Le CAC 40 qui rit, l’Etat qui pleure !
Le contraste est plus que saisissant ! Malgré le net refroidissement de l’économie française, qui a conduit le gouvernement à une première révision en baisse de sa prévision de croissance pour 2024, les marchés boursiers enchaînent records sur records. Vendredi, l’indice CAC 40 terminait une semaine euphorique à plus de 8000 points, après avoir franchi la barre des 7000 points il y a à peine deux ans. Rien ne laisse entendre que cette hausse spectaculaire, qui concerne l’ensemble des marchés mondiaux, soit une bulle. Elle est en effet légitimée par la croissance des bénéfices des entreprises qui, toujours pour le CAC 40, ont à nouveau atteint des niveaux élevés. Le bilan 2023 ne va pas égaler le record de la reprise post Covid de 2021 (157 milliards d’euros) mais, sur la base des 38 résultats d’entreprises du CAC 40 publiés, les bénéfices cumulés dépassent déjà l’an dernier le total de l’année précédente, à 146 milliards d’euros. C’est la troisième année consécutive qu’ils dépassent 100 milliards d’euros !
par Philippe Mabille, directeur de la rédaction de La Tribune.
Cette bonne santé des champions français est une bonne nouvelle, et même si l’essentiel des bénéfices du CAC 40 sont réalisés à l’international, ils sont surtout la preuve que nos grandes entreprises françaises sont plutôt bien gérées.
On ne peut pas en dire autant de l’Etat dont les comptes se dégradent aussi vite que gonflent les profits des champions du CAC 40. La semaine dernière, le ministre de l’Economie et des Finances a durci le ton en annonçant une nouvelle vague d’économies budgétaires, pour répondre à la détérioration des déficits. En 2023, la France accusera un déficit nettement supérieur à la prévision initiale de 4,9% du PIB, a-il indiqué, ce qui va par ricochet impacter durement les budgets 2024 et 2025. En plus des 10 milliards d’euros de « rabot » décidé pour cette année, Bercy réclame aussi 20 milliards d’euros sur les comptes publics de 2025. Et cette fois, l’Etat ne sera pas seul à être mis à contribution.
La générosité du « modèle social français » risque d’en faire les frais, avec des décisions lourdes et difficiles qui ne manqueront pas d’animer l’actualité. Les malades en ALD (des maladies graves ou chroniques nécessitant des soins réguliers, comme les cancers, le diabète) attendent de savoir où passera le couperet de la révision de la liste « qui n’a pas été révisée depuis les années 1980 » a rappelé le ministre de la santé Frédéric Valletoux. Quant à l’assurance-chômage, Bruno Le Maire n’a pas fait mystère dans son entretien au Monde de vouloir que l’Etat reprenne la main « de manière définitive » sur la gestion de l’Unedic, avec pour conséquence un durcissement des règles d’indemnisation « qui sont parmi les plus longues des pays développés ».
En ouvrant ce débat sans attendre les élections européennes du 9 juin, pour lesquelles la majorité relative présidentielle est déjà mal embarquée, le ministre de l’Economie et des Finances prend un risque politique très calculé. Il se place dans la perspective de l’après-Macron, en défenseur de l’orthodoxie financière face à une crise des finances publiques qui risque de s’aggraver rapidement. Au printemps, on connaîtra le verdict des agences de notation sur la dette, et la perspective d’une dégradation maintes fois reportée pourrait bien sonner l’alarme, à défaut de l’hallali.
Le FMI l’a récemment rappelé, de tous les dangers qui pèsent sur la stabilité économique mondiale, le plus important est désormais l’accumulation de dettes souveraines insoutenables. Surtout à un moment où de nouvelles dépenses urgentes s’imposent, pour la transition écologique et pour financer notre défense face à une Russie de plus en plus agressive en Europe.
En France, il y a gros à parier que l’affichage de profits aussi élevés, dont une bonne partie sont largement redistribués aux actionnaires étrangers du CAC 40, nourrisse à nouveau le débat sur la taxation des bénéfices des entreprises. C’est une constante de l’histoire économique. Alors que l’Etat est mal géré et incapables de faire des réformes sérieuses, le couperet fiscal finit toujours par tomber sur ceux qui peuvent payer. Jusqu’ici, Emmanuel Macron a tenu bon en étant le seul président à n’avoir pas augmenté les impôts. Mais il n’a pas non plus réformé grand chose dans l’État profond, lui qui avait pourtant en 2015 appelé à mettre fin au statut de la fonction publique. La stabilité fiscale va-t-elle résister aux vents mauvais qui s’annoncent pour la conjoncture et les comptes publics au cours des trois dernières années de son quinquennat ? Il faut se souvenir que même Nicolas Sarkozy a dû se résoudre après la crise de 2008 à augmenter les impôts.