Etat et Cabinets de conseil–McKinsey: Un intérêt douteux !
Un papier du Figaro qu’on ne peut pas soupçonner d’a priori gauchiste s’interroge sérieusement sur l’intérêt des interventions du cabinet McKinsey. Un cabinet qui a facturé pour 1 milliard de prestations de conseil en 2021.
L’«omniprésence» du cabinet de conseil dans certaines institutions a été dénoncée par la commission d’enquête sénatoriale, qui pointe le manque d’efficacité de certaines missions.
«McKinsey n’est pas un scandale d’État», a voulu évacuer le porte-parole du gouvernement Gabriel Attal la semaine dernière. Le gouvernement est en tout cas sous le feu des critiques depuis la publication la semaine dernière du rapport de la commission sénatoriale sur l’influence des cabinets de conseil sur les politiques publiques. Celle-ci pointe du doigt, dans ce rapport fouillé et explosif, les excès de recours à ces cabinets privés dans la gestion de dossiers politiques de premier plan. Un cabinet est dénoncé en particulier : McKinsey, qui en plus d’être accusé d’optimisation fiscale en France, voit l’intérêt de ses missions pour l’État remises en cause.
Le cabinet américain est en effet en porte-à-faux. Durant la crise sanitaire, il est celui qui a raflé la plus grande proportion des dépenses de conseil de l’État. Selon le rapport, quelque 12,33 millions d’euros lui ont été versés au total, en particulier pour orchestrer la campagne vaccinale française. Le cabinet avait alors quatre missions : piloter l’organisation logistique, échafauder des indicateurs de suivi, et réaliser des analyses sectorielles et organiser des réunions.
Cette dernière mission n’a pas toujours séduit Santé Publique France, que McKinsey a coaché : le cabinet de conseil organisait deux briefings quotidiens à six heures d’écart, sans laisser selon les agents la capacité de mener des actions qui «prennent du temps». Le cabinet mène en outre ses missions rue de Ségur en toute discrétion : son logo n’apparaît jamais sur les «livrables», il emprunte celui du ministère de la Santé. Cinq contrats différents vont au total être signés pour mener cette campagne de vaccination, pour un total de 10,6 millions d’euros.
La commission sénatoriale reproche également au cabinet d’avoir rendu un «arbitrage orienté» sur le dossier des bonus/malus sur les cotisations d’assurance-chômage. Le dossier d’arbitrage de McKinsey, facturé 327.060 euros, présente quatre scénarii mais en privilégie très clairement un. Un exemple qui laisse craindre, comme le fait comprendre en filigrane du rapport sénatorial, que les cabinets ne jouent un rôle qui piétine sur le politique.
Mais l’État n’a pas attendu la crise sanitaire pour recourir aux services de McKinsey. Plusieurs réformes sensibles ont été menées avec l’appui du cabinet de conseil, comme la mise en œuvre de la partie informatique de la réforme des aides personnalisées au logement (APL). «Initialement prévue le 1er janvier 2019, la réforme est reportée à plusieurs reprises à cause des lacunes informatiques de la CNAF puis de la crise sanitaire. Le Gouvernement sollicite alors McKinsey pour contrôler la viabilité des solutions informatiques de la Caisse», explique le rapport sénatorial. Un apport «nécessaire et décisif aux équipes», selon le ministère de la cohésion des territoires, qui sera facturé via quatre contrats différents pour un total de 3,88 millions d’euros.
L’intérêt des prestations de McKinsey n’est pas toujours aussi évident, selon la commission sénatoriale. Celle-ci estime que la mission qui avait pour but d’échafauder la stratégie de sécurisation du versement des pensions alimentaires en 2019 a dénoté, malgré une «bonne maîtrise de ce type d’analyse (quantitative et qualitative)», un «manque de culture juridique et plus largement du secteur public» de la part des salariés du cabinet. Leur mission a pourtant été facturée 260.880 euros.
Un an plus tard, McKinsey prend en charge une nouvelle mission : rédiger un rapport sur les évolutions du métier d’enseignant, pour près de 500.000 euros. «Son livrable principal se résume à une compilation, certes conséquente, de travaux scientifiques et de graphiques conçus à partir de données publiques», écrit la commission. De plus, ce rapport qui était destiné à aider à la préparation d’un colloque à l’Unesco ne démontrera jamais son utilité : le colloque avait été annulé en raison de la crise sanitaire. Le ministère a ainsi admis « qu’il n’est pas possible de déterminer les conséquences directes » du rapport.
De manière similaire, le travail de McKinsey auprès de Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV) en 2019 et en 2020 pour préparer la réforme des retraites n’a pas connu de concrétisation, puisque la réforme en question a été abandonnée par le gouvernement. La mission de McKinsey a malgré tout coûté 957.674 euros à l’État.
Au total et selon le rapport sénatorial, l’État a dépensé en 2021 plus d’un milliard d’euros en conseil stratégique et informatique, tous cabinets confondus. Dans le détail, les prestations de conseil des ministères, qui ont plus que doublé depuis 2018, comptaient en 2021 pour 893,9 millions d’euros. Dans ces 893,9 millions, il convient de distinguer les prestations des cabinets de conseils en stratégie (dont fait partie McKinsey) , qui pèsent pour 445,6 millions d’euros et le conseil essentiellement informatique, qui pèse pour 446,3 millions d’euros. S’y ajoutent au global 171 millions d’euros de conseil auprès des opérateurs de l’État.
Le rapport ne précise pas quelle proportion de cette somme a été versée à McKinsey mais selon une recension des missions de conseil réalisée par Le Monde, le cabinet américain aurait reçu plus de 60 millions d’euros pour diverses missions depuis 2015. Le rapport précise également que «le chiffre d’affaires de McKinsey sur le territoire national atteint 329 millions d’euros en 2020, dont environ 5 % dans le secteur public». Soit environ 16,5 millions en 2020.