Archive pour le Tag 'capitalisme'

Nouveau capitalisme vert : une mystification

Nouveau capitalisme vert : une mystification

Dans un entretien au « Monde », J ean-Baptiste Fressoz , auteur de « Sans transition. Une nouvelle histoire de l’énergie » souligne que décarboner nos sociétés en ayant recours à l’idéologie du nouveau capitalisme vert est une mystification ( dans » Le Monde »).

Historien des sciences, des techniques et de l’environnement, Jean-Baptiste Fressoz est chercheur au Centre national de la recherche scientifique et enseignant à l’Ecole des hautes études en sciences sociales et à l’Ecole des ponts ParisTech. Il a notamment publié L’Evénement anthropocène. La Terre, l’histoire et nous (avec Christophe Bonneuil, Seuil, 2013), et Les Révoltes du ciel. Une histoire du changement climatique XVe-XXe siècle (avec Fabien Locher, Seuil, 2020). Il tient une chronique mensuelle pour Le Monde. Dans Sans transition. Une nouvelle histoire de l’énergie (Seuil, 416 pages, 24 euros), il remet en cause l’histoire linéaire et « phasiste » de la transition énergétique, qui incarne, selon lui, « l’idéologie du capital au XXIe siècle ».

Pourquoi la transition énergétique, tant annoncée et souhaitée, n’aura-t-elle, selon vous, pas lieu ?

Je suis un historien et je ne suis pas payé pour prédire le futur. L’argument de mon livre n’est pas de dire que la transition est impossible car elle n’a pas eu lieu par le passé. Je propose un regard nouveau sur l’histoire des énergies qui permet d’identifier des facteurs conduisant à leur accumulation. Je constate aussi que l’idée de transition énergétique est récente. Personne ou presque n’en parle avant les années 1970. Et elle ne part pas d’un constat empirique. Elle apparaît dans la futurologie avant d’être reprise par les historiens sans trop de recul critique.

L’histoire a joué un rôle idéologique discret mais central dans la construction de ce futur réconfortant. Si vous y prêtez attention, vous verrez que de nombreux politiciens, et même des experts, font souvent cette analogie : face au changement climatique, il nous faudrait réaliser une nouvelle transition énergétique, voire une troisième révolution industrielle – après la première du charbon et la deuxième du pétrole – fondée cette fois-ci sur les renouvelables et, ou, le nucléaire.

Ce genre de récit « phasiste » du monde matériel ne mène nulle part. L’industrialisation des XIXe et XXe siècles ne peut se prévaloir d’aucune transition. On ne passe pas du bois au charbon et encore moins, bien évidemment, du charbon au pétrole. Non seulement les énergies s’accumulent, ce qui est une évidence statistique, mais cette accumulation est symbiotique.

Politique- Incompatibilité entre capitalisme et écologie ?

Politique- Incompatibilité entre capitalisme et écologie ?

par
Directeur de recherche émérite au CNRS, économiste de l’énergie, Université Grenoble Alpes (UGA) dans The Conversation

La montée de la crise climatique conduit à poser avec une intensité accrue la question de la compatibilité entre le régime économique aujourd’hui dominant au plan mondial et le maintien de conditions écologiques viables sur la planète. Faut-il une rupture avec le système ? Le système en question c’est bien le système capitaliste, fondé sur une économie de marché globalisée, privilégiant la croissance à tout prix et qui ignorerait la question environnementale, sauf bien sûr à des fins marketing ou de greenwashing. Quant à la rupture, quelle serait-elle ? Le terme en lui-même implique un changement profond et rapide : dans les comportements individuels vers la sobriété, dans les politiques nationales, ou encore dans l’ordre mondial ?

Peut-on concilier capitalisme et écologie ? Question hautement clivante, parce qu’elle embarque de multiples dimensions idéologiques et politiques. Elle n’est pas nouvelle, mais devient absolument cruciale dans cette première moitié du XXIe siècle.

Pour engager une conversation utile à ce sujet, sans doute est-il nécessaire de prendre du recul. Et pour cela, quelle meilleure solution que de revisiter la pensée d’un des pionniers, si ce n’est le père, des concepts du développement durable : Ignacy Sachs, l’intellectuel franco-polonais qui est mort le 2 août dernier à Paris, à l’âge de 95 ans.

Né à Varsovie en 1927, Ignacy Sachs a grandi puis étudié l’économie au Brésil pendant la Seconde Guerre mondiale. Il travaille dans les services diplomatiques polonais en Inde à la fin des années 1950, avant de revenir en Pologne. Il quitte ce pays en 1968 et rejoint à Paris l’École pratique des hautes études (l’actuelle EHESS).

Fort de son expérience de vie dans plusieurs sociétés, il commence alors à déployer une réflexion globale sur les enjeux du développement et définit le concept d’« écodéveloppement ». Son programme de recherche, sans doute plus connu à l’international qu’en France, est simple à définir : il s’agit d’explorer les voies d’une « croissance économique à la fois respectueuse de l’environnement et socialement inclusive ».

C’est donc la définition de l’écodéveloppement, terme qu’il impose à la première Conférence des Nations unies sur l’environnement, en 1972 à Stockholm. C’est clairement un concept précurseur de celui de développement durable, introduit par le rapport Brundtland quinze ans plus tard, en 1987.

En 2008, longtemps après ces premiers travaux et donc avec un recul important, Ignacy Sachs livre pour les archives audiovisuelles de la Fondation de la Maison des sciences de l’homme six entretiens sur « Penser le développement au XXIe siècle ».

Il s’agit sans doute de la meilleure base de départ pour explorer la question « Peut-on concilier capitalisme et écologie ? ».

Les expériences de vie et les travaux de recherche de Sachs le conduisent à une analyse sans concession de ce qu’il appelle les « paradigmes échoués » du XXe siècle.

Au Nord, le premier capitalisme, sauvage, a laissé la place à un « capitalisme réformé » durant les trente glorieuses (1945-1975), avant que la « contre-réforme du néo-libéralisme » ne balaye à partir des années 1980 une partie des acquis de la social-démocratie. À l’Est, le bilan du « socialisme réel » est sans appel : sobriété forcée et libertés restreintes, dans une égalité toute relative. Au Sud, le mal-développement domine, avec des inégalités extrêmes et le gaspillage des ressources, naturelles autant qu’humaines.

Seuls échappent peut-être à ce constat certains pays d’Asie de l’Est et du Sud-Est (la Corée du Sud et les autres « Dragons », puis la Chine et aujourd’hui le Vietnam), dotés d’« États développeurs » efficaces et qui furent les principaux bénéficiaires de la mondialisation économique. Mais en règle générale, les leçons de l’histoire sont des leçons négatives, nous dit Sachs. Pour relever les défis du XXIe siècle, nous sommes donc condamnés à inventer.

Quels sont ces défis auxquels il faut faire face désormais ?

Le changement climatique, bien sûr, dont les manifestations sont aujourd’hui claires, mais qui s’inscrivait déjà sur l’agenda international il y a trente ans, avec le premier rapport du GIEC et les premiers sommets de chefs d’État.

Pour Ignacy Sachs, le second défi est celui du travail. Plus précisément celui de la création d’une offre suffisante de « travail décent » pour une population mondiale qui continuera à croître, de 7,6 milliards aujourd’hui à 10 mds vers 2050. Dans L’homme inutile, l’économiste Pierre-Noël Giraud identifie lui aussi les nouveaux damnés de la terre, ceux qui sont exclus du travail, au Nord comme au Sud.

Sur l’articulation de ces deux défis, deux camps s’affrontent.

D’un côté, on a les « maniaques de la croissance » qui considèrent le maintien de la croissance comme une priorité absolue et « pour ce qui est de l’environnement, on verra après ! ». De l’autre, les tenants de la décroissance, pour lesquels la croissance épuise les ressources et détruit l’atmosphère, sachant que la production matérielle est d’ores et déjà plus que suffisante : il suffit de mieux la répartir. Ce débat entre « cornucopiens et malthusiens » fut illustré, par exemple, dans la controverse entre l’écologiste Paul Ehrlich et l’économiste Julian Simon.

Invoquant Gandhi, Sachs reconnaît la nécessité de la rupture avec le consumérisme effréné et la pertinence de l’autolimitation des consommations. Mais il est sans concession sur la croissance : toute solution conduisant à la freiner peut certes faire du mal au portefeuille des plus riches, mais elle peut aussi signifier l’enfer pour les plus pauvres. Il s’agit donc de piloter l’économie en se tenant éloigné des deux dogmatismes, en considérant des objectifs de croissance et d’emploi, sans doute en inversant les priorités : l’emploi et la croissance.

Il serait vain de revenir aux solutions du passé, toutes ont mal passé l’épreuve de la réalité. En attendant l’émergence et la consolidation d’une économie sociale dans l’économie de marché, il s’agit en priorité de réformer à nouveau le capitalisme. Et d’affirmer le rôle de l’État dans cette perspective d’une « croissance économique socialement inclusive et respectueuse de l’environnement ».

Dans le projet de réforme du capitalisme, Sachs identifie la nécessité absolue d’une régulation sociale et environnementale des marchés. Il faut pour cela une « main bien visible de l’État ». Dans ses conférences de 2008, il identifie cinq priorités, d’une extrême actualité.

L’État doit tout d’abord gérer l’interface entre les différents niveaux de gouvernance ; dans la mondialisation, l’État-nation ne doit pas s’effacer mais au contraire s’affirmer comme un élément central pour l’articulation du global et du local.

Il doit aussi évidemment être l’élément moteur de la composition des objectifs économiques, sociaux et environnementaux, qui constituent le triangle de base du développement durable.
Si les transitions écologiques et sociales appellent une vision à long terme, celle-ci ne doit pas être élaborée de manière technocratique, mais constituer un avenir négocié entre l’État, les entreprises, les représentants des travailleurs et la société civile organisée.

Les services sociaux de base principalement garantis par l’État pour les infrastructures, la santé, l’éducation doivent devenir un droit pour tous et, évidemment, dans tous les pays.
Enfin, l’État doit jouer un rôle central en matière de recherche et d’innovation, non seulement parce que les intérêts privés sous-estiment les bénéfices sociaux de la recherche, mais aussi parce que celle-ci doit échapper aux critères de rentabilité à court terme.

La pensée d’Ignacy Sachs n’épuise évidemment pas le sujet. Mais elle constitue un socle de réflexion solide pour penser les solutions aux défis du XXIe siècle.

Et il sera possible, et recommandé, de prolonger la réflexion en s’appuyant sur les apports du philosophe pragmatiste américain John Dewey pour le rôle de l’enquête scientifique dans la formulation des politiques publiques ou pour le « libéralisme d’action sociale » ; mais aussi les analyses détaillées de Pierre-Noel Giraud sur la nécessaire gestion des emplois nomades et sédentaires dans l’économie globalisée ; ou encore la vision schumpetérienne du paradigme économique vert de l’économiste anglais Christopher Freeman.

Mais ce sont autant de sujets à verser à un dossier qui ne sera pas clos avant longtemps : réformer le capitalisme pour surmonter la crise écologique, tout en construisant l’équité et l’inclusion sociale…

Incompatibilité entre capitalisme et écologie ? Les enseignements d’Ignacy Sachs

Incompatibilité entre capitalisme et écologie ? Les enseignements d’Ignacy Sachs

par
Directeur de recherche émérite au CNRS, économiste de l’énergie, Université Grenoble Alpes (UGA) dans The Conversation

La montée de la crise climatique conduit à poser avec une intensité accrue la question de la compatibilité entre le régime économique aujourd’hui dominant au plan mondial et le maintien de conditions écologiques viables sur la planète. Faut-il une rupture avec le système ? Le système en question c’est bien le système capitaliste, fondé sur une économie de marché globalisée, privilégiant la croissance à tout prix et qui ignorerait la question environnementale, sauf bien sûr à des fins marketing ou de greenwashing. Quant à la rupture, quelle serait-elle ? Le terme en lui-même implique un changement profond et rapide : dans les comportements individuels vers la sobriété, dans les politiques nationales, ou encore dans l’ordre mondial ?

Peut-on concilier capitalisme et écologie ? Question hautement clivante, parce qu’elle embarque de multiples dimensions idéologiques et politiques. Elle n’est pas nouvelle, mais devient absolument cruciale dans cette première moitié du XXIe siècle.

Pour engager une conversation utile à ce sujet, sans doute est-il nécessaire de prendre du recul. Et pour cela, quelle meilleure solution que de revisiter la pensée d’un des pionniers, si ce n’est le père, des concepts du développement durable : Ignacy Sachs, l’intellectuel franco-polonais qui est mort le 2 août dernier à Paris, à l’âge de 95 ans.

Né à Varsovie en 1927, Ignacy Sachs a grandi puis étudié l’économie au Brésil pendant la Seconde Guerre mondiale. Il travaille dans les services diplomatiques polonais en Inde à la fin des années 1950, avant de revenir en Pologne. Il quitte ce pays en 1968 et rejoint à Paris l’École pratique des hautes études (l’actuelle EHESS).

Fort de son expérience de vie dans plusieurs sociétés, il commence alors à déployer une réflexion globale sur les enjeux du développement et définit le concept d’« écodéveloppement ». Son programme de recherche, sans doute plus connu à l’international qu’en France, est simple à définir : il s’agit d’explorer les voies d’une « croissance économique à la fois respectueuse de l’environnement et socialement inclusive ».

C’est donc la définition de l’écodéveloppement, terme qu’il impose à la première Conférence des Nations unies sur l’environnement, en 1972 à Stockholm. C’est clairement un concept précurseur de celui de développement durable, introduit par le rapport Brundtland quinze ans plus tard, en 1987.

En 2008, longtemps après ces premiers travaux et donc avec un recul important, Ignacy Sachs livre pour les archives audiovisuelles de la Fondation de la Maison des sciences de l’homme six entretiens sur « Penser le développement au XXIe siècle ».

Il s’agit sans doute de la meilleure base de départ pour explorer la question « Peut-on concilier capitalisme et écologie ? ».

Les expériences de vie et les travaux de recherche de Sachs le conduisent à une analyse sans concession de ce qu’il appelle les « paradigmes échoués » du XXe siècle.

Au Nord, le premier capitalisme, sauvage, a laissé la place à un « capitalisme réformé » durant les trente glorieuses (1945-1975), avant que la « contre-réforme du néo-libéralisme » ne balaye à partir des années 1980 une partie des acquis de la social-démocratie. À l’Est, le bilan du « socialisme réel » est sans appel : sobriété forcée et libertés restreintes, dans une égalité toute relative. Au Sud, le mal-développement domine, avec des inégalités extrêmes et le gaspillage des ressources, naturelles autant qu’humaines.

Seuls échappent peut-être à ce constat certains pays d’Asie de l’Est et du Sud-Est (la Corée du Sud et les autres « Dragons », puis la Chine et aujourd’hui le Vietnam), dotés d’« États développeurs » efficaces et qui furent les principaux bénéficiaires de la mondialisation économique. Mais en règle générale, les leçons de l’histoire sont des leçons négatives, nous dit Sachs. Pour relever les défis du XXIe siècle, nous sommes donc condamnés à inventer.

Quels sont ces défis auxquels il faut faire face désormais ?

Le changement climatique, bien sûr, dont les manifestations sont aujourd’hui claires, mais qui s’inscrivait déjà sur l’agenda international il y a trente ans, avec le premier rapport du GIEC et les premiers sommets de chefs d’État.

Pour Ignacy Sachs, le second défi est celui du travail. Plus précisément celui de la création d’une offre suffisante de « travail décent » pour une population mondiale qui continuera à croître, de 7,6 milliards aujourd’hui à 10 mds vers 2050. Dans L’homme inutile, l’économiste Pierre-Noël Giraud identifie lui aussi les nouveaux damnés de la terre, ceux qui sont exclus du travail, au Nord comme au Sud.

Sur l’articulation de ces deux défis, deux camps s’affrontent.

D’un côté, on a les « maniaques de la croissance » qui considèrent le maintien de la croissance comme une priorité absolue et « pour ce qui est de l’environnement, on verra après ! ». De l’autre, les tenants de la décroissance, pour lesquels la croissance épuise les ressources et détruit l’atmosphère, sachant que la production matérielle est d’ores et déjà plus que suffisante : il suffit de mieux la répartir. Ce débat entre « cornucopiens et malthusiens » fut illustré, par exemple, dans la controverse entre l’écologiste Paul Ehrlich et l’économiste Julian Simon.

Invoquant Gandhi, Sachs reconnaît la nécessité de la rupture avec le consumérisme effréné et la pertinence de l’autolimitation des consommations. Mais il est sans concession sur la croissance : toute solution conduisant à la freiner peut certes faire du mal au portefeuille des plus riches, mais elle peut aussi signifier l’enfer pour les plus pauvres. Il s’agit donc de piloter l’économie en se tenant éloigné des deux dogmatismes, en considérant des objectifs de croissance et d’emploi, sans doute en inversant les priorités : l’emploi et la croissance.

Il serait vain de revenir aux solutions du passé, toutes ont mal passé l’épreuve de la réalité. En attendant l’émergence et la consolidation d’une économie sociale dans l’économie de marché, il s’agit en priorité de réformer à nouveau le capitalisme. Et d’affirmer le rôle de l’État dans cette perspective d’une « croissance économique socialement inclusive et respectueuse de l’environnement ».

Dans le projet de réforme du capitalisme, Sachs identifie la nécessité absolue d’une régulation sociale et environnementale des marchés. Il faut pour cela une « main bien visible de l’État ». Dans ses conférences de 2008, il identifie cinq priorités, d’une extrême actualité.

L’État doit tout d’abord gérer l’interface entre les différents niveaux de gouvernance ; dans la mondialisation, l’État-nation ne doit pas s’effacer mais au contraire s’affirmer comme un élément central pour l’articulation du global et du local.

Il doit aussi évidemment être l’élément moteur de la composition des objectifs économiques, sociaux et environnementaux, qui constituent le triangle de base du développement durable.
Si les transitions écologiques et sociales appellent une vision à long terme, celle-ci ne doit pas être élaborée de manière technocratique, mais constituer un avenir négocié entre l’État, les entreprises, les représentants des travailleurs et la société civile organisée.

Les services sociaux de base principalement garantis par l’État pour les infrastructures, la santé, l’éducation doivent devenir un droit pour tous et, évidemment, dans tous les pays.
Enfin, l’État doit jouer un rôle central en matière de recherche et d’innovation, non seulement parce que les intérêts privés sous-estiment les bénéfices sociaux de la recherche, mais aussi parce que celle-ci doit échapper aux critères de rentabilité à court terme.

La pensée d’Ignacy Sachs n’épuise évidemment pas le sujet. Mais elle constitue un socle de réflexion solide pour penser les solutions aux défis du XXIe siècle.

Et il sera possible, et recommandé, de prolonger la réflexion en s’appuyant sur les apports du philosophe pragmatiste américain John Dewey pour le rôle de l’enquête scientifique dans la formulation des politiques publiques ou pour le « libéralisme d’action sociale » ; mais aussi les analyses détaillées de Pierre-Noel Giraud sur la nécessaire gestion des emplois nomades et sédentaires dans l’économie globalisée ; ou encore la vision schumpetérienne du paradigme économique vert de l’économiste anglais Christopher Freeman.

Mais ce sont autant de sujets à verser à un dossier qui ne sera pas clos avant longtemps : réformer le capitalisme pour surmonter la crise écologique, tout en construisant l’équité et l’inclusion sociale…

La sobriété punie par la capitalisme

La sobriété punie par la capitalisme


Il existe une injonction à croître du système monétaire international, qui pousse notamment les épargnants à dépenser pour éviter d’être victimes de l’inflation, constate, dans une tribune au « Monde », l’expert en bitcoin Alexandre Stachtchenko, et cela nuit à une croissance respectueuse des enjeux climatiques.

La conférence Beyond Growth (« au-delà de la croissance ») a pris fin au Parlement européen, il y a près d’un mois (du 15 au 17 mai). L’occasion de montrer à nouveau que l’écologie fait son chemin dans l’opinion, et ce jusqu’aux instances représentatives de l’Union européenne. Le sujet n’est plus perçu comme isolé, mais bien systémique.

C’est à ce titre que le monde financier a commencé à être questionné. Dans un système économique largement financiarisé depuis la fin du XXe siècle, l’influence de ce secteur sur l’ensemble du système productif a été passée au peigne fin : origine des capitaux, direction des investissements, incitations et taxes diverses… Il est pourtant un aspect majeur qui a échappé à l’inspection : la monnaie.

La monnaie, ce thermomètre et ce sang de l’économie, mesure de tous les indices et grandeurs, fondement de tous les échanges, de toutes les transactions, influençant tous les jours les décisions des agents économiques, a réussi à esquiver l’examen collectif. Or il y a de quoi hausser les sourcils. L’inflation actuelle aura peut-être le mérite de nous ouvrir les yeux sur le péché originel de notre système prédateur de ressources : l’incitation constante à se débarrasser de son argent.

L’investissement devient souvent une fuite en avant

Dans un système où l’épargne est possible, l’investissement est risqué mais sain : il essaie de créer plus de valeur ajoutée à partir d’un capital autrement improductif, mais il peut aussi conduire à la perte de celui-ci. S’il n’y a aucune opportunité intéressante, l’épargne demeure une alternative viable.

Autrement dit, on investit, mais pas dans n’importe quoi. Mais quand la monnaie perd perpétuellement de sa valeur, l’épargne est punie, et il ne reste que deux solutions économiquement viables : consommer immédiatement ou investir.

«L’illusion du dépassement du capitalisme»

«L’illusion du dépassement du capitalisme» (Philippe Aghion)

par Philippe Aghion a enseigné à l’université Harvard, à University College London et à Nuffield College, Oxford. Il est depuis octobre 2015 professeur au Collège de France dans l’Opinion

Un article intéressant en ce sens qu’il montre la pauvreté du plaidoyer en faveur du capitalisme. Pas vraiment un papier de scientifique mais plutôt une argumentation partiale et partielle. Comment en effet par exemple mettre dans le même sac la Chine et la Russie. La Chine est devenue la première économie du monde et la Russie ne dépasse même pas le niveau économique de l’Espagne. Bref, un papier aussi schématique que celui des défenseurs du communisme. NDLR

Les inégalités qui explosent, la croissance qui stagne depuis quinze ans, le dérèglement climatique qui se poursuit : ces réalités servent de fonds de commerce à ceux qui proposent de changer radicalement de système et de dépasser le capitalisme.

Cependant, nous avons fait l’expérience d’un système alternatif, celui de la planification centralisée en Union soviétique et dans les autres pays communistes d’Europe centrale et orientale. Ce système n’a pas permis à ces pays de dépasser un niveau intermédiaire de développement, faute d’offrir aux individus la liberté et les incitations économiques nécessaires pour innover.

A lire aussi: «La liberté, condition sine qua non de l’innovation» – par Philippe Aghion
Est-ce à dire qu’il faut accepter les défauts du capitalisme comme un nécessaire prix à payer pour générer la prospérité et sortir de la pauvreté ?

Innovation. Nous pensons tout au contraire qu’il faut s’atteler à corriger ces défauts pour améliorer le système plutôt que de changer de système. L’épisode du Covid a mis en lumière différentes faiblesses du capitalisme d’une rive à l’autre de l’Atlantique. Aux Etats-Unis, elle a montré les limites d’un modèle social qui ne parvient pas à protéger les individus les plus vulnérables contre les accidents de la vie. En Europe, elle a montré notre grave déficit en matière d’innovation : nous n’avons pas été capables de développer à grande échelle des vaccins bases sur l’ARN messager.

Il est possible de rendre le capitalisme à la fois plus innovant, et plus protecteur et inclusif. Deux leviers essentiels pour y parvenir : l’éducation et la concurrence
Sommes-nous condamnés à choisir entre le modèle américain, plus innovant mais moins protecteur, et le modèle européen plus protecteur et égalitaire mais moins innovant ? Nous pensons au contraire qu’il est possible de rendre le capitalisme à la fois plus innovant, et plus protecteur et inclusif. Deux leviers essentiels pour y parvenir : l’éducation et la concurrence. L’éducation permet à un plus grand nombre d’individus d’accéder à l’innovation, ce qui stimule la croissance tout en la rendant plus inclusive. Davantage de concurrence facilite l’entrée de nouvelles entreprises innovantes, ce qui également réconcilie croissance et mobilité sociale.

Le capitalisme est un cheval fougueux : il peut facilement s’emballer, échappant à tout contrôle. Mais si on lui tient fermement les rênes, alors il va là où l’on veut.

Quel avenir pour le capitalisme libéral

Quel avenir pour le capitalisme libéral ?


par André Yché, Président du conseil de surveillance chez CDC Habitat qui se prête à l’exercice d’une « Lettre d’outre-tombe » de Schumpeter ( dans La Tribune)

Je vous l’avais bien dit ! Je reconnais bien volontiers l’apport plus ou moins important des quelques économistes, ou réputés tels, que la commune renommée se plait à ranger à mes côtés dans la « cour des grands » : mon ami Keynes, ou même Alvin Hansen dont la relative notoriété tient pour beaucoup aux fonctions qu’il a exercées auprès des Présidents Roosevelt et Truman, qui auraient gagné à mieux s’entourer alors que mes travaux me laissaient quelques loisirs ; mais j’avoue que sur une question importante, celle de l’hypothèse de « stagnation séculaire », il se peut bien qu’il ait eu raison, contre moi. Cette circonstance est suffisamment exceptionnelle pour mériter d’être soulignée.

Toutefois, en dépit de tous mes efforts d’objectivité et de modestie, force est de constater que ma contribution au progrès de la théorie économique est d’une tout autre ampleur, car je suis incontestablement le premier et, à ma connaissance, le seul, à avoir su intégrer la dimension institutionnelle, sociale et même politique dans les déterminants de l’évolution économique. En d’autres termes, j’ai transformé la matière économique, qui n’était pour mes collègues qu’une discipline comptable, en sciences sociales.

Et si, depuis quelques décennies, je m’intéresse de plus en plus au cas de votre pays, c’est qu’il me paraît illustrer parfaitement l’ensemble de mon cheminement intellectuel et, tout particulièrement, l’aboutissement développé dans mon dernier ouvrage « Capitalisme, socialisme et démocratie ». Trêve des préliminaires : pour vous convaincre, entrons de concert dans le vif du sujet.

Mes premiers travaux furent consacrés à ce qui, dans l’Entre-Deux-Guerres, était un grand sujet de préoccupation : les cycles économiques qui, depuis le début du XIX° siècle, frappaient de plus en plus durement les sociétés modernes, non pas au rythme, bien connu, des crises climatiques et agricoles, mais selon les règles mystérieuses de l’industrie et de la finance.
Pour nous en tenir à l’essentiel, l’idée d’une récurrence cyclique des périodes de croissance économique suivies de crises et de récessions est due à Clément Juglar qui identifie un cycle de 7 à 10 ans qui dicte son rythme à l’évolution économique, à partir de la grande crise de 1825 qui ébranle l’économie anglaise, mal remise des guerres napoléoniennes. L’origine réside, selon lui, dans une forme de « respiration » du crédit, excessif en période d’expansion et de hausse des prix, générant un mouvement inflationniste qui inquiète les marchés et les banques qui resserrent alors exagérément leurs conditions de prêt et suscitent ainsi une crise qui assainit l’économie en éliminant les « canards boiteux », avant de permettre à la croissance de redémarrer.

Explication séduisante, mais simpliste, qui ne justifiait en rien la « longue stagnation » entre 1873 et 1896 qui atteint successivement les économies développées, tant en Europe qu’aux États-Unis.
De telle sorte que me vint l’idée de coupler ce « cycle du crédit » à un autre mouvement cyclique de l’économie réelle provoqué par des vagues d’innovations survenant tous les demi-siècles : la première révolution industrielle, autour de la machine à vapeur ; la suivante, avec l’électricité et la chimie ; puis l’atome et les technologies de l’information, etc.
Je reprenais ainsi une idée formulée par un Russe, Kondratieff, qui contredisait tellement le discours idéologique stalinien sur l’ « Homme nouveau » et sur la construction d’un monde idéal que Staline l’avait envoyé mourir en Sibérie ; mais je l’enrichissais en énonçant le thème d’un cycle d’ « innovations en grappes » et je substituais à la vieille idée des économistes classiques d’un équilibre statique, celle d’un processus dynamique de balancement entre phases de croissance et de dépression, entrecoupées de périodes d’adaptation, c’est-à-dire de crises : il en résultait que le véritable ressort du capitalisme était celui de la « destruction créatrice » des technologies et productions obsolètes par de nouveaux produits et par de nouveaux « modus operandi ».
D’autres théories du cycle ont proliféré à cette époque ; notamment celle d’un cycle court de deux à trois années, dit « de Kitchin », lié au processus de stockage / déstockage de biens intermédiaires et de produits commerciaux : le seul à s’intéresser vraiment à ce concept fut Harry Truman que sa véritable profession de marchand de chaussures prédisposait à cette conception de l’économie !

C’est ainsi que j’ai présenté sous un jour nouveau la « grande stagnation » de 1873-1896, en l’expliquant par une combinaison des cycles Juglar et Kondratieff, ce qui constituait la première explication crédible de cette période. J’expliquais ainsi les phénomènes de rechute après reprise (« Double Dip »), provoqués, comme en 1937 aux États-Unis, par un resserrement brutal du crédit destiné à combattre un pic inflationniste. Tout ceci ne vous rappelle-t-il rien, dans l’actualité économique de votre époque ? Toutefois, je n’étais pas complètement satisfait par la distinction théorique que m’imposait mon propre raisonnement entre équilibre statique et dynamique économique, et les limites de mon approche sont apparues lors du débat qui m’a opposé dans les Années Trente à Alvin Hansen et aux frères Sweezy qui travaillaient en famille, ce qui eut été une bonne idée si la fratrie avait été plus nombreuse !

Bref, le débat, inspiré bien sûr par mon seul rival et ami, Lord Keynes, et docilement endossé par Alvin, portait sur le risque d’une stagnation séculaire, suscitée par l’attrition progressive des opportunités d’investissement rentable.

Je combattais et venais à bout de cette conception d’un retour à l’économie stationnaire en théorisant le rôle de l’entrepreneur dans une conception du capitalisme fondée sur la dynamique de la « destruction créatrice » et les « Trente Glorieuses » me donnèrent raison, sans me permettre de lever tout à fait, cependant, mes doutes personnels sur mes propres conclusions. Mais il arrive souvent que l’adhésion du plus grand nombre emporte la conviction apparente du prophète éclairé et dubitatif… Ce qui, néanmoins, me conduisit à réfléchir plus avant…
Au cours de mes travaux relatifs à la « longue stagnation », j’avais noté une dimension importante de la crise qui consistait dans le décalage temporel entre les différentes économies nationales, s’agissant des phases de crise et de récession, et j’en avais déduit l’importance des facteurs institutionnels et culturels dans le fonctionnement des marchés, qui demeurait surdéterminé par le poids de l’Histoire et des préférences politiques : la France, nation agricole et conservatrice, entrait plus tardivement en crise et subissait des chocs moins violents que les États-Unis ou même l’Angleterre.

Et j’en suis venu à la conclusion, énoncée dans mon dernier ouvrage, « Capitalisme, socialisme et démocratie » qu’une forme de lassitude finirait par saisir les classes moyennes et que par le simple jeu d’une démocratie d’opinion peu éclairée par des débats médiatiques de plus en plus superficiels et de moins en moins contradictoires, le capitalisme évoluerait vers une forme de socialisme, ou de social-démocratie dirigiste et centralisatrice dont votre pays me paraît fournir la meilleure illustration.

Le corollaire de cette transformation, c’est la disparition programmée de l’entrepreneur capitaliste, ferment de l’innovation, inexorablement remplacé par une génération d’administrateurs-gestionnaires, dépourvus de vision et d’ambition. C’est alors l’État qui prend le relais, prélevant l’essentiel de la richesse produite chaque année, endettant constamment la nation, régissant, dans les moindres détails tous les champs de la vie sociale et des existences privées ; en un mot, devenant de plus en plus omnipotent et simultanément impotent, du fait de l’inextricable réseau d’injonctions contradictoires dans lequel il s’enferme inexorablement. Et dans ce contexte nouveau, je crains fort qu’Alvin et ce diable de John Maynard n’aient eu finalement raison en prédisant le retour vers l’économie stationnaire, mouvement dans lequel votre pays sera, pour une fois, parmi les précurseurs, victime, dans bien des domaines, d’une « camarilla » de « Professeurs Lyssenko » ! Et pour ma part, reconnaissant mon erreur de diagnostic devant mes adversaires d’hier devenus mes partenaires de bridge d’aujourd’hui dans notre club très fermé, je boirai mon humiliation pour l’éternité, expiant, par votre faute, la condescendance teintée d’orgueil intellectuel dont mes contemporains m’ont parfois, et fort injustement, accusé.
Croyez en mon éternelle considération,
Joseph Aloïs Schumpeter

Climat :, le mythe ,du, capitalisme, responsable » (Fanny Parise)

Climat : le mythe du capitalisme responsable » (Fanny Parise)

Dans Les Enfants gâtés. Anthropologie du mythe du capitalisme responsable (Payot), un livre vivifiant pour la pensée, l’anthropologue Fanny Parise ausculte les thématiques de l’écoresponsabilité, mais aussi le « techno-rassurisme » pour mesurer la façon dont les individus s’en emparent. Pour elle, aucun doute, cette nouvelle croyance constitue une forme de faux-semblant qui évite une transformation profonde de nos habitudes. Rencontre. (Cet article est extrait de T La Revue n°12 – « Climat : Et si on changeait nous aussi ? », actuellement en kiosque).

Un livre intéressant qui traite notamment de la problématique des comportements face à la révolution environnementale. Un livre toutefois marqué par une certaine obsession anticapitaliste et un certain flou concernant la consommation. Bref un ouvrage de sociologue plus militant que scientifique NDLR

Pourquoi avez-vous fait le choix de travailler sur ce que vous appelez dans le livre « le mythe du capitalisme responsable » qui serait en fait une lubie « d’enfants gâtés » ?
Fanny Parise Le choix n’est pas réellement un choix. En tant qu’anthropologue, je travaille sur des objets d’études issus de rencontres et des mouvements qui me font face. À l’origine, je suis spécialisée dans les croyances et ce qui meut les individus qui croient et je me suis ensuite tournée vers une anthropologie de la consommation et de l’innovation. De fil en aiguille, j’ai travaillé sur les objets et les habitudes de consommation des classes moyennes supérieures et des classes supérieures. S’intéresser aux objets permet de bien comprendre le fonctionnement d’une société tout entière, ses jeux de pouvoir et ses tendances à venir. C’est en m’intéressant à la question de la consommation émergente et aux nouvelles manières de percevoir la consommation que j’ai découvert une zone de tension, intéressante par essence pour l’anthropologue, puisque les individus qui étaient les promoteurs des nouvelles habitudes de consommation étaient à cheval sur la décroissance et le militantisme de la société de consommation qui visait à consommer moins, mais mieux. Entre ces deux catégories d’individus, il y a une grande différence. Chez ceux qui voulaient consommer moins et mieux, je me suis aperçue que leur posture était plus une vue de l’esprit qu’une réalité.

Qu’entendez-vous par « vue de l’esprit » ?
F.P. Cela signifie que ces personnes ont l’intime conviction de consommer moins. Cependant, en tant qu’observatrice extérieure, je me suis rendu compte qu’ils ne consommaient pas forcément moins. C’est cela qui m’a amenée à resserrer mon sujet d’étude sur ces individus qui ne veulent pas sortir de la société de consommation tout en cherchant des solutions pour consommer différemment. Ce sont ces tenants de l’écoresponsabilité qui sont aujourd’hui adressés par le marché.

Pourquoi les nommez-vous « les enfants gâtés » et qui sont-ils ?

F.P. Nous sommes tous plus ou moins partie prenante de ces enfants gâtés. Ce sont des individus qui continuent de penser que leur quotidien et leur mode de vie ne vont pas être bouleversés par la transition environnementale à l’œuvre. Ce sont des individus qui ont le temps et un peu d’argent pour pouvoir se poser des questions et essayer de faire différemment. Ces enfants gâtés pensent que c’est par une consommation qu’ils jugent plus éthique et plus responsable que la transition énergétique se fera. Cette population a souvent les meilleures intentions du monde, aime donner des conseils et son expertise, mais est aussi une population de croyants qui tombe dans les pièges qu’elle dénonce.
En parlant des enfants gâtés et de mythe du capitalisme responsable, vous semblez souligner que tout ce discours contient une dimension marketing forte afin de préserver les choses telles qu’elles sont…

F.P. C’est exactement cela. L’un des objectifs du livre était de montrer comment le capitalisme s’est emparé des valeurs de « l’écoresponsabilité » pour créer le mythe du capitalisme responsable. Ce mythe est nourri par différentes fictions et un imaginaire publicitaire qui permet de porter la bonne parole. Cela crée une illusion : celle de ne plus être dans la surconsommation du siècle dernier. Une illusion totale – notamment chez celles et ceux qui espèrent la transition énergétique par la consommation responsable – puisque l’on observe une nouvelle phase d’équipement via des objets et des services responsables qui est en réalité contre-intuitive avec les bénéfices du fait de consommer moins.

Derrière cette logique du capitalisme responsable, il y a une forme de minimalisme ou de sobriété. Diriez-vous que dans cette idée du « on va tous s’y mettre » pour modifier notre façon de consommer afin de faciliter la transition énergétique il y a tout de même une piste à explorer ?
F.P. Ce qui est positif c’est le fait que de plus en plus d’individus prennent conscience du besoin urgent de faire quelque chose. Les petits gestes sont une première étape. Cela participe de l’acculturation à une nouvelle société. Le paradoxe se situe dans le fait que cette prise de conscience et cette action par les petits gestes maintiennent le collectif dans un statu quo. Ces petits pas étant éminemment insuffisants par rapport à ce qui devrait être fait. Aussi, cette approche est une forme de pied de nez du capitalisme car elle permet de maintenir nos sociétés à flot et de promettre la continuité par le changement.
Les individus ne sont pas responsables de cela et ne sont pas à blâmer car la peur du changement est une constante humaine quelles que soient les sociétés et les époques. L’idée du capitalisme responsable permet un microdéplacement de nos habitudes de vie avec une minimisation de la contrainte par rapport au changement qu’il y a face à nous. Réponse ambivalente donc. Car le positif de la démarche est quelque peu annihilé par le récit collectif du capitalisme responsable qui s’institue comme nouvelle norme auprès des classes moyennes et supérieures et modère profondément le changement possible.

Certains avancent l’idée de l’invention d’un « ecological way of life ». Ces petits pas ne sont-ils pas une première pierre ? Modifier les petits récits avant les plus grands, en quelque sorte.
F.P. C’est une version utopique qui verra peut-être le jour. Cependant l’anthropologue ne fait pas de futurologie. L’observation démontre que ces petits gestes servent surtout à rendre vivable et à nouveau désirable un avenir que l’on pressent compliqué. Or, rendre désirable quelque chose n’a jamais engendré un changement en profondeur. Le rôle de l’anthropologue est de rappeler que le changement ne se fait jamais par la facilité. Si les actes à réaliser pour réussir le tournant majeur de la transition écologique sont trop simples à réaliser, alors cela signifie certainement qu’ils ne sont pas adaptés à la gravité de la situation.

Diriez-vous qu’une nouvelle fracture est en train de naître dans la société entre ceux qui font ces petits gestes, ceux qui ne peuvent pas les faire et ceux qui pensent que ce n’est pas du tout la bonne manière d’aborder le problème ?
F.P. Je ne raisonne pas en termes de fracture ou d’« archipélisation » de la société. En revanche, il y a deux lectures possibles de la réalité. La première est celle d’une ethnicisation du collectif où l’on a l’apparence que les classes sociales s’effacent au profit d’entailles verticales dans le corps social construit autour de styles de vie ou de totems qui vont être fédérateurs. Cela donnant l’impression, que l’on soit riche ou pauvre, de partager un imaginaire commun : les exemples de la seconde main et des circuits courts étant les plus parlants. Toutefois, dans le réel, cela induit une aggravation de la facture sociale.


Comment analysez-vous le besoin de recherche d’un nouveau mythe ?

F.P. Le mythe du capitalisme responsable est un mythe réformiste et qui propose d’adapter le système de croyances du passé aux évolutions de la société. En pratique, il se heurte à des imaginaires plus radicaux qui eux sont des militants du changement. Le capitalisme responsable s’adapte donc à son époque mais il risque d’être rapidement confronté à ses limites si d’aventure les innovations technologiques et énergétiques attendues qui sont censées lui permettre d’advenir plus vite ne surviennent pas ou mettent plus de temps que prévu à émerger.


L’un des mots que l’on a beaucoup entendus ces derniers mois est le mot « sobriété ». Est-il l’un des vocables favoris des enfants gâtés
?
F.P. Complètement. La sobriété c’est un signe de prestige social car la sobriété contrainte et la sobriété choisie ne recouvrent pas les mêmes réalités. Les images renvoyées par l’une et l’autre sont très différentes. L’image de la sobriété choisie peut charrier avec elle une violence sociale symbolique forte. La sobriété est une forme d’idéologie qui donne du sens aux pratiques et aux représentations des individus. Elle s’impose comme une forme d’injonction comme a pu l’être celle du bonheur il y a quelques années.

Rendre le capitalisme équitable ?

Rendre le capitalisme équitable ?

Face à la montée des crises, réformer le capitalisme apparaît plus que jamais nécessaire. Reste à trouver le monde d’emploi pour une économie durable et responsable. La clef réside dans la lutte contre les inégalités. Par Bertrand Badré et Yann Coatanlem (*).

 

Un article intéressant mais qui a du mal à convaincre sur la capacité du capitalisme à concilier la rentabilité, le développement durable et une société moins inégalitaire .Une contribution cependant un peu superficielle d’un point de vue théorique NDLR 

Depuis 20 ans, la fréquence et l’intensité des crises mondiales augmentent, ce qui est un mauvais présage pour l’avenir de l’économie. Selon la Banque mondiale, du fait de la pandémie de COVID-19, la politique de réduction de la pauvreté n’a jamais été autant menacée depuis un quart de siècle. Les inégalités se creusent à l’intérieur des pays et entre eux, ainsi que dans de nombreux secteurs clés, de l’éducation à la santé.

Etant donné l’ampleur de ces problèmes, une politique de réduction des inégalités ne doit pas se focaliser exclusivement sur les revenus et les patrimoines. La situation exige une approche holistique avec un horizon à long terme. Sinon, les futurs gouvernements auront la tentation de procéder à des améliorations à court terme aux retombées politiques immédiates (comme l’augmentation du pouvoir d’achat des ménages), plutôt que d’investir dans le bien-être à long terme. Il faut quantifier les compromis nécessaires, de telle sorte que les dirigeants politiques puissent expliquer aux électeurs que sacrifier un peu de bien-être aujourd’hui permettra de vivre bien mieux demain.

Il faut aussi faire attention à la manière de mesurer les inégalités

Est-il juste de demander aux pays en développement de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre au même rythme que les pays avancés, alors que la contribution de ces derniers a été beaucoup plus importante que la leur dans le passé ?

Pour les dirigeants politiques, le défi consiste à adopter une stratégie qui soit à la fois internationale et locale, adaptée à un environnement donné. Sinon, les mesures destinées à corriger un type d’inégalités pourraient en générer de nouvelles. Nous pouvons combattre le réchauffement climatique en subventionnant les installations de panneaux solaires, mais il faut alors se préparer aux protestations de ceux qui ont diminué leur empreinte carbone avant l’introduction de ces subventions.

La défense de l’équité dans toutes ses dimensions exige une perspective élargie des inégalités. C’est une conséquence fréquente des dynamiques à somme nulle, de la recherche de rente, des « impôts privés », du parasitisme, de la corruption, de la discrimination, etc. Les formes les plus saillantes d’inégalité changent au cours du temps, elles évoluent souvent en fonction du contexte juridique. À la fin de la Seconde Guerre mondiale, on considérait le travail comme un droit fondamental, alors que pendant la pandémie, l’accès à Internet à haut débit et à faible coût est devenu une priorité absolue.

La nature toujours changeante de ces questions exige d’élargir le concept de bien-être social, afin que les décisions politiques ne finissent pas par perpétuer les avantages des initiés. Ce concept doit également devenir plus flexible, de manière à faire face à des défis tels que le changement climatique ou la flambée du prix de l’énergie. Il faut aussi développer de nouveaux outils (par exemple le revenu de base universel) pour aider les personnes défavorisées ou marginalisées à surmonter des obstacles structurels de longue date et à prendre des risques calculés en matière de création d’entreprise (ce qui profite en fin de compte à l’ensemble de la société).

Le concept de rendement social doit guider les décisions politiques

En matière d’éducation par exemple, le développement du capital humain dès la petite enfance offre le meilleur retour sur investissement à long terme. Mais la politique sociale ne passe pas nécessairement par les pouvoirs publics. On peut envisager le recours aux marchés lorsqu’ils apportent une valeur ajoutée. Ainsi en matière de retraite, un pilier de capitalisation peut garantir que le plus grand nombre de personnes bénéficie du rendement généralement élevé des marchés, plutôt que d’en rester aux sommes relativement modestes du système par répartition.

La fiscalité est un autre levier essentiel de la lutte contre les inégalités, car elle génère des recettes permettant de financer des politiques sociales inclusives et de réduire les écarts de revenus et de patrimoine. Il ne s’agit pas de traiter la richesse comme un problème en elle-même, mais plutôt de suivre le Principe de différence du philosophe John Rawls, selon lequel les inégalités ne sont justifiées que si elles profitent aux moins bien lotis. L’économiste Philippe Aghion a montré que l’innovation remplit cette condition : si elle accroît le poids des 1% les plus riches, elle tend aussi à accroître la mobilité sociale, et elle n’augmente pas nécessairement les inégalités dans le reste de la population.

Ceci dit, la structure de la fiscalité pourrait être améliorée pour répondre à des objectifs souhaitables tels que la simplicité, l’efficacité, la stabilité, l’équité (en éliminant les échappatoires qui ne profitent qu’aux riches), de meilleures incitations (à travailler ou à protéger l’environnement) et la neutralité (afin qu’un euro gagné en un an ne soit pas davantage taxé qu’un euro gagné en 10 ans).

Enfin, réformer le capitalisme contemporain exige de revoir les règles de la concurrence. En matière de détermination des prix et de diffusion des informations économiques, le marché est bien plus efficace que tout système centralisé, mais les autorités publiques doivent le superviser et le réguler rigoureusement. La réglementation et le contrôle en faveur d’une concurrence équitable sont devenus d’autant plus importants que les technologies digitales et la robotique ont restructuré les marchés et ouvert la voie à ce que Shoshana Zuboff de la Harvard Business School qualifie de « capitalisme de surveillance« .

Cette pathologie se reflète dans la montée en puissance des inégalités dans les résultats des entreprises. En 2016, le Conseil économique de la Maison Blanche a souligné que « le retour sur investissement des entreprises du 90eme centile est plus de 5 fois supérieur à sa valeur médiane. Il y a un quart de siècle ce ratio était proche de 2« . Par ailleurs, ainsi que le montre Aghion, les 1% des plus grands exportateurs comptent maintenant pour 67% de l’ensemble des exportations, tandis que les 1% des entreprises qui déposent des brevets comptent pour 91% de tous les brevets déposés et pour 98% des citations dans les articles scientifiques (un indicateur des brevets les plus importants). Les bénéfices des 10% des plus grandes entreprises ont augmenté de 35% depuis le début des années 2000, et leur rentabilité a fait un bond de 50%. Ces indicateurs n’ont guère bougé pour la plupart des autres entreprises.

Les réformes proposées ci-dessus pourraient rassembler les voix très nombreuses qui exigent l’équité au nom de l’efficacité. Elles assureraient une véritable égalité des chances, tant pour les individus que pour les entreprises. L’alternative consiste à revenir à une société hiérarchisée de manière rigide, avec moins de liberté, sauf pour ceux au sommet de la pyramide.

Il reste à voir si l’enchaînement des crises financières, écologiques et géopolitiques donnera l’impulsion voulue pour ce type de réformes. Ces crises pourraient tout aussi facilement détourner l’attention, ou pire, devenir une excuse pour le fatalisme et l’autosatisfaction.

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Bertrand Badré est fondateur et PDG de la société d’investissement Blue Like an Orange Sustainable Capital et ancien directeur général de la Banque mondiale. Il est l’auteur d’un livre intitulé Can Finance Save the World? [Et si la finance sauvait le monde ?] (Berrett-Koehler, 2018). Yann Coatanlem est économiste, PDG d’une start-up spécialisée dans les technologies financières et président du Club Praxis. Il a écrit un livre intitulé Le Capitalisme contre les inégalités (Presses Universitaires de France, 2022).

(traduit de l’anglais par Patrice Horovitz)

Politique-Nouvelle rupture avec le capitalisme !

 

Politique-Nouvelle  rupture avec le capitalisme !

 

L’époque favorise sans doute le retour au manichéisme et au simplisme. Ainsi pendant que de grands économistes comme Olivier Blanchard et Jean Pisani-Ferry proposent tout simplement de bloquer les salaires face à l’inflation, un autre économiste très à gauche propose rien que moins une  nouvelle rupture avec le capitalisme et de rappeler les propos d’un Mitterrand qui n’a jamais tenu le 10e de ses promesses.

Ce débat entre étatistes socialistes et ultralibéraux prend des allures assez surréalistes . Et le charabia des macros économistes ressemble de plus en plus à la langue les médecins de Molière NDLR 

Rompre avec le capitalisme, c’est refonder l’Etat social contre le marché. Mais, à l’aune des nouveaux enjeux démocratiques et écologiques, ce renouveau doit passer par les territoires, estime l’économiste Hervé Defalvard, dans une tribune au « Monde ».

 

 

 

« Celui qui n’accepte pas la rupture avec l’ordre établi, avec la société capitaliste, celui-là, je le dis, ne peut être adhérent au Parti socialiste. » Cinquante ans après cette phrase du premier secrétaire du Parti socialiste, François Mitterrand, au Congrès d’Epinay de 1971, la Nouvelle Union populaire écologique et sociale rouvre une séquence unitaire à gauche placée sous le signe de la rupture avec le capitalisme. Mais quel sens donner aujourd’hui à cette rupture ?

A lire le contenu du nouveau programme commun, ce sens est d’abord celui de la répétition. Rompre avec le capitalisme, c’est refonder l’Etat social(iste) contre le marché libéral. A trois niveaux. Celui, d’abord, du service public qui, au-delà de l’embauche de fonctionnaires aux rémunérations revalorisées à l’hôpital ou à l’école, s’élargit avec de nouvelles nationalisations reconstituant un pôle public aussi bien de l’énergie que bancaire. Celui, ensuite, de la Sécurité sociale, avec le retour à la retraite à 60 ans ou le revenu d’autonomie des jeunes, qui ne serait pas financé par des cotisations. Celui, enfin, des salaires et conditions de travail : si seul le salaire minimum relève de l’Etat, il y aura des soutiens à la négociation de branche car l’Etat social(iste) repose historiquement sur l’alliance avec les syndicats ouvriers sur la base de la hiérarchie des normes restaurée avec l’abrogation de la loi El Khomri.

Toutefois, si la rupture avec le capitalisme n’est assise que sur ce seul sens-là, alors nous pouvons dire qu’elle annonce un échec répété. Et que, plus grave, elle passe à côté des enjeux de l’époque, qui obligent à actualiser la rupture avec le capitalisme.

En effet, la rupture avec le capitalisme, qui suppose de réaliser une transition écologique, sociale et démocratique selon la méthode de « l’évolution révolutionnaire » chère à Jaurès, a aujourd’hui pour sujet moins l’Etat que les territoires. Car c’est au nom des territoires que les luttes et les alternatives se produisent désormais. Qu’il s’agisse de souveraineté alimentaire, d’autonomie énergétique, de mobilité douce et partagée, d’accès au logement ou à la santé, de sauvegarde de l’emploi, de reconnaissance des cultures urbaines, ce sont des collectifs qui, sur les territoires, portent le combat contre l’extractivisme du capital et son allié l’Etat néolibéral, pour lui substituer d’autres modes d’allocation des ressources et, plus largement, d’autres modes de vie, afin de garantir leur usage durable pour toutes et tous. Ces collectifs sont des communs de territoire qui agrègent citoyens, associations, coopératives, syndicats, collectivités territoriales et même entreprises classiques.

Nouvelle rupture avec le capitalisme !

Nouvelle  rupture avec le capitalisme !

 

L’époque favorise sans doute le retour au manichéisme et au simplisme. Ainsi pendant que de grands économistes comme Olivier Blanchard et Jean Pisani-Ferry proposent tout simplement de bloquer les salaires face à l’inflation, un autre économiste très à gauche propose rien que moins une  nouvelle rupture avec le capitalisme et de rappeler les propos d’un Mitterrand qui n’a jamais tenu le 10e de ses promesses.

Ce débat entre étatistes socialistes et ultralibéraux prend des allures assez surréalistes . Et le charabia des macros économistes ressemble de plus en plus à la langue les médecins de Molière NDLR 

Rompre avec le capitalisme, c’est refonder l’Etat social contre le marché. Mais, à l’aune des nouveaux enjeux démocratiques et écologiques, ce renouveau doit passer par les territoires, estime l’économiste Hervé Defalvard, dans une tribune au « Monde ».

 

 

 

« Celui qui n’accepte pas la rupture avec l’ordre établi, avec la société capitaliste, celui-là, je le dis, ne peut être adhérent au Parti socialiste. » Cinquante ans après cette phrase du premier secrétaire du Parti socialiste, François Mitterrand, au Congrès d’Epinay de 1971, la Nouvelle Union populaire écologique et sociale rouvre une séquence unitaire à gauche placée sous le signe de la rupture avec le capitalisme. Mais quel sens donner aujourd’hui à cette rupture ?

A lire le contenu du nouveau programme commun, ce sens est d’abord celui de la répétition. Rompre avec le capitalisme, c’est refonder l’Etat social(iste) contre le marché libéral. A trois niveaux. Celui, d’abord, du service public qui, au-delà de l’embauche de fonctionnaires aux rémunérations revalorisées à l’hôpital ou à l’école, s’élargit avec de nouvelles nationalisations reconstituant un pôle public aussi bien de l’énergie que bancaire. Celui, ensuite, de la Sécurité sociale, avec le retour à la retraite à 60 ans ou le revenu d’autonomie des jeunes, qui ne serait pas financé par des cotisations. Celui, enfin, des salaires et conditions de travail : si seul le salaire minimum relève de l’Etat, il y aura des soutiens à la négociation de branche car l’Etat social(iste) repose historiquement sur l’alliance avec les syndicats ouvriers sur la base de la hiérarchie des normes restaurée avec l’abrogation de la loi El Khomri.

Toutefois, si la rupture avec le capitalisme n’est assise que sur ce seul sens-là, alors nous pouvons dire qu’elle annonce un échec répété. Et que, plus grave, elle passe à côté des enjeux de l’époque, qui obligent à actualiser la rupture avec le capitalisme.

En effet, la rupture avec le capitalisme, qui suppose de réaliser une transition écologique, sociale et démocratique selon la méthode de « l’évolution révolutionnaire » chère à Jaurès, a aujourd’hui pour sujet moins l’Etat que les territoires. Car c’est au nom des territoires que les luttes et les alternatives se produisent désormais. Qu’il s’agisse de souveraineté alimentaire, d’autonomie énergétique, de mobilité douce et partagée, d’accès au logement ou à la santé, de sauvegarde de l’emploi, de reconnaissance des cultures urbaines, ce sont des collectifs qui, sur les territoires, portent le combat contre l’extractivisme du capital et son allié l’Etat néolibéral, pour lui substituer d’autres modes d’allocation des ressources et, plus largement, d’autres modes de vie, afin de garantir leur usage durable pour toutes et tous. Ces collectifs sont des communs de territoire qui agrègent citoyens, associations, coopératives, syndicats, collectivités territoriales et même entreprises classiques.

Affaire Tavares : le scandale qui discrédite le capitalisme

Affaire Tavares : le scandale qui discrédite le capitalisme

 

Le scandale provoqué par les 66 millions d’euros de rémunération du PDG de Stellantis relève moins de son montant que de l’impossibilité pour les salariés du groupe et les pouvoirs publics d’avoir leur mot à dire, analyse, dans une tribune au « Monde », Pierre Liret, entrepreneur et militant du mouvement coopératif Coopaname.

 

Tribune.

 

 Interrogé sur BFM-TV à propos des 66 millions d’euros de rémunération du PDG du constructeur automobile Stellantis, Carlos Tavares, le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal, a considéré que Stellantis est une entreprise privée et qu’« à la fin, ce sont les actionnaires qui décident et qui votent » [le 13 avril].

Il a eu beau expliquer ensuite que le gouvernement souhaite favoriser un meilleur partage de la valeur avec les salariés dans les entreprises qui versent de gros dividendes, le président de la République a eu beau rectifier le lendemain, en déclarant au micro de France Info qu’il jugeait ce montant « excessif et choquant », son porte-parole a ainsi fait aveu d’impuissance, laquelle s’est confirmée dans les faits : l’Etat actionnaire a voté contre la rémunération, mais le PDG est passé outre en s’appuyant sur le vote majoritaire de son conseil d’administration.

Ainsi a-t-on un nouvel exemple du gouffre entre les discours des élites sur le capitalisme responsable et leurs pratiques féodales dans les grandes entreprises.

Car, vraiment, peut-on considérer qu’au XXIe siècle, une entreprise, comme au temps de l’économiste Adam Smith (1723-1790) et des grands entrepreneurs qui prenaient des risques considérables à financer les grandes découvertes, ne doit des comptes qu’à ses actionnaires ? Doit-on considérer d’ailleurs que les actionnaires sont propriétaires de l’entreprise, ou uniquement de leurs actions et de leurs parts sociales ?

Dans une économie composée d’entreprises toujours plus grandes et aux enjeux toujours plus gigantesques, une entreprise n’a-t-elle pas des comptes à rendre et des responsabilités envers ses salariés, ses clients, ses fournisseurs, sans oublier les pouvoirs publics ? A l’évidence oui, et la société le reconnaît de plus en plus avec l’essor des pratiques de responsabilité sociale et environnementale (RSE), des critères d’évaluation environnementale, sociale et de gouvernance (ESG) et les objectifs de développement durable (ODD) de l’ONU, sur lesquels les entreprises sont enjointes de s’aligner.

La conséquence logique de cette responsabilité n’est-elle pas de reconnaître que toutes les parties prenantes d’une entreprise sont impactées par son activité, et que les plus impactées d’entre elles – salariés, clients, sous-traitants, pouvoirs publics – devraient avoir un droit à la consultation et/ou à la décision au même titre que les actionnaires, qu’elles soient détentrices ou non de parts sociales ?

Pour un capitalisme écologique ? ( « L’Economie politique »)

Pour un capitalisme écologique ? ( « L’Economie politique »)

La revue trimestrielle consacre ce numéro à la transformation de l’approche comptable afin de coller aux nouveaux enjeux environnementaux. ( « Le Monde »). L’idée d’un capitalisme écologique va évidemment faire bondir ceux  qui parmi les écolos comme par exemple l’agitée du bonnet comme  Sandrine Rousseau qui sont davantage d es révolutionnaires anticapitalistes que réellement écologistes.

La nomination d’Emmanuel Faber, il y a quatre mois, à la tête du Conseil international des normes extra-comptables (ISSB), le pendant dans le domaine de la soutenabilité de l’organisme qui élabore les normes comptables internationales, apporte une vague d’espoir dans l’océan de doutes que nous traversons. L’ancien PDG de Danone – il a été remercié le 14 mars – qui s’est battu pour que la multinationale qu’il dirigeait accède au statut de « société à mission » introduit par la loi Pacte, est en effet connu pour son « activisme » en faveur d’un capitalisme responsable, dont la planète a grand besoin.Si l’on considère la comptabilité comme le langage de l’économie, tout l’enjeu de ce numéro de la revue éditée par le magazine Alternatives économiques est de mettre en avant des normes « qui permettraient d’inventer un modèle comptable adapté à un capitalisme écologique », énoncent les professeurs de sciences de gestion Bernard Colasse et Frédérique Déjean. Dans les comptes publics, le capital humain est par exemple systématiquement occulté. Or, selon les deux auteurs, « la comptabilité ne se contente pas de décrire le réel, elle agit sur lui par les comportements et les décisions des acteurs sociaux qu’elle induit ». Et de fait, la loi Pacte (« pour la croissance et la transformation des entreprises ») votée en 2019 par la France s’inscrit pleinement dans cette dynamique.

Prolongeant la réflexion sur les modèles comptables, Alexandre Rambaud présente le modèle CARE (pour comptabilité adaptée au renouvellement de l’environnement), porté par un collectif de chercheurs, d’ONG et d’entreprises. Il s’agit d’une réflexion très ambitieuse qui ne conçoit pas le capital d’une entreprise ou d’une organisation comme un actif à valoriser pour les actionnaires, mais comme une dette financière, sociale ou écologique, à rembourser. Le consultant Jean-Louis Weber étudie, quant à lui, le système de comptabilité économique de l’ONU et observe que la dégradation de la biodiversité n’est pas suffisamment suivie. Enfin, Xavier Timbeau, directeur de l’Observatoire français des conjonctures économiques, va un cran plus loin : modifier les règles comptables ne suffira pas pour changer le capitalisme, affirme-t-il.

Dans ce même numéro, l’économiste Anne-Laure Delatte et le politiste Benjamin Lemoine reviennent sur la stratégie mise en œuvre par le ministre de l’économie et des finances, Bruno Le Maire, de cantonner la dette Covid (215 milliards d’euros) et de s’engager dans la voie de son remboursement par une ressource fiscale. Ils déplorent le recours à une solution qu’ils jugent conservatrice, placée sous le sceau de l’austérité. Le gouvernement écarte ainsi, selon eux, toute politique alternative qui pourrait comprendre deux axes majeurs : « une réforme fiscale pour s’attaquer aux inégalités en hausse pendant la crise » et une coordination des politiques budgétaires et monétaires, permettant le retrait d’une partie des dettes publiques, vis-à-vis des pressions du marché.

Capitalisme d’Etat chinois: un OVNI du Parti communiste

 Capitalisme d’Etat chinois: un OVNI du  Parti communiste

 

Le chercheur Kjeld Erik Brodsgaard analyse, dans une tribune au « Monde », la reprise en main des entreprises chinoises, publiques comme privées, par les organes du Parti communiste.

 

Tribune.

 

Le miracle économique chinois a fait l’objet de nombreuses tentatives d’explication. Pendant les années 1990 et au début des années 2000, beaucoup d’observateurs ont affirmé qu’au fond, l’économie chinoise n’était qu’un capitalisme déguisé. Le marché y jouerait un rôle de plus en plus prépondérant dans l’allocation et la mobilisation des ressources, et même les entreprises d’Etat auraient intégré d’importants aspects du modèle occidental libéral de gouvernance d’entreprise. Un éminent universitaire américain a même cru pouvoir affirmer que la Chine « jou[ait] selon nos règles » (Playing Our Game : Why China’s Rise Doesn’t Threaten the West, d’Edward S. Steinfeld, Oxford University Press, 2010).

Pourtant, depuis l’accession au pouvoir de Xi Jinping, il apparaît clairement que la convergence avec les modèles occidentaux a cessé et qu’a émergé à la place un mode particulier de capitalisme d’Etat, dirigé par le Parti communiste chinois (PCC).

En dépit de tout le battage fait autour du développement du secteur privé en Chine, le fait est que les secteurs stratégiques restent dominés par d’énormes entreprises d’Etat, dont beaucoup sont cotées en Bourse, et leurs milliers de filiales. Elles contrôlent l’aérospatial, le pétrole et le gaz, l’énergie nucléaire, la chimie, les télécoms, la construction navale, l’aviation, l’acier, etc. Sous Xi Jinping, l’Etat a certes progressivement réduit sa gestion directe des entreprises publiques, pour s’adjuger de plus en plus un rôle d’investisseur ou de gestionnaire de capital, mais cela ne se traduit pas par un assouplissement du contrôle. Le PCC intervient désormais directement et assure de plus en plus de fonctions autrefois du ressort exclusif de l’Etat.

Parmi les instruments du pouvoir du PCC figure au premier rang le système de nomenklatura, qui assure au parti le contrôle de toutes les nominations aux fonctions dirigeantes. Au niveau central, la nomenklatura est une liste de 3 000 postes de haut niveau, gérés par le département central de l’organisation du PCC. Cette liste comprend les PDG, les présidents des conseils d’administration (CA) et les secrétaires du parti des plus importantes entreprises publiques chinoises.

Rachats d’actions par les entreprises : quand le capitalisme se mord la queue

Rachats d’actions par les entreprises : quand le capitalisme se mord la queue

Un papier du Monde rappel qu’il ne faut pas oublier que le but du capitalisme actionnarial consiste avant tout à stimuler la croissance et l’innovation, et non à se répartir un butin. Le retour en force des rachats d’actions donne l’impression d’un capitalisme en panne de perspectives.

 

La trêve aura été de courte durée. Après un rapide passage à vide au plus fort de la crise pandémique, les grandes entreprises cotées se remettent à racheter massivement leurs propres actions. Aux Etats-Unis, les multinationales ont ainsi dépensé en 2021 plus de 850 milliards de dollars (750 milliards d’euros). En France, les montants restent plus modestes, mais la tendance est en forte hausse. La pratique avait disparu pendant quelques mois en 2020 sous la pression des autorités monétaires et des Etats. Il était effectivement difficilement justifiable auprès de l’opinion publique de laisser les multinationales dépenser d’énormes sommes au profit de leurs seuls actionnaires au moment même où les pouvoirs publics déployaient des moyens financiers colossaux pour éviter l’effondrement de l’économie mondiale. Mais la reprise de 2021 a encouragé le retour en force de ces pratiques.

Le procédé consiste pour une entreprise à racheter ses propres actions sur le marché pour ensuite les annuler dans la foulée. Réduire le nombre de titres en circulation permet mécaniquement d’augmenter le bénéfice par action, ce qui a pour effet à plus ou moins court terme de doper le cours de Bourse, à la grande satisfaction des actionnaires. La logique a de quoi interpeller l’opinion. Des milliards partent en fumée pour rémunérer ces derniers alors qu’il y a encore quelques mois l’économie était tenue à bout de bras par les banques centrales et les gouvernements. Une partie de cet argent ne serait-elle pas mieux utilisée pour prévenir la prochaine crise au lieu d’attendre, une fois de plus, l’aide des pouvoirs publics ?

Les entreprises justifient de recourir aux rachats d’actions en raison du manque d’opportunités d’investissements qui offriraient une rentabilité supérieure au coût du capital. N’ayant pas mieux à faire de leurs profits, elles préfèrent rendre l’excès de trésorerie à leurs actionnaires. Le comble est que certaines entreprises vont même parfois jusqu’à s’endetter pour financer ces plans de rachats d’actions. L’objectif n’est donc plus seulement d’accumuler du capital productif, mais surtout de faire monter par tous les moyens les cours de Bourse dans le but de distribuer du cash aux actionnaires.

Cette logique est perverse car ce sont les fonds d’investissement qui fixent des objectifs de rentabilité souvent disproportionnés. Dans beaucoup de secteurs, il est impossible d’identifier des projets permettant de dégager les 12 % ou 15 % de rendement exigés par ces actionnaires. Les entreprises sont alors poussées à lancer des plans de rachats d’actions dont les effets seront plus sûrs et plus immédiats.

Les dirigeants d’entreprise sont d’autant plus incités à recourir à ces pratiques qu’ils en sont les premiers bénéficiaires, dans la mesure où leur rémunération variable est souvent indexée sur la hausse du titre en Bourse. Dès lors, pour atteindre leurs objectifs, ils sont tentés de multiplier les rachats d’actions au détriment de projets d’investissement à long terme.

Capitalisme : Une révolution copernicienne ?

Capitalisme : Une révolution copernicienne ?

 

Jérôme Barthélemy, professeur à l’Essec, et Pierre-Antoine de Chalendar, président de Saint-Gobain, estiment, dans une tribune au « Monde », que le capitalisme est en train de connaître une « révolution copernicienne »

Une analyse superficielle et un peu rapide de l’évolution en cours encore bien loin du concept de révolution qui supposerait non seulement une juste répartition de la richesse des entreprises mais aussi une mise en cause des conditions de sa production y compris via l’association des acteurs.  Autant de dimensions un peu sous-estimées par les les auteurs NDLR

 

 

 

Tribune.

 Le capitalisme est sur le banc des accusés. La liste des griefs n’est pas nouvelle. Les actionnaires accaparent une part trop importante de la valeur créée par les entreprises. Les salariés bénéficient insuffisamment de cette valeur. Les entreprises ont un impact fort sur l’environnement et ne s’engagent pas assez pour le protéger…

Ces critiques, il faut le dire, ont joué un rôle d’aiguillon. Mais elles comportent un biais. Elles utilisent souvent une approche de type « jeu à somme nulle » qui présuppose que la richesse créée par les entreprises est finie. Plus la part accaparée par les actionnaires est élevée, plus celle des autres parties prenantes sera réduite à la portion congrue.

Dans l’approche « jeu à somme nulle », les intérêts entre les différentes parties prenantes ne peuvent pas être réconciliés. Pour accroître la part des autres parties prenantes, il faut impérativement réduire celle des actionnaires. Mais il existe une autre approche du capitalisme (Grow the Pie, Alex Edmans, Cambridge University Press, 2020).

Le principe d’obliquité

Elle part du postulat que la valeur créée par les entreprises n’est pas finie. Plus une entreprise crée de valeur, plus l’ensemble des parties prenantes finira par en bénéficier. La véritable question n’est donc pas : comment mieux répartir la valeur créée par les entreprises ? Ce serait plutôt : comment accroître la création de valeur par les entreprises ?

Paradoxalement, le meilleur moyen de créer de la valeur est de viser… un autre objectif. C’est le principe d’obliquité (Obliquity, John Kay, Profile Books, 2011). Ce principe suggère qu’on est plus susceptible d’atteindre un objectif lorsqu’on ne le vise pas directement. Il est très général. Il explique notamment que les gens les plus heureux ne sont pas ceux qui cherchent le bonheur à tout prix.

Dans le monde des affaires, il implique que les entreprises qui créent le plus de valeur pour leurs actionnaires sont celles qui donnent la priorité à d’autres parties prenantes.

L’exemple de Boeing est bien connu. Bill Allen a été PDG de Boeing jusqu’à la fin des années 1970. La raison d’être de Boeing était alors de « manger, respirer et dormir pour l’aéronautique ». Lorsqu’un membre non exécutif du conseil d’administration lui a demandé quel retour sur investissement, en anglais return on investment (ROI), le 747 était censé générer, Bill Allen lui aurait répondu que le calcul avait été fait… mais que personne ne se souvenait du résultat !

 

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