L’historien de la médecine Frédéric Vagneron analyse, dans un entretien au « Monde », les singularités de la pandémie actuelle, mais aussi ce qui la rapproche des épidémies passées.Il souligne en particulier le rôle de la mobilité mondiale et la vitesse d’évolution des sciences.
interview
Comment la pandémie de Covid-19 se distingue-t-elle des grandes épidémies passées ?
Elle est unique, d’abord, par l’abondance des données sur la maladie. Nous avons accès à une connaissance presque instantanée de son évolution planétaire, par exemple avec le suivi des variants du virus SARS-CoV-2. En cela, cette pandémie se distingue de la grippe espagnole de 1918-1919, dont on a beaucoup convoqué la mémoire depuis deux ans, pour laquelle la connaissance restait lacunaire sur des pans entiers de territoires. A ce savoir scientifique s’ajoute désormais l’information – ou la désinformation –, qui circule avec une ampleur inédite sur les réseaux sociaux et dans les médias.
L’apparition d’une maladie nouvelle est-elle un phénomène rare ?
Ce qui me semble « rare », c’est que les savoirs sur cette nouvelle maladie se sont construits dans un temps extrêmement court. D’abord à partir de connaissances sur le virus, sur sa carte d’identité génétique et sur sa propagation. Ensuite seulement, sans expérience préalable auprès de patients, les médecins ont dressé le tableau clinique de cette maladie, observée à travers les atteintes très variées dans les corps. C’est une chronologie inédite. Souvent, au cours de l’histoire, on faisait face à des épidémies de maladies connues de longue date (peste, rage, variole…), mais le germe en cause était identifié bien plus tard. Ici, le processus a été inversé. Au point que la maladie a été nommée après l’identification du virus. Même pour le VIH-sida, pandémie pas si ancienne, cela n’a pas été le cas : il a fallu plusieurs années avant de déterminer la cause virale de la maladie, en 1983, après les premiers cas épars constatés dès juin 1981. Imaginons l’histoire de cette pandémie si les scientifiques n’avaient pas identifié le virus avant 2022 ! Elle aurait été tout autre.