Brexit: adieu la problématique environnementale pour le Royaume-Uni
La journaliste Louise Sallé de l’Opinion s’inquiète à juste titre des conséquences de l’accord sur la prise en compte de la problématique environnementale par le Royaume-Uni.
Ce mercredi, l’Union européenne et le Royaume-Uni ont paraphé le volumineux accord post Brexit, adopté le 24 décembre. Le traité de libre-échange encadre les règles de la concurrence, parmi lesquelles les normes environnementales.
L’accord post-Brexit est, somme toute, un traité de libre-échange des plus classiques. Les normes environnementales y sont protégées uniquement en vertu du respect des règles de la concurrence.
Le Royaume-Uni s’est engagé, dans le texte approuvé la veille de Noël et ratifié ce mercredi, à « maintenir des normes élevées » dans les domaines de l’environnement, des droits sociaux ou de la transparence fiscale. Celles-ci ne pourront pas « régresser » par rapport à leur niveau actuel. Ce qui écarte toute possibilité de dumping de la part des Britanniques si d’aventure ces derniers choisissaient de déroger à des contraintes environnementales afin de baisser le coût de leurs exportations. Et en cas de non-respect, Bruxelles peut menacer Londres d’imposer des droits de douane. De même, si les normes imposées au sein des deux entités divergent trop, la menace douanière peut être brandie devant un « tribunal arbitraire ».
Mais qu’en est-il des normes environnementales qui ne concerneraient ni le commerce ni l’investissement, telles que les directives européennes sur l’air, l’eau ou la protection de la biodiversité ?
« Si une norme n’est plus appliquée au Royaume-Uni, l’Europe devra prouver que cette négligence a un impact négatif sur les relations commerciales, et procure un avantage concurrentiel déloyal aux Britanniques », répond Marley Morris, directeur associé d’un think tank londonien sur les politiques publiques (IPPR) et spécialisé dans l’immigration, le commerce et les relations avec l’UE.
Pas de garde-fou, donc, en cas d’affaiblissement de mesures environnementales en dehors de ce libre-échange. L’application générale de ces normes est laissée aux mains des « institutions britanniques concernées », précise la Commission.
Compromis. Cette émancipation vis-à-vis des autorités européennes régulatrices en matière d’environnement, et notamment la très sévère Cour de Justice, est un réel changement. « Il y a des craintes que le contrôle soit opéré par une entité peu indépendante du gouvernement », rapporte Marley Morris. Un compromis accordé à Boris Johnson au cours des derniers mois, tandis que la version initiale de l’accord dessiné par Theresa May donnait à Bruxelles plus de moyens de contrôler Londres sur le plan environnemental, même pour les normes sans lien avec le commerce. « On s’est assez éloigné de ce que souhaitait l’Europe comme garanties sur le respect des normes environnementales », commente le chercheur.
Néanmoins, en raison des engagements climatiques ambitieux pris par le gouvernement anglais, le détricotage de ces régulations est assez improbable. Sur le court terme, du moins. La posture diplomatique du Royaume-Uni au sein de l’Accord de Paris empêche ce genre de revirements, d’autant plus que le pays accueillera la future Cop26 à Glasgow en novembre 2021.
Marley Morris craint cependant que certaines normes ne soient délaissées sur le long terme : « les mécanismes de protection de l’environnement ne vont certes pas changer du jour au lendemain mais prendront la direction que le Royaume-Uni voudra leur donner ». Ainsi, de légères modifications, insignifiantes sur le plan commercial et concernant des régulations peu soutenues par l’opinion publique, pourraient être envisagées.
Le garde-fou climatique de ce traité, qui mérite d’être salué, réside dans l’obligation de respecter l’Accord de Paris. Si l’une des parties s’en retire, l’autre peut répliquer en instaurant des droits de douane. De grandes incertitudes planent cependant sur la façon dont l’UE et la Grande-Bretagne coopéreront dans la lutte contre le changement climatique. En matière d’environnement, Londres peut se vanter d’avoir gagné son indépendance.
Brexit: une interminable liste de différends à prévoir avec le Royaume-Uni (« Brexeternity »)
Eric Albert, correspondant du Monde à Londres annonce une interminable liste de différends sur les futurs échanges entre l’union européenne et le Royaume-Uni suite à l’accord conclu.
Le Brexit n’est pas seulement un événement inédit, c’est aussi un long processus. L’accord sur les relations commerciales entre l’Union européenne (UE) et le Royaume-Uni, passé le 24 décembre, n’est que le début de ce qui sera inévitablement des années de négociations entre Londres et Bruxelles. De très nombreux sujets ont été laissés de côté et vont probablement revenir sur la table : finance, diplomatie, échange d’étudiants, règles pointues sur l’automobile, reconnaissance mutuelle des diplômes… Des dossiers majeurs aux sujets techniques, il faudra bien continuer à discuter.
« C’est le début du Brexeternity, écrivait dès 2019 Denis MacShane, ancien ministre des affaires européennes de Tony Blair : le Brexit va continuer à se développer pendant des années, voire des décennies. » (Brexeternity: The Uncertain Fate of Britain, éditions Bloomsbury, non traduit). Comme des plaques tectoniques qui s’éloignent, l’événement est profond mais lent et il est difficile de prédire quand et où auront lieu les tremblements de terre.
Bien sûr, l’entrée en vigueur des nouvelles relations commerciales entre le Royaume-Uni et l’Union Européenne le 1er janvier 2021 constitue un tournant majeur. Les douanes font leur grand retour, avec le contrôle des marchandises. La libre-circulation des personnes se termine : un Européen voulant travailler au Royaume-Uni (et réciproquement) devra obtenir un permis de travail.
Le plus logique sera de coopérer
Mais il suffit de regarder la Suisse pour savoir que le dossier ne sera pas refermé pour autant. Depuis le rejet par référendum en 1992 de la Confédération helvétique d’entrer dans l’espace économique européen, Bruxelles et Berne négocient en permanence. Une série d’accords bilatéraux ont été signés en 1999, d’autres encore en 2004, et des discussions qui n’en finissent pas sont en cours sur un projet d’accord institutionnel.
Ce qui passe relativement inaperçu politiquement avec un pays neutre de 8 millions d’habitants risque d’être incontournable avec la deuxième économie européenne et sa deuxième armée. Pour le meilleur ou pour le pire, l’UE et le Royaume-Uni sont voisins. Qu’il s’agisse d’appliquer des sanctions contre les oligarques russes ou syriens, de lutter contre le réchauffement climatique ou de s’occuper de la frontière irlandaise, le plus logique sera de coopérer. Politiquement, le sujet va devenir moins brûlant. Mais on peut faire confiance aux tabloïds britanniques et au gouvernement de Boris Johnson pour souffler sur les braises nationalistes si cela s’avère nécessaire, en particulier pour pousser son avantage face au continent.