Déficit extérieur : la faiblesse concerne les biens
L’économiste Sébastien Jean constate, dans une tribune au « Monde », que le déficit commercial français concerne davantage les biens industriels, dont la production est délocalisée, que les services et les investissements à l’étranger, qui se portent plutôt bien.
Cent milliards d’euros. Au mois de mars, le déficit commercial de la France sur douze mois a franchi une barre symbolique et frappé les esprits. D’autant que le problème est loin d’être nouveau : il y a presque dix ans, le premier ministre Jean-Marc Ayrault, alarmé de voir le déficit commercial annuel de la France dépasser 70 milliards d’euros, missionnait Louis Gallois pour concevoir un « pacte de compétitivité ». Au-delà de la dégradation récente, liée en grande partie à la hausse des prix de l’énergie et aux perturbations issues de la crise sanitaire, c’est pour le moins le signe d’une incapacité tenace à regagner du terrain, en dépit des pactes, plans, crédits et baisses d’impôts alignés depuis avec régularité et qui ont, de fait, résorbé l’écart de coût salarial unitaire vis-à-vis de l’Allemagne, qui s’était creusé dans les années 2000.
En conclure que le pays « vit au-dessus de ses moyens » serait pourtant hâtif : le besoin de financement extérieur de l’économie est mesuré par son solde courant, qui intègre également les échanges de services et les revenus de ou vers l’étranger ; celui de la France est certes déficitaire, mais il est resté relativement stable au cours de la dernière décennie si l’on excepte l’année 2020, à − 0,7 % du PIB en moyenne (20 milliards d’euros sur douze mois en mars 2022), un niveau très modéré à l’échelle de l’économie.
S’il est une inquiétude en la matière, elle tient plutôt au fait que la situation macroéconomique de la France ne peut s’apprécier que dans le contexte de la zone euro, dont le solde courant est largement excédentaire depuis des années – même si la hausse des prix de l’énergie et les perturbations de la production industrielle l’ont plongé lui aussi en déficit au mois de mars, probablement de façon temporaire.
Ce contexte peut rassurer sur la solidité de la position extérieure de la zone euro prise dans son ensemble, mais il devrait plutôt inquiéter pour le cas particulier de la France. En effet, l’excédent courant de la zone euro est un problème pour ses partenaires, parce qu’il les contraint de fait à absorber son excédent d’épargne dans un monde où elle est déjà surabondante. La question est alors de savoir quelle forme prendrait un rééquilibrage éventuel : s’il passait principalement par une appréciation du taux de change de l’euro, il serait déstabilisant pour l’économie française, car il creuserait son déficit courant du fait de la dégradation de compétitivité. D’où l’importance d’un rééquilibrage macroéconomique au sein même de la zone euro, par des politiques relançant la demande interne des pays fortement créditeurs faisant porter la pression du rééquilibrage sur les pays créditeurs, et pas seulement sur les pays débiteurs – une asymétrie que Keynes avait déjà mise au cœur des discussions de la conférence de Bretton Woods en 1944, et qui reste d’actualité aussi bien en Europe qu’au niveau mondial.