D’apparence, la situation semblait favorable au sein du Nouveau Front populaire pour lancer une dynamique d’ampleur pour les législatives de 2024. Sous l’égide de l’union et de l’opposition au Rassemblement national, les différentes formations politiques de gauche ont formé une coalition, élaboré un programme commun, et se sont mis d’accord sur la stratégie d’un candidat unique par circonscription.Mais dans la soirée du vendredi 14 juin est annoncé que cinq des députés insoumis, compagnon de route de Jean-Luc Mélenchon : Alexis Corbière (Seine-Saint-Denis), Raquel Garrido (Seine-Saint-Denis), Danielle Simonnet (Paris), Frédéric Mathieu (Ille-et-Vilaine) et Hendrik Davi (Bouches-du-Rhône), ne seront pas réinvestis sous l’étiquette LFI pour les législatives. Certaines voix s’élèvent et évoquent une « purge » des députés ayant ouvertement critiqué le fonctionnement interne du mouvement, ainsi que certaines prises de position de son leader-fondateur.
par Ludovic Grave ,Doctorant en science politique, Université de Lille dans the Conversation
Cette décision a stupéfait les différentes formations politiques qui composent le Nouveau Front populaire, ainsi que dans les rangs des insoumis, la qualifiant d’« irresponsable et dangereux ». Cette incompréhension est d’autant plus forte en raison de la courte période d’organisation des législatives et de la montée en puissance du Rassemblement national aux élections européennes de 2024. La stratégie attendue aurait été de reconduire les députés sortants, capitalisant ainsi sur leur capital autochtonie et médiatique, évitant ainsi de remobiliser des militants et des moyens financier qui auraient pu être utilisés dans d’autres circonscriptions.
Cette situation est d’autant plus absconse que le député sortant de la 1ère circonscription de Lille, Adrien Quatennens, s’était vu réinvesti alors même qu’il était largement contesté au sein des formations politiques de gauche, après avoir été condamné à quatre mois de prison avec sursis pour des violences conjugales sur son ex-compagne.
Finalement, il annonce renoncer à se présenter, laissant sa place à Aurélien Le Cocq, co-animateur des jeunes Insoumis et candidat en dixième position aux élections européennes.
Aujourd’hui, Jean-Luc Mélenchon paraît toujours un peu plus – aux yeux de ses dissidents, avec Clémentine Autain et François Ruffin en tête, et plus largement au sein de la gauche – comme un « agent perturbateur », dont les décisions relèvent davantage du personnel que du collectif. Cela soulève des interrogations quant à la capacité de Jean-Luc Mélenchon à continuer d’incarner une figure de stabilité et de présidentialité pour son mouvement.
Malgré son retrait annoncé, Jean-Luc Mélenchon garde une influence centrale sur la direction, la ligne politique de LFI et plus récemment les investitures. Cela est devenu évident lors de la nomination à l’unanimité de Manuel Bompard, un fidèle de l’ancien candidat, à la tête de la coordination du mouvement.
Les 21 membres de la « Coordination des Espaces » impliqués dans cette décision comprennent des proches du leader tels que Sophia Chikirou, Gabriel Amard, Mathilde Panot, Louis Boyard, Danièle Obono, Clémence Guetté et Manon Aubry, tous membres de sa garde rapprochée. En revanche, certains, tels qu’Alexis Corbière, Clémentine Autain, François Ruffin et Eric Coquerel, affirment ne pas avoir été consultés et se retrouvent écartés des instances opérationnelles.
Cette désignation est perçue par certains membres en interne comme « une purge », un acte de « verrouillage » ou encore une forme d’« autodésignation ». Cette nomination est révélatrice de l’influence persistante de Jean-Luc Mélenchon sur la direction du parti.
En parallèle, en assumant la co-présidence avec Clémence Guetté de l’Institut La Boétie, il conserve une position stratégique au sein du mouvement. Cet institut est conçu comme un laboratoire d’idée pour le parti et de formation des futurs cadres, axant ses programmes sur les thématiques chères à l’ancien candidat, lui permettant de continuer à exercer une emprise idéologique et de façonner les futurs leaders du parti selon ses principes et sa vision politique.
Malgré les critiques et les dissidences, Jean-Luc Mélenchon reste le centre de gravité du mouvement, renforcé par une garde rapprochée qui fonctionne comme une société de cour. Ce cercle d’intimes, composé de proches et de fidèles, joue un rôle clef dans la direction et les stratégies du parti, écartant critiques et dissidents.
Raquel Garrido sera la première à en subir les conséquences, suspendue de son rôle de porte-parole à l’Assemblée nationale pour une durée de quatre mois par le « bureau politique », un organe qui ne figure dans aucun organigramme du mouvement. Cette sanction fait suite à ses critiques publiques de la stratégie et de la direction de LFI, et notamment contre son leader.