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Démocratie–Le “préférendum”: Alternative au choix binaire ?

Démocratie–Le “préférendum”: Alternative au choix binaire ? 

 

L’écrivain et historien belge David Van Reybrouck prône, dans une tribune au « Monde », un modèle de référendum non binaire offrant de voter pour ou contre plusieurs propositions. Cet « outil de participation politique citoyenne »

Reste que la démocratie ne sau rait se réduire à des questions multiples et se passer surtout du débat . NDLR

 

 

 

Tribune. 

Partir ou rester. Lors du référendum sur le Brexit, les Britanniques ont dû voter noir ou blanc. Imaginez le scénario s’ils avaient pu choisir parmi vingt propositions afin de redessiner, ou non, la relation entre le Royaume-Uni et l’Union européenne (UE), du « hard Brexit » au statu quo, en passant par toutes sortes d’options intermédiaires élaborées non pas par des responsables politiques, mais par des citoyens ordinaires. Un échantillon représentatif de la population britannique composé de citoyens de tous bords et de tous âges, d’hommes et de femmes, d’europhiles et d’eurosceptiques. Imaginez si tout ce beau monde avait eu la possibilité d’étudier les enjeux en profondeur. Et si, après évaluation, chacun avait pu indiquer un ordre de préférence. Le chantier aurait-il pris autant de temps ? Le pays aurait-il connu les mêmes fractures ?

 

Nous ne le saurons jamais. Reste qu’un tel scénario porte un nom : le « préférendum ». L’arme ultime pour trancher des questions complexes. En matière de politique climatique, le préférendum pourrait incontestablement faire partie de la solution. Depuis les « gilets jaunes », l’ensemble de la classe politique française prend soin d’éviter toute mesure draconienne. Le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) [publié en août] a beau souligner l’urgence de la situation, les images de ces mois de colère populaire restent gravées dans les mémoires.

Emmanuel Macron a eu le courage franchir le Rubicon en créant la convention citoyenne pour le climat, en 2019. Ce dispositif composé de 150 citoyens tirés au sort reste, à ce jour, l’exemple le plus probant d’assemblée climatique. Malheureusement, les recommandations qui y sont formulées peinent à se matérialiser. Malgré sa promesse initiale de soumettre les idées « sans filtre » aux autorités compétentes, le président de la République a élagué trois idées à sa guise, et les propositions qui ont atterri sur la table des instances concernées n’ont guère suscité l’engouement. Selon une enquête publiée en avril par la revue Reporterreseules 15 des 149 propositions semblent avoir été transformées en politique sans filtre, les autres ayant été modifiées ou édulcorées, ou purement et simplement rejetées.

Sujets complexes, options binaires

Et si les recommandations avaient été soumises à un préférendum national plutôt qu’au président ? Plus de la moitié des idées auraient-elles également été rejetées ou ignorées ? Un récent sondage indique au contraire qu’une écrasante majorité de Français adhéraient aux idées de la convention.

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Le “préférendum”:Alternative au choix binaire ?

Le “préférendum”: Alternative au choix binaire ? 

 

L’écrivain et historien belge David Van Reybrouck prône, dans une tribune au « Monde », un modèle de référendum non binaire offrant de voter pour ou contre plusieurs propositions. Cet « outil de participation politique citoyenne »

Reste que la démocratie ne sau rait se réduire à des questions multiples et se passer surtout du débat . NDLR

 

 

 

Tribune. 

Partir ou rester. Lors du référendum sur le Brexit, les Britanniques ont dû voter noir ou blanc. Imaginez le scénario s’ils avaient pu choisir parmi vingt propositions afin de redessiner, ou non, la relation entre le Royaume-Uni et l’Union européenne (UE), du « hard Brexit » au statu quo, en passant par toutes sortes d’options intermédiaires élaborées non pas par des responsables politiques, mais par des citoyens ordinaires. Un échantillon représentatif de la population britannique composé de citoyens de tous bords et de tous âges, d’hommes et de femmes, d’europhiles et d’eurosceptiques. Imaginez si tout ce beau monde avait eu la possibilité d’étudier les enjeux en profondeur. Et si, après évaluation, chacun avait pu indiquer un ordre de préférence. Le chantier aurait-il pris autant de temps ? Le pays aurait-il connu les mêmes fractures ?

 

Nous ne le saurons jamais. Reste qu’un tel scénario porte un nom : le « préférendum ». L’arme ultime pour trancher des questions complexes. En matière de politique climatique, le préférendum pourrait incontestablement faire partie de la solution. Depuis les « gilets jaunes », l’ensemble de la classe politique française prend soin d’éviter toute mesure draconienne. Le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) [publié en août] a beau souligner l’urgence de la situation, les images de ces mois de colère populaire restent gravées dans les mémoires.

Emmanuel Macron a eu le courage franchir le Rubicon en créant la convention citoyenne pour le climat, en 2019. Ce dispositif composé de 150 citoyens tirés au sort reste, à ce jour, l’exemple le plus probant d’assemblée climatique. Malheureusement, les recommandations qui y sont formulées peinent à se matérialiser. Malgré sa promesse initiale de soumettre les idées « sans filtre » aux autorités compétentes, le président de la République a élagué trois idées à sa guise, et les propositions qui ont atterri sur la table des instances concernées n’ont guère suscité l’engouement. Selon une enquête publiée en avril par la revue Reporterreseules 15 des 149 propositions semblent avoir été transformées en politique sans filtre, les autres ayant été modifiées ou édulcorées, ou purement et simplement rejetées.

Sujets complexes, options binaires

Et si les recommandations avaient été soumises à un préférendum national plutôt qu’au président ? Plus de la moitié des idées auraient-elles également été rejetées ou ignorées ? Un récent sondage indique au contraire qu’une écrasante majorité de Français adhéraient aux idées de la convention.

«Le passé colonial : non à une vision binaire»

 «Le passé colonial : non à une vision binaire»

 «La haine de l’Occident et la détestation de la France trouvent leur cohérence idéologique dans un va-et-vient constant avec le passé colonial : l’humiliation d’aujourd’hui trouverait son origine dans l’humiliation coloniale. C’est pourquoi il est nécessaire de déconstruire cette vision» estime dans l’opinion l’historien Pascal Blanchard.

Historien spécialiste du fait colonial, Pascal Blanchard a cosigné avec David Korn-Brzoza le documentaire « Décolonisations. Du sang et des larmes », diffusé sur France 2. Auteur de nombreux films et ouvrages, il a récemment publié avec Sandrine Lemaire et Nicolas Bancel Décolonisations françaises. La chute d’un Empire (Editions de la Martinière, 2020), avec la participation de l’historien Benjamin Stora et du politologue Achille Mbembe.​

Après plusieurs attentats islamistes, des partis politiques et des universitaires sont accusés d’avoir attisé les rancœurs liées au passé colonial. Pourquoi la France se fracture-t-elle encore sur cette question ?

L’histoire coloniale est le dernier grand « tabou » du récit français et fait toujours débat. Deux thèses s’affrontent autour de cette « mémoire traumatique ». Pour les uns, parler de ce passé complexe et douloureux concourt à radicaliser les esprits et à nourrir une haine de la France, donc à armer les « ennemis de la République ». Ils dénoncent une « repentance », trop de « complaisance », un « discours victimaire », et préfèrent ne pas faire de vagues à un moment où la société est fracturée. Leur position est claire : il faut conserver une version angélique de ce passé et en être « fier », ou du moins être peu critique avec cette histoire, voire en parler le moins possible. Pour les autres, au contraire, plus la République sera volontariste sur son histoire, plus elle sera solide et privera les radicaux des deux bords — nostalgiques et indigénistes — d’armes dirigées contre elle. Qui a raison ? A mes yeux, la République doit être exemplaire et regarder ce passé en face, sinon elle continuera à donner le sentiment qu’elle n’a pas tourné la page coloniale et qu’elle méprise une partie de ceux qui, devenus Français, sont issus des migrations postcoloniales. C’est d’ailleurs ce que vient de rappeler le président de la République dans son interview sur Al-Jazeera le week-end dernier, en affirmant qu’il fallait regarder « en face » la colonisation et « aller au bout de ce travail de réconciliation par l’histoire, la vérité.»

Pourtant, le Premier ministre Jean Castex a expliqué sur TF1 la montée de l’islam radical par le retour sur un passé qui divise la nation : « Nous devrions nous autoflageller, regretter la colonisation, je ne sais quoi encore… nous devons être fiers de nos racines, de notre identité »…

Nous devons refuser de réduire le débat sur le passé colonial à une vision binaire du monde. L’extrême droite et une grande partie de la droite sont rejointes par des illuminés qui veulent réduire la lecture de ce passé à une autoflagellation. C’est une totale caricature, qui donne le sentiment d’une nouvelle croisade à engager autour du passé colonial. Face à eux, émerge un discours tout aussi caricatural avec des radicaux identitaires qui refusent désormais que l’histoire coloniale soit écrite par des « Blancs », qui prétendent que la France ne serait que l’héritière de l’idéologie coloniale et que nous serions éternellement « coupables ». Il faut au contraire analyser pleinement le mouvement en marche et, dans ce carcan, le Premier ministre — bien loin du discours d’Emmanuel Macron lors de la campagne de 2017 et de ce qu’il a déclaré ce week-end — est piégé, avec en toile de fond, l’omniprésence du terrorisme. Une majorité de Français veut aujourd’hui sortir de ces guerres de mémoire sans fin. Si la colonisation est dans nos « racines » et « notre identité », les droits de l’homme le sont tout autant, comme les engagements d’un Aimé Césaire, aujourd’hui au Panthéon, d’un Michel Rocard, auteur d’un rapport sur les camps d’internement en février 1959 en Algérie, ou d’un Pierre Mendès France avec son discours de Carthage au moment des décolonisations. Il est indispensable de sortir des pièges du passé pour mieux intégrer à la nation tous les récits, toutes les mémoires, et pour éviter qu’elles ne se transforment en rancœurs. C’est le refus de voir et comprendre qui fabriquent du ressentiment, pas l’inverse.

Comment la radicalité islamiste joue-t-elle de cette histoire ?

Les islamistes truffent leur logorrhée de références à la colonisation. Daech a joué de ce terreau, comme d’autres groupes terroristes, pour « recruter » des jeunes dans des pays francophones en Europe, au Levant et au Maghreb. Une grande partie de sa propagande traite du passé colonial et le porte-parole de l’Etat islamique, Abou Mouhammad al-Adnani, a fait référence lors de l’instauration du califat, en juin 2014, à la fin de la situation coloniale issue de l’accord Sykes-Picot de 1916, par lequel la France et la Grande-Bretagne se sont partagé l’influence au Moyen-Orient. Cet accord est décrit comme la « trahison de l’Occident » dans la région et l’exemple emblématique des héritages coloniaux. La haine de l’Occident et la détestation de la France trouvent leur cohérence idéologique dans un va-et-vient constant avec le passé colonial : l’humiliation d’aujourd’hui trouverait son origine dans l’humiliation coloniale. C’est pourquoi il est nécessaire de déconstruire cette vision et d’enseigner les faits historiques, en s’appuyant notamment sur les travaux des universitaires et des chercheurs, en engageant un travail en profondeur sur l’amnésie coloniale pour contrer les discours de haine.

La troisième génération des immigrations postcoloniales est globalement intégrée, et c’est parce qu’elle est intégrée qu’elle ne veut plus négocier avec le passé colonial et avec la citoyenneté dans le présent

Votre film Décolonisations a été accusé, dans Le Figaro, de fabriquer une « vision culpabilisatrice de notre passé colonial », qui irait jusqu’à favoriser le terrorisme…

La plupart de ces critiques sont purement idéologiques et manichéennes (nous nous en expliquons longuement dans un article publié par Politis), même si le débat doit toujours exister et que la critique est normale dans un espace démocratique. Ce film diffusé sur France 2 a une valeur pédagogique et historique. Nous sommes face à des faits, pas des chimères. Il aborde le FLN, les harkis, la violence des attentats, le traitement des prisonniers français par le Viêt-Minh, les dictatures mises en place avec l’aide de la France en Afrique subsaharienne. Il nous est reproché d’avoir donné la parole à tous, aux anciens colons, aux militaires français, aux militants du Viêt-Minh ou du FLN, dont cette femme qui a posé une bombe dans un café. Mais comment faire de l’histoire si on n’écoute pas tous les récits ? Comment raconter, si on n’entend pas toutes les mémoires ? De l’autre côté du spectre idéologique, quelques radicaux récusent le film parce que les deux réalisateurs seraient des « Blancs ». Certains, des deux côtés du rivage, veulent que l’amnésie se prolonge éternellement. Ces guerres d’hier ne sont plus les nôtres, il est urgent de tourner la page, pour bâtir le présent et préparer l’avenir.

Comment la République peut-elle être plus offensive ?

Certains jeunes issus des immigrations postcoloniales disent : « On n’a pas de place dans l’histoire de France ». Il y a peu de héros de l’ancien empire (ou des actuels outre-mer) et des immigrations dans les manuels scolaires, encore moins dans l’imaginaire collectif, très peu dans nos rues et places. Il y a là un immense travail à faire, comme le suggérait le président de la République le 15 août 2019, en appelant les maires de France à baptiser les rues avec les noms de combattants issus des colonies ayant débarqué en Provence. Plutôt que de déboulonner les statues, il faut expliquer le passé et bâtir de nouvelles références dans l’espace public, d’autant que notre pays n’a toujours pas de musée d’histoire coloniale pour transmettre cette histoire. Il faut parler de ces figures méconnues qui font du récit national un récit commun, de l’aviateur vietnamien Do Huu Vi, du défenseur de Paris Camille Mortenol, du nageur juif d’Algérie Alfred Nakache, du marathonien Ahmed Boughéra El Ouafi ou du premier polytechnicien algérien Chérif Cadi. Ils ont toute leur place dans nos manuels scolaires et sur les plaques des rues. Pour se sentir partie prenante d’une histoire, il faut des images qui vous ressemblent, qui vous parlent, qui vous légitiment. C’est ainsi que l’on peut se dire : c’est mon pays, ma République, mes valeurs.

Faut-il être optimiste ?

Oui, je suis un éternel optimiste. La troisième génération des immigrations postcoloniales est globalement intégrée, et c’est parce qu’elle est intégrée qu’elle ne veut plus négocier avec le passé colonial et avec la citoyenneté dans le présent. La première génération était silencieuse en se disant que l’histoire allait être oubliée ; elle misait sur la réussite des enfants. La deuxième génération, celle de la Marche pour l’égalité en 1983, voulait entrer dans la République. Ce fut un échec. La troisième génération veut progresser dans la société et solder le passé. Ils n’ont plus le choix, ils doivent bâtir leur destin ici, et pour cela lutter contre les discriminations. Il faut les entendre, car c’est la meilleure réponse aux extrêmes des deux camps.

Livre : De Trump à Johnson, la mécanique

« Non à une vision binaire du passé colonial « 

« Non à une vision binaire du passé colonial « 

 

 «La haine de l’Occident et la détestation de la France trouvent leur cohérence idéologique dans un va-et-vient constant avec le passé colonial : l’humiliation d’aujourd’hui trouverait son origine dans l’humiliation coloniale. C’est pourquoi il est nécessaire de déconstruire cette vision» d’après l’historien Pascal Blanchard

 

Pascal Blanchard, historien et documentariste.

Après plusieurs attentats islamistes, des partis politiques et des universitaires sont accusés d’avoir attisé les rancœurs liées au passé colonial. Pourquoi la France se fracture-t-elle encore sur cette question ?

L’histoire coloniale est le dernier grand « tabou » du récit français et fait toujours débat. Deux thèses s’affrontent autour de cette « mémoire traumatique ». Pour les uns, parler de ce passé complexe et douloureux concourt à radicaliser les esprits et à nourrir une haine de la France, donc à armer les « ennemis de la République ». Ils dénoncent une « repentance », trop de « complaisance », un « discours victimaire », et préfèrent ne pas faire de vagues à un moment où la société est fracturée. Leur position est claire : il faut conserver une version angélique de ce passé et en être « fier », ou du moins être peu critique avec cette histoire, voire en parler le moins possible. Pour les autres, au contraire, plus la République sera volontariste sur son histoire, plus elle sera solide et privera les radicaux des deux bords — nostalgiques et indigénistes — d’armes dirigées contre elle. Qui a raison ? A mes yeux, la République doit être exemplaire et regarder ce passé en face, sinon elle continuera à donner le sentiment qu’elle n’a pas tourné la page coloniale et qu’elle méprise une partie de ceux qui, devenus Français, sont issus des migrations postcoloniales. C’est d’ailleurs ce que vient de rappeler le président de la République dans son interview sur Al-Jazeera le week-end dernier, en affirmant qu’il fallait regarder « en face » la colonisation et « aller au bout de ce travail de réconciliation par l’histoire, la vérité.»

Pourtant, le Premier ministre Jean Castex a expliqué sur TF1 la montée de l’islam radical par le retour sur un passé qui divise la nation : « Nous devrions nous autoflageller, regretter la colonisation, je ne sais quoi encore… nous devons être fiers de nos racines, de notre identité »…

Nous devons refuser de réduire le débat sur le passé colonial à une vision binaire du monde. L’extrême droite et une grande partie de la droite sont rejointes par des illuminés qui veulent réduire la lecture de ce passé à une autoflagellation. C’est une totale caricature, qui donne le sentiment d’une nouvelle croisade à engager autour du passé colonial. Face à eux, émerge un discours tout aussi caricatural avec des radicaux identitaires qui refusent désormais que l’histoire coloniale soit écrite par des « Blancs », qui prétendent que la France ne serait que l’héritière de l’idéologie coloniale et que nous serions éternellement « coupables ». Il faut au contraire analyser pleinement le mouvement en marche et, dans ce carcan, le Premier ministre — bien loin du discours d’Emmanuel Macron lors de la campagne de 2017 et de ce qu’il a déclaré ce week-end — est piégé, avec en toile de fond, l’omniprésence du terrorisme. Une majorité de Français veut aujourd’hui sortir de ces guerres de mémoire sans fin. Si la colonisation est dans nos « racines » et « notre identité », les droits de l’homme le sont tout autant, comme les engagements d’un Aimé Césaire, aujourd’hui au Panthéon, d’un Michel Rocard, auteur d’un rapport sur les camps d’internement en février 1959 en Algérie, ou d’un Pierre Mendès France avec son discours de Carthage au moment des décolonisations. Il est indispensable de sortir des pièges du passé pour mieux intégrer à la nation tous les récits, toutes les mémoires, et pour éviter qu’elles ne se transforment en rancœurs. C’est le refus de voir et comprendre qui fabriquent du ressentiment, pas l’inverse.

Comment la radicalité islamiste joue-t-elle de cette histoire ?

Les islamistes truffent leur logorrhée de références à la colonisation. Daech a joué de ce terreau, comme d’autres groupes terroristes, pour « recruter » des jeunes dans des pays francophones en Europe, au Levant et au Maghreb. Une grande partie de sa propagande traite du passé colonial et le porte-parole de l’Etat islamique, Abou Mouhammad al-Adnani, a fait référence lors de l’instauration du califat, en juin 2014, à la fin de la situation coloniale issue de l’accord Sykes-Picot de 1916, par lequel la France et la Grande-Bretagne se sont partagé l’influence au Moyen-Orient. Cet accord est décrit comme la « trahison de l’Occident » dans la région et l’exemple emblématique des héritages coloniaux. La haine de l’Occident et la détestation de la France trouvent leur cohérence idéologique dans un va-et-vient constant avec le passé colonial : l’humiliation d’aujourd’hui trouverait son origine dans l’humiliation coloniale. C’est pourquoi il est nécessaire de déconstruire cette vision et d’enseigner les faits historiques, en s’appuyant notamment sur les travaux des universitaires et des chercheurs, en engageant un travail en profondeur sur l’amnésie coloniale pour contrer les discours de haine.

La troisième génération des immigrations postcoloniales est globalement intégrée, et c’est parce qu’elle est intégrée qu’elle ne veut plus négocier avec le passé colonial et avec la citoyenneté dans le présent

Votre film Décolonisations a été accusé, dans Le Figaro, de fabriquer une « vision culpabilisatrice de notre passé colonial », qui irait jusqu’à favoriser le terrorisme…

La plupart de ces critiques sont purement idéologiques et manichéennes (nous nous en expliquons longuement dans un article publié par Politis), même si le débat doit toujours exister et que la critique est normale dans un espace démocratique. Ce film diffusé sur France 2 a une valeur pédagogique et historique. Nous sommes face à des faits, pas des chimères. Il aborde le FLN, les harkis, la violence des attentats, le traitement des prisonniers français par le Viêt-Minh, les dictatures mises en place avec l’aide de la France en Afrique subsaharienne. Il nous est reproché d’avoir donné la parole à tous, aux anciens colons, aux militaires français, aux militants du Viêt-Minh ou du FLN, dont cette femme qui a posé une bombe dans un café. Mais comment faire de l’histoire si on n’écoute pas tous les récits ? Comment raconter, si on n’entend pas toutes les mémoires ? De l’autre côté du spectre idéologique, quelques radicaux récusent le film parce que les deux réalisateurs seraient des « Blancs ». Certains, des deux côtés du rivage, veulent que l’amnésie se prolonge éternellement. Ces guerres d’hier ne sont plus les nôtres, il est urgent de tourner la page, pour bâtir le présent et préparer l’avenir.

Comment la République peut-elle être plus offensive ?

Certains jeunes issus des immigrations postcoloniales disent : « On n’a pas de place dans l’histoire de France ». Il y a peu de héros de l’ancien empire (ou des actuels outre-mer) et des immigrations dans les manuels scolaires, encore moins dans l’imaginaire collectif, très peu dans nos rues et places. Il y a là un immense travail à faire, comme le suggérait le président de la République le 15 août 2019, en appelant les maires de France à baptiser les rues avec les noms de combattants issus des colonies ayant débarqué en Provence. Plutôt que de déboulonner les statues, il faut expliquer le passé et bâtir de nouvelles références dans l’espace public, d’autant que notre pays n’a toujours pas de musée d’histoire coloniale pour transmettre cette histoire. Il faut parler de ces figures méconnues qui font du récit national un récit commun, de l’aviateur vietnamien Do Huu Vi, du défenseur de Paris Camille Mortenol, du nageur juif d’Algérie Alfred Nakache, du marathonien Ahmed Boughéra El Ouafi ou du premier polytechnicien algérien Chérif Cadi. Ils ont toute leur place dans nos manuels scolaires et sur les plaques des rues. Pour se sentir partie prenante d’une histoire, il faut des images qui vous ressemblent, qui vous parlent, qui vous légitiment. C’est ainsi que l’on peut se dire : c’est mon pays, ma République, mes valeurs.

Faut-il être optimiste ?

Oui, je suis un éternel optimiste. La troisième génération des immigrations postcoloniales est globalement intégrée, et c’est parce qu’elle est intégrée qu’elle ne veut plus négocier avec le passé colonial et avec la citoyenneté dans le présent. La première génération était silencieuse en se disant que l’histoire allait être oubliée ; elle misait sur la réussite des enfants. La deuxième génération, celle de la Marche pour l’égalité en 1983, voulait entrer dans la République. Ce fut un échec. La troisième génération veut progresser dans la société et solder le passé. Ils n’ont plus le choix, ils doivent bâtir leur destin ici, et pour cela lutter contre les discriminations. Il faut les entendre, car c’est la meilleure réponse aux extrêmes des deux camps.




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