesse d’avenir, et ouvre des perspectives de millions d’emplois.

Un confortable mensonge, surtout, car l’application de ces changements sur la politique française risqueraient d’être bien lourde pour ceux qui pensent avoir intérêt au statu quo : une loi climat ambitieuse obligerait la France à un véritable moratoire sur l’artificialisation des sols et les coupes rases dans les forêts françaises, ou encore sur le déploiement de la 5G. Elle obligerait en somme le pays à tenir compte des mesures plébiscitées par la Convention citoyenne pour le climat, et le Président de la République à tenir ses promesses.

Nous perdons un temps précieux, que le gouvernement français préfère utiliser à faire passer les écologistes pour des fantaisistes rétrogrades, quand il ne porte pas des coups mortels aux quelques règles environnementales qui existent. Le tout en jurant la main sur le cœur que la planète est sa priorité. A d’autres. Nous ne transigerons pas sur notre avenir commun. »

 

Le coût carbone dans les comptes des entreprises ?

Le coût carbone dans les comptes des entreprises ?

 

L’économiste François Meunier explique, dans une tribune au « Monde », comment certaines sociétés, comme BP ou Danone, calculent un résultat « net de carbone » en attribuant un coût à leurs émissions. Un article intéressant mais qui démontre que pour nombre d’économistes  le graal pour la décarbonisation est sa marchandisation !

Tribune. Suivant l’exemple d’autres grandes entreprises, Bernard Looney, le nouveau dirigeant [depuis le 4 février] de BP, la grande compagnie pétrolière britannique, vient de s’engager à rendre sa société « zéro carbone » d’ici à 2050. On souhaite que BP y arrive, et le plus tôt possible. Un moyen simple peut l’y aider : faire rentrer le coût carbone de l’activité de l’entreprise dans ses comptes financiers publiés régulièrement.

Ce sera un moyen pour le public et les actionnaires, désormais acquis en majorité à l’idée de mettre en place un prix de la ressource carbone, de mesurer le progrès accompli d’année en année et de rendre l’engagement publiquement opposable.

En France, la société Danone est en avance sur ce chemin : elle calcule déjà un résultat consolidé net du coût du carbone consommé dans le processus de production, en indiquant dans son rapport annuel les sources de ses coûts directs et indirects en carbone (section § 5-3 de son rapport).

 

Voici comment, sur le modèle de Danone, la proposition peut être articulée. 

Toute entreprise souhaitant afficher qu’elle se conforme bien à des engagements environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG), à côté de son jeu de comptes financiers établis comme d’habitude, pourrait publier en annexe les mêmes comptes, mais cette fois en faisant comme si le carbone consommé, c’est-à-dire rejeté dans la nature, coûtait un certain prix.

Ce prix pourrait être par exemple de 35 euros, comme le fait Danone en lien avec ce que retient aujourd’hui l’Union européenne – un prix jugé trop bas par les spécialistes. Mais ce prix pourrait, si la société le souhaite, se rapprocher des 120 euros retenus par la Suède pour sa taxe carbone.

 

Ce montant viendrait s’ajouter, de façon notionnelle, au coût de tous les biens et services consommés par l’entreprise contenant du carbone. En quelque sorte, elle ferait comme si la totalité de ses intrants supportait déjà une taxe carbone pleine et entière, sans bien sûr à ce jour la payer. 

Une entreprise pourrait ainsi publier d’une part un résultat net d’un milliard d’euros dans ses comptes financiers habituels, mais il serait d’autre part réduit à 400 millions d’euros une fois pris en compte le coût carbone. La différence de 600 millions serait ainsi son estimation de ce qu’elle rejette à titre gratuit dans l’environnement dans lequel elle opère, au détriment de tous. Elle montrerait d’année en année comment progresse ce résultat « net de carbone », notamment en comparaison avec son résultat carbone inclus. »

Des quotas carbone pour une croissance écologique

Des quotas carbone pour une croissance écologique

 

Une véritable croissance écologique nécessite la mise en place de quotas carbone et d’une planification à l’échelle des territoires, assure, dans une tribune au « Monde », un collectif de spécialistes dont Pierre Calame, Dominique Méda et Michèle Rivasi.

Dans sa déclaration de politique générale, le 15 juillet à l’Assemblée nationale, le premier ministre, Jean Castex, a souhaité que la France s’engage dans la voie de la « croissance écologique », terme préféré à celui de « décroissance ». Emmanuel Macron et Bruno Le Maire nous invitent à refonder notre modèle économique. Mais aucun des trois ne propose de moyen concret de le faire. La « croissance écologique » rejoindra-t-elle « croissance verte », « agriculture raisonnée » et « développement durable » dans le grand bazar des oxymores forgés depuis trente ans pour concilier l’inconciliable : continuer sur la lancée de la croissance et ne pas détruire la planète ?

Plus que jamais, il nous faut écouter Kenneth Boulding (1910-1993) : « Celui qui croit qu’une croissance exponentielle peut continuer indéfiniment dans un monde fini est soit un fou soit un économiste. » C’est bien en effet du côté des dogmes de l’économie qu’il faut chercher la source de la folie : l’illusion que tout est commensurable avec tout par le truchement d’une unique unité de compte, la monnaie. Jean-Pierre Dupuy ne disait pas autre chose, dans les colonnes du Monde, à propos de la valeur de la mort.

Seule évidence qui puisse donner consistance au concept de croissance écologique : il faut découpler le développement des relations humaines essentielles à notre bien-être, dans lesquelles le travail demeure pour longtemps un élément structurant, d’avec la consommation d’énergie fossile et de matières premières non renouvelables, à la source de la destruction programmée de la planète. Le défi du XXIe siècle est d’assurer le bien-être de tous dans le respect de la biosphère, en mobilisant pour cela tout le travail et toute la créativité humaine. C’est littéralement la définition que donnait, au XVIIIe siècle, le grand botaniste, Carl von Linné, de « l’œconomie » : les règles (nomoï) de gestion de notre espace domestique (oïkos).

 

Les données : outils pour la nutrition et l’empreinte carbone

Les  données : outils pour la nutrition et l’empreinte carbone

Par Stéphane Cren, responsable innovation chez GS1 France, et neuf autres signataires* soulignent l’intérêt des données pour permettre à chacun de contrôler la valeur nutritive de l’alimentation et l’empreinte carbone ( chronique la Tribune)

 

La crise sanitaire du coronavirus nous a rappelé aux difficultés et à la fragilité de notre modèle de société. Pour y faire face, nous avons redécouvert l’importance des comportements individuels (gestes barrières, entraide, etc.) et leur nécessaire articulation avec des réponses systémiques (système de santé, de recherche, chaînes d’approvisionnement, etc.).

De la même manière, la transition écologique appelle à un changement macroscopique des comportements individuels: parce qu’ils représentent une part du changement nécessaire, et parce que l’on peut parier sur leur considérable effet d’entraînement. L’éco-geste, en se généralisant, prendra une portée politique.

Mais pour l’heure, et malgré l’idée un peu rebattue de la « prise de conscience du consommateur », il y a cette dure réalité: les choix de consommation évoluent bien moins rapidement que la sensibilité à la question environnementale. Il faut alors s’interroger: de quels leviers disposons-nous pour réduire rapidement l’écart qui subsiste entre notre désir d’agir et nos actes réels ?

Observons le monde alimentaire. Nous sortons d’une longue période d’attentisme qui a vu la confiance dans l’offre alimentaire se dégrader progressivement. Depuis peu, les informations nutritionnelles des produits ont été digitalisées et mises à disposition du grand public sur leurs applications favorites. Et de là, le basculement qui a cours aujourd’hui.

L’accès à la donnée a provoqué ce que nulle loi ou directive n’avait été en mesure d’engendrer: la possibilité concrète pour le consommateur de choisir ses produits en fonction de leurs qualités nutritionnelles. L’effet de dévoilement et d’objectivation de la qualité de l’offre secoue toujours le secteur. Les industriels révisent leurs recettes, les distributeurs modifient leurs assortiments. Et ce n’est qu’un début, car la donnée n’est aujourd’hui accessible qu’à l’échelle du produit. Le vrai bilan nutritionnel à établir, c’est celui du foyer, à l’échelle de sa consommation alimentaire d’ensemble, de la multitude de ses choix.

C’est ce qui arrive! Avec le droit européen à la portabilité (l’article 20 du RGPD), chacun se voit autorisé à récupérer les données relatives à ses actes d’achats pour en confier l’usage à des applications. Ce droit permettra de suivre et de consolider les impacts de nos choix de consommation, quelles que soient les enseignes dont nous sommes les clients. Que deviendront alors les applications de conseils nutritionnels que nous utilisons déjà, une fois « connectées » à nos listes d’achats ? Assurément, des applications augmentées: plus pratiques (plus besoin de scanner), plus pertinentes (dressant un bilan nutritionnel de sa consommation globale) et probablement encore plus…influentes, avec une force prescriptive décuplée.

La Commission européenne, qui a récemment rendu public sa nouvelle stratégie (2020-2024) pour les données, annonce un renforcement de ce droit à la portabilité, pour le rendre accessible à tous, en un clic. Pour ce faire, elle demande des connexions automatiques et temps réels entre opérateurs. C’est à dire entre les distributeurs alimentaires et les applications nutritionnelles dans notre exemple. Bien entendu, toujours sous le contrôle de l’individu. Elle se dit prête à imposer ces nouvelles exigences. Cela ouvre la voie à ce que les données agissent demain comme un facteur de changement comportemental de grande ampleur.

Ce qui vaudra pour la dimension nutrition-santé de notre consommation alimentaire, vaudra assurément pour la dimension écologique de notre consommation globale. La possibilité de suivre et d’agir sur son bilan carbone personnel (ou encore sur sa consommation d’emballages plastiques par exemple), est une perspective qui vient d’être sérieusement crédibilisé.

L’empreinte carbone moyenne des français est estimée aujourd’hui à 12 tonnes équivalent CO2. Elle devra être abaissée à 2 tonnes seulement d’ici 2050. Les mécanismes de portabilité des données personnelles ouvrent des possibilités immenses pour développer les outils de responsabilisation individuelle et d’émulation collective dont nous avons besoin. Un Score Carbone individuel, composé à partir de données détenues par les entreprises de la distribution, des transports et de l’énergie, est possible. Il faut alors s’engouffrer dans la brèche !

Il reste toutefois de nombreux défis à relever. Il sera critique notamment d’accélérer l’effort d’enrichissement et d’ouverture des données relatives aux produits et services. Pour cela, il faut mettre en place cet « espace de données », comme le nomme la Commission européenne, sur des principes de décentralisation et de co-création. Marques et opérateurs de services, agences publiques, certificateurs, associations, innovateurs, citoyens-consommateurs, tous devront pouvoir y contribuer. Il en va de notre responsabilité collective d’y parvenir. La période que nous vivons renforce la disponibilité dans la population, à servir, par des actes personnels, les causes collectives. Le monde d’après doit commencer maintenant.

 

 

———————–

Williams Bertrand-Rihet, co-fondateur de Bill.e

Patrick Cocquet, délégué général, Cap Digital

Stéphane Cren, responsable innovation, GS1 France

Olivier Dion, co-fondateur, OneCub

Chistophe Hurbin, co-fondateur, myLabel

Julien Masanès, entrepreneur, co-fondateur, ProductChain

Sébastien Picardat, directeur général, AgDataHub

Gabriel Plassat, co-fondateur, la Fabrique des Mobilités

Eric Pol, co-fondateur, aNG

Richard Ramos, député du Loiret

L’éternel retour de la taxe carbone

L’éternel retour de   la taxe carbone

Comme l’arlésienne, la taxe carbone revient à la surface médiatique. Nombre d’économistes alliés à des écolos militent pour cette fiscalité potion magique pour le climat. Les économistes Géraud Guibert et Christian de Perthuis, spécialistes du climat, estiment, dans une tribune au « Monde » qu’il faut d’urgence relancer le débat public pour une tarification du carbone. L’occasion pour les économistes de glorifier les effets bénéfiques de la fiscalité. Une taxe  qui finira par s’installer du fiat de l’accoutumance à la drogue fiscale. Comme si les très grandes évolutions du prix des carburants avaient déjà joué un rôle significatif un jour sur la réduction de la consommation ! À quand une taxe sur l’air pollué expiré par l’homme pour réduire l’impact négatif sur le climat ?

 

« Alors que la fin du quinquennat d’Emmanuel Macron était censée mieux prendre en compte l’urgence climatique, la question du prix du carbone semble enterrée. Les pouvoirs publics s’apprêtent à botter en touche sur cette question qui fâche.

La convention citoyenne a reporté à plus tard toute décision sur ce point. Dans son rapport annuel, le Haut Conseil pour le climat considère le sujet comme optionnel par rapport à des mesures de nature réglementaire.

Avec un prix des énergies fossiles divisé par deux à la suite du Covid-19, il convient d’être lucide : une grande partie des objectifs de la programmation pluriannuelle de l’énergie qui vient d’être adoptée risquent de ne pas être atteints. Les priorités d’action rappelées par la convention citoyenne, comme l’accélération de la rénovation énergétique des bâtiments ou le basculement vers le fret ferroviaire, vont buter sur les questions de financement.

Faute de sous-jacents économiques solides, le pays va se cantonner dans l’écologie déclarative. Les changements de comportement requis pour répondre à l’urgence climatique seront à nouveau reportés à plus tard.

La tarification du carbone n’est certes qu’un outil pour réaliser la transition énergétique et d’autres leviers sont à actionner. Mais son rôle est crucial, surtout en période de faiblesse du prix des énergies fossiles.

Prenons l’exemple du fonds Chaleur de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), qui distribue des soutiens aux acteurs territoriaux investissant dans des chaudières au bois ou au biogaz. Dès que la fiscalité carbone s’appliquant au fioul ou au gaz d’origine fossile augmente, l’agence peut augmenter le nombre des opérations à financement constant. C’est pourquoi le gel de la taxe carbone en 2018 a été une mauvaise nouvelle pour ces projets. La chute du prix du pétrole intervenue depuis aggrave la situation. A financement inchangé, le nombre de projets réalisables s’effondre.

Le paradoxe de la situation est qu’il existe une forme de consensus sur l’importance d’un prix du carbone. La plupart des travaux des économistes montrent son efficacité, l’inaction climatique étant beaucoup plus coûteuse.

Le renforcement de la tarification carbone est une composante majeure du Green Deal européen. Lorsqu’on les fait dialoguer sur des bases solides, les différentes parties prenantes – patronat, syndicat, ONG, élus territoriaux et nationaux – sont capables de trouver des solutions favorisant le nécessaire renchérissement des énergies fossiles. »

Comme L’ARLESIENNE, la taxe carbone revient à la surface médiatique

Comme L’ARLESIENNE, la taxe carbone revient à la surface médiatique

Comme l’arlésienne, la taxe carbone revient à la surface médiatique. Nombre d’économistes alliés à des écolos militent pour cette fiscalité potion magique pour le climat. Les économistes Géraud Guibert et Christian de Perthuis, spécialistes du climat, estiment, dans une tribune au « Monde » qu’il faut d’urgence relancer le débat public pour une tarification du carbone. L’occasion pour les économistes de glorifier les effets bénéfiques de la fiscalité. Comme si les très grandes évolutions du prix des carburants avaient déjà joué un rôle significatif un jour sur la réduction de la consommation ! À quand une taxe sur l’air pollué expiré par l’homme pour réduire l’impact négatif sur le climat ?

 

« Alors que la fin du quinquennat d’Emmanuel Macron était censée mieux prendre en compte l’urgence climatique, la question du prix du carbone semble enterrée. Les pouvoirs publics s’apprêtent à botter en touche sur cette question qui fâche.

La convention citoyenne a reporté à plus tard toute décision sur ce point. Dans son rapport annuel, le Haut Conseil pour le climat considère le sujet comme optionnel par rapport à des mesures de nature réglementaire.

Avec un prix des énergies fossiles divisé par deux à la suite du Covid-19, il convient d’être lucide : une grande partie des objectifs de la programmation pluriannuelle de l’énergie qui vient d’être adoptée risquent de ne pas être atteints. Les priorités d’action rappelées par la convention citoyenne, comme l’accélération de la rénovation énergétique des bâtiments ou le basculement vers le fret ferroviaire, vont buter sur les questions de financement.

Faute de sous-jacents économiques solides, le pays va se cantonner dans l’écologie déclarative. Les changements de comportement requis pour répondre à l’urgence climatique seront à nouveau reportés à plus tard.

La tarification du carbone n’est certes qu’un outil pour réaliser la transition énergétique et d’autres leviers sont à actionner. Mais son rôle est crucial, surtout en période de faiblesse du prix des énergies fossiles.

Prenons l’exemple du fonds Chaleur de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), qui distribue des soutiens aux acteurs territoriaux investissant dans des chaudières au bois ou au biogaz. Dès que la fiscalité carbone s’appliquant au fioul ou au gaz d’origine fossile augmente, l’agence peut augmenter le nombre des opérations à financement constant. C’est pourquoi le gel de la taxe carbone en 2018 a été une mauvaise nouvelle pour ces projets. La chute du prix du pétrole intervenue depuis aggrave la situation. A financement inchangé, le nombre de projets réalisables s’effondre.

Le paradoxe de la situation est qu’il existe une forme de consensus sur l’importance d’un prix du carbone. La plupart des travaux des économistes montrent son efficacité, l’inaction climatique étant beaucoup plus coûteuse.

Le renforcement de la tarification carbone est une composante majeure du Green Deal européen. Lorsqu’on les fait dialoguer sur des bases solides, les différentes parties prenantes – patronat, syndicat, ONG, élus territoriaux et nationaux – sont capables de trouver des solutions favorisant le nécessaire renchérissement des énergies fossiles. »

 

Climat : « le coût social d’une économie sobre en carbone »

Climat : « le coût social d’une économie sobre en carbone » 

L’économiste Aurélie Méjean considère, dans une tribune au « Monde », qu’il convient de compenser les effets négatifs d’une taxation des émissions de CO2 sur les faibles revenus.

Tribune. Depuis la fin des années 1980, les inégalités mondiales décroissent. Cette tendance est cependant susceptible d’être inversée si l’objectif fixé par l’Accord de Paris d’une limitation du réchauffement en deçà de 2 °C par rapport au niveau préindustriel n’est pas tenu. La faute aux dommages liés au changement climatique, qui creusent les inégalités entre les pays et en leur sein. La mise en place de politiques de réduction des émissions est donc indispensable pour limiter l’effet amplificateur d’inégalité du changement climatique.

Deux politiques-clés pour amorcer la transition vers une économie sobre en carbone sont la suppression des subventions à la production et à l’utilisation d’énergie fossile, et la mise en place d’une tarification du carbone. Ces politiques dirigent les choix de consommation vers les produits et services les moins polluants. Mais en l’absence d’alternatives propres, elles ont pour effet d’augmenter le prix des services énergétiques (transport, chauffage) et des denrées alimentaires (par l’effet de la compétition dans l’usage des terres pour la production de bioénergie en particulier), ce qui touche de façon disproportionnée les ménages modestes, qui consacrent une grande part de leur revenu précisément à ces dépenses.

L’action climatique aggraverait donc, elle aussi, les inégalités car elle pénaliserait les plus pauvres. Comment affronter ce paradoxe ?

Tout d’abord, pour être socialement acceptables et acceptées, les politiques doivent être graduelles, afin de permettre une adaptation des modes de consommation et de production au nouveau jeu de prix relatifs. Dans les pays à faible revenu, par exemple, l’un des grands enjeux de développement est la limitation de la pollution de l’air intérieure, due à la combustion de biomasse traditionnelle dans les habitations. Un renchérissement des énergies fossiles via une suppression de subventions ou une tarification du carbone freinerait l’adoption de modes de cuisson non polluants, car les combustibles de transition sont, dans ce cas, fossiles (gaz de pétrole liquéfié, gaz naturel). Les réformes devront être ciblées et échelonnées : il s’agira de maintenir temporairement les subventions accordées aux combustibles de transition, tout en incitant l’adoption de technologies à partir d’électricité renouvelable, par des subventions, notamment.

Ensuite, l’impact des politiques sur les inégalités dépendra de l’usage qui est fait des revenus associés, c’est-à-dire de l’allocation du budget libéré par la suppression des subventions aux énergies fossiles, et de l’arbitrage sur l’usage des recettes perçues par l’Etat dans le cas d’une taxation du carbone. Les transferts directs, monétaires ou en nature (aide alimentaire notamment), ont démontré leur efficacité pour assurer aux plus pauvres la satisfaction de leurs besoins de consommation de base dans le cas d’une suppression des subventions aux énergies fossiles, par exemple en Indonésie. »

 

Taxe carbone: Washington menace Bruxelles

Taxe carbone: Washington menace Bruxelles

Le secrétaire américain au Commerce critique le projet phare pour le climat de Ursula von der Leyen.

 

Les tensions commerciales entre Européens et Américains semblaient être sorties de la zone rouge. Mais un nouveau sujet pourrait venir mettre le feu aux poudres. Cette fois-ci, c’est le secrétaire américain au Commerce qui s’en est pris au projet européen d’établir une taxe carbone aux frontières de l’Union. «Si c’est par essence protectionniste, comme les taxes numériques, nous réagirons», a déclaré Wilbur Ross au Financial Times.

Ce commentaire survient quelques jours après que Donald Trump et Ursula von der Leyen se sont rencontrés à Davos. La présidente de la Commission européenne en est sortie optimiste, affirmant qu’un accord serait possible «dans les prochaines semaines». Plus qu’un accord commercial, l’idée est d’obtenir la signature d’une déclaration politique, sorte de feuille de route dans les domaines où la coopération est possible, similaire à celle conclue en juillet 2018 entre le président américain et Jean-Claude Juncker, l’ancien président de la Commission.

 

Carbone : un nette baisse historique mais , très provisoire

Carbone  : un nette baisse historique mais , très provisoire

C’est de façon presque mécanique que les émissions de carbone ont enregistré une baisse historique. Bien entendu cette  baisse sera malheureusement provisoire dans la mesure où elle est essentiellement due non pas à une modification de notre mode de production, de distribution et de consommation mais à une paralysie d’une grande partie de l’économie. Les émissions de dioxyde de carbone mondiales ont enregistré une chute spectaculaire de 8,6% pendant les quatre premiers mois de l’année, par rapport à 2019. Le record a été enregistré le 7 avril : -17%, au plus fort du confinement. Une conséquence directe de l’arrêt de l’économie des pays. Avec la reprise d’une croissance classique, les émissions vont reprendre d’autant. Certes le contenu de cette croissance pourrait et devrait se modifier mais cela ne peut s’effectuer que dans un processus progressif si on ne veut pas provoquer à côté de la crise économique un énorme tsunami  social. Cette évolution de notre mode de production, de distribution et de consommation est toutefois incontournable et beaucoup plus pertinent qu’une taxe carbone qui a surtout pour objet de boucher les trous du budget et non d’influencer la régulation des émissions polluantes. On notera d’ailleurs que le prix du pétrole et celui qui intéresse plus particulièrement les consommateurs à savoir le prix des carburants influent de manière très accessoire sur le volume de la consommation et donc des émissions.

 

« Une relance économique avec des objectifs de neutralité carbone »

« Une relance économique avec des  objectifs de neutralité carbone »

 

Pour Gérald Maradan, expert en stratégies climatiques, il faut conditionner les aides d’urgence aux entreprises à des contreparties climatiques innovantes, ( tribune au « Monde »)

Tribune.

 

 » La crise sanitaire actuelle frappe de plein fouet de nombreux secteurs économiques. Face à cette situation, il faut déployer des moyens d’urgence exceptionnels et les Etats se mobilisent pour sauver les entreprises en difficulté. Des voix se sont élevées pour demander des contreparties à ces aides, comme lors de la crise financière de 2008, alors que les aides étaient intervenues massivement sans aucune contrepartie.

Aujourd’hui pourtant, la crise climatique, passée au second plan, est toujours bien présente et sera toujours plus alarmante demain. Si les émissions mondiales de CO2 baissent massivement en 2020, rien n’indique qu’elles ne repartiront pas en très forte hausse après la crise. Or, la crise climatique porte en elle les germes d’une future crise mondiale, encore plus puissante que celle que nous vivons actuellement, avec potentiellement, selon les experts, une disparition à terme possible de l’humanité.

 

L’exécutif est donc intervenu et a posé des conditionnalités environnementales aux aides. Les entreprises aidées devront justifier d’une « intégration exemplaire des objectifs de responsabilité sociale, sociétale et environnementale dans leur stratégie, notamment en matière de lutte contre le changement climatique ». C’est un premier pas, certes, mais sans contrainte pour les entreprises, et qui reste largement insuffisant pour créer une véritable dynamique.

Il faut donc aller plus loin et créer un nouvel instrument financier : le prêt à impact climat. Inspiré des emprunts responsables que sont en anglais les « Sustainability-linked loans » (en français les emprunts obligataires et bancaires durables), le prêt à impact climat inclurait une indexation des taux sur la trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) de l’entreprise, trajectoire qui devra être compatible avec les objectifs de l’accord de Paris.

En d’autres termes, plus l’entreprise colle à cette trajectoire de réduction, plus son taux de financement devient intéressant et son prêt bonifié. L’indicateur permettant de définir et de suivre cette trajectoire est connu. Il s’agit du Science-based target (SBT), développé par le Fonds mondial pour la nature, le pacte mondial des Nations unies, l’Institut des ressources mondiales et l’anciennement Carbon Disclosure Projet (CDP).

 

Shell, comme BP une illusoire neutralité carbone en 2050

Shell, comme BP une illusoire neutralité carbone en 2050

 

Comme BP, Shell annonce curieusement une illusoire neutralité carbone en 2050 sans d’ailleurs trop préciser les moyens parvenir. Sans doute va-t-on envisager de planter des arbres pour compenser les émissions polluantes du pétrole aussi investir dans des énergies alternatives symboliques mais inutiles. Ces groupes pétroliers comme d’autres secteurs qui veulent compenser leurs émissions polluantes par des implantations d’arbres sont des imposteurs car ils ne réduisent pas l’ampleur des émissions notamment de carbone mais les transfèrent. L’objectif est évidemment de passer un coup de peinture verte sur la communication de groupe dans la nature de production est de plus en plus mise en cause. Le groupe veut en outre réduire de 65% l’intensité carbone (la quantité de gaz à effet de serre émise par unité d’énergie produite), d’ici 2050 des produits vendus à ses clients, contre un objectif précédent de 50%. Il s’engage pour l’instant à vendre davantage de produits à faible intensité carbone notamment dans le renouvelable, les biocarburants ou l’hydrogène.

La promesse de Shell sur le climat n’a pas convaincu les ONG, qui fustigent le flou entourant les mesures permettant de tenir les promesses, des critiques déjà adressées à BP.

« Un plan crédible de Shell commencerait par un engagement visant à arrêter les nouveaux forages de pétrole et de gaz », souligne Richard George, un responsable de Greenpeace pour le Royaume-Uni. Il regrette « les aspirations vagues » qui « ne s’attaquent pas à l’empreinte carbone monstrueuse de Shell et font reposer l’effort sur ses clients pour compenser les émissions ».

Taxe carbone : le retour justifié par des raisonnements tordus

Taxe carbone :  le retour justifié par des raisonnements tordus

Par Stefan Ambec et Claude Crampes, Toulouse School of Economics s’efforcent de démontrer que la taxe carbone est aussi pertinente que les normes et les progrès technoogiques à partir d’arguments très spécieux comme la voiture polluante qui reste dans le garage ! Sans parler de l’ absence d’alternative pour nombre de zones périphériques condamnés à faire 50 kms par jour pour travailler. Le mirage du  signal-prix  a gagné nombre d’économistes trop contents de récupérer la problématique de l’environnement dans leur champ de compétence. Comment croire que le prix, donc le marché, puisse être un régulateur aussi efficace que la norme ou la technologie. par ailleurs. On fait comment pour calculer le signal prix de la voiture électrique (qui pollue , elle, pendant son processus de production notamment avec les batteries ?).  Nombre d’économiste semblent toujours intoxiqués par les vertu du prix et du marché qui ne sont pas les meilleurs outils dérégulation vis à vis de l’environnement.  ( interview la Tribune- extraits)

 

 

« Tout le monde s’accorde sur le fait que nous avons besoin de technologies plus performantes pour faire face au dérèglement climatique. Mais les avis divergent sur les moyens pour y parvenir. Imposer des standards technologiques plus contraignants présente l’avantage de la simplicité. Il s’agit par exemple de plafonner les émissions de CO2 par kilomètre pour les véhicules, par surface habitable pour les logements, par volume pour les réfrigérateurs. Ce type de réglementation envoie un message clair aux constructeurs : vous devez innover pour faire en sorte que vos produits respectent ces nouvelles exigences. Mais il faut l’accompagner de moyens de contrôle, et de pénalités en cas de non-respect. La détermination des standards ouvre aussi la porte à un intense lobbying par les industriels concernés.

La taxe carbone utilise un moyen détourné pour susciter cette innovation : le signal prix. En faisant payer les émissions de CO2, on accroit le prix des carburants ce qui pousse à l’achat de véhicules moins énergivores. On augmente le coût du chauffage au fuel et au gaz, ce qui rend l’investissement dans l’isolation ou l’achat d’une pompe à chaleur plus attractif. Accroitre le prix de l’énergie incite les ménages à en consommer moins et les entreprises à concevoir des produits pour accompagner cette transition. Nous l’avons vécu après le choc pétrolier des années soixante-dix qui a transformé le parc automobile européen vers plus de sobriété.

Standard versus taxe

Comme le standard technologique, la taxe carbone est un outil de la politique environnementale qui suscite le progrès technique, mais par d’autre leviers. L’épisode des gilets jaunes a mis en lumière les inconvénients de la taxe carbone non accompagnée de mesures sociales. Les standards ont aussi leurs défauts, dont certains peuvent être évités avec la taxe. En voici quelques-uns.

Les standards sont un outil manipulable par les groupes de pression pour favoriser leurs produits ou leurs technologies. On a bien vu en 2015 comment Volkswagen a réussi à tromper les contrôleurs sur les niveaux d’émission polluante de ses véhicules diesel. Comme les barrières métalliques empêchant le stationnement des voitures, l’absence de standard sur une technologie donnée est interprétée comme une autorisation. Dès lors, il faut les multiplier, ce qui ouvre la porte à des négociations industrie par industrie, voire entreprise par entreprise. La politique industrielle de soutien des champions nationaux et les menaces de perte d’emplois entrent alors en conflit avec l’objectif environnemental de réduction des émissions polluantes à moindre coût. De même, le standard technologique peut être détourné de sa mission initiale de protection de l’environnement pour ériger des barrières au commerce international au bénéfice de producteurs influents qui, protégés de la concurrence, peuvent imposer leurs conditions commerciales.

Le standard réglemente le produit mais ne contrôle pas son usage. Obliger un conducteur qui roule peu à payer le surcoût d’une technologie avancée en termes d’efficacité énergétique est inefficace économiquement. Avec une taxe carbone, il garderait sa vieille voiture mais réduirait ses déplacements, et l’automobiliste qui se déplace beaucoup serait incité à acheter une voiture moins consommatrice. Pour le premier, l’impact sur les émissions de CO2 serait sensiblement le même qu’avec une motorisation plus couteuse puisqu’il roule peu ; quant au second, le surcoût à l’achat serait compensé par une consommation réduite. De manière similaire, il est inefficient d’imposer l’achat d’un climatiseur sophistiqué s’il n’est utilisé que deux semaines par an. Si l’on veut en passer par des spécifications techniques, celles des climatiseurs devraient être différentes selon les régions et la durée d’utilisation ce qui est impossible à mettre en pratique.

Par ailleurs, une voiture qui reste au garage ne pollue pas, alors qu’une voiture qui consomme peu sera davantage utilisée. C’est ce que les économistes nomment l’effet rebond (ou paradoxe de Jevons) des politiques environnementales. La réduction de la pollution due au nouveau standard est moindre que celle estimée à usage donnée car l’usage augmente. L’effet rebond a été mis en évidence dans une étude sur le bonus-malus automobile pour les émissions de CO2 en France. Cette mesure a bien atteint son objectif qui était de diriger les achats vers des voitures plus sobres en énergie, mais au prix d’un accroissement du nombre de kilomètres parcourus par an. Au final, les auteurs de l’étude estiment que le bonus-malus a augmenté les émissions du secteur automobile d’environ 9%. Au contraire, taxer le carbone contenu dans le carburant impacte non seulement l’achat de voitures mais aussi leur usage en incitant les conducteurs à rouler moins même si leur voiture consomme peu.

Le standard technologique, en s’appliquant aux produits neufs, accroît la valeur des produits plus polluants sur le marché de l’occasion. C’est l’effet Gruenspecht du nom de l’économiste qui l’a popularisé. Les consommateurs qui ne veulent ou ne peuvent pas payer le surcoût d’une technologie plus avancée n’ont d’autre choix que de garder leur véhicule ou de se tourner vers le marché d’occasion. Des voitures qui devraient partir à la casse continuent à rouler. Au final, le standard encourage l’augmentation de la durée de vie des véhicules énergivores. Une étude a identifié l’effet Gruenspecht dans le cadre du CAFE (Corporate Average Fuel Economy), le standard d’efficacité énergétique des Etats-Unis. Les auteurs partent du constat que les véhicules les plus lourds et les plus puissants sont ceux qui durent plus longtemps. Suite au renforcement du CAFE, les acheteurs de SUV et de pickups reportent leurs achats ou achètent d’occasion. En conclusion, les auteurs de l’étude estiment que cet effet minore la réduction des émissions de CO2 d’environ 15%. Avec la taxe carbone, pas d’effet Gruenspecht. Les propriétaires de SUV et de pickups sont immédiatement impactés par l’augmentation du prix des carburants lorsqu’ils passent à la pompe. Ils sont incités à rouler moins et à remplacer leur véhicule par un neuf plus sobre.

Le standard technologique n’est pas plus juste que la taxe carbone. Certes, la taxe carbone touche de plein fouet les plus pauvres qui consacrent une grosse part de leur revenu à acheter l’énergie pour se chauffer ou se déplacer. Cependant, comme nous l’avions mentionné dans une tribune précédente, à la différence du standard, la taxe génère des recettes qui peuvent être utilisées pour compenser cette perte de pouvoir d’achat en ciblant les plus démunis. De son côté, le standard est loin d’être indolore. Il augmente le coût des voitures, des chaudières, des climatiseurs. Les ménages les plus pauvres auront du mal à financer ces dépenses surtout s’ils n’ont pas accès au crédit. Tout comme la taxe carbone, un standard technologique peut heurter davantage les pauvres que les riches.  L’analyse économique montre qu’un standard d’efficacité énergétique peut s’avérer plus régressif qu’une taxe carbone, c’est-à-dire creuser les inégalités. Ce résultat a été validé empiriquement pour le CAFE aux Etats-Unis.

Le mandat de la Convention citoyenne est de recommander des outils de politiques publiques pour réduire les émissions de gaz à effet de serre dans un esprit de justice sociale. Une multitude d’instruments sont disponibles, combinant des interventions directes sur les quantités et l’orientation des comportements par des contrôles de prix. Certains sont déjà utilisés, d’autres sont à imaginer. La taxe carbone, avec ses qualités et ses défauts, est un de ces instruments. Elle ne fera pas tout, mais elle doit faire partie de la solution au même titre que les standards technologiques. Ne pas parler de taxer les émissions carbonées est un choix que les membres de la Commission (la concention citoyenne)  le machin de 150 personnes tirées au hasard que tout le monde a oublié!) devront assumer vis-à-vis des générations futures qui sont elles aussi concernées par la justice sociale.

Les puits de carbone des forêts : pour combien de temps encore ?

 Les  puits de carbone des forêts  : pour combien de temps encore ?

un article intéressant de la Fédération nationale de l’environnement

 

 

 

« Prairies et forêts ont une capacité équivalente pour stocker le carbone dans les sols. En revanche, la biomasse aérienne des forêts est bien plus développée que celle des prairies. Elle représente ainsi près de 70% du flux annuel de carbone des forêts.

En Europe, l’effet bénéfique du puits biologique de carbone assuré par les prairies et forêts est annulé par les émissions de méthane et de protoxyde d’azote liées à l’activité agricole. Avec une agriculture relativement intensive, la France représente ainsi l’un des premiers pays émetteurs de protoxyde d’azote.

Grâce au puits de carbone forestier, le bilan atmosphérique européen des principaux gaz à effet de serre est globalement neutre, mais uniquement dans la mesure où une fraction de la croissance biologique est exploitée. En intensifiant l’exploitation forestière, la forêt risque donc d’être à l’origine d’une source significative de gaz à effet de serre.

En favorisant l’utilisation accrue du bois à des fins énergétiques, le carbone stocké est relargué dans l’atmosphère à très court terme. On risque ainsi de compromettre le bilan carbone des forêts, et par là même le bilan atmosphérique de l’ensemble de la biosphère terrestre européenne.

Il apparaît donc urgent de gérer les espaces européens pour maintenir le puits de carbone forestier.

Dans cette perspective, FNE souligne que la sous-exploitation de la ressource forestière française fréquemment évoquée doit être prise avec réserve. Une mobilisation accrue de cette ressource doit donc envisager l’ensemble des variables, en particulier les enjeux climatiques. Privilégier les usages durables du bois tels que le bois construction reste la meilleure alternative pour concilier production accrue et maintien du rôle de puits de carbone des forêts.

Pour FNE, la production de bois énergie doit rester clairement encadrée. En aucun cas les espaces forestiers ne doivent être dédiés exclusivement à cette production, qui doit rester limitée aux terres agricoles. De plus, l’utilisation des rémanents d’exploitation, éléments essentiels au maintien du fonctionnement des sols et de l’écosystème forestier, ne constitue pas une alternative durable. Au final, la combustion du bois transformé en fin de vie et des déchets de transformation reste la meilleure formule de valorisation énergétique.

 

PLUS VERT ET PLUS FEUILLU

Sans tenir compte du rythme auquel la photosynthèse a augmenté, les scientifiques s’accordent à dire que l’excédent de carbone agit comme un engrais pour les plantes en favorisant leur croissance.

« Il existe des preuves d’un feuillage des arbres plus abondant et d’une présence de bois plus importante, » explique Cernusak. « Le bois est en fait la partie qui absorbe le plus de carbone dans la masse totale de la plante. »

Les scientifiques du laboratoire national d’Oak Ridge ont remarqué que lorsqu’une plante est exposée à des niveaux en CO2 croissants, la taille des pores de ses feuilles augmente.

Dans le cadre de l’une de ses recherches expérimentales, Sendall a exposé des plantes à une concentration en CO2 égale au double de leur exposition habituelle.

Dans ces conditions, avec une augmentation drastique de leur exposition au CO2, « la composition des tissus de leurs feuilles était légèrement différente, » dit-elle. « Ce qui les rendait plus difficiles à manger pour les herbivores et moins accueillantes pour la croissance des larves. »

 

POINT DE BASCULE

Les niveaux atmosphériques de CO2 augmentent et on suppose que les plantes finiront par ne plus pouvoir tenir le rythme.

« La réponse du puits de carbone à une augmentation du CO2 atmosphérique reste à ce jour la plus grande inconnue à l’échelle mondiale dans les modélisations du cycle carbone, ce qui contribue grandement à l’incertitude qui règne dans les prévisions du changement climatique, » peut-on lire sur le site Web du laboratoire national d’Oak Ride.

Le défrichement des terres pour l’élevage ou l’agriculture et les émissions des carburants fossiles sont les facteurs les plus influents sur le cycle du carbone. Si ces deux éléments ne sont pas considérablement freinés, les scientifiques affirment que l’on atteindra inévitablement un point de bascule.

« Une plus grande partie du CO2 que nous émettons restera dans l’air, les concentrations en CO2 augmenteront donc rapidement et le changement climatique s’accélérera, » explique Danielle Way, écophysiologue à l’université de Western Ontario, au Canada.

 

Les scientifiques de l’université d’Illinois et du ministère de l’Agriculture des États-Unis ont mené des expériences visant à modifier génétiquement les plantes pour qu’elles puissent stocker plus de carbone. Une enzyme appelée rubsico est responsable de la captation du CO2 par photosynthèse et les scientifiques souhaitent accroître son efficacité.

Récemment, des essais de semences modifiées ont montré que le renforcement du rubisco augmentait l’efficacité de la plante d’environ 40 %. L’utilisation à grande échelle commerciale de cette enzyme végétale modifiée pourrait toutefois prendre plus de dix ans à mettre en place. Pour l’instant, les tests n’ont été réalisés qu’avec les cultures les plus communes comme le tabac et on ne connaît pas précisément les effets du rubisco sur les arbres qui occupent un rôle prépondérant dans la captation du carbone.

En septembre 2018, des groupes environnementaux se sont réunis à San Francisco pour élaborer un programme de sauvegarde des forêts, un élément naturel qui, selon eux, est la « solution climatique oubliée. »

« Je pense que les décideurs politiques devraient réagir à nos résultats en prenant conscience que la biosphère terrestre agit pour le moment comme un puits de carbone efficace, » conclut Cernusak. « Il faut prendre des mesures immédiates pour protéger les forêts afin qu’elles puissent continuer à agir de cette façon et, parallèlement, fournir les efforts nécessaires à la décarbonisation de notre production d’énergie. »

 

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

 

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