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Barbarie et faible niveau culturel : les deux mamelles de la violence

Barbarie et faible niveau culturel : les deux mamelles de la violence

La violence a toujours été consubstantiel à l’existence de sociétés mais au cours de l’histoire elle a évolué dans sa nature, sa forme et son intensité prenant parfois la forme de barbarie. C’est-à-dire une forme de violence qui ne respecte plus aucun principe.

Des violences qui se manifestent à l’occasion d’intérêts divergents de pays, de populations ou même à l’intérieur d’un même pays.

Ces violences diffèrent dans leur nature mais se ressemblent par leur négation totale de tout concept d’humanité. Bref, la vie ne compte pour rien.

Ce qui se confirme bien sûr dans certains conflits internationaux mais aussi à l’intérieur des frontières y compris de la France. On peut évidemment tenter d’inventorier certains facteurs explicatifs qui concernent plus spécifiquement le pays.

En France, ce qui caractérise la situation c’est la crise générale des autorités, celle de la famille assez souvent, celle des pouvoirs publics et plus généralement de la société. La médiocrité actuelle du personnel politique favorise tous les débordements puisque les repères et leur modèle de gestion explosent dans tous les sens.

La justice en particulier adapte une position hors-sol qui indique aux délinquants potentiels la disparition de ces repères.

Pour preuve de la crise de l’appareil d’État et des autorités, cette révolte des quartiers qui n’a même pas pu faire l’objet d’une analyse officielle de la part du gouvernement et en particulier du chef de l’État. Comme d’habitude, on a promis de la peinture sur les murs de la révolte.

Cette violence qui est une crise des repères et des valeurs est largement générée par un très grand affaiblissement du niveau moyen culturel. Témoin, cette enquête de l’éducation nationale qui montre que la moitié des élèves en quatrième sont tout juste capables de faire une lecture correcte. Bien entendu, il ne s’agit que d’une moyenne car cela n’est pas contradictoire avec une certaine élite étudiante.

Bref, le déclassement intellectuel et culturel de la France crée un terrain favorable aux violences et à la barbarie. Le facteur explicatifs dominant est en effet l’insuffisance de connaissances dans tous les domaines et l’adhésion à des principes sectaires, simplistes et sauvages. De ce point de vue, c’est aussi une crise de civilisation.

L’Ensauvagement. Le retour de la barbarie au xxie siècle

L’Ensauvagement. Le retour de la barbarie au xxie siècle

Le livre de Thérèse Delpech, L’Ensauvagement. Le retour de la barbarie au xxie siècle, s’adresse à un public très large, du spécialiste au lecteur amateur, en passant par l’individu impliqué dans le processus de décision. Mêlant intelligence, érudition et imagination, l’auteur dresse un tableau plausible et sans concessions de l’état actuel du monde, dans l’intention explicite d’aider la conscience contemporaine à dépasser le « vide spirituel  qui la paralysent, et à renouer ainsi avec une intelligence de l’histoire, libératrice de projets pour l’avenir et enracinée dans le passé. Cela ne peut se faire, affirme Thérèse Delpech, sans une réflexion éthique : « La politique ne pourra donc pas être réhabilitée sans une réflexion éthique. Sans elle de surcroît, nous n’aurons ni la force de prévenir les épreuves que le siècle nous prépare ni surtout d’y faire face, si par malheur nous ne savons pas les éviter.

À la suite de Schopenhauer, Thérèse Delpech envisage une situation idéale : se projeter dans l’avenir et, de là, regarder à travers un télescope la situation présente (Première partie : Le Télescope). Cette fiction idéalisante sert à illustrer un principe éthique fondamental : il faut que l’action politique conjugue sympathie pour le présent et responsabilité pour l’avenir : « Les qualités de jugement et de caractère ont toujours été les plus importantes en politique. » L’image que le télescope nous donne à voir est troublante : le progrès technique des derniers siècles ne s’est pas accompagné d’un progrès moral, mais a vu au contraire le retour de la barbarie et de la violence. Les causes en sont multiples : dynamique de la passion égalitaire exacerbée par la mondialisation, qui produit de l’envie et du ressentiment à l’adresse de l’Occident et creuse un gouffre entre celui-ci et le reste du monde ; victoire du machiavélisme dans les relations internationales, subordonnant le bien et le mal au préférable et au détestable ; choix de la stabilité représentée par les gouvernements, ce qui fait naître un sentiment d’injustice et un désir de revanche de la part des peuples et des États ; triomphe d’une pensée technique, abstraite, au détriment de l’intelligence pratique et du sentiment moral.

Contre l’« abdication » de la conscience contemporaine face au temps, Thérèse Delpech met en avant « l’idée de liberté dans l’histoire », principe normatif d’un véritable agir politique : « Il est sans doute absurde de chercher à conjurer le retour des mêmes événements, car au sens strict l’histoire ne se répète pas, mais tenter d’éviter le retour de tempêtes de même ampleur est un objectif raisonnable .

Une fois le télescope réglé, l’auteur le met à l’essai en le tournant successivement vers le passé (1905), l’avenir (2025) et le présent (2005). 1905 est l’année où se produit une série d’événements qui vont bouleverser le xxe siècle et qui sont autant de présages des cataclysmes futurs (Deuxième partie : 1905). Sur la scène internationale, c’est la première défaite occidentale face à une puissance asiatique (guerre russo-japonaise), la première révolution russe, la première crise marocaine entre la France et l’Allemagne, ainsi que l’émergence de deux nouveaux acteurs, les États-Unis et la Chine. 1905 est aussi l’année de la naissance de la modernité, avec La Théorie de la relativité d’Einstein, la première exposition des « Fauves » au Salon d’automne de Paris et les Trois essais sur la théorie de la sexualité de Freud. Si, à partir de ces signes, quelqu’un avait pu imaginer l’évolution des événements (Thérèse Delpech donne comme exemple les Regards sur le monde actuel de Paul Valéry), personne n’aurait pu, affirme l’auteur, imaginer Hitler. Pour l’apparition de cet « acteur imprévisible » il a sans doute fallu que certaines conditions sociales, politiques et culturelles soient réunies ; mais en soi cette apparition manifeste une part de contingence dans l’histoire, dans laquelle se loge la liberté : Hitler a certes existé, mais il n’était pas nécessaire.

Rétrospectivement, Thérèse Delpech définit le xxe siècle à l’aide de la notion de Herzelend (« tristesse du cœur »), qui désigne « une forme de mélancolie et d’affaiblissement de la partie émotionnelle de la nature humaine [10]» qui paralyse la volonté. Le héros qui incarne le mieux cette passion tragique est le prince Hamlet, dont l’histoire personnelle prend une dimension paradigmatique pour l’histoire de l’Europe au xxe siècle. Et le xxie siècle ?

Le second essai du télescope concerne l’avenir (Troisième partie : Le Monde en 2025). Il s’agit de déterminer par la pensée, en « raisonnant à partir du présent », l’évolution possible des signes que recèle l’actualité. Thérèse Delpech propose ainsi trois paris généraux sur l’avenir (continuation de la lutte contre le terrorisme international, prolifération des armes de destruction massive, tensions dans les relations sino-américaines) et plusieurs questions ouvertes. Comme pour la précédente partie, l’auteur tente de synthétiser son propos sous un concept général, d’où l’interrogation qui clôt cette troisième partie : « Le xxie siècle sera-t-il le siècle de la peur … ? »

8Dans l’histoire, rien n’est pourtant joué à l’avance (Quatrième partie : Retour à 2005). Mais cela implique que la responsabilité politique est d’autant plus grande. Devant cette responsabilité, l’ambition qu’il faut cultiver est « celle de conserver en mémoire la possibilité toujours ouverte du retour à l’ensauvagement .

L’auteur définit l’« ensauvagement » comme « une…. » Qu’est-ce que nous révèle l’année 2005 ? D’abord l’entrée de la Russie dans une phase d’autodestruction, caractérisée par l’autoritarisme et la nostalgie de l’empire, et rendue possible par la « médiocre qualité des élites au pouvoir  »

. La levée de l’embargo sur la vente d’armes à la Chine, à l’initiative européenne, manifeste l’incompréhension face au nouveau « centre » de la politique étrangère : « Taïwan est l’Alsace-Lorraine du xxie siècle ».

Une troisième chose est la situation « aberrante » dans laquelle le monde se trouve face au régime nord-coréen et à son chantage, lequel semble avoir atteint, avec la menace atomique, ses limites. Les révolutions pacifiques en Europe de l’Est et en Asie Centrale, en particulier la « Révolution Orange » en Ukraine, reposent le problème du « choix des peuples » contre les gouvernements et de la « responsabilité de protéger .

« En principe, un État qui ne remplit pas le… » comme source de la légitimité et limite de la souveraineté des Etats. Face à ces défis sur la scène internationale, ainsi qu’à la menace terroriste, la question de l’unité de l’Occident se pose : y a-t-il deux Occidents, séparés par un gouffre au niveau des principes ? Faut-il opposer « pouvoir » américain et « faiblesse » européenne, ou doit-on au contraire voir l’Occident comme ses ennemis le voient, à savoir comme « un univers  » ? Enfin, la crise iranienne et la menace nord-coréenne montrent en 2005 qu’il est nécessaire et urgent de repenser le nucléaire et la dissuasion dans un monde multipolarisé qui compte plusieurs acteurs nucléaires.

De cet essai de dislocation représenté par l’épreuve du télescope, l’âme humaine ressort « mise en pièces » (Épilogue). Si la déshumanisation menace notre survie, si la « tristesse du cœur » détermine notre rapport au temps, si notre siècle hérite d’un « siècle sans pardon », qui a commis un « crime contre l’esprit » . Il s’agit d’une expression de François de Menthon,… », tout espoir n’est pour autant pas perdu : « La résistance à la terreur n’est pas condamnée d’avance, et au siècle du mensonge, il arrive que la vérité relève la tête .

Les racines de la violence et de la barbarie

Les racines de la violence et de la barbarie

Comment est-il possible que des hommes « ordinaires » voire « des pères de famille ordinaires », commettent des atrocités inimaginables, participent à des massacres, tuent non seulement d’autres hommes, mais aussi des femmes et des enfants, humilient, martyrisent, torturent à mort des êtres humains au nom de la science. Cette question nous préoccupe. Nonobstant, c’est une question inepte.

Comment un homme ordinaire peut-il devenir un meurtrier sanguinaire, s’interroge le philosophe Jan Philipp Reemtsma (philosophe, sociologue allemand) dans « Le Monde »

Inepte parce que la réponse tombe sous le sens : qui d’autre, sinon des « hommes ordinaires », peut commettre ces forfaits ? Il suffit de se rappeler les exactions de l’armée française en Vendée, de penser aux atrocités commises par les conquistadors espagnols, de se remémorer les massacres des soldats romains en Gaule. Tout cela aurait été impossible s’il avait fallu engager des sadiques pathologiques, si un grand nombre d’hommes prêts à user de violence n’avait été disponible – et celui-ci l’est toujours.
Il s’agit là d’une leçon anthropologique si fondamentale que l’on ne devrait pas, en voyant s’étaler dans les journaux les photos de tortionnaires, le sourire aux lèvres dans un centre de torture en Irak, ou en découvrant les récits sanglants de massacres perpétrés par telles ou telles milices au Soudan ou ailleurs, recommencer à s’étonner pour oublier la leçon l’instant d’après.

La vraie question est la suivante : pourquoi nous posons-nous avec une telle opiniâtreté une question si inepte ? L’évolution culturelle que nous qualifions de « moderne », à savoir la culture occidentale née des crises des XVIe et XVIIe siècles, se distingue d’autres cultures par le fait qu’elle a conditionné l’emploi de la force à une légitimation nécessaire. Elle n’en a pas moins été, au moins par moments, d’une violence extrême.

La question sur les « pères de famille ordinaires » est l’expression du problème que pose à notre culture l’abîme qui sépare la norme de la réalité. Une autre facette de ce problème tient à ce que nous cherchons toujours à savoir comment il a été « tout simplement possible » qu’un pays qui a produit le classicisme allemand ait pu, à peine deux siècles plus tard, commettre des actes d’une barbarie inouïe alors que, même si nous ne sommes pas prêts à l’admettre, les historiens ont depuis bien longtemps fourni la réponse.

Que le XXe siècle ait produit les excès de violence que nous connaissons, voilà qui n’a donc rien pour nous surprendre ; ce qui devrait au contraire nous étonner, c’est pourquoi nous n’en sommes pas restés à ce stade ; pourquoi jusqu’à aujourd’hui, la violence n’a pas eu le dernier mot dans l’histoire. Rappelons que Theodor Adorno ou Thomas Mann par exemple – au cours des années 1944-1945 – ont cru qu’il y aurait d’autre avenir que la poursuite de la barbarie.

En règle générale, la confiance sociale existe, c’est la raison pour laquelle les sociétés sont possibles et pourquoi la vie continue, en définitive. La totale disparition de la confiance est chose rare. On a retrouvé les traces d’une crise de ce genre à l’époque byzantine, sous le règne de Justinien. Elle fut déclenchée parce que l’apocalypse prévue pour l’an 500 n’était pas advenue. Les Byzantins se préparaient jusque-là à la fin du monde en construisant plus d’églises encore, en faisant moult dons aux monastères, etc. ; mais, lorsque à la date fixée rien ne se produisit, les phénomènes jusqu’alors interprétés comme des signes avant-coureurs de l’événement fatidique – guerres, épidémies et autres famines – se vidèrent subitement de leur sens et il s’en suivit un état de folie collective.

Aucune culture n’est violente ou non violente. Partout l’on retrouve une classification assez simple. La violence est prohibée, imposée ou autorisée. Une bagarre dans un bar suffit pour appeler la police, mais tel n’était pas le cas au XIXe siècle où quiconque aurait procédé de la sorte se serait exposé à des moqueries. Il y a peu, les parents avaient encore le droit de frapper leurs enfants, et les maris, celui de violer leur femme.

Lorsque entrent en relation des cultures, dont la représentation du type de violence diffère, les conséquences sont dramatiques. Quand les Espagnols et les Aztèques se retrouvèrent face à face, ils virent alternativement dans l’autre camp une bande de barbares dont la cruauté dépassait toute imagination. Les uns capturaient des prisonniers dans le but de leur arracher le coeur, de confectionner un ragoût avec leurs corps dont ils se restauraient ensuite ; les autres tuaient pour tuer et laissaient les cadavres se putréfier en plein milieu du champ de bataille.

Naguère, la peine de mort allait de soi. Aujourd’hui, ses partisans affirment qu’on ne peut « malheureusement » ou « malheureusement pas encore » y renoncer. De nos jours, si l’on punit, c’est à titre préventif, pour empêcher la violence. Autrefois, les guerres étaient de l’ordre de l’évidence – aujourd’hui, on fait la guerre pour prévenir (d’autres) guerres plus graves. Tout cela montre bien que l’époque moderne a rendu nécessaires ces légitimations. Dans aucune autre culture on ne trouvera, à mon avis, une autoconstruction imaginaire de ce type. A l’ère moderne, la violence n’est plus simplement « là », elle devient un problème ; elle est criminelle.

Puis, « le toit s’effondra » ! Un génocide, une guerre totale, sans précédent, des armes capables d’anéantir sans difficulté des populations entières, des massacres de masse et des tortures au nom d’un avenir radieux ! Comment cela a-t-il pu se produire ? Voilà qui n’est pas mystérieux. Au cours de l’histoire, des sociétés avaient déjà du reste fait fi de ce en quoi elles semblaient croire. Thucydide décrit ainsi la transformation d’une société, Athènes, relativement civilisée en une horde de paranoïaques et d’hystériques…

Si l’on cherche à élaborer une phénoménologie de la violence, celle-ci se déploie en trois différentes formes de rapport au corps. On peut vouloir supprimer le corps de quelqu’un parce qu’il obstrue la route (quel que soit le lieu que l’on souhaite rejoindre – la cache d’un coffre-fort, la capitale d’un pays ennemi, etc.). La violence que l’on emploie alors n’est pas dirigée contre ce corps en particulier, elle sert à atteindre un but. Puisque cette violence se réfère au lieu même où se trouve ce corps, je la qualifie de violence localisante.

On peut également vouloir le corps d’un autre pour en faire un usage quelconque. Cette violence-là, je la nomme raptive ; en général, elle est sous-tendue par des motivations d’ordre sexuel. La violence localisante veut se débarrasser du corps, la violence raptive veut au contraire le posséder. Mais, il existe une violence qui n’a pour autre fin que la destruction du corps, et ce non comme résultat ou dommage collatéral d’une autre forme de violence, mais comme intention première dirigée contre ce corps. J’appelle cette dernière forme violence autotélique (elle est elle-même sa propre fin).

Notre littérature occidentale est d’ailleurs née de la description d’une culmination de violence autotélique : Achille ne se contente pas de tuer Hector. Il veut ravager son corps. Lorsqu’on lit ce que des médecins allemands ont fait subir aux êtres humains qui leur avaient été confiés à des fins expérimentales, on finit par se rendre compte que la plupart de ces expériences n’avaient aucun sens que l’on pourrait qualifier de « scientifiquement intelligible » ; l’objectif ne visait que l’anéantissement du corps qu’on détruisait parce qu’on en avait le pouvoir.

L’époque moderne a proscrit et perdu la perception de l’existence de ce lien entre pouvoir et violence. La violence autotélique se voit, à la rigueur, considérée comme une forme spécifique de la folie (la figure du « tueur en série » représente dans les films le mot-clé). Nous avons du mal à comprendre les moments où la violence autotélique détermine une politique. Les massacres des populations juives en Europe doivent pourtant bien avoir un sens, sommes-nous alors tentés de dire !

Voulait-on ainsi vider des logements, pratiquer une politique économique ou démographique ou n’importe quoi d’autre ? Lorsque d’horribles tortures sont perpétrées dans une prison argentine, nous trouvons cela atroce ; nous savons ce que les tortionnaires veulent : des informations pour traquer les opposants. Mais qu’en est-il lorsque des personnes sont torturées des semaines, des mois durant, sans qu’on prenne même la peine de leur poser la moindre question ?

Il ne sert à rien de faire comme si la violence autotélique n’existait pas. Encore moins faut-il nier qu’elle fait partie des potentialités humaines et qu’une majorité de gens en use, dès qu’elle le peut. Ce qui devrait prendre la relève des illusions n’est donc pas l’espoir en un avenir radieux mais un mélange de peur et de conscience de soi. Je parle de la peur au sens sartrien : celle de savoir qu’on a déjà failli et que ce qui s’est produit peut se reproduire d’autant plus facilement.

Pour ce qui est de la conscience de soi, il s’agit de se rendre compte que la restriction de la violence par l’interaction, par le contrôle des institutions et la limitation des moyens dont dispose le monopole d’Etat sur la violence a probablement représenté le plus grand progrès de l’histoire de l’humanité en termes de civilisation. Nous devons nous y tenir.

A ce composé de peur et de conscience de soi s’ajoute la compréhension des mécanismes susceptibles de plonger en un tour de main une société moderne dans un état de barbarie extrême, ainsi qu’une sensibilité aux conséquences que peuvent entraîner certains débats comme ceux qui prétendent relégitimer la torture.

Traduit de l’allemand par Diane Gilly

Né en 1952, héritier d’une dynastie d’industriels de la cigarette, Jan Philipp Reemstsma fonde l’Institut hambourgeois de recherche sociale en 1984, qui va développer une réflexion collective sur le phénomène de la violence moderne. Jan Philipp Reemtsma a été victime d’un enlèvement contre rançon en 1996, relaté dans La Cave (Pauvert, 2000). Son dernier ouvrage s’intitule Confiance et violence (Gallimard, 2011).

Mort d’un jeune à Crépol : retour de la barbarie grâce aux faillites des autorités

Mort à Crépol : retour de la barbarie grâce aux faillites des autorités


Encore un règlement de comptes mortel avec des auteurs sans doute qui se croient dispensés de toute règle de vie sociétale, de toute loi et de toutes sanctions. Une bande de jeunes qui vient d’un quartier visiblement déjà en marge de la société comme au moins 500 quartiers en France. Des quartiers hors de la république qui font leur propre loi, leur propre police et impose leur propre valeur de mafia barbare.

En cause, une crise générale des autorités avec un laxisme qui caractérise l’action des pouvoirs publics dans tous les domaines. Tout commence évidemment dans les familles qui sont sans pouvoir sur leurs enfants. Tout continue à l’école transformée en garderie et non en lieu d’éducation dans nombre de quartiers difficiles. Témoin le niveau lamentable de l’enseignement en France où la dernière étude sur les élèves de quatrième montre que la moitié ne sont même pas capables de lire correctement.

La suppression du service militaire en plus d’une erreur stratégique grave en matière de défense a fait aussi sauter une occasion de brassage sociologique et d’apprentissage des valeurs républicaines et de discipline.

La justice part aussi une grave responsabilité avec des sanctions–quand elles existent–complètement anecdotiques par rapport au niveau des violences. Une justice sur laquelle le pouvoir public n’a plus de prise aujourd’hui et qui se croit indépendante quand en fait elle doit être au service de l’intérêt du pays.

Toute la société est responsable, la classe politique bien sûr mais pas seulement ceux qui détiennent une parcelle de responsabilité ou tout simplement les citoyens qui s’accommodent du délabrement du pays

Invité de l’émission « C’ à vous » sur France 5 lundi soir, le ministre de l’Intérieur a précisé que la gendarmerie avait déjà procédé à « plus de 70 auditions » dans cette affaire.
Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a qualifié, lundi 20 novembre, d’ »ignoble » et « inacceptable » le décès d’un jeune de 16 ans samedi soir pendant une rixe lors d’une fête dans le village de Crépol (Drôme), ajoutant : «  »C’est une faillite générale de notre société ».

Invité de l’émission « C’ à vous » sur France 5, le ministre de l’Intérieur a précisé que la gendarmerie avait déjà procédé à « plus de 70 auditions ».

Samedi soir à Crépol, alors qu’un « bal de l’hiver » rassemblant 350 personnes était organisé, « un groupe d’individus extérieur » à cette commune de 532 habitants avait cherché à entrer dans la salle des fêtes, selon le procureur de la République de Valence Laurent de Caigny.

« Ce qui s’est passé n’est pas extrêmement clair ou alors trop clair : des gens qui viennent d’ailleurs et ont voulu forcer l’entrée de cette fête et des coups de couteaux sont partis. Ça s’appelle l’ensauvagement ». Il a estimé qu’il « y a à repenser le cadre de l’autorité ». « Nous devons remettre de l’autorité partout », a insisté Gérald Darmanin.

Rixe mortelle à Crépol : La faillite générale de l’autorité favorise le retour de la barbarie

Rixe mortelle à Crépol : La faillite générale de l’autorité favorise le retour de la barbarie


Encore un règlement de comptes mortel avec des auteurs sans doute qui se croient dispensés de toute règle de vie sociétale, de toute loi et de toutes sanctions. Une bande de jeunes qui vient d’un quartier visiblement déjà en marge de la société comme au moins 500 quartiers en France. Des quartiers hors de la république qui font leur propre loi, leur propre police et impose leur propre valeur de mafia barbare.

En cause, une crise générale des autorités avec un laxisme qui caractérise l’action des pouvoirs publics dans tous les domaines. Tout commence évidemment dans les familles qui sont sans pouvoir sur leurs enfants. Tout continue à l’école transformée en garderie et non en lieu d’éducation dans nombre de quartiers difficiles. Témoin le niveau lamentable de l’enseignement en France où la dernière étude sur les élèves de quatrième montre que la moitié ne sont même pas capables de lire correctement.

La suppression du service militaire en plus d’une erreur stratégique grave en matière de défense a fait aussi sauter une occasion de brassage sociologique et d’apprentissage des valeurs républicaines et de discipline.

La justice part aussi une grave responsabilité avec des sanctions–quand elles existent–complètement anecdotiques par rapport au niveau des violences. Une justice sur laquelle le pouvoir public n’a plus de prise aujourd’hui et qui se croit indépendante quand en fait elle doit être au service de l’intérêt du pays.

Toute la société est responsable, la classe politique bien sûr mais pas seulement ceux qui détiennent une parcelle de responsabilité ou tout simplement les citoyens qui s’accommodent du délabrement du pays

Invité de l’émission « C’ à vous » sur France 5 lundi soir, le ministre de l’Intérieur a précisé que la gendarmerie avait déjà procédé à « plus de 70 auditions » dans cette affaire.
Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a qualifié, lundi 20 novembre, d’ »ignoble » et « inacceptable » le décès d’un jeune de 16 ans samedi soir pendant une rixe lors d’une fête dans le village de Crépol (Drôme), ajoutant : «  »C’est une faillite générale de notre société ».

Invité de l’émission « C’ à vous » sur France 5, le ministre de l’Intérieur a précisé que la gendarmerie avait déjà procédé à « plus de 70 auditions ».

Samedi soir à Crépol, alors qu’un « bal de l’hiver » rassemblant 350 personnes était organisé, « un groupe d’individus extérieur » à cette commune de 532 habitants avait cherché à entrer dans la salle des fêtes, selon le procureur de la République de Valence Laurent de Caigny.

« Ce qui s’est passé n’est pas extrêmement clair ou alors trop clair : des gens qui viennent d’ailleurs et ont voulu forcer l’entrée de cette fête et des coups de couteaux sont partis. Ça s’appelle l’ensauvagement ». Il a estimé qu’il « y a à repenser le cadre de l’autorité ». « Nous devons remettre de l’autorité partout », a insisté Gérald Darmanin.

Russie : une culture de barbarie et dictature

 Russie : une culture de barbarie  et dictature

 

 

 La « guerre d’Hiver » de 1939-1940, entre l’URSS et la Finlande, et la première guerre de Tchétchénie (1994-1996) rappellent en bien des points l’actuelle « opération militaire spéciale » en Ukraine. Par Eric Martel-Porchier, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)

 

Si l’on compare l’actuelle guerre en Ukraine à deux conflits précédents qui ont impliqué l’armée soviétique et russe – la guerre soviéto-finlandaise de 1939 et la première guerre de Tchétchénie en 1994-1996 -, on ne peut qu’être surpris par leurs similitudes. Pourtant, les contextes historiques et sociaux sont totalement différents. Quelle proximité peut-il y avoir entre l’URSS de 1939, marquée par les terribles purges staliniennes et dont le gouvernement vit dans la peur d’une future invasion allemande, la Russie de 1994, société en plein effondrement où les logiques mafieuses prévalent et où les militaires doivent recourir à toutes sortes d’arrangements douteux pour se rémunérer, et la Russie de 2022, qui se serait, d’après une formule chère à Vladimir Poutine, « relevée » au cours des deux dernières décennies ?

Une constante apparaît à l’examen de ces trois conflits : la combinaison d’une peur ressentie par le Kremlin (paranoïa excessive dans l’URSS de Staline, crainte du démembrement de la Russie au début des années 1990, effroi face à l’extension de l’OTAN en 2022) et de la confiance démesurée du pouvoir russe dans sa propre armée, malgré une méconnaissance profonde de son mode de fonctionnement. De même, en 1939 et en 1994 comme en 2022, la force de l’ennemi est insuffisamment prise en compte. Cela peut se comprendre : sur le papier, le déséquilibre des forces est absolu. Pourtant, chaque fois, ce ne sont pas des éléments quantitatifs qui définissent réellement la force de l’armée soviétique ou russe mais son organisation, laquelle est directement corrélée à un élément essentiel : le niveau de motivation de ses hommes, qui reste fragile.

Car si l’armée soviétique ou russe est une structure autoritaire, l’obéissance de ses hommes est loin d’être acquise. C’est ainsi que le 31 décembre 1994, lorsque l’état-major russe ordonne à quatre colonnes d’entrer dans Grozny, la capitale de la Tchétchénie, seules deux vont s’exécuter, les commandants des deux autres unités refusant d’obéir.

Dans cette guerre, la capacité à commander du ministre de la Défense, Pavel Gratchev, « dépendait directement de sa présence sur le terrain ». Car lorsque les troupes russes sont peu motivées, les ordres tendent à se perdre dans des difficultés de transmission. Lors de la première guerre de Tchétchénie s’est établi un système d’autorité charismatique : le chef doit être « admirable » pour être obéi et doit donner en personne ses ordres à ses subordonnés. Cette présence obligatoire sur le terrain pourrait d’ailleurs expliquer le nombre important de généraux russes tués dans l’actuelle guerre d’Ukraine.

Dans ce contexte, le commandement se voit contraint de laisser la troupe s’auto-organiser, quitte à en perdre le contrôle. On comprend mieux les très nombreuses exactions commises par les troupes russes dans cette première guerre de Tchétchénie, l’état-major étant plus préoccupé par la résistance incertaine de ses troupes face à un ennemi redoutable que par l’existence avérée de comportements criminels.

Lors de la première guerre de Tchétchénie, loin de ressembler à des troupes abreuvées de propagande et prêtes à mourir pour la mère patrie, les soldats russes vont hésiter et ne pas comprendre pourquoi il faut attaquer cette région dont ils se sentent si proches et dont la capitale Grozny compte près de 29 % de Russes. Les ordres ne sont pas suivis ou n’arrivent pas à leurs destinataires. L’artillerie russe va même, en 1996, aller jusqu’à bombarder, à Pervomaiskaya, une unité de Spetnaz, dépendant du FSB, qu’ils détestent, invoquant des malentendus ou des erreurs de tirs.

Car l’armée russe des années 1990 est loin d’être une structure monolithique : à l’armée, qui dépend du ministère de la Défense, s’ajoutent les unités du ministère de l’Intérieur (le MVD), mais aussi les forces de sécurité dont le FSB fait partie et, sous la dénomination de « cosaques », des forces irrégulières. Les forces du MVD, réputées pour leur cruauté, leur niveau de corruption élevé et leur efficacité, sont particulièrement haïes par les conscrits qui forment l’essentiel de la troupe. C’est ainsi que, si le Kremlin exerce une autorité absolue sur ses forces armées, il ne les contrôle pas réellement, ce qui sera également le cas lors de la seconde guerre de Tchétchénie, victorieuse cette fois, effectuée sous l’impulsion de Vladimir Poutine.

Le phénomène s’est également produit lors de la guerre soviéto-finlandaise : les soldats s’étaient rapidement rendu compte du décalage entre la propagande soviétique du régime stalinien et la réalité du terrain : les Finlandais étaient loin d’être les barbares qui attendaient avec impatience d’être libérés par les troupes soviétiques que la propagande leur avait décrits. C’est ainsi qu’aux nombreux courriers de soldats soviétiques s’émerveillant de l’abondance des villageois finlandais vont s’ajouter des épisodes d’insoumission, tels que des chants contre la guerre après des tournées de vodka et quelques désertions. Le NKVD saura vite réprimer ces manifestations hostiles en fusillant les déserteurs et fuyards.

Dans ces deux conflits précédents, les troupes russes ont été soumises à un traitement redoutable face à une guérilla terriblement efficace. Si les militaires finlandais se concentrent sur les colonnes d’arrière-garde qu’ils détruisent systématiquement, les Tchétchènes vont mener des actions beaucoup plus éprouvantes avec l’utilisation de snipers, de destructions systématiques des colonnes de ravitaillement, de tirs sur les ambulances, voire de tirs ponctuels à partir d’hôpitaux dans le but d’inciter les soldats russes à réagir et pouvoir mettre en avant la brutalité de ces derniers.

Si les Tchétchènes se montrent particulièrement violents envers les soldats russes, ce n’est pas le cas des Finlandais qui commettent quelques exactions au début de la guerre, mais se font vite rappeler à l’ordre par leur propre gouvernement, car ces actions isolées ne peuvent qu’affaiblir le travail de communication mis en œuvre à la face du monde.

Dans ces deux guerres, les Finlandais et les Tchétchènes se révèlent de redoutables communicants, là où l’URSS et la Russie brillent par leur silence ou par une propagande en décalage avec la réalité. Si la communication des Tchétchènes et des Finlandais a pour but de mobiliser la communauté internationale, celle de Moscou vise avant tout à cacher à sa propre population la réalité de la guerre et de la difficile situation que traverse l’armée, voire de l’ampleur du nombre de soldats tués.

Les Tchétchènes s’attachent à montrer au monde de nombreux chars russes détruits, des frappes sur les bâtiments civils et les nombreuses exactions commises par les troupes russes. Les Finlandais, plus de cinquante ans plus tôt, avaient fait circuler des photos de soldats soviétiques morts gelés, révélant la faiblesse logistique de l’armée ennemie.

Ils avaient également décrit les soldats soviétiques comme des êtres incontrôlables « incapables de voir et réagir à l’autoritarisme de leurs maîtres », auxquels Helsinki opposait « la dignité, le courage, la virilité, la ténacité et la retenue » des militaires finnois. Ce faisant, ils avaient réussi à déclencher un véritable mouvement de sympathie des pays occidentaux à leur égard et même obtenu un résultat qui ferait pâlir d’envie l’actuel gouvernement ukrainien : la promesse d’une intervention armée de la France, qui n’aura finalement pas lieu. Édouard Daladier, président du Conseil, particulièrement sensible à l’esprit de résistance des Finlandais, était en effet allé jusqu’à proposer une intervention militaire, ce qui eut pour effet d’agacer le Quai d’Orsay, qui ne comprenait pas comment il serait possible d’entrer en conflit avec l’URSS alors que la France et le Royaume-Uni étaient déjà en guerre avec l’Allemagne nazie.

Dans les deux cas, la guerre s’est déroulée en deux phases.

Si la première n’a été qu’une succession d’échecs militaires, la seconde est l’occasion d’une réorganisation de l’appareil militaire soviétique puis russe, ce qui donne des résultats plus probants. Pour la guerre de Tchétchénie, la seconde phase permit la prise de sa capitale Grozny, au prix de nombreux morts civils et des destructions massives. Pour la guerre d’Hiver, les Soviétiques décidèrent d’abandonner leur projet initial de conquête de la Finlande et se recentrèrent sur l’acquisition de territoires à haute valeur stratégique.

Dans les deux cas, la technique militaire utilisée fut la même : des bombardements massifs afin de tirer parti d’une artillerie infiniment supérieure et une progression lente et méthodique bien à l’encontre de la tradition doctrinaire de l’armée soviétique. Si dans le cas de la guerre d’Hiver un armistice put être conclu, ce qui provoqua des réactions plutôt hostiles de la population finlandaise, il en fut autrement en Tchétchénie. Après une première victoire, les troupes russes furent expulsées par surprise de Grozny quelques mois plus tard et durent conclure un armistice reconnaissant de facto l’indépendance de la Tchétchénie.

En suivant les enseignements de ces deux guerres, on ne peut que douter de la possibilité d’un armistice pour l’actuelle guerre d’Ukraine.

Lors de la guerre avec la Finlande, les Soviétiques souhaitaient libérer leurs forces armées afin de leur permettre de se préparer à un affrontement ultérieur avec l’Allemagne alors que l’armée finlandaise était au bord de l’effondrement. En ce qui concerne, la première guerre de Tchétchénie, le niveau de décomposition de la société russe était tel que le Kremlin se sentit contraint de signer un armistice. Rien de tel dans l’actuelle guerre en Ukraine, où aucun des deux belligérants ne se sentira obligé d’accepter un cessez-le-feu.

Si la Russie a subi d’importantes pertes, elle n’est pas sujette à une menace vitale la contraignant à cesser la guerre en renonçant à ses conquêtes ; quant à l’Ukraine, elle bénéficie d’un soutien externe, qui a fait défaut à la Finlande de 1940, ce qui lui permet de résister et de refuser des concessions territoriales trop importantes. Cette situation semble devoir aboutir à une guerre gelée aux conséquences internationales autrement plus sérieuses que celles liées à la guerre du Donbass de 2014

_____

Par Eric Martel-Porchier ,Docteur en Sciences de Gestion/Chercheur associé au LIRSA, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM).

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

Politique et Russie : une culture de barbarie, de guerre et dictature

 Politique et Russie : une culture de barbarie, de guerre et dictature

 

 

 La « guerre d’Hiver » de 1939-1940, entre l’URSS et la Finlande, et la première guerre de Tchétchénie (1994-1996) rappellent en bien des points l’actuelle « opération militaire spéciale » en Ukraine. Par Eric Martel-Porchier, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)

 

Si l’on compare l’actuelle guerre en Ukraine à deux conflits précédents qui ont impliqué l’armée soviétique et russe – la guerre soviéto-finlandaise de 1939 et la première guerre de Tchétchénie en 1994-1996 -, on ne peut qu’être surpris par leurs similitudes. Pourtant, les contextes historiques et sociaux sont totalement différents. Quelle proximité peut-il y avoir entre l’URSS de 1939, marquée par les terribles purges staliniennes et dont le gouvernement vit dans la peur d’une future invasion allemande, la Russie de 1994, société en plein effondrement où les logiques mafieuses prévalent et où les militaires doivent recourir à toutes sortes d’arrangements douteux pour se rémunérer, et la Russie de 2022, qui se serait, d’après une formule chère à Vladimir Poutine, « relevée » au cours des deux dernières décennies ?

Une constante apparaît à l’examen de ces trois conflits : la combinaison d’une peur ressentie par le Kremlin (paranoïa excessive dans l’URSS de Staline, crainte du démembrement de la Russie au début des années 1990, effroi face à l’extension de l’OTAN en 2022) et de la confiance démesurée du pouvoir russe dans sa propre armée, malgré une méconnaissance profonde de son mode de fonctionnement. De même, en 1939 et en 1994 comme en 2022, la force de l’ennemi est insuffisamment prise en compte. Cela peut se comprendre : sur le papier, le déséquilibre des forces est absolu. Pourtant, chaque fois, ce ne sont pas des éléments quantitatifs qui définissent réellement la force de l’armée soviétique ou russe mais son organisation, laquelle est directement corrélée à un élément essentiel : le niveau de motivation de ses hommes, qui reste fragile.

Car si l’armée soviétique ou russe est une structure autoritaire, l’obéissance de ses hommes est loin d’être acquise. C’est ainsi que le 31 décembre 1994, lorsque l’état-major russe ordonne à quatre colonnes d’entrer dans Grozny, la capitale de la Tchétchénie, seules deux vont s’exécuter, les commandants des deux autres unités refusant d’obéir.

Dans cette guerre, la capacité à commander du ministre de la Défense, Pavel Gratchev, « dépendait directement de sa présence sur le terrain ». Car lorsque les troupes russes sont peu motivées, les ordres tendent à se perdre dans des difficultés de transmission. Lors de la première guerre de Tchétchénie s’est établi un système d’autorité charismatique : le chef doit être « admirable » pour être obéi et doit donner en personne ses ordres à ses subordonnés. Cette présence obligatoire sur le terrain pourrait d’ailleurs expliquer le nombre important de généraux russes tués dans l’actuelle guerre d’Ukraine.

Dans ce contexte, le commandement se voit contraint de laisser la troupe s’auto-organiser, quitte à en perdre le contrôle. On comprend mieux les très nombreuses exactions commises par les troupes russes dans cette première guerre de Tchétchénie, l’état-major étant plus préoccupé par la résistance incertaine de ses troupes face à un ennemi redoutable que par l’existence avérée de comportements criminels.

Lors de la première guerre de Tchétchénie, loin de ressembler à des troupes abreuvées de propagande et prêtes à mourir pour la mère patrie, les soldats russes vont hésiter et ne pas comprendre pourquoi il faut attaquer cette région dont ils se sentent si proches et dont la capitale Grozny compte près de 29 % de Russes. Les ordres ne sont pas suivis ou n’arrivent pas à leurs destinataires. L’artillerie russe va même, en 1996, aller jusqu’à bombarder, à Pervomaiskaya, une unité de Spetnaz, dépendant du FSB, qu’ils détestent, invoquant des malentendus ou des erreurs de tirs.

Car l’armée russe des années 1990 est loin d’être une structure monolithique : à l’armée, qui dépend du ministère de la Défense, s’ajoutent les unités du ministère de l’Intérieur (le MVD), mais aussi les forces de sécurité dont le FSB fait partie et, sous la dénomination de « cosaques », des forces irrégulières. Les forces du MVD, réputées pour leur cruauté, leur niveau de corruption élevé et leur efficacité, sont particulièrement haïes par les conscrits qui forment l’essentiel de la troupe. C’est ainsi que, si le Kremlin exerce une autorité absolue sur ses forces armées, il ne les contrôle pas réellement, ce qui sera également le cas lors de la seconde guerre de Tchétchénie, victorieuse cette fois, effectuée sous l’impulsion de Vladimir Poutine.

Le phénomène s’est également produit lors de la guerre soviéto-finlandaise : les soldats s’étaient rapidement rendu compte du décalage entre la propagande soviétique du régime stalinien et la réalité du terrain : les Finlandais étaient loin d’être les barbares qui attendaient avec impatience d’être libérés par les troupes soviétiques que la propagande leur avait décrits. C’est ainsi qu’aux nombreux courriers de soldats soviétiques s’émerveillant de l’abondance des villageois finlandais vont s’ajouter des épisodes d’insoumission, tels que des chants contre la guerre après des tournées de vodka et quelques désertions. Le NKVD saura vite réprimer ces manifestations hostiles en fusillant les déserteurs et fuyards.

Dans ces deux conflits précédents, les troupes russes ont été soumises à un traitement redoutable face à une guérilla terriblement efficace. Si les militaires finlandais se concentrent sur les colonnes d’arrière-garde qu’ils détruisent systématiquement, les Tchétchènes vont mener des actions beaucoup plus éprouvantes avec l’utilisation de snipers, de destructions systématiques des colonnes de ravitaillement, de tirs sur les ambulances, voire de tirs ponctuels à partir d’hôpitaux dans le but d’inciter les soldats russes à réagir et pouvoir mettre en avant la brutalité de ces derniers.

Si les Tchétchènes se montrent particulièrement violents envers les soldats russes, ce n’est pas le cas des Finlandais qui commettent quelques exactions au début de la guerre, mais se font vite rappeler à l’ordre par leur propre gouvernement, car ces actions isolées ne peuvent qu’affaiblir le travail de communication mis en œuvre à la face du monde.

Dans ces deux guerres, les Finlandais et les Tchétchènes se révèlent de redoutables communicants, là où l’URSS et la Russie brillent par leur silence ou par une propagande en décalage avec la réalité. Si la communication des Tchétchènes et des Finlandais a pour but de mobiliser la communauté internationale, celle de Moscou vise avant tout à cacher à sa propre population la réalité de la guerre et de la difficile situation que traverse l’armée, voire de l’ampleur du nombre de soldats tués.

Les Tchétchènes s’attachent à montrer au monde de nombreux chars russes détruits, des frappes sur les bâtiments civils et les nombreuses exactions commises par les troupes russes. Les Finlandais, plus de cinquante ans plus tôt, avaient fait circuler des photos de soldats soviétiques morts gelés, révélant la faiblesse logistique de l’armée ennemie.

Ils avaient également décrit les soldats soviétiques comme des êtres incontrôlables « incapables de voir et réagir à l’autoritarisme de leurs maîtres », auxquels Helsinki opposait « la dignité, le courage, la virilité, la ténacité et la retenue » des militaires finnois. Ce faisant, ils avaient réussi à déclencher un véritable mouvement de sympathie des pays occidentaux à leur égard et même obtenu un résultat qui ferait pâlir d’envie l’actuel gouvernement ukrainien : la promesse d’une intervention armée de la France, qui n’aura finalement pas lieu. Édouard Daladier, président du Conseil, particulièrement sensible à l’esprit de résistance des Finlandais, était en effet allé jusqu’à proposer une intervention militaire, ce qui eut pour effet d’agacer le Quai d’Orsay, qui ne comprenait pas comment il serait possible d’entrer en conflit avec l’URSS alors que la France et le Royaume-Uni étaient déjà en guerre avec l’Allemagne nazie.

Dans les deux cas, la guerre s’est déroulée en deux phases.

Si la première n’a été qu’une succession d’échecs militaires, la seconde est l’occasion d’une réorganisation de l’appareil militaire soviétique puis russe, ce qui donne des résultats plus probants. Pour la guerre de Tchétchénie, la seconde phase permit la prise de sa capitale Grozny, au prix de nombreux morts civils et des destructions massives. Pour la guerre d’Hiver, les Soviétiques décidèrent d’abandonner leur projet initial de conquête de la Finlande et se recentrèrent sur l’acquisition de territoires à haute valeur stratégique.

Dans les deux cas, la technique militaire utilisée fut la même : des bombardements massifs afin de tirer parti d’une artillerie infiniment supérieure et une progression lente et méthodique bien à l’encontre de la tradition doctrinaire de l’armée soviétique. Si dans le cas de la guerre d’Hiver un armistice put être conclu, ce qui provoqua des réactions plutôt hostiles de la population finlandaise, il en fut autrement en Tchétchénie. Après une première victoire, les troupes russes furent expulsées par surprise de Grozny quelques mois plus tard et durent conclure un armistice reconnaissant de facto l’indépendance de la Tchétchénie.

En suivant les enseignements de ces deux guerres, on ne peut que douter de la possibilité d’un armistice pour l’actuelle guerre d’Ukraine.

Lors de la guerre avec la Finlande, les Soviétiques souhaitaient libérer leurs forces armées afin de leur permettre de se préparer à un affrontement ultérieur avec l’Allemagne alors que l’armée finlandaise était au bord de l’effondrement. En ce qui concerne, la première guerre de Tchétchénie, le niveau de décomposition de la société russe était tel que le Kremlin se sentit contraint de signer un armistice. Rien de tel dans l’actuelle guerre en Ukraine, où aucun des deux belligérants ne se sentira obligé d’accepter un cessez-le-feu.

Si la Russie a subi d’importantes pertes, elle n’est pas sujette à une menace vitale la contraignant à cesser la guerre en renonçant à ses conquêtes ; quant à l’Ukraine, elle bénéficie d’un soutien externe, qui a fait défaut à la Finlande de 1940, ce qui lui permet de résister et de refuser des concessions territoriales trop importantes. Cette situation semble devoir aboutir à une guerre gelée aux conséquences internationales autrement plus sérieuses que celles liées à la guerre du Donbass de 2014

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Par Eric Martel-Porchier ,Docteur en Sciences de Gestion/Chercheur associé au LIRSA, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM).

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

Politique – Russie : une culture de barbarie, de guerre et dictature

Politique – Russie : une culture de barbarie, de guerre et dictature

 

 

 La « guerre d’Hiver » de 1939-1940, entre l’URSS et la Finlande, et la première guerre de Tchétchénie (1994-1996) rappellent en bien des points l’actuelle « opération militaire spéciale » en Ukraine. Par Eric Martel-Porchier, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)

 

Si l’on compare l’actuelle guerre en Ukraine à deux conflits précédents qui ont impliqué l’armée soviétique et russe – la guerre soviéto-finlandaise de 1939 et la première guerre de Tchétchénie en 1994-1996 -, on ne peut qu’être surpris par leurs similitudes. Pourtant, les contextes historiques et sociaux sont totalement différents. Quelle proximité peut-il y avoir entre l’URSS de 1939, marquée par les terribles purges staliniennes et dont le gouvernement vit dans la peur d’une future invasion allemande, la Russie de 1994, société en plein effondrement où les logiques mafieuses prévalent et où les militaires doivent recourir à toutes sortes d’arrangements douteux pour se rémunérer, et la Russie de 2022, qui se serait, d’après une formule chère à Vladimir Poutine, « relevée » au cours des deux dernières décennies ?

Une constante apparaît à l’examen de ces trois conflits : la combinaison d’une peur ressentie par le Kremlin (paranoïa excessive dans l’URSS de Staline, crainte du démembrement de la Russie au début des années 1990, effroi face à l’extension de l’OTAN en 2022) et de la confiance démesurée du pouvoir russe dans sa propre armée, malgré une méconnaissance profonde de son mode de fonctionnement. De même, en 1939 et en 1994 comme en 2022, la force de l’ennemi est insuffisamment prise en compte. Cela peut se comprendre : sur le papier, le déséquilibre des forces est absolu. Pourtant, chaque fois, ce ne sont pas des éléments quantitatifs qui définissent réellement la force de l’armée soviétique ou russe mais son organisation, laquelle est directement corrélée à un élément essentiel : le niveau de motivation de ses hommes, qui reste fragile.

Car si l’armée soviétique ou russe est une structure autoritaire, l’obéissance de ses hommes est loin d’être acquise. C’est ainsi que le 31 décembre 1994, lorsque l’état-major russe ordonne à quatre colonnes d’entrer dans Grozny, la capitale de la Tchétchénie, seules deux vont s’exécuter, les commandants des deux autres unités refusant d’obéir.

Dans cette guerre, la capacité à commander du ministre de la Défense, Pavel Gratchev, « dépendait directement de sa présence sur le terrain ». Car lorsque les troupes russes sont peu motivées, les ordres tendent à se perdre dans des difficultés de transmission. Lors de la première guerre de Tchétchénie s’est établi un système d’autorité charismatique : le chef doit être « admirable » pour être obéi et doit donner en personne ses ordres à ses subordonnés. Cette présence obligatoire sur le terrain pourrait d’ailleurs expliquer le nombre important de généraux russes tués dans l’actuelle guerre d’Ukraine.

Dans ce contexte, le commandement se voit contraint de laisser la troupe s’auto-organiser, quitte à en perdre le contrôle. On comprend mieux les très nombreuses exactions commises par les troupes russes dans cette première guerre de Tchétchénie, l’état-major étant plus préoccupé par la résistance incertaine de ses troupes face à un ennemi redoutable que par l’existence avérée de comportements criminels.

Lors de la première guerre de Tchétchénie, loin de ressembler à des troupes abreuvées de propagande et prêtes à mourir pour la mère patrie, les soldats russes vont hésiter et ne pas comprendre pourquoi il faut attaquer cette région dont ils se sentent si proches et dont la capitale Grozny compte près de 29 % de Russes. Les ordres ne sont pas suivis ou n’arrivent pas à leurs destinataires. L’artillerie russe va même, en 1996, aller jusqu’à bombarder, à Pervomaiskaya, une unité de Spetnaz, dépendant du FSB, qu’ils détestent, invoquant des malentendus ou des erreurs de tirs.

Car l’armée russe des années 1990 est loin d’être une structure monolithique : à l’armée, qui dépend du ministère de la Défense, s’ajoutent les unités du ministère de l’Intérieur (le MVD), mais aussi les forces de sécurité dont le FSB fait partie et, sous la dénomination de « cosaques », des forces irrégulières. Les forces du MVD, réputées pour leur cruauté, leur niveau de corruption élevé et leur efficacité, sont particulièrement haïes par les conscrits qui forment l’essentiel de la troupe. C’est ainsi que, si le Kremlin exerce une autorité absolue sur ses forces armées, il ne les contrôle pas réellement, ce qui sera également le cas lors de la seconde guerre de Tchétchénie, victorieuse cette fois, effectuée sous l’impulsion de Vladimir Poutine.

Le phénomène s’est également produit lors de la guerre soviéto-finlandaise : les soldats s’étaient rapidement rendu compte du décalage entre la propagande soviétique du régime stalinien et la réalité du terrain : les Finlandais étaient loin d’être les barbares qui attendaient avec impatience d’être libérés par les troupes soviétiques que la propagande leur avait décrits. C’est ainsi qu’aux nombreux courriers de soldats soviétiques s’émerveillant de l’abondance des villageois finlandais vont s’ajouter des épisodes d’insoumission, tels que des chants contre la guerre après des tournées de vodka et quelques désertions. Le NKVD saura vite réprimer ces manifestations hostiles en fusillant les déserteurs et fuyards.

Dans ces deux conflits précédents, les troupes russes ont été soumises à un traitement redoutable face à une guérilla terriblement efficace. Si les militaires finlandais se concentrent sur les colonnes d’arrière-garde qu’ils détruisent systématiquement, les Tchétchènes vont mener des actions beaucoup plus éprouvantes avec l’utilisation de snipers, de destructions systématiques des colonnes de ravitaillement, de tirs sur les ambulances, voire de tirs ponctuels à partir d’hôpitaux dans le but d’inciter les soldats russes à réagir et pouvoir mettre en avant la brutalité de ces derniers.

Si les Tchétchènes se montrent particulièrement violents envers les soldats russes, ce n’est pas le cas des Finlandais qui commettent quelques exactions au début de la guerre, mais se font vite rappeler à l’ordre par leur propre gouvernement, car ces actions isolées ne peuvent qu’affaiblir le travail de communication mis en œuvre à la face du monde.

Dans ces deux guerres, les Finlandais et les Tchétchènes se révèlent de redoutables communicants, là où l’URSS et la Russie brillent par leur silence ou par une propagande en décalage avec la réalité. Si la communication des Tchétchènes et des Finlandais a pour but de mobiliser la communauté internationale, celle de Moscou vise avant tout à cacher à sa propre population la réalité de la guerre et de la difficile situation que traverse l’armée, voire de l’ampleur du nombre de soldats tués.

Les Tchétchènes s’attachent à montrer au monde de nombreux chars russes détruits, des frappes sur les bâtiments civils et les nombreuses exactions commises par les troupes russes. Les Finlandais, plus de cinquante ans plus tôt, avaient fait circuler des photos de soldats soviétiques morts gelés, révélant la faiblesse logistique de l’armée ennemie.

Ils avaient également décrit les soldats soviétiques comme des êtres incontrôlables « incapables de voir et réagir à l’autoritarisme de leurs maîtres », auxquels Helsinki opposait « la dignité, le courage, la virilité, la ténacité et la retenue » des militaires finnois. Ce faisant, ils avaient réussi à déclencher un véritable mouvement de sympathie des pays occidentaux à leur égard et même obtenu un résultat qui ferait pâlir d’envie l’actuel gouvernement ukrainien : la promesse d’une intervention armée de la France, qui n’aura finalement pas lieu. Édouard Daladier, président du Conseil, particulièrement sensible à l’esprit de résistance des Finlandais, était en effet allé jusqu’à proposer une intervention militaire, ce qui eut pour effet d’agacer le Quai d’Orsay, qui ne comprenait pas comment il serait possible d’entrer en conflit avec l’URSS alors que la France et le Royaume-Uni étaient déjà en guerre avec l’Allemagne nazie.

Dans les deux cas, la guerre s’est déroulée en deux phases.

Si la première n’a été qu’une succession d’échecs militaires, la seconde est l’occasion d’une réorganisation de l’appareil militaire soviétique puis russe, ce qui donne des résultats plus probants. Pour la guerre de Tchétchénie, la seconde phase permit la prise de sa capitale Grozny, au prix de nombreux morts civils et des destructions massives. Pour la guerre d’Hiver, les Soviétiques décidèrent d’abandonner leur projet initial de conquête de la Finlande et se recentrèrent sur l’acquisition de territoires à haute valeur stratégique.

Dans les deux cas, la technique militaire utilisée fut la même : des bombardements massifs afin de tirer parti d’une artillerie infiniment supérieure et une progression lente et méthodique bien à l’encontre de la tradition doctrinaire de l’armée soviétique. Si dans le cas de la guerre d’Hiver un armistice put être conclu, ce qui provoqua des réactions plutôt hostiles de la population finlandaise, il en fut autrement en Tchétchénie. Après une première victoire, les troupes russes furent expulsées par surprise de Grozny quelques mois plus tard et durent conclure un armistice reconnaissant de facto l’indépendance de la Tchétchénie.

En suivant les enseignements de ces deux guerres, on ne peut que douter de la possibilité d’un armistice pour l’actuelle guerre d’Ukraine.

Lors de la guerre avec la Finlande, les Soviétiques souhaitaient libérer leurs forces armées afin de leur permettre de se préparer à un affrontement ultérieur avec l’Allemagne alors que l’armée finlandaise était au bord de l’effondrement. En ce qui concerne, la première guerre de Tchétchénie, le niveau de décomposition de la société russe était tel que le Kremlin se sentit contraint de signer un armistice. Rien de tel dans l’actuelle guerre en Ukraine, où aucun des deux belligérants ne se sentira obligé d’accepter un cessez-le-feu.

Si la Russie a subi d’importantes pertes, elle n’est pas sujette à une menace vitale la contraignant à cesser la guerre en renonçant à ses conquêtes ; quant à l’Ukraine, elle bénéficie d’un soutien externe, qui a fait défaut à la Finlande de 1940, ce qui lui permet de résister et de refuser des concessions territoriales trop importantes. Cette situation semble devoir aboutir à une guerre gelée aux conséquences internationales autrement plus sérieuses que celles liées à la guerre du Donbass de 2014

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Par Eric Martel-Porchier ,Docteur en Sciences de Gestion/Chercheur associé au LIRSA, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM).

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

Russie : une culture de barbarie, de guerre et dictature

Russie : une culture de barbarie, de guerre et dictature

 

 

 La « guerre d’Hiver » de 1939-1940, entre l’URSS et la Finlande, et la première guerre de Tchétchénie (1994-1996) rappellent en bien des points l’actuelle « opération militaire spéciale » en Ukraine. Par Eric Martel-Porchier, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)

 

Si l’on compare l’actuelle guerre en Ukraine à deux conflits précédents qui ont impliqué l’armée soviétique et russe – la guerre soviéto-finlandaise de 1939 et la première guerre de Tchétchénie en 1994-1996 -, on ne peut qu’être surpris par leurs similitudes. Pourtant, les contextes historiques et sociaux sont totalement différents. Quelle proximité peut-il y avoir entre l’URSS de 1939, marquée par les terribles purges staliniennes et dont le gouvernement vit dans la peur d’une future invasion allemande, la Russie de 1994, société en plein effondrement où les logiques mafieuses prévalent et où les militaires doivent recourir à toutes sortes d’arrangements douteux pour se rémunérer, et la Russie de 2022, qui se serait, d’après une formule chère à Vladimir Poutine, « relevée » au cours des deux dernières décennies ?

Une constante apparaît à l’examen de ces trois conflits : la combinaison d’une peur ressentie par le Kremlin (paranoïa excessive dans l’URSS de Staline, crainte du démembrement de la Russie au début des années 1990, effroi face à l’extension de l’OTAN en 2022) et de la confiance démesurée du pouvoir russe dans sa propre armée, malgré une méconnaissance profonde de son mode de fonctionnement. De même, en 1939 et en 1994 comme en 2022, la force de l’ennemi est insuffisamment prise en compte. Cela peut se comprendre : sur le papier, le déséquilibre des forces est absolu. Pourtant, chaque fois, ce ne sont pas des éléments quantitatifs qui définissent réellement la force de l’armée soviétique ou russe mais son organisation, laquelle est directement corrélée à un élément essentiel : le niveau de motivation de ses hommes, qui reste fragile.

Car si l’armée soviétique ou russe est une structure autoritaire, l’obéissance de ses hommes est loin d’être acquise. C’est ainsi que le 31 décembre 1994, lorsque l’état-major russe ordonne à quatre colonnes d’entrer dans Grozny, la capitale de la Tchétchénie, seules deux vont s’exécuter, les commandants des deux autres unités refusant d’obéir.

Dans cette guerre, la capacité à commander du ministre de la Défense, Pavel Gratchev, « dépendait directement de sa présence sur le terrain ». Car lorsque les troupes russes sont peu motivées, les ordres tendent à se perdre dans des difficultés de transmission. Lors de la première guerre de Tchétchénie s’est établi un système d’autorité charismatique : le chef doit être « admirable » pour être obéi et doit donner en personne ses ordres à ses subordonnés. Cette présence obligatoire sur le terrain pourrait d’ailleurs expliquer le nombre important de généraux russes tués dans l’actuelle guerre d’Ukraine.

Dans ce contexte, le commandement se voit contraint de laisser la troupe s’auto-organiser, quitte à en perdre le contrôle. On comprend mieux les très nombreuses exactions commises par les troupes russes dans cette première guerre de Tchétchénie, l’état-major étant plus préoccupé par la résistance incertaine de ses troupes face à un ennemi redoutable que par l’existence avérée de comportements criminels.

Lors de la première guerre de Tchétchénie, loin de ressembler à des troupes abreuvées de propagande et prêtes à mourir pour la mère patrie, les soldats russes vont hésiter et ne pas comprendre pourquoi il faut attaquer cette région dont ils se sentent si proches et dont la capitale Grozny compte près de 29 % de Russes. Les ordres ne sont pas suivis ou n’arrivent pas à leurs destinataires. L’artillerie russe va même, en 1996, aller jusqu’à bombarder, à Pervomaiskaya, une unité de Spetnaz, dépendant du FSB, qu’ils détestent, invoquant des malentendus ou des erreurs de tirs.

Car l’armée russe des années 1990 est loin d’être une structure monolithique : à l’armée, qui dépend du ministère de la Défense, s’ajoutent les unités du ministère de l’Intérieur (le MVD), mais aussi les forces de sécurité dont le FSB fait partie et, sous la dénomination de « cosaques », des forces irrégulières. Les forces du MVD, réputées pour leur cruauté, leur niveau de corruption élevé et leur efficacité, sont particulièrement haïes par les conscrits qui forment l’essentiel de la troupe. C’est ainsi que, si le Kremlin exerce une autorité absolue sur ses forces armées, il ne les contrôle pas réellement, ce qui sera également le cas lors de la seconde guerre de Tchétchénie, victorieuse cette fois, effectuée sous l’impulsion de Vladimir Poutine.

Le phénomène s’est également produit lors de la guerre soviéto-finlandaise : les soldats s’étaient rapidement rendu compte du décalage entre la propagande soviétique du régime stalinien et la réalité du terrain : les Finlandais étaient loin d’être les barbares qui attendaient avec impatience d’être libérés par les troupes soviétiques que la propagande leur avait décrits. C’est ainsi qu’aux nombreux courriers de soldats soviétiques s’émerveillant de l’abondance des villageois finlandais vont s’ajouter des épisodes d’insoumission, tels que des chants contre la guerre après des tournées de vodka et quelques désertions. Le NKVD saura vite réprimer ces manifestations hostiles en fusillant les déserteurs et fuyards.

Dans ces deux conflits précédents, les troupes russes ont été soumises à un traitement redoutable face à une guérilla terriblement efficace. Si les militaires finlandais se concentrent sur les colonnes d’arrière-garde qu’ils détruisent systématiquement, les Tchétchènes vont mener des actions beaucoup plus éprouvantes avec l’utilisation de snipers, de destructions systématiques des colonnes de ravitaillement, de tirs sur les ambulances, voire de tirs ponctuels à partir d’hôpitaux dans le but d’inciter les soldats russes à réagir et pouvoir mettre en avant la brutalité de ces derniers.

Si les Tchétchènes se montrent particulièrement violents envers les soldats russes, ce n’est pas le cas des Finlandais qui commettent quelques exactions au début de la guerre, mais se font vite rappeler à l’ordre par leur propre gouvernement, car ces actions isolées ne peuvent qu’affaiblir le travail de communication mis en œuvre à la face du monde.

Dans ces deux guerres, les Finlandais et les Tchétchènes se révèlent de redoutables communicants, là où l’URSS et la Russie brillent par leur silence ou par une propagande en décalage avec la réalité. Si la communication des Tchétchènes et des Finlandais a pour but de mobiliser la communauté internationale, celle de Moscou vise avant tout à cacher à sa propre population la réalité de la guerre et de la difficile situation que traverse l’armée, voire de l’ampleur du nombre de soldats tués.

Les Tchétchènes s’attachent à montrer au monde de nombreux chars russes détruits, des frappes sur les bâtiments civils et les nombreuses exactions commises par les troupes russes. Les Finlandais, plus de cinquante ans plus tôt, avaient fait circuler des photos de soldats soviétiques morts gelés, révélant la faiblesse logistique de l’armée ennemie.

Ils avaient également décrit les soldats soviétiques comme des êtres incontrôlables « incapables de voir et réagir à l’autoritarisme de leurs maîtres », auxquels Helsinki opposait « la dignité, le courage, la virilité, la ténacité et la retenue » des militaires finnois. Ce faisant, ils avaient réussi à déclencher un véritable mouvement de sympathie des pays occidentaux à leur égard et même obtenu un résultat qui ferait pâlir d’envie l’actuel gouvernement ukrainien : la promesse d’une intervention armée de la France, qui n’aura finalement pas lieu. Édouard Daladier, président du Conseil, particulièrement sensible à l’esprit de résistance des Finlandais, était en effet allé jusqu’à proposer une intervention militaire, ce qui eut pour effet d’agacer le Quai d’Orsay, qui ne comprenait pas comment il serait possible d’entrer en conflit avec l’URSS alors que la France et le Royaume-Uni étaient déjà en guerre avec l’Allemagne nazie.

Dans les deux cas, la guerre s’est déroulée en deux phases.

Si la première n’a été qu’une succession d’échecs militaires, la seconde est l’occasion d’une réorganisation de l’appareil militaire soviétique puis russe, ce qui donne des résultats plus probants. Pour la guerre de Tchétchénie, la seconde phase permit la prise de sa capitale Grozny, au prix de nombreux morts civils et des destructions massives. Pour la guerre d’Hiver, les Soviétiques décidèrent d’abandonner leur projet initial de conquête de la Finlande et se recentrèrent sur l’acquisition de territoires à haute valeur stratégique.

Dans les deux cas, la technique militaire utilisée fut la même : des bombardements massifs afin de tirer parti d’une artillerie infiniment supérieure et une progression lente et méthodique bien à l’encontre de la tradition doctrinaire de l’armée soviétique. Si dans le cas de la guerre d’Hiver un armistice put être conclu, ce qui provoqua des réactions plutôt hostiles de la population finlandaise, il en fut autrement en Tchétchénie. Après une première victoire, les troupes russes furent expulsées par surprise de Grozny quelques mois plus tard et durent conclure un armistice reconnaissant de facto l’indépendance de la Tchétchénie.

En suivant les enseignements de ces deux guerres, on ne peut que douter de la possibilité d’un armistice pour l’actuelle guerre d’Ukraine.

Lors de la guerre avec la Finlande, les Soviétiques souhaitaient libérer leurs forces armées afin de leur permettre de se préparer à un affrontement ultérieur avec l’Allemagne alors que l’armée finlandaise était au bord de l’effondrement. En ce qui concerne, la première guerre de Tchétchénie, le niveau de décomposition de la société russe était tel que le Kremlin se sentit contraint de signer un armistice. Rien de tel dans l’actuelle guerre en Ukraine, où aucun des deux belligérants ne se sentira obligé d’accepter un cessez-le-feu.

Si la Russie a subi d’importantes pertes, elle n’est pas sujette à une menace vitale la contraignant à cesser la guerre en renonçant à ses conquêtes ; quant à l’Ukraine, elle bénéficie d’un soutien externe, qui a fait défaut à la Finlande de 1940, ce qui lui permet de résister et de refuser des concessions territoriales trop importantes. Cette situation semble devoir aboutir à une guerre gelée aux conséquences internationales autrement plus sérieuses que celles liées à la guerre du Donbass de 2014

_____

Par Eric Martel-Porchier ,Docteur en Sciences de Gestion/Chercheur associé au LIRSA, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM).

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

Russie : barbarie, guerre et dictature

Russie : barbarie, guerre et dictature

 

 

 La « guerre d’Hiver » de 1939-1940, entre l’URSS et la Finlande, et la première guerre de Tchétchénie (1994-1996) rappellent en bien des points l’actuelle « opération militaire spéciale » en Ukraine. Par Eric Martel-Porchier, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)

 

Si l’on compare l’actuelle guerre en Ukraine à deux conflits précédents qui ont impliqué l’armée soviétique et russe – la guerre soviéto-finlandaise de 1939 et la première guerre de Tchétchénie en 1994-1996 -, on ne peut qu’être surpris par leurs similitudes. Pourtant, les contextes historiques et sociaux sont totalement différents. Quelle proximité peut-il y avoir entre l’URSS de 1939, marquée par les terribles purges staliniennes et dont le gouvernement vit dans la peur d’une future invasion allemande, la Russie de 1994, société en plein effondrement où les logiques mafieuses prévalent et où les militaires doivent recourir à toutes sortes d’arrangements douteux pour se rémunérer, et la Russie de 2022, qui se serait, d’après une formule chère à Vladimir Poutine, « relevée » au cours des deux dernières décennies ?

Une constante apparaît à l’examen de ces trois conflits : la combinaison d’une peur ressentie par le Kremlin (paranoïa excessive dans l’URSS de Staline, crainte du démembrement de la Russie au début des années 1990, effroi face à l’extension de l’OTAN en 2022) et de la confiance démesurée du pouvoir russe dans sa propre armée, malgré une méconnaissance profonde de son mode de fonctionnement. De même, en 1939 et en 1994 comme en 2022, la force de l’ennemi est insuffisamment prise en compte. Cela peut se comprendre : sur le papier, le déséquilibre des forces est absolu. Pourtant, chaque fois, ce ne sont pas des éléments quantitatifs qui définissent réellement la force de l’armée soviétique ou russe mais son organisation, laquelle est directement corrélée à un élément essentiel : le niveau de motivation de ses hommes, qui reste fragile.

Car si l’armée soviétique ou russe est une structure autoritaire, l’obéissance de ses hommes est loin d’être acquise. C’est ainsi que le 31 décembre 1994, lorsque l’état-major russe ordonne à quatre colonnes d’entrer dans Grozny, la capitale de la Tchétchénie, seules deux vont s’exécuter, les commandants des deux autres unités refusant d’obéir.

Dans cette guerre, la capacité à commander du ministre de la Défense, Pavel Gratchev, « dépendait directement de sa présence sur le terrain ». Car lorsque les troupes russes sont peu motivées, les ordres tendent à se perdre dans des difficultés de transmission. Lors de la première guerre de Tchétchénie s’est établi un système d’autorité charismatique : le chef doit être « admirable » pour être obéi et doit donner en personne ses ordres à ses subordonnés. Cette présence obligatoire sur le terrain pourrait d’ailleurs expliquer le nombre important de généraux russes tués dans l’actuelle guerre d’Ukraine.

Dans ce contexte, le commandement se voit contraint de laisser la troupe s’auto-organiser, quitte à en perdre le contrôle. On comprend mieux les très nombreuses exactions commises par les troupes russes dans cette première guerre de Tchétchénie, l’état-major étant plus préoccupé par la résistance incertaine de ses troupes face à un ennemi redoutable que par l’existence avérée de comportements criminels.

Lors de la première guerre de Tchétchénie, loin de ressembler à des troupes abreuvées de propagande et prêtes à mourir pour la mère patrie, les soldats russes vont hésiter et ne pas comprendre pourquoi il faut attaquer cette région dont ils se sentent si proches et dont la capitale Grozny compte près de 29 % de Russes. Les ordres ne sont pas suivis ou n’arrivent pas à leurs destinataires. L’artillerie russe va même, en 1996, aller jusqu’à bombarder, à Pervomaiskaya, une unité de Spetnaz, dépendant du FSB, qu’ils détestent, invoquant des malentendus ou des erreurs de tirs.

Car l’armée russe des années 1990 est loin d’être une structure monolithique : à l’armée, qui dépend du ministère de la Défense, s’ajoutent les unités du ministère de l’Intérieur (le MVD), mais aussi les forces de sécurité dont le FSB fait partie et, sous la dénomination de « cosaques », des forces irrégulières. Les forces du MVD, réputées pour leur cruauté, leur niveau de corruption élevé et leur efficacité, sont particulièrement haïes par les conscrits qui forment l’essentiel de la troupe. C’est ainsi que, si le Kremlin exerce une autorité absolue sur ses forces armées, il ne les contrôle pas réellement, ce qui sera également le cas lors de la seconde guerre de Tchétchénie, victorieuse cette fois, effectuée sous l’impulsion de Vladimir Poutine.

Le phénomène s’est également produit lors de la guerre soviéto-finlandaise : les soldats s’étaient rapidement rendu compte du décalage entre la propagande soviétique du régime stalinien et la réalité du terrain : les Finlandais étaient loin d’être les barbares qui attendaient avec impatience d’être libérés par les troupes soviétiques que la propagande leur avait décrits. C’est ainsi qu’aux nombreux courriers de soldats soviétiques s’émerveillant de l’abondance des villageois finlandais vont s’ajouter des épisodes d’insoumission, tels que des chants contre la guerre après des tournées de vodka et quelques désertions. Le NKVD saura vite réprimer ces manifestations hostiles en fusillant les déserteurs et fuyards.

Dans ces deux conflits précédents, les troupes russes ont été soumises à un traitement redoutable face à une guérilla terriblement efficace. Si les militaires finlandais se concentrent sur les colonnes d’arrière-garde qu’ils détruisent systématiquement, les Tchétchènes vont mener des actions beaucoup plus éprouvantes avec l’utilisation de snipers, de destructions systématiques des colonnes de ravitaillement, de tirs sur les ambulances, voire de tirs ponctuels à partir d’hôpitaux dans le but d’inciter les soldats russes à réagir et pouvoir mettre en avant la brutalité de ces derniers.

Si les Tchétchènes se montrent particulièrement violents envers les soldats russes, ce n’est pas le cas des Finlandais qui commettent quelques exactions au début de la guerre, mais se font vite rappeler à l’ordre par leur propre gouvernement, car ces actions isolées ne peuvent qu’affaiblir le travail de communication mis en œuvre à la face du monde.

Dans ces deux guerres, les Finlandais et les Tchétchènes se révèlent de redoutables communicants, là où l’URSS et la Russie brillent par leur silence ou par une propagande en décalage avec la réalité. Si la communication des Tchétchènes et des Finlandais a pour but de mobiliser la communauté internationale, celle de Moscou vise avant tout à cacher à sa propre population la réalité de la guerre et de la difficile situation que traverse l’armée, voire de l’ampleur du nombre de soldats tués.

Les Tchétchènes s’attachent à montrer au monde de nombreux chars russes détruits, des frappes sur les bâtiments civils et les nombreuses exactions commises par les troupes russes. Les Finlandais, plus de cinquante ans plus tôt, avaient fait circuler des photos de soldats soviétiques morts gelés, révélant la faiblesse logistique de l’armée ennemie.

Ils avaient également décrit les soldats soviétiques comme des êtres incontrôlables « incapables de voir et réagir à l’autoritarisme de leurs maîtres », auxquels Helsinki opposait « la dignité, le courage, la virilité, la ténacité et la retenue » des militaires finnois. Ce faisant, ils avaient réussi à déclencher un véritable mouvement de sympathie des pays occidentaux à leur égard et même obtenu un résultat qui ferait pâlir d’envie l’actuel gouvernement ukrainien : la promesse d’une intervention armée de la France, qui n’aura finalement pas lieu. Édouard Daladier, président du Conseil, particulièrement sensible à l’esprit de résistance des Finlandais, était en effet allé jusqu’à proposer une intervention militaire, ce qui eut pour effet d’agacer le Quai d’Orsay, qui ne comprenait pas comment il serait possible d’entrer en conflit avec l’URSS alors que la France et le Royaume-Uni étaient déjà en guerre avec l’Allemagne nazie.

Dans les deux cas, la guerre s’est déroulée en deux phases.

Si la première n’a été qu’une succession d’échecs militaires, la seconde est l’occasion d’une réorganisation de l’appareil militaire soviétique puis russe, ce qui donne des résultats plus probants. Pour la guerre de Tchétchénie, la seconde phase permit la prise de sa capitale Grozny, au prix de nombreux morts civils et des destructions massives. Pour la guerre d’Hiver, les Soviétiques décidèrent d’abandonner leur projet initial de conquête de la Finlande et se recentrèrent sur l’acquisition de territoires à haute valeur stratégique.

Dans les deux cas, la technique militaire utilisée fut la même : des bombardements massifs afin de tirer parti d’une artillerie infiniment supérieure et une progression lente et méthodique bien à l’encontre de la tradition doctrinaire de l’armée soviétique. Si dans le cas de la guerre d’Hiver un armistice put être conclu, ce qui provoqua des réactions plutôt hostiles de la population finlandaise, il en fut autrement en Tchétchénie. Après une première victoire, les troupes russes furent expulsées par surprise de Grozny quelques mois plus tard et durent conclure un armistice reconnaissant de facto l’indépendance de la Tchétchénie.

En suivant les enseignements de ces deux guerres, on ne peut que douter de la possibilité d’un armistice pour l’actuelle guerre d’Ukraine.

Lors de la guerre avec la Finlande, les Soviétiques souhaitaient libérer leurs forces armées afin de leur permettre de se préparer à un affrontement ultérieur avec l’Allemagne alors que l’armée finlandaise était au bord de l’effondrement. En ce qui concerne, la première guerre de Tchétchénie, le niveau de décomposition de la société russe était tel que le Kremlin se sentit contraint de signer un armistice. Rien de tel dans l’actuelle guerre en Ukraine, où aucun des deux belligérants ne se sentira obligé d’accepter un cessez-le-feu.

Si la Russie a subi d’importantes pertes, elle n’est pas sujette à une menace vitale la contraignant à cesser la guerre en renonçant à ses conquêtes ; quant à l’Ukraine, elle bénéficie d’un soutien externe, qui a fait défaut à la Finlande de 1940, ce qui lui permet de résister et de refuser des concessions territoriales trop importantes. Cette situation semble devoir aboutir à une guerre gelée aux conséquences internationales autrement plus sérieuses que celles liées à la guerre du Donbass de 2014

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Par Eric Martel-Porchier ,Docteur en Sciences de Gestion/Chercheur associé au LIRSA, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM).

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

Dictature Russe : la barbarie et la guerre permanente

Dictature  Russe : la barbarie et la guerre permanente

 

 La « guerre d’Hiver » de 1939-1940, entre l’URSS et la Finlande, et la première guerre de Tchétchénie (1994-1996) rappellent en bien des points l’actuelle « opération militaire spéciale » en Ukraine. Par Eric Martel-Porchier, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)

 

Si l’on compare l’actuelle guerre en Ukraine à deux conflits précédents qui ont impliqué l’armée soviétique et russe – la guerre soviéto-finlandaise de 1939 et la première guerre de Tchétchénie en 1994-1996 -, on ne peut qu’être surpris par leurs similitudes. Pourtant, les contextes historiques et sociaux sont totalement différents. Quelle proximité peut-il y avoir entre l’URSS de 1939, marquée par les terribles purges staliniennes et dont le gouvernement vit dans la peur d’une future invasion allemande, la Russie de 1994, société en plein effondrement où les logiques mafieuses prévalent et où les militaires doivent recourir à toutes sortes d’arrangements douteux pour se rémunérer, et la Russie de 2022, qui se serait, d’après une formule chère à Vladimir Poutine, « relevée » au cours des deux dernières décennies ?

Une constante apparaît à l’examen de ces trois conflits : la combinaison d’une peur ressentie par le Kremlin (paranoïa excessive dans l’URSS de Staline, crainte du démembrement de la Russie au début des années 1990, effroi face à l’extension de l’OTAN en 2022) et de la confiance démesurée du pouvoir russe dans sa propre armée, malgré une méconnaissance profonde de son mode de fonctionnement. De même, en 1939 et en 1994 comme en 2022, la force de l’ennemi est insuffisamment prise en compte. Cela peut se comprendre : sur le papier, le déséquilibre des forces est absolu. Pourtant, chaque fois, ce ne sont pas des éléments quantitatifs qui définissent réellement la force de l’armée soviétique ou russe mais son organisation, laquelle est directement corrélée à un élément essentiel : le niveau de motivation de ses hommes, qui reste fragile.

Car si l’armée soviétique ou russe est une structure autoritaire, l’obéissance de ses hommes est loin d’être acquise. C’est ainsi que le 31 décembre 1994, lorsque l’état-major russe ordonne à quatre colonnes d’entrer dans Grozny, la capitale de la Tchétchénie, seules deux vont s’exécuter, les commandants des deux autres unités refusant d’obéir.

Dans cette guerre, la capacité à commander du ministre de la Défense, Pavel Gratchev, « dépendait directement de sa présence sur le terrain ». Car lorsque les troupes russes sont peu motivées, les ordres tendent à se perdre dans des difficultés de transmission. Lors de la première guerre de Tchétchénie s’est établi un système d’autorité charismatique : le chef doit être « admirable » pour être obéi et doit donner en personne ses ordres à ses subordonnés. Cette présence obligatoire sur le terrain pourrait d’ailleurs expliquer le nombre important de généraux russes tués dans l’actuelle guerre d’Ukraine.

Dans ce contexte, le commandement se voit contraint de laisser la troupe s’auto-organiser, quitte à en perdre le contrôle. On comprend mieux les très nombreuses exactions commises par les troupes russes dans cette première guerre de Tchétchénie, l’état-major étant plus préoccupé par la résistance incertaine de ses troupes face à un ennemi redoutable que par l’existence avérée de comportements criminels.

Lors de la première guerre de Tchétchénie, loin de ressembler à des troupes abreuvées de propagande et prêtes à mourir pour la mère patrie, les soldats russes vont hésiter et ne pas comprendre pourquoi il faut attaquer cette région dont ils se sentent si proches et dont la capitale Grozny compte près de 29 % de Russes. Les ordres ne sont pas suivis ou n’arrivent pas à leurs destinataires. L’artillerie russe va même, en 1996, aller jusqu’à bombarder, à Pervomaiskaya, une unité de Spetnaz, dépendant du FSB, qu’ils détestent, invoquant des malentendus ou des erreurs de tirs.

Car l’armée russe des années 1990 est loin d’être une structure monolithique : à l’armée, qui dépend du ministère de la Défense, s’ajoutent les unités du ministère de l’Intérieur (le MVD), mais aussi les forces de sécurité dont le FSB fait partie et, sous la dénomination de « cosaques », des forces irrégulières. Les forces du MVD, réputées pour leur cruauté, leur niveau de corruption élevé et leur efficacité, sont particulièrement haïes par les conscrits qui forment l’essentiel de la troupe. C’est ainsi que, si le Kremlin exerce une autorité absolue sur ses forces armées, il ne les contrôle pas réellement, ce qui sera également le cas lors de la seconde guerre de Tchétchénie, victorieuse cette fois, effectuée sous l’impulsion de Vladimir Poutine.

Le phénomène s’est également produit lors de la guerre soviéto-finlandaise : les soldats s’étaient rapidement rendu compte du décalage entre la propagande soviétique du régime stalinien et la réalité du terrain : les Finlandais étaient loin d’être les barbares qui attendaient avec impatience d’être libérés par les troupes soviétiques que la propagande leur avait décrits. C’est ainsi qu’aux nombreux courriers de soldats soviétiques s’émerveillant de l’abondance des villageois finlandais vont s’ajouter des épisodes d’insoumission, tels que des chants contre la guerre après des tournées de vodka et quelques désertions. Le NKVD saura vite réprimer ces manifestations hostiles en fusillant les déserteurs et fuyards.

Dans ces deux conflits précédents, les troupes russes ont été soumises à un traitement redoutable face à une guérilla terriblement efficace. Si les militaires finlandais se concentrent sur les colonnes d’arrière-garde qu’ils détruisent systématiquement, les Tchétchènes vont mener des actions beaucoup plus éprouvantes avec l’utilisation de snipers, de destructions systématiques des colonnes de ravitaillement, de tirs sur les ambulances, voire de tirs ponctuels à partir d’hôpitaux dans le but d’inciter les soldats russes à réagir et pouvoir mettre en avant la brutalité de ces derniers.

Si les Tchétchènes se montrent particulièrement violents envers les soldats russes, ce n’est pas le cas des Finlandais qui commettent quelques exactions au début de la guerre, mais se font vite rappeler à l’ordre par leur propre gouvernement, car ces actions isolées ne peuvent qu’affaiblir le travail de communication mis en œuvre à la face du monde.

Dans ces deux guerres, les Finlandais et les Tchétchènes se révèlent de redoutables communicants, là où l’URSS et la Russie brillent par leur silence ou par une propagande en décalage avec la réalité. Si la communication des Tchétchènes et des Finlandais a pour but de mobiliser la communauté internationale, celle de Moscou vise avant tout à cacher à sa propre population la réalité de la guerre et de la difficile situation que traverse l’armée, voire de l’ampleur du nombre de soldats tués.

Les Tchétchènes s’attachent à montrer au monde de nombreux chars russes détruits, des frappes sur les bâtiments civils et les nombreuses exactions commises par les troupes russes. Les Finlandais, plus de cinquante ans plus tôt, avaient fait circuler des photos de soldats soviétiques morts gelés, révélant la faiblesse logistique de l’armée ennemie.

Ils avaient également décrit les soldats soviétiques comme des êtres incontrôlables « incapables de voir et réagir à l’autoritarisme de leurs maîtres », auxquels Helsinki opposait « la dignité, le courage, la virilité, la ténacité et la retenue » des militaires finnois. Ce faisant, ils avaient réussi à déclencher un véritable mouvement de sympathie des pays occidentaux à leur égard et même obtenu un résultat qui ferait pâlir d’envie l’actuel gouvernement ukrainien : la promesse d’une intervention armée de la France, qui n’aura finalement pas lieu. Édouard Daladier, président du Conseil, particulièrement sensible à l’esprit de résistance des Finlandais, était en effet allé jusqu’à proposer une intervention militaire, ce qui eut pour effet d’agacer le Quai d’Orsay, qui ne comprenait pas comment il serait possible d’entrer en conflit avec l’URSS alors que la France et le Royaume-Uni étaient déjà en guerre avec l’Allemagne nazie.

Dans les deux cas, la guerre s’est déroulée en deux phases.

Si la première n’a été qu’une succession d’échecs militaires, la seconde est l’occasion d’une réorganisation de l’appareil militaire soviétique puis russe, ce qui donne des résultats plus probants. Pour la guerre de Tchétchénie, la seconde phase permit la prise de sa capitale Grozny, au prix de nombreux morts civils et des destructions massives. Pour la guerre d’Hiver, les Soviétiques décidèrent d’abandonner leur projet initial de conquête de la Finlande et se recentrèrent sur l’acquisition de territoires à haute valeur stratégique.

Dans les deux cas, la technique militaire utilisée fut la même : des bombardements massifs afin de tirer parti d’une artillerie infiniment supérieure et une progression lente et méthodique bien à l’encontre de la tradition doctrinaire de l’armée soviétique. Si dans le cas de la guerre d’Hiver un armistice put être conclu, ce qui provoqua des réactions plutôt hostiles de la population finlandaise, il en fut autrement en Tchétchénie. Après une première victoire, les troupes russes furent expulsées par surprise de Grozny quelques mois plus tard et durent conclure un armistice reconnaissant de facto l’indépendance de la Tchétchénie.

En suivant les enseignements de ces deux guerres, on ne peut que douter de la possibilité d’un armistice pour l’actuelle guerre d’Ukraine.

Lors de la guerre avec la Finlande, les Soviétiques souhaitaient libérer leurs forces armées afin de leur permettre de se préparer à un affrontement ultérieur avec l’Allemagne alors que l’armée finlandaise était au bord de l’effondrement. En ce qui concerne, la première guerre de Tchétchénie, le niveau de décomposition de la société russe était tel que le Kremlin se sentit contraint de signer un armistice. Rien de tel dans l’actuelle guerre en Ukraine, où aucun des deux belligérants ne se sentira obligé d’accepter un cessez-le-feu.

Si la Russie a subi d’importantes pertes, elle n’est pas sujette à une menace vitale la contraignant à cesser la guerre en renonçant à ses conquêtes ; quant à l’Ukraine, elle bénéficie d’un soutien externe, qui a fait défaut à la Finlande de 1940, ce qui lui permet de résister et de refuser des concessions territoriales trop importantes. Cette situation semble devoir aboutir à une guerre gelée aux conséquences internationales autrement plus sérieuses que celles liées à la guerre du Donbass de 2014

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Par Eric Martel-Porchier ,Docteur en Sciences de Gestion/Chercheur associé au LIRSA, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM).

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

Russie : la barbarie et la guerre permanente

Russie : la barbarie et la guerre permanente

 

 La « guerre d’Hiver » de 1939-1940, entre l’URSS et la Finlande, et la première guerre de Tchétchénie (1994-1996) rappellent en bien des points l’actuelle « opération militaire spéciale » en Ukraine. Par Eric Martel-Porchier, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)

 

Si l’on compare l’actuelle guerre en Ukraine à deux conflits précédents qui ont impliqué l’armée soviétique et russe – la guerre soviéto-finlandaise de 1939 et la première guerre de Tchétchénie en 1994-1996 -, on ne peut qu’être surpris par leurs similitudes. Pourtant, les contextes historiques et sociaux sont totalement différents. Quelle proximité peut-il y avoir entre l’URSS de 1939, marquée par les terribles purges staliniennes et dont le gouvernement vit dans la peur d’une future invasion allemande, la Russie de 1994, société en plein effondrement où les logiques mafieuses prévalent et où les militaires doivent recourir à toutes sortes d’arrangements douteux pour se rémunérer, et la Russie de 2022, qui se serait, d’après une formule chère à Vladimir Poutine, « relevée » au cours des deux dernières décennies ?

Une constante apparaît à l’examen de ces trois conflits : la combinaison d’une peur ressentie par le Kremlin (paranoïa excessive dans l’URSS de Staline, crainte du démembrement de la Russie au début des années 1990, effroi face à l’extension de l’OTAN en 2022) et de la confiance démesurée du pouvoir russe dans sa propre armée, malgré une méconnaissance profonde de son mode de fonctionnement. De même, en 1939 et en 1994 comme en 2022, la force de l’ennemi est insuffisamment prise en compte. Cela peut se comprendre : sur le papier, le déséquilibre des forces est absolu. Pourtant, chaque fois, ce ne sont pas des éléments quantitatifs qui définissent réellement la force de l’armée soviétique ou russe mais son organisation, laquelle est directement corrélée à un élément essentiel : le niveau de motivation de ses hommes, qui reste fragile.

Car si l’armée soviétique ou russe est une structure autoritaire, l’obéissance de ses hommes est loin d’être acquise. C’est ainsi que le 31 décembre 1994, lorsque l’état-major russe ordonne à quatre colonnes d’entrer dans Grozny, la capitale de la Tchétchénie, seules deux vont s’exécuter, les commandants des deux autres unités refusant d’obéir.

Dans cette guerre, la capacité à commander du ministre de la Défense, Pavel Gratchev, « dépendait directement de sa présence sur le terrain ». Car lorsque les troupes russes sont peu motivées, les ordres tendent à se perdre dans des difficultés de transmission. Lors de la première guerre de Tchétchénie s’est établi un système d’autorité charismatique : le chef doit être « admirable » pour être obéi et doit donner en personne ses ordres à ses subordonnés. Cette présence obligatoire sur le terrain pourrait d’ailleurs expliquer le nombre important de généraux russes tués dans l’actuelle guerre d’Ukraine.

Dans ce contexte, le commandement se voit contraint de laisser la troupe s’auto-organiser, quitte à en perdre le contrôle. On comprend mieux les très nombreuses exactions commises par les troupes russes dans cette première guerre de Tchétchénie, l’état-major étant plus préoccupé par la résistance incertaine de ses troupes face à un ennemi redoutable que par l’existence avérée de comportements criminels.

Lors de la première guerre de Tchétchénie, loin de ressembler à des troupes abreuvées de propagande et prêtes à mourir pour la mère patrie, les soldats russes vont hésiter et ne pas comprendre pourquoi il faut attaquer cette région dont ils se sentent si proches et dont la capitale Grozny compte près de 29 % de Russes. Les ordres ne sont pas suivis ou n’arrivent pas à leurs destinataires. L’artillerie russe va même, en 1996, aller jusqu’à bombarder, à Pervomaiskaya, une unité de Spetnaz, dépendant du FSB, qu’ils détestent, invoquant des malentendus ou des erreurs de tirs.

Car l’armée russe des années 1990 est loin d’être une structure monolithique : à l’armée, qui dépend du ministère de la Défense, s’ajoutent les unités du ministère de l’Intérieur (le MVD), mais aussi les forces de sécurité dont le FSB fait partie et, sous la dénomination de « cosaques », des forces irrégulières. Les forces du MVD, réputées pour leur cruauté, leur niveau de corruption élevé et leur efficacité, sont particulièrement haïes par les conscrits qui forment l’essentiel de la troupe. C’est ainsi que, si le Kremlin exerce une autorité absolue sur ses forces armées, il ne les contrôle pas réellement, ce qui sera également le cas lors de la seconde guerre de Tchétchénie, victorieuse cette fois, effectuée sous l’impulsion de Vladimir Poutine.

Le phénomène s’est également produit lors de la guerre soviéto-finlandaise : les soldats s’étaient rapidement rendu compte du décalage entre la propagande soviétique du régime stalinien et la réalité du terrain : les Finlandais étaient loin d’être les barbares qui attendaient avec impatience d’être libérés par les troupes soviétiques que la propagande leur avait décrits. C’est ainsi qu’aux nombreux courriers de soldats soviétiques s’émerveillant de l’abondance des villageois finlandais vont s’ajouter des épisodes d’insoumission, tels que des chants contre la guerre après des tournées de vodka et quelques désertions. Le NKVD saura vite réprimer ces manifestations hostiles en fusillant les déserteurs et fuyards.

Dans ces deux conflits précédents, les troupes russes ont été soumises à un traitement redoutable face à une guérilla terriblement efficace. Si les militaires finlandais se concentrent sur les colonnes d’arrière-garde qu’ils détruisent systématiquement, les Tchétchènes vont mener des actions beaucoup plus éprouvantes avec l’utilisation de snipers, de destructions systématiques des colonnes de ravitaillement, de tirs sur les ambulances, voire de tirs ponctuels à partir d’hôpitaux dans le but d’inciter les soldats russes à réagir et pouvoir mettre en avant la brutalité de ces derniers.

Si les Tchétchènes se montrent particulièrement violents envers les soldats russes, ce n’est pas le cas des Finlandais qui commettent quelques exactions au début de la guerre, mais se font vite rappeler à l’ordre par leur propre gouvernement, car ces actions isolées ne peuvent qu’affaiblir le travail de communication mis en œuvre à la face du monde.

Dans ces deux guerres, les Finlandais et les Tchétchènes se révèlent de redoutables communicants, là où l’URSS et la Russie brillent par leur silence ou par une propagande en décalage avec la réalité. Si la communication des Tchétchènes et des Finlandais a pour but de mobiliser la communauté internationale, celle de Moscou vise avant tout à cacher à sa propre population la réalité de la guerre et de la difficile situation que traverse l’armée, voire de l’ampleur du nombre de soldats tués.

Les Tchétchènes s’attachent à montrer au monde de nombreux chars russes détruits, des frappes sur les bâtiments civils et les nombreuses exactions commises par les troupes russes. Les Finlandais, plus de cinquante ans plus tôt, avaient fait circuler des photos de soldats soviétiques morts gelés, révélant la faiblesse logistique de l’armée ennemie.

Ils avaient également décrit les soldats soviétiques comme des êtres incontrôlables « incapables de voir et réagir à l’autoritarisme de leurs maîtres », auxquels Helsinki opposait « la dignité, le courage, la virilité, la ténacité et la retenue » des militaires finnois. Ce faisant, ils avaient réussi à déclencher un véritable mouvement de sympathie des pays occidentaux à leur égard et même obtenu un résultat qui ferait pâlir d’envie l’actuel gouvernement ukrainien : la promesse d’une intervention armée de la France, qui n’aura finalement pas lieu. Édouard Daladier, président du Conseil, particulièrement sensible à l’esprit de résistance des Finlandais, était en effet allé jusqu’à proposer une intervention militaire, ce qui eut pour effet d’agacer le Quai d’Orsay, qui ne comprenait pas comment il serait possible d’entrer en conflit avec l’URSS alors que la France et le Royaume-Uni étaient déjà en guerre avec l’Allemagne nazie.

Dans les deux cas, la guerre s’est déroulée en deux phases.

Si la première n’a été qu’une succession d’échecs militaires, la seconde est l’occasion d’une réorganisation de l’appareil militaire soviétique puis russe, ce qui donne des résultats plus probants. Pour la guerre de Tchétchénie, la seconde phase permit la prise de sa capitale Grozny, au prix de nombreux morts civils et des destructions massives. Pour la guerre d’Hiver, les Soviétiques décidèrent d’abandonner leur projet initial de conquête de la Finlande et se recentrèrent sur l’acquisition de territoires à haute valeur stratégique.

Dans les deux cas, la technique militaire utilisée fut la même : des bombardements massifs afin de tirer parti d’une artillerie infiniment supérieure et une progression lente et méthodique bien à l’encontre de la tradition doctrinaire de l’armée soviétique. Si dans le cas de la guerre d’Hiver un armistice put être conclu, ce qui provoqua des réactions plutôt hostiles de la population finlandaise, il en fut autrement en Tchétchénie. Après une première victoire, les troupes russes furent expulsées par surprise de Grozny quelques mois plus tard et durent conclure un armistice reconnaissant de facto l’indépendance de la Tchétchénie.

En suivant les enseignements de ces deux guerres, on ne peut que douter de la possibilité d’un armistice pour l’actuelle guerre d’Ukraine.

Lors de la guerre avec la Finlande, les Soviétiques souhaitaient libérer leurs forces armées afin de leur permettre de se préparer à un affrontement ultérieur avec l’Allemagne alors que l’armée finlandaise était au bord de l’effondrement. En ce qui concerne, la première guerre de Tchétchénie, le niveau de décomposition de la société russe était tel que le Kremlin se sentit contraint de signer un armistice. Rien de tel dans l’actuelle guerre en Ukraine, où aucun des deux belligérants ne se sentira obligé d’accepter un cessez-le-feu.

Si la Russie a subi d’importantes pertes, elle n’est pas sujette à une menace vitale la contraignant à cesser la guerre en renonçant à ses conquêtes ; quant à l’Ukraine, elle bénéficie d’un soutien externe, qui a fait défaut à la Finlande de 1940, ce qui lui permet de résister et de refuser des concessions territoriales trop importantes. Cette situation semble devoir aboutir à une guerre gelée aux conséquences internationales autrement plus sérieuses que celles liées à la guerre du Donbass de 2014

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Par Eric Martel-Porchier ,Docteur en Sciences de Gestion/Chercheur associé au LIRSA, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM).

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

Société et Ukraine : le retour oublié de la barbarie

Société et Ukraine : le retour oublié de la barbarie

L’illusion de la réalisation d’un monde parfait génère une forme de naïveté dans nos comportements et nos attentes en Occident. Par Laurent Bibard, ESSEC

 

Par-delà les kyrielles de nuances concernant la « modernité », la « post-modernité », l’on peut dire que nous sommes irréductiblement « modernes ». Nous sommes « modernes », cela veut dire ici que nous sommes à la fois adossés à l’idée machiavélienne que « la fin justifie les moyens » d’une part, et d’autre part que la réalisation d’un monde parfait et possible. Ces deux arrière-plans de notre modernité nous rendent à la fois totalement naïfs sur le plan politique et radicalement extrêmes dans nos comportements, nos attentes, nos manières de faire.

L’Ukraine est aujourd’hui confrontée à l’extrémisme d’une tyrannie. Une invasion barbare, censée servir un rêve suranné de grandeur impériale, qui ferait rire s’il n’était que ridicule. Les pantins deviennent sinistres lorsqu’ils s’arment de tanks et de missiles. Il est indispensable de prendre un vrai recul pour à la fois comprendre ce qui se joue là et y décider de la manière la plus ajustée.

Au tout début d’un commentaire d’une exceptionnelle clarté qu’il consacre à un dialogue du philosophe et historien Xénophon, Le Hiéron, le philosophe politique Leo Strauss écrit ceci :

« La tyrannie est un danger qui n’a cessé d’accompagner la vie politique. L’analyse de la tyrannie est par conséquent aussi ancienne que la science politique elle-même. Le travail que firent les premiers théoriciens de la politique fut si clair, si vaste, il fut exprimé en des termes à tel point inoubliables que des générations qui ne firent pas directement l’expérience de la tyrannie purent la comprendre et s’en souvenir. D’autre part, lorsque nous nous sommes trouvés en face de la tyrannie – et d’une tyrannie qui dépassait tout ce que les plus puissants penseurs d’autrefois avaient pu imaginer de plus hardi – notre science politique ne sut pas la reconnaître ».

Leo Strauss renvoie là aux accords de Munich, en 1938. Son argument est donc qu’il y a eu comme une « naïveté » des Alliés, qui n’ont pas mesuré ce dont Hitler allait devenir capable. Ils ne l’ont pas pris au sérieux.

Strauss souligne que le degré de lucidité de la pensée politique classique est significativement supérieur à celui de la philosophie politique moderne. Les « anciens » – c’est-à-dire des philosophes comme les Grecs Platon ou Aristote, ou des Romains comme Cicéron – étaient significativement plus lucides que nous le sommes sur la violence dont sont capables les humains. Je parle ici de violence propre à la vie politique, c’est-à-dire d’une violence collective, qui s’exprime par excellence au travers de guerres offensives. La violence individuelle d’un Poutine n’a aucune signification politique si Poutine n’est pas suivi par une quantité suffisante de personnes en Russie.

Les Alliés n’auraient pas dû faire confiance à Hitler. Ils auraient dû immédiatement réagir par la force pour empêcher Hitler de continuer ce qu’ils estimaient être des invasions strictement potentielles, sans plus de réalité possible que cela.

Il nous faut en Europe – et c’est bien l’Europe qui est ici attaquée au travers de l’Ukraine – ne pas être dupe de ce dont Poutine est capable. Un Poutine qui veut rester au pouvoir pour une période encore bien longue. Rentrons un peu plus dans le détail de ce problème qui s’impose à nous.

Pour les « anciens » toujours, il faut tout faire pour que la vie soit la plus tempérée, la plus modérée, la plus douce possible. Loin d’être le signe d’une faiblesse, la douceur est alliée de la force. Or, nous vivons un paradoxe. Depuis que Machiavel a explicité ceci que la vie politique est faite de mensonge, de violence, de manipulations, et son influence étant devenue mondiale, l’humanité devenue « moderne » est comme tendue 1) d’abord entre une forme de naïveté qui revient à croire que l’on peut toujours faire entendre raison aux plus violents, et les empêcher de nuire sans avoir besoin de recourir à la force. Et d’un autre côté, 2) une exacerbation et une radicalisation de l’usage de la force au détriment de la raison et du respect par exemple des Droits de l’Homme.

Les anciens, souligne Leo Strauss en commentant également Machiavel, avaient fait le choix de ne pas expliciter clairement que la vie politique est faite de mensonge, de violences et de manipulations, pour ne pas mettre de l’huile sur le feu. Leur pari était que plus l’on s’exprime avec douceur au sujet des problèmes les plus graves, plus on a de chances de contribuer à les résoudre le plus paisiblement possible. Il faut peser ici le mot « paisiblement ».

En même temps, les anciens n’étaient absolument pas dupes de la violence possible. Et ils savaient très bien que c’est avec modération qu’il faut mettre en avant la modération comme qualité principale et de l’éthique, et de la politique – celle-ci étant comprise alors comme la continuation de l’éthique, par d’autres moyens.

Ceci revient à dire que, lorsqu’il s’agit de défendre la possibilité d’une vie paisible et raisonnable quelque part, d’une vie douce, il faut être capable parfois de prendre les armes.

Ce qui précède peut paraître trivial. Mais cela concerne nos espoirs contemporains les plus profonds. Prenons un exemple simple concernant l’égalité économique et sociale. Lorsqu’il critique la pensée politique d’Aristote que par ailleurs il respecte profondément, Karl Marx dit en gros qu’Aristote est un petit bourgeois conservateur, prisonnier du monde économique et social de son temps, en particulier caractérisé par l’esclavage.

Marx a raison : Aristote est tout sauf un révolutionnaire. Il est tout sauf nous, dans nos espoirs de résoudre définitivement ce qu’on peut appeler le « problème de l’homme ». Mais à bien lire Aristote, sa position doit être comprise de la manière suivante. Aristote estime – peut-être à tort, mais c’est là que nous sommes nous, peut-être à la fois naïfs et extrêmes -, que le problème des inégalités économiques et sociales est un problème « ontologique ». C’est-à-dire un problème indépassable. Il est inévitable, pense-t-il, qu’il y ait de plus en plus de gens misérables d’un côté, et de moins en moins de gens richissimes de l’autre.

Autrement dit, ce que Marx appelle quelque chose comme la « prolétarisation » est irréductible selon Aristote. Cela ne peut pas être dépassé, en particulier par une Révolution qui serait censée le résoudre définitivement. La seule politique tenable est de tenter, dit encore Aristote, de favoriser l’existence d’une classe moyenne massive, dont l’inertie ralentisse l’écartèlement inéluctable des richesses.

En contrepoint des catastrophes monstrueuses qu’ont entraînées les révolutions du XXe siècle, en contrepoint de la violence radicale qu’avait diagnostiquée Albert Camus dans L’homme révolté, il faut sans doute tendre l’oreille de nouveau vers les anciens pour bien poser les questions politiques qui s’imposent à nous. Nous devons à la fois réapprendre une lucidité fondamentale à propos de la violence toujours possible, et la tempérance, la modération, la douceur d’un réel savoir-vivre.

Nous ne parviendrons sans doute jamais à faire en sorte que les humains soient spontanément raisonnables et pacifiques. Or c’est là le rêve naïf que nous avons fait depuis environ cinq cents ans. Un rêve que nous faisons encore, et qui nous pousse à tenter de « forcer » de réel. C’est un volontarisme fait de naïveté et d’extrémisme tout ensemble dont il s’agit. C’est au forceps que l’on voudrait faire plier le réel à nos désirs. Paradoxalement, tous objectifs confondus.

C’est pour défendre la possibilité d’une véritable douceur, de la tempérance, de l’écoute, de la modération, qu’il faut sans cesse cultiver la lucidité. Être toujours prêt à l’usage raisonnable de la force, lorsque la violence, la bêtise, la barbarie, la tyrannie pointent leur nez. Mais seulement alors.

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Par Laurent Bibard, Professeur en management, titulaire de la chaire Edgar Morin de la complexité, ESSEC.

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

Ukraine et Europe: le retour oublié de la barbarie

Ukraine et Europe: le retour oublié de la barbarie

L’illusion de la réalisation d’un monde parfait génère une forme de naïveté dans nos comportements et nos attentes en Occident. Par Laurent Bibard, ESSEC

 

Par-delà les kyrielles de nuances concernant la « modernité », la « post-modernité », l’on peut dire que nous sommes irréductiblement « modernes ». Nous sommes « modernes », cela veut dire ici que nous sommes à la fois adossés à l’idée machiavélienne que « la fin justifie les moyens » d’une part, et d’autre part que la réalisation d’un monde parfait et possible. Ces deux arrière-plans de notre modernité nous rendent à la fois totalement naïfs sur le plan politique et radicalement extrêmes dans nos comportements, nos attentes, nos manières de faire.

L’Ukraine est aujourd’hui confrontée à l’extrémisme d’une tyrannie. Une invasion barbare, censée servir un rêve suranné de grandeur impériale, qui ferait rire s’il n’était que ridicule. Les pantins deviennent sinistres lorsqu’ils s’arment de tanks et de missiles. Il est indispensable de prendre un vrai recul pour à la fois comprendre ce qui se joue là et y décider de la manière la plus ajustée.

Au tout début d’un commentaire d’une exceptionnelle clarté qu’il consacre à un dialogue du philosophe et historien Xénophon, Le Hiéron, le philosophe politique Leo Strauss écrit ceci :

« La tyrannie est un danger qui n’a cessé d’accompagner la vie politique. L’analyse de la tyrannie est par conséquent aussi ancienne que la science politique elle-même. Le travail que firent les premiers théoriciens de la politique fut si clair, si vaste, il fut exprimé en des termes à tel point inoubliables que des générations qui ne firent pas directement l’expérience de la tyrannie purent la comprendre et s’en souvenir. D’autre part, lorsque nous nous sommes trouvés en face de la tyrannie – et d’une tyrannie qui dépassait tout ce que les plus puissants penseurs d’autrefois avaient pu imaginer de plus hardi – notre science politique ne sut pas la reconnaître ».

Leo Strauss renvoie là aux accords de Munich, en 1938. Son argument est donc qu’il y a eu comme une « naïveté » des Alliés, qui n’ont pas mesuré ce dont Hitler allait devenir capable. Ils ne l’ont pas pris au sérieux.

Strauss souligne que le degré de lucidité de la pensée politique classique est significativement supérieur à celui de la philosophie politique moderne. Les « anciens » – c’est-à-dire des philosophes comme les Grecs Platon ou Aristote, ou des Romains comme Cicéron – étaient significativement plus lucides que nous le sommes sur la violence dont sont capables les humains. Je parle ici de violence propre à la vie politique, c’est-à-dire d’une violence collective, qui s’exprime par excellence au travers de guerres offensives. La violence individuelle d’un Poutine n’a aucune signification politique si Poutine n’est pas suivi par une quantité suffisante de personnes en Russie.

Les Alliés n’auraient pas dû faire confiance à Hitler. Ils auraient dû immédiatement réagir par la force pour empêcher Hitler de continuer ce qu’ils estimaient être des invasions strictement potentielles, sans plus de réalité possible que cela.

Il nous faut en Europe – et c’est bien l’Europe qui est ici attaquée au travers de l’Ukraine – ne pas être dupe de ce dont Poutine est capable. Un Poutine qui veut rester au pouvoir pour une période encore bien longue. Rentrons un peu plus dans le détail de ce problème qui s’impose à nous.

Pour les « anciens » toujours, il faut tout faire pour que la vie soit la plus tempérée, la plus modérée, la plus douce possible. Loin d’être le signe d’une faiblesse, la douceur est alliée de la force. Or, nous vivons un paradoxe. Depuis que Machiavel a explicité ceci que la vie politique est faite de mensonge, de violence, de manipulations, et son influence étant devenue mondiale, l’humanité devenue « moderne » est comme tendue 1) d’abord entre une forme de naïveté qui revient à croire que l’on peut toujours faire entendre raison aux plus violents, et les empêcher de nuire sans avoir besoin de recourir à la force. Et d’un autre côté, 2) une exacerbation et une radicalisation de l’usage de la force au détriment de la raison et du respect par exemple des Droits de l’Homme.

Les anciens, souligne Leo Strauss en commentant également Machiavel, avaient fait le choix de ne pas expliciter clairement que la vie politique est faite de mensonge, de violences et de manipulations, pour ne pas mettre de l’huile sur le feu. Leur pari était que plus l’on s’exprime avec douceur au sujet des problèmes les plus graves, plus on a de chances de contribuer à les résoudre le plus paisiblement possible. Il faut peser ici le mot « paisiblement ».

En même temps, les anciens n’étaient absolument pas dupes de la violence possible. Et ils savaient très bien que c’est avec modération qu’il faut mettre en avant la modération comme qualité principale et de l’éthique, et de la politique – celle-ci étant comprise alors comme la continuation de l’éthique, par d’autres moyens.

Ceci revient à dire que, lorsqu’il s’agit de défendre la possibilité d’une vie paisible et raisonnable quelque part, d’une vie douce, il faut être capable parfois de prendre les armes.

Ce qui précède peut paraître trivial. Mais cela concerne nos espoirs contemporains les plus profonds. Prenons un exemple simple concernant l’égalité économique et sociale. Lorsqu’il critique la pensée politique d’Aristote que par ailleurs il respecte profondément, Karl Marx dit en gros qu’Aristote est un petit bourgeois conservateur, prisonnier du monde économique et social de son temps, en particulier caractérisé par l’esclavage.

Marx a raison : Aristote est tout sauf un révolutionnaire. Il est tout sauf nous, dans nos espoirs de résoudre définitivement ce qu’on peut appeler le « problème de l’homme ». Mais à bien lire Aristote, sa position doit être comprise de la manière suivante. Aristote estime – peut-être à tort, mais c’est là que nous sommes nous, peut-être à la fois naïfs et extrêmes -, que le problème des inégalités économiques et sociales est un problème « ontologique ». C’est-à-dire un problème indépassable. Il est inévitable, pense-t-il, qu’il y ait de plus en plus de gens misérables d’un côté, et de moins en moins de gens richissimes de l’autre.

Autrement dit, ce que Marx appelle quelque chose comme la « prolétarisation » est irréductible selon Aristote. Cela ne peut pas être dépassé, en particulier par une Révolution qui serait censée le résoudre définitivement. La seule politique tenable est de tenter, dit encore Aristote, de favoriser l’existence d’une classe moyenne massive, dont l’inertie ralentisse l’écartèlement inéluctable des richesses.

En contrepoint des catastrophes monstrueuses qu’ont entraînées les révolutions du XXe siècle, en contrepoint de la violence radicale qu’avait diagnostiquée Albert Camus dans L’homme révolté, il faut sans doute tendre l’oreille de nouveau vers les anciens pour bien poser les questions politiques qui s’imposent à nous. Nous devons à la fois réapprendre une lucidité fondamentale à propos de la violence toujours possible, et la tempérance, la modération, la douceur d’un réel savoir-vivre.

Nous ne parviendrons sans doute jamais à faire en sorte que les humains soient spontanément raisonnables et pacifiques. Or c’est là le rêve naïf que nous avons fait depuis environ cinq cents ans. Un rêve que nous faisons encore, et qui nous pousse à tenter de « forcer » de réel. C’est un volontarisme fait de naïveté et d’extrémisme tout ensemble dont il s’agit. C’est au forceps que l’on voudrait faire plier le réel à nos désirs. Paradoxalement, tous objectifs confondus.

C’est pour défendre la possibilité d’une véritable douceur, de la tempérance, de l’écoute, de la modération, qu’il faut sans cesse cultiver la lucidité. Être toujours prêt à l’usage raisonnable de la force, lorsque la violence, la bêtise, la barbarie, la tyrannie pointent leur nez. Mais seulement alors.

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Par Laurent Bibard, Professeur en management, titulaire de la chaire Edgar Morin de la complexité, ESSEC.

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

Poutine : la seule barbarie pour doctrine

Poutine : la seule barbarie pour doctrine

 

Poutine , pur produit du KGB se réfère en réalité à une doctrine très simple: la terreur et la barbarie pour imposer ses intérêts. C’est de cette manière qu’il a éteint toute contestation en Russie où les opposants avaient le choix entre se taire, la prison ou le cercueil. Pour Poutine les valeurs universelles se réduisent à sa seule vision d’autocrate mafieux et criminel.

Un mafieux qui a accumulé une fortune de 40 milliards, qui s’est fait construire un palais démentiel quand le salaire médian est de l’ordre  de 500 € en Russie. Quand le pays n’a pas été capable de vacciner plus de 30 % contre la Covid.

Un criminel qui emploie les méthodes traditionnelles du KGB avec empoisonnement, meurtre,  intoxication et utilisation d’espions et de mercenaires.

Macron et certains occidentaux se font des illusions quant aux éventuels engagements de Poutine lors d’une négociation. Si Poutine y est contraint il signera n’importe quoi mais reniera sa propre signature à la première occasion.

Poutine est dans une autre logique; en outre ;il semble bien qu’il soit de plus en plus enfermé psychologiquement  dans son bunker mental.  Pour preuve la brutalité qu’il témoigne même vis-à-vis de ses proches collaborateurs.

La faiblesse de Poutine c’est d’avoir sous-estimé l’évolution des civilisations et les aspirations à davantage de liberté. De ce point de vue , sa politique de communication présente un parfum très démodé des années 50. Poutine dit tout est contraire et plus c’est gros et pour lui plus c’est supposé passer. Comme si aujourd’hui les citoyens du monde entier ne pouvaient pas s’informer des réalités.

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