Archive pour le Tag 'Banlieues'

Conflit- après les banlieues, la police ?

Conflit- après les banlieues, la police ?

La révolte des policiers pourrait bien succéder aux problèmes des banlieues tellement le pouvoir est agité de contradictions dans l’équilibre à trouver entre les forces de l’ordre et la justice. Le problème est cependant sans doute beaucoup plus grave car il s’agit d’une crise de société dont le politique est largement responsable du fait de ses atermoiements et du décalage énorme entre ses discours et sa pratique.

La colère des policiers ne faiblit pas après le placement en détention provisoire de l’un de leur collègue, soupçonné de violences à Marseille. De nombreux fonctionnaires sont en arrêt maladie dans le sud de la France. Le code 562 s’est lui propagé dans toute la France.

Ce mardi, Elisabeth Borne s’est prudemment rangée derrière la prise de parole d’Emmanuel Macron, intervenu la veille depuis la Nouvelle-Calédonie où il a rappelé que « nul en République n’est au-dessus de la loi ». En marge de son déplacement au Havre, la Première ministre a apporté son « soutien » et « ses remerciements aux policiers mobilisés » tout en affirmant que « la justice doit faire son travail sereinement ».

Soupçonné d’avoir roué de coups un jeune homme en marge des émeutes début juillet, l’agent de la BAC de Marseille conteste son placement en détention provisoire. Son appel sera examiné le 3 août par la cour d’appel d’Aix-en-Provence.

Le mouvement est difficile à chiffrer: le ministère de l’Intérieur, la préfecture de police de Marseille ou celle de Paris ne communique aucun chiffre. Selon ceux communiqués par les syndicats, lundi, les BAC marseillaises comptaient 100% d’absents, soit en raison des congés mais surtout des nombreux arrêts maladie pour « état d’anxiété chronique avéré », à la suite de la mobilisation des effectifs pour gérer les nuits d’émeutes ou après le placement en détention provisoire de leur collègue.

Toujours selon des chiffres fournis par le syndicat Unité SGP Police FO, entre 400 et 600 policiers étaient en arrêt maladie dans l’ensemble du département des Bouches-du-Rhône. Une donnée difficile à consolider, ces congés pouvant être pour une journée, une semaine, des policiers ayant pu avoir déjà repris le travail. Dans le Var et les Alpes-Maritimes, on en comptait entre 80 et 100. Dans le Vaucluse, et désormais le Gard, une quarantaine.

Dunkerque, Bar-le-Duc, Saint-Etienne, Strasbourg, Bordeaux, Verdun, Pau… de nombreux commissariats ont répondu aussi à cet appel. Fait encore plus rare, des effectifs de la police judiciaire ou de Frontex, l’agence de l’Union européenne chargée du contrôle et de la gestion des frontières extérieures, se sont associés au mouvement de protestation.

« Les crises dans la police se succèdent de plus en plus vite. Et parce qu’on nous en demande beaucoup, constate Christophe Rouget, commandant de police et secrétaire général du Syndicat des cadres de sécurité intérieure. Les policiers sont fatigués, ils veulent juste faire leur travail correctement. »

Emeutes urbaines : « Ne jamais oublier les banlieues ».

Emeutes urbaines : « Ne jamais oublier les banlieues ».
Par
Erwan Ruty

Entrepreneur social en banlieue

Dans une tribune au « Monde », le spécialiste des banlieues Erwan Ruty estime que les différents gouvernements et présidents ont buté sur les maux qui étaient associés aux quartiers.
En 1983, il y a exactement quarante ans, s’élançait la Marche pour l’égalité. Elle faisait, déjà, suite à une « bavure » policière contre un jeune habitant d’un « quartier » à Vénissieux, Toumi Djaidja, quelque temps après les premières émeutes urbaines apparues sur ce territoire. Cette marche traversant la France parvint à transformer la colère en geste politique, jusqu’à rassembler 100 000 personnes, à son arrivée à Paris, à mener ses organisateurs à l’Elysée, et à obtenir quelques avancées légales. Elle modifia surtout le visage de la société française, pendant au moins dix ans, grâce à un vaste mouvement culturel, caricaturé par le terme « beur », voire politisa une génération entière d’habitants des quartiers, et du reste de la France, grâce à des organisations comme SOS-Racisme.

En quoi cette marche, vaste mouvement d’indignation, pacifique, est-elle différente des révoltes de 2005 et de 2023, alors que les causes sont identiques ? Le contexte a changé : les mouvements d’éducation populaire et syndicaux qui avaient alors pu accompagner et organiser la marche, et pacifier les tensions existantes, sont aujourd’hui exsangues, quasi oubliés des « plans banlieue » et des milliards déversés sur ces quartiers pour rénover le bâti (certes nécessaire). Par ailleurs, les décideurs politiques n’ont plus le pouvoir qu’ils avaient alors, éparpillé en mille et un niveaux de décision, d’institutions dotées chacune de son propre agenda, d’autorités indépendantes. Le pouvoir s’est dilué dans une mégamachine bureaucratique, avec laquelle les faibles corps intermédiaires associatifs ne parviennent plus à construire un projet sur le temps long.

Les lieux de débat, dans les organismes chargés du soutien aux acteurs des quartiers, ont le plus souvent laissé place, comme partout ailleurs, à des échanges sur des plates-formes numériques. Cette déshumanisation des rapports sociaux préside à leur brutalisation. Faute d’interlocuteur visible, fiable, pérenne pour les uns, d’autres laissent exploser leur colère, sans limites. Comme le dit Victor Hugo dans Les Misérables, « il y a des rages folles ». Et de rappeler : « L’émeute frappe au hasard, comme un éléphant aveugle, en écrasant. (…) Quelquefois le peuple se fausse fidélité à lui-même. La foule est traître au peuple. Le bruit du droit en mouvement se reconnaît, il ne sort pas toujours du tremblement des masses bouleversées. »

Facteur aggravant, la police est toujours moins présente sur le terrain, au quotidien, du fait des modes d’intervention qui lui sont imposés depuis la dislocation de la police de proximité.

Émeutes urbaines : Qui se souvient que Macon a enterré le plan sur les banlieues de Borloo en 2018

Émeutes urbaines : Qui se souvient que Macon a enterré le plan sur les banlieues de Borloo en 2018

Pourtant rappelle le Figaro, , après deux nuits de chaos dans de plusieurs villes de l’hexagone, les références au plan banlieues porté en 2018 par l’ancien maire de Valencienne se multiplient. « Avec et depuis l’exécution de Nahel, c’est le cœur de la République qui est atteint, attaqué. Emmanuel Macron doit agir : abrogation de la loi 2017, indépendance IGPN, réforme formation des policiers et maintien de l’ordre, plan Borloos ur les banlieues … », a déclaré l’ancien candidat à la présidentielle EELV Yannick Jadot vendredi sur son compte Twitter. De son côté, le maire LR de L’Haÿ-les-Roses Vincent Jeanbrun, tout en réclamant un «grand plan Marshall pour la banlieue», a rappelé ce matin sur France info que «sans être parfait, le Plan Borloo était une avancée considérable, et avait plein de mesures concrètes qui allaient bien au-delà de la politique de la ville ».

Grand défenseur du plan Borloo en 2018, le maire communiste de Grigny Philippe Rio regrette aujourd’hui que ce dernier est resté lettre morte du côté de l’exécutif. « On était 200 maires à avoir travaillé dessus et E. Macron a dit ‘poubelle’ [...] Ce plan s’appelait ‘Pour une réconciliation nationale’, et ce mot de réconciliation résonne particulièrement aujourd’hui », raille l’édile dans un entretien accordé au Monde jeudi 29 juin.

Remis fin avril 2017 à Édouard Philippe, alors premier ministre – et non à Emmanuel Macron, qui en était pourtant le mandant – le rapport qui comporte 19 « programmes » a le mérite d’être ambitieux : création d’un fonds de 5 milliards d’euros dont un milliard pour le RER, coachs d’insertion, lancement d’une académie « des leaders » destinée aux « talents de notre jeunesse et des quartiers populaires », ou encore création d’une « cour d’équité territoriale » – une juridiction qui serait chargée de sanctionner l’inaction des administrations -, etc. En somme, une série de propositions qui promet d’aboutir « à la réconciliation nationale », et qui trouve un écho auprès de nombreux maires. Néanmoins, Emmanuel Macron répète qu’il ne veut finalement pas d’une politique spécifique aux quartiers, qui s’ajouterait, selon lui, à la pile des plans banlieues qui n’ont produit que peu de résultats.

Depuis, aucun plan banlieues ne semble avoir été fixé à l’ordre du jour. Pendant la campagne présidentielle de 2022, Emmanuel Macron avait promis un plan «Quartiers 2030». Un projet qui n’a toutefois pas encore vu le jour !

Emeutes-Banlieues: « Le risque d’ embrasement comme en 2005 ? »

Emeutes-Banlieues: « Le risque d’ embrasement comme en 2005 ? » Frédéric Dabi (Ifop)

Après une nuit de violences urbaines, Frédéric Dabi, directeur général de l’Ifop, estime que le risque d’embrasement demeure comme en 2005 dans la Tribune .

FRÉDÉRIC DABI- Oui. Après des mois où la préoccupation des Français se cristallisait sur la réforme des retraites, Emmanuel Macron voulait passer à autre chose. Il parlait des 100 jours, même si l’expression n’a pas vraiment été perçue par les Français. Son déplacement à Marseille visait à ouvrir d’autres chantiers, celui de l’école notamment.

Avec les violences, après la mort de Nahel, il est sur une ligne de crête. Ces événements remettent sur le devant de la scène les critiques récurrentes qui lui sont faites sur l’inaction de l’Etat au niveau de la sécurité, de l’insuffisance des résultats.

Les Français, on le voit dans les enquêtes, font souvent le lien entre crise migratoire, problèmes sécuritaires et faits divers. Après le drame d’Annecy, après la professeur poignardée en plein cours, les soignantes violentées (dont une est décédée), le maire agressé… Beaucoup ont le sentiment que le pays n’est pas tenu, que l’Etat n’est plus maître chez lui, que le gouvernement est débordé.


Pour éviter des débordements, le gouvernement annonce d’importants déploiements de forces de l’ordre.

Certes, il y a la question des moyens, des services publics qui parfois sont défaillants, et du déclassement du pays. Mais, dans les enquêtes d’opinion, il est frappant de voir que la question se pose surtout, pour les Français, autour de la décision : autrement dit, ce n’est pas tant le sujet du nombre de policiers, de moyens déployés, qui marque les Français, que celle de l’insuffisance pénale.

Je note que la justice est bien plus souvent mise en cause que la police, qui garde plutôt sur le long terme une bonne image dans l’opinion. En revanche, la justice rime souvent avec inaction. Le sentiment d’une justice trop laxiste, des délinquants qui s’en sortent toujours, qui ne sont pas assez punis… revient de plus en plus dans nos études d’opinion. C’est très marquant, et c’est d’ailleurs ce qui nourrit une partie du vote d’Eric Zemmour ou de Marine Le Pen. Cela participe à l’idée de déclin du pays. Enfin, l’une des rares institutions qui garde une très bonne image dans l’opinion est l’Armée.

Y a-t-il un risque d’embrasement du pays, des banlieues comme à l’automne 2005 après la mort de Zyad et Bouna ?

L’exécutif fait tout pour l’éviter. Mais le risque est là, même s’il est encore un peu trop tôt pour le dire. Emmanuel Macron comme Elisabeth Borne font très attention à ne pas mettre de l’huile sur le feu du côté des jeunes, mais il leur faut aussi préserver les forces de l’ordre. Eviter la bourde aussi comme avait pu le faire Christophe Castaner en dénigrant les policiers. La difficulté par rapport à 2005 tient au fait que des heurts ont éclaté dans des villes d’habitude relativement calmes : Clamart dans les Hauts-de-Seine en est un bon exemple.

Mais, si jamais, les violences duraient comme en 2005, ce serait une nouvelle crise que devra surmonter le pays après celle des Gilets jaunes, le Covid, l’inflation, la crise de l’énergie liée à la guerre en Ukraine. On parle de fatigue démocratique. Il y aurait le risque pour Emmanuel Macron de se voir enfermer dans un « récit de crises ». Cela pourrait conforter encore le regard des Français sur un président qui ne gère que des événements dramatiques, en étant à la tête d’un Etat défaillant. Par ailleurs, évidemment pour Emmanuel Macron, ces violences ravivent le traumatisme des Gilets jaunes. Il avait alors été acculé face aux violences. D’où sa volonté de ne pas laisser la situation s’installer.

Société- Pourquoi la révolte des banlieues

Société- Pourquoi la révolte des banlieues

La mort de Nahel.M, 17 ans, abattu par un tir policier lors d’un contrôle de véichule à Nanterre mardi 27 juin au matin a déclenché une série d’émeutes dans plusieurs communes populaires en Ile-de-France et une vague d’indignation dans le pays. Les destructions et dégradations ont conduit le chef de l’Etat jeudi 29 à dénoncer « des scènes de violences » contre « les institutions et la République » qui sont « injustifiables ». Pourquoi tout casser, tout détruire ? Les histoires de bandes ou de violences dans les quartiers populaires, notamment lors d’événements déclencheurs (interpellations, blessures ou comme ici, un décès après une intervention policière) défrayent régulièrement la chronique. Si les parcours sociaux des individus sont plus hétérogènes qu’il n’y paraît, comme je le montre sur mon terrain mais aussi comme le font de nombreux travaux universitaires dont ceux de la sociologue Emmanuelle Santelli, il existe également des déterminismes sociaux mais aussi ethno-raciaux qui scellent la plupart des destins des jeunes des quartiers populaires urbains qui les conduisent, certes en fonction des trajectoires spécifiques, à des confrontations avec les institutions d’encadrement comme la police, l’école ou le travail social.

par Eric Marliere
Professeur de sociologie à l’université de Lille, Université de Lille dans the Conversation

Nous sommes donc en droit de nous demander si ces différentes manifestations de violence et d’agressivité véhiculées par certains jeunes adultes ne sont-elles pas en quelque sorte l’expression de formes politiques par le bas ? Une forme de résistance infra-politique qui prend la forme d’incivilités, que l’anthropologue James C. Scott appelle le « texte caché ».

Cette question nous paraît désormais centrale dans la mesure où les revendications politiques et sociales de la majorité des habitants des quartiers populaires et notamment des différentes générations de jeunes n’ont jamais été véritablement prises en compte par les institutions.

L’un des moments marquants illustrant cette hypothèse est l’épisode des « émeutes de 2005 ». Les médias avaient ainsi relayé leur incompréhension, indignation et condamnation morale face aux incendies de nombreuses écoles primaires. Or comme l’explique le sociologue Didier Lapeyronnie, le fait d’incendier les écoles – parfois occupées par les petites sœurs ou petits frères – ne peut être appréhendé comme un geste de violence « gratuite », mais plutôt comme un sentiment de revanche contre une institution, l’école, perçue comme humiliante et excluante.

Cette forme d’ostracisme n’est pas sans conséquence pour ces jeunes dans la mesure où la sélection sociale cautionnée par l’institution scolaire a condamné définitivement leur avenir notamment pour celles et ceux qui en sortiront sans diplôme.

L’action de brûler les écoles constitue pour ces jeunes le moyen d’occasionner un mouvement de rébellion, écrit Lapeyronnie, bien que dépourvus d’idéologie et de règle, mais visant à provoquer une « réaction » ou des « réformes » de la part de ces mêmes institutions.

Il s’agit également de se faire entendre par des institutions qui ne vous écoutent plus et de stopper momentanément un « système » qui tourne sans vous et se passe de votre existence depuis des années comme l’affirme Didier Lapeyronnie un peu plus loin :

« L’émeute est une sorte de court-circuit : elle permet en un instant de franchir les obstacles, de devenir un acteur reconnu, même de façon négative, éphémère et illusoire et d’obtenir des « gains » sans pour autant pouvoir contrôler et encore moins négocier ni la reconnaissance ni les bénéfices éventuels. »

Les formes de provocations et autres « incivilités » véhiculées par certains jeunes des « quartiers » envers les enseignants pourrait être appréhendée comme une réponse quotidienne au rôle central de l’école comme moyen verdict social pour l’avenir des jeunes.

Sur nos terrains d’enquête, nous avons aussi constaté des attitudes quelque peu ambiguës de la part d’agents de police dans l’espace public à l’égard de jeunes et parfois même de moins jeunes.

Par exemple, tel dimanche, en début d’après-midi, lorsque cinq jeunes adultes âgés de trente à trente-cinq ans, qui sont pour la plupart mariés et ont une situation professionnelle plus ou moins stable, se retrouvent dans la cité comme à l’accoutumée, avant d’aller voir jouer l’équipe municipale de football plus tard. Survient alors une 106 blanche « banalisée », avec à son bord des inspecteurs qui regardent de façon soupçonneuse les jeunes adultes en pleine conversation ; l’un des policiers baisse la vitre de la voiture et lance de manière impromptue : « Alors, les petits pédés, ça va ? ! » La réaction des jeunes adultes et des trentenaires présents se mêle de rires et d’incompréhensions face à une interpellation insultante et gratuite mais qui traduit aussi un ordinaire.

Cet ordinaire reflète une forme de négligence vis-à-vis de ces « quartiers populaires » où l’exception en matière de régulation policière, mais aussi en termes de politique de la ville, du logement, de marché du travail…

Il est également vrai que certains jeunes ne sont pas en reste avec les forces de police. L’historique et l’expérience sociale ont fait que certains jeunes récemment n’hésitent pas non plus à provoquer ou à narguer la police. Si certains trafiquants sont parfois dangereux en raison des enjeux économiques inhérents aux trafics, d’autres jeunes ayant intériorisé les pratiques agonistiques de rue perçoivent la police comme un ennemi.

Il existe donc des représailles de la part des jeunes : au bout de plus de 30 ans de confrontations, une sorte de cercle vicieux s’est ainsi instauré entre certains jeunes et certains policiers.

Pour autant si la prise de recul est nécessaire pour appréhender la nature de ces rapports de force – qui tourne le plus souvent à l’avantage des policiers à moyen terme – nous observons que les tensions étudiées qui ont cours dans les quartiers populaires sont liées à un quadrillage policier spécifique à l’encontre de ses jeunes perçus comme indésirables qui est sans commune mesure entre la police et les autres groupes sociaux (hormis les groupes extrêmes et récemment les « gilets jaunes »).

Du côté des politiques sociales, on a constaté une suspicion générale des jeunes envers les formes d’accompagnement proposés par le travail social par exemple.

En effet, contrairement aux discours médiatiques, beaucoup de jeunes adultes en grande difficulté préfèrent le plus souvent contourner les institutions et fuir les conflits notamment avec les forces de l’ordre et les institutions en général car leur survie sociale et/ou physique en dépend.

Les questions relatives à l’illégalité, à la déviance, au mensonge se situent aux confins de la débrouillardise et du « système D » et constituent un moyen de défense et de survie pour les classes populaires en grande difficulté.

Mais lorsque ces stratégies de survie entre des économies parallèles ne peuvent plus s’opérer en raison de conjonctures économiques défavorables ou d’institutions trop répressives dans les quartiers populaires urbains, le « système D » s’efface au profit des résistances, de révoltes ou des formes d’agressivité à l’égard d’agents de l’État appréhendés comme opposés aux possibilités de s’en sortir des personnes rencontrées sur le terrain.

Depuis les années 1970, une fraction des classes populaires urbaines se retrouve de plus en plus confrontée aux forces de police en période pourtant stable du point de vue politique. Si auparavant des conflits éclataient entre paysans et agents royaux durant l’Ancien Régime, et à partir du milieu du XIXe siècle entre ouvriers et la police, c’était le plus souvent en périodes de troubles sociaux ou politiques conséquence d’émeutes à répétition.

Même constat au sujet de la naissance du mouvement ouvrier à la fin du XIXe siècle – période de déstabilisation pour les classes populaires assujetties aux travaux rugueux et normatifs du monde industriel naissant – où les résistances et parfois les révoltes se développent à l’encontre des pouvoirs.

Au sujet des quartiers populaires urbains, la question semble quelque peu différente, car même en période d’« accalmie » ou stable, la police paraît toujours présente pour contrôler les jeunes, et ce quelles que soient leurs activités.

Pourquoi la révolte des banlieues

Pourquoi la révolte des banlieues

La mort de Nahel.M, 17 ans, abattu par un tir policier lors d’un contrôle de véichule à Nanterre mardi 27 juin au matin a déclenché une série d’émeutes dans plusieurs communes populaires en Ile-de-France et une vague d’indignation dans le pays. Les destructions et dégradations ont conduit le chef de l’Etat jeudi 29 à dénoncer « des scènes de violences » contre « les institutions et la République » qui sont « injustifiables ». Pourquoi tout casser, tout détruire ? Les histoires de bandes ou de violences dans les quartiers populaires, notamment lors d’événements déclencheurs (interpellations, blessures ou comme ici, un décès après une intervention policière) défrayent régulièrement la chronique. Si les parcours sociaux des individus sont plus hétérogènes qu’il n’y paraît, comme je le montre sur mon terrain mais aussi comme le font de nombreux travaux universitaires dont ceux de la sociologue Emmanuelle Santelli, il existe également des déterminismes sociaux mais aussi ethno-raciaux qui scellent la plupart des destins des jeunes des quartiers populaires urbains qui les conduisent, certes en fonction des trajectoires spécifiques, à des confrontations avec les institutions d’encadrement comme la police, l’école ou le travail social.

par Eric Marliere
Professeur de sociologie à l’université de Lille, Université de Lille dans the Conversation

Nous sommes donc en droit de nous demander si ces différentes manifestations de violence et d’agressivité véhiculées par certains jeunes adultes ne sont-elles pas en quelque sorte l’expression de formes politiques par le bas ? Une forme de résistance infra-politique qui prend la forme d’incivilités, que l’anthropologue James C. Scott appelle le « texte caché ».

Cette question nous paraît désormais centrale dans la mesure où les revendications politiques et sociales de la majorité des habitants des quartiers populaires et notamment des différentes générations de jeunes n’ont jamais été véritablement prises en compte par les institutions.

L’un des moments marquants illustrant cette hypothèse est l’épisode des « émeutes de 2005 ». Les médias avaient ainsi relayé leur incompréhension, indignation et condamnation morale face aux incendies de nombreuses écoles primaires. Or comme l’explique le sociologue Didier Lapeyronnie, le fait d’incendier les écoles – parfois occupées par les petites sœurs ou petits frères – ne peut être appréhendé comme un geste de violence « gratuite », mais plutôt comme un sentiment de revanche contre une institution, l’école, perçue comme humiliante et excluante.

Cette forme d’ostracisme n’est pas sans conséquence pour ces jeunes dans la mesure où la sélection sociale cautionnée par l’institution scolaire a condamné définitivement leur avenir notamment pour celles et ceux qui en sortiront sans diplôme.

L’action de brûler les écoles constitue pour ces jeunes le moyen d’occasionner un mouvement de rébellion, écrit Lapeyronnie, bien que dépourvus d’idéologie et de règle, mais visant à provoquer une « réaction » ou des « réformes » de la part de ces mêmes institutions.

Il s’agit également de se faire entendre par des institutions qui ne vous écoutent plus et de stopper momentanément un « système » qui tourne sans vous et se passe de votre existence depuis des années comme l’affirme Didier Lapeyronnie un peu plus loin :

« L’émeute est une sorte de court-circuit : elle permet en un instant de franchir les obstacles, de devenir un acteur reconnu, même de façon négative, éphémère et illusoire et d’obtenir des « gains » sans pour autant pouvoir contrôler et encore moins négocier ni la reconnaissance ni les bénéfices éventuels. »

Les formes de provocations et autres « incivilités » véhiculées par certains jeunes des « quartiers » envers les enseignants pourrait être appréhendée comme une réponse quotidienne au rôle central de l’école comme moyen verdict social pour l’avenir des jeunes.

Sur nos terrains d’enquête, nous avons aussi constaté des attitudes quelque peu ambiguës de la part d’agents de police dans l’espace public à l’égard de jeunes et parfois même de moins jeunes.

Par exemple, tel dimanche, en début d’après-midi, lorsque cinq jeunes adultes âgés de trente à trente-cinq ans, qui sont pour la plupart mariés et ont une situation professionnelle plus ou moins stable, se retrouvent dans la cité comme à l’accoutumée, avant d’aller voir jouer l’équipe municipale de football plus tard. Survient alors une 106 blanche « banalisée », avec à son bord des inspecteurs qui regardent de façon soupçonneuse les jeunes adultes en pleine conversation ; l’un des policiers baisse la vitre de la voiture et lance de manière impromptue : « Alors, les petits pédés, ça va ? ! » La réaction des jeunes adultes et des trentenaires présents se mêle de rires et d’incompréhensions face à une interpellation insultante et gratuite mais qui traduit aussi un ordinaire.

Cet ordinaire reflète une forme de négligence vis-à-vis de ces « quartiers populaires » où l’exception en matière de régulation policière, mais aussi en termes de politique de la ville, du logement, de marché du travail…

Il est également vrai que certains jeunes ne sont pas en reste avec les forces de police. L’historique et l’expérience sociale ont fait que certains jeunes récemment n’hésitent pas non plus à provoquer ou à narguer la police. Si certains trafiquants sont parfois dangereux en raison des enjeux économiques inhérents aux trafics, d’autres jeunes ayant intériorisé les pratiques agonistiques de rue perçoivent la police comme un ennemi.

Il existe donc des représailles de la part des jeunes : au bout de plus de 30 ans de confrontations, une sorte de cercle vicieux s’est ainsi instauré entre certains jeunes et certains policiers.

Pour autant si la prise de recul est nécessaire pour appréhender la nature de ces rapports de force – qui tourne le plus souvent à l’avantage des policiers à moyen terme – nous observons que les tensions étudiées qui ont cours dans les quartiers populaires sont liées à un quadrillage policier spécifique à l’encontre de ses jeunes perçus comme indésirables qui est sans commune mesure entre la police et les autres groupes sociaux (hormis les groupes extrêmes et récemment les « gilets jaunes »).

Du côté des politiques sociales, on a constaté une suspicion générale des jeunes envers les formes d’accompagnement proposés par le travail social par exemple.

En effet, contrairement aux discours médiatiques, beaucoup de jeunes adultes en grande difficulté préfèrent le plus souvent contourner les institutions et fuir les conflits notamment avec les forces de l’ordre et les institutions en général car leur survie sociale et/ou physique en dépend.

Les questions relatives à l’illégalité, à la déviance, au mensonge se situent aux confins de la débrouillardise et du « système D » et constituent un moyen de défense et de survie pour les classes populaires en grande difficulté.

Mais lorsque ces stratégies de survie entre des économies parallèles ne peuvent plus s’opérer en raison de conjonctures économiques défavorables ou d’institutions trop répressives dans les quartiers populaires urbains, le « système D » s’efface au profit des résistances, de révoltes ou des formes d’agressivité à l’égard d’agents de l’État appréhendés comme opposés aux possibilités de s’en sortir des personnes rencontrées sur le terrain.

Depuis les années 1970, une fraction des classes populaires urbaines se retrouve de plus en plus confrontée aux forces de police en période pourtant stable du point de vue politique. Si auparavant des conflits éclataient entre paysans et agents royaux durant l’Ancien Régime, et à partir du milieu du XIXe siècle entre ouvriers et la police, c’était le plus souvent en périodes de troubles sociaux ou politiques conséquence d’émeutes à répétition.

Même constat au sujet de la naissance du mouvement ouvrier à la fin du XIXe siècle – période de déstabilisation pour les classes populaires assujetties aux travaux rugueux et normatifs du monde industriel naissant – où les résistances et parfois les révoltes se développent à l’encontre des pouvoirs.

Au sujet des quartiers populaires urbains, la question semble quelque peu différente, car même en période d’« accalmie » ou stable, la police paraît toujours présente pour contrôler les jeunes, et ce quelles que soient leurs activités.

Banlieues: « Le risque d’ embrasement comme en 2005 ? » Frédéric Dabi (Ifop)

Banlieues: « Le risque d’ embrasement comme en 2005 ? » Frédéric Dabi (Ifop)

Après une nuit de violences urbaines, Frédéric Dabi, directeur général de l’Ifop, estime que le risque d’embrasement demeure comme en 2005 dans la Tribune .

FRÉDÉRIC DABI- Oui. Après des mois où la préoccupation des Français se cristallisait sur la réforme des retraites, Emmanuel Macron voulait passer à autre chose. Il parlait des 100 jours, même si l’expression n’a pas vraiment été perçue par les Français. Son déplacement à Marseille visait à ouvrir d’autres chantiers, celui de l’école notamment.

Avec les violences, après la mort de Nahel, il est sur une ligne de crête. Ces événements remettent sur le devant de la scène les critiques récurrentes qui lui sont faites sur l’inaction de l’Etat au niveau de la sécurité, de l’insuffisance des résultats.

Les Français, on le voit dans les enquêtes, font souvent le lien entre crise migratoire, problèmes sécuritaires et faits divers. Après le drame d’Annecy, après la professeur poignardée en plein cours, les soignantes violentées (dont une est décédée), le maire agressé… Beaucoup ont le sentiment que le pays n’est pas tenu, que l’Etat n’est plus maître chez lui, que le gouvernement est débordé.


Pour éviter des débordements, le gouvernement annonce d’importants déploiements de forces de l’ordre.

Certes, il y a la question des moyens, des services publics qui parfois sont défaillants, et du déclassement du pays. Mais, dans les enquêtes d’opinion, il est frappant de voir que la question se pose surtout, pour les Français, autour de la décision : autrement dit, ce n’est pas tant le sujet du nombre de policiers, de moyens déployés, qui marque les Français, que celle de l’insuffisance pénale.

Je note que la justice est bien plus souvent mise en cause que la police, qui garde plutôt sur le long terme une bonne image dans l’opinion. En revanche, la justice rime souvent avec inaction. Le sentiment d’une justice trop laxiste, des délinquants qui s’en sortent toujours, qui ne sont pas assez punis… revient de plus en plus dans nos études d’opinion. C’est très marquant, et c’est d’ailleurs ce qui nourrit une partie du vote d’Eric Zemmour ou de Marine Le Pen. Cela participe à l’idée de déclin du pays. Enfin, l’une des rares institutions qui garde une très bonne image dans l’opinion est l’Armée.

Y a-t-il un risque d’embrasement du pays, des banlieues comme à l’automne 2005 après la mort de Zyad et Bouna ?

L’exécutif fait tout pour l’éviter. Mais le risque est là, même s’il est encore un peu trop tôt pour le dire. Emmanuel Macron comme Elisabeth Borne font très attention à ne pas mettre de l’huile sur le feu du côté des jeunes, mais il leur faut aussi préserver les forces de l’ordre. Eviter la bourde aussi comme avait pu le faire Christophe Castaner en dénigrant les policiers. La difficulté par rapport à 2005 tient au fait que des heurts ont éclaté dans des villes d’habitude relativement calmes : Clamart dans les Hauts-de-Seine en est un bon exemple.

Mais, si jamais, les violences duraient comme en 2005, ce serait une nouvelle crise que devra surmonter le pays après celle des Gilets jaunes, le Covid, l’inflation, la crise de l’énergie liée à la guerre en Ukraine. On parle de fatigue démocratique. Il y aurait le risque pour Emmanuel Macron de se voir enfermer dans un « récit de crises ». Cela pourrait conforter encore le regard des Français sur un président qui ne gère que des événements dramatiques, en étant à la tête d’un Etat défaillant. Par ailleurs, évidemment pour Emmanuel Macron, ces violences ravivent le traumatisme des Gilets jaunes. Il avait alors été acculé face aux violences. D’où sa volonté de ne pas laisser la situation s’installer.

Banlieues: des jeunes sans repère

Banlieues: des jeunes sans repère

En cause surtout, l’installation de zones de non-droit pour favoriser l’économie de la drogue et où les institutions et les services de l’État ne pénètrent qu’avec la plus grande prudence ou plus du tout. Bref, des sortes de mafias qui imposent leurs règles et leur culture de la violence. D’autres facteurs explicatifs sont à prendre en compte évidemment mais la question de la drogue de son poids économique et social est centrale.

Pour le préfet Michel Aubouin , spécialiste de la question des banlieues, le scénario en cours était prévisible. Les réseaux sociaux, les circonstances estivales, une génération plus jeune et plus violente font que, selon lui, ces émeutes pourraient être plus graves que celles de 2005.

Préfet, inspecteur général de l’administration, Michel Aubouin a exercé de 2009 à 2013 les fonctions de directeur du ministère de l’Intérieur en charge de l’intégration des étrangers et des naturalisations. Il a publié en 2019 40 ans dans les cités. Il vient de publier Le Défi d’être français (Presse de la Cité).

La mort d’un jeune homme de 17 ans enflamme les cités… Ce scénario était-il attendu et prévisible?

Michel AUBOUIN. – Le scénario était malheureusement très prévisible. Nous avons travaillé sur ce sujet au sein du ministère de l’Intérieur en 1995, avec des équipes de sociologues. L’une d’elles, Angelina Peralva, a théorisé cela sous le titre des «émeutes de la mort». Un jeune meurt dans un quartier et le quartier s’enflamme. Le groupe des jeunes, dont les repères sont limités, réagit sous le coup d’une émotion immédiate. Aucun discours rationnel ne peut les faire changer d’avis. Ces groupes, en tout état de cause, considèrent la police, et tout particulièrement la BAC…

Pauvreté: Un plan d’urgence pour les banlieues

Pauvreté: Un plan d’urgence pour les banlieues

Une trentaine d’élus locaux de différents horizons politiques réclament, dans une tribune au « Monde », un « plan d’urgence pour les banlieues » afin de lutter contre la précarité alimentaire, de geler les prix de l’énergie et de financer la rénovation urbaine ( Le Monde)

Nous, élus locaux, porte-voix des habitantes et habitants et des associations des quartiers populaires, lançons un cri d’alerte au président de la République, Emmanuel Macron, dans l’attente de son discours sur les « Engagements quartiers 2030 ».

Les banlieues sont au bord de l’asphyxie et leurs habitants font face à de nombreuses crises. Une situation de détresse alimentaire frappe les habitants. En France, sur l’année 2022, la forte inflation s’est traduite par une baisse de la consommation qui a atteint le chiffre de 4,6 % et par une augmentation des prix des produits alimentaires de 13,2 % (avec une hausse plus importante concernant les marques distributeurs), selon l’Insee. Un triste record depuis l’année 1960. Cela se traduit par des situations dramatiques. Des habitants sont contraints de ne pas manger à tous les repas, et le nombre de personnes qui font appel aux distributions d’urgence alimentaire ne fait qu’augmenter. Les retours des associations de solidarité sont préoccupants.

En second lieu, les difficultés de paiement des loyers et des charges doivent nous alerter. En 2022, la moitié des organismes HLM a enregistré une augmentation de plus de 10 % du nombre de loyers en retard de paiement de plus de trois mois. Cette situation va indéniablement s’aggraver en 2023.

Aussi, le taux de chômage reste important dans les territoires, notamment dans les quartiers populaires, où il est 2,7 fois supérieur à celui des autres quartiers des unités urbaines.

La crise écologique et ses conséquences s’ajoutent également aux difficultés que rencontrent nos habitants. L’été 2022 a comptabilisé trente-trois jours de vague de chaleur, situation éprouvante pour les personnes vivant dans des zones urbaines et qui va perdurer ces prochaines années.

Le nombre de personnes qui ne recourent plus à leurs droits est à un niveau préoccupant accentué par l’affaiblissement des services publics, qui amplifie la fracture numérique que subissent de nombreux citoyens.

Par ailleurs, il faut noter que les associations, qui ont effectué un travail remarquable durant la pandémie de Covid, sont aujourd’hui à bout de souffle.

Société- Des ballons de foot pour pacifier les banlieues ?

 

Société- Des ballons de foot pour pacifier les banlieues ?

Par , Professeur, sociologie du sport, Université de Strasbourg

Le sport et la politique entretiennent des liens ambigus. La pratique sportive et les compétitions peuvent être des lieux de lutte et d’émancipation mais aussi de contrôle social. Notre série d’été « Sport et politique : liaisons dangereuses ? » explore et décrypte la place qu’occupe aujourd’hui le sport dans nos sociétés.

 

Un article qui évoque le retour du sport comme élément intégrateur dans les banlieues. Pas vraiment une proposition nouvelle puisque par exemple Tapie  proposait de « révolutionner » les quartiers sensibles avec le foot. Le sport peut sans doute jouer un rôle mais très marginal car aujourd’hui la régulation des quartiers est assurée par le commerce de drogue et le radicalisme Les violences et les incivilités sont devenues incontrôlables.   Éducation, développement économique et rétablissement de l’ordre républicain sont sans doute aujourd’hui davantage prioritaires que le ballon de foot ( ou autres sports) NDLR

 

 

En janvier 2021, les maires membres du Comité interministériel des villes proposaient de consacrer une enveloppe de 1 % du budget global des Jeux olympiques et paralympiques au financement de projets dédiés aux quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV).

Grande manifestation de l’élite sportive mondiale, les JO de Paris 2024 doivent-ils également apporter une réponse aux problématiques sociales qu’affrontent les quartiers populaires défavorisés ? C’est le vœu de nombreux acteurs tant du sport français que des collectivités territoriales.

Considéré comme un lieu de brassage et un vecteur d’égalité républicaine, le sport amateur serait-il délaissé dans les banlieues ? Cette question avait déjà été identifié dans le rapport Borloo sur les banlieues françaises (2018) mais également par les précédents gouvernements. Parmi les 19 recommandations de Jean-Louis Borloo, le sport arrivait en sixième position avec des propositions dans la formation et le recrutement de coachs d’insertion par le sport.

Le Premier ministre Édouard Philippe déclarait par ailleurs en avril 2018 :

« Il y a 500 000 jeunes au chômage dans les quartiers et on n’a pas le droit de les laisser à l’écart. Le sport est l’une des clés du vivre-ensemble ».

La circulaire interministérielle « Sports-Villes-Inclusion » de 2019 précise d’ailleurs que chaque contrat de ville doit comprendre un volet intitulé « Action sportive à vocation d’inclusion sociale et territoriale ». L’activité sportive y est présentée comme « révélatrice de talents » mobilisables pour l’accès à la formation et à l’emploi mais également comme « porteuse de valeurs citoyennes ». Plus que toute autre activité, le sport serait ainsi susceptible de mobiliser les jeunes publics dans une dynamique d’insertion et/ou de citoyenneté.

Qu’est-ce qui explique le recours récurrent au sport dans les banlieues ? Quel modèle sportif y est véhiculé ?

Reposant sur un mythe qui s’exprime à travers l’idéologie sportive promue par les pères fondateurs du sport moderne, le consensus autour des fonctions sociales d’un sport naturellement intégrateur et socialisant est aujourd’hui largement partagé.

En premier lieu, parce que le sport présente de nombreuses figures de la réussite sociale tant populaires qu’issues de l’immigration.

Ainsi, selon une conviction largement partagée dans nos sociétés démocratiques, la seule pratique sportive pourrait produire, au-delà des stades, un comportement citoyen et éthique. Le sport serait alors porteur de valeurs susceptibles de pacifier les quartiers, de créer du vivre-ensemble et de constituer un tremplin pour l’emploi. Cependant, le transfert de compétences sportives dans d’autres espaces sociaux (travail, école…) n’est en rien mécanique.

Le respect de la règle sportive ou des consignes de match n’entraîne pas forcément le respect de règles sociales comme en témoignent les multiples affaires auxquelles sont mêlés des acteurs du monde sportif : pensons ainsi à la condamnation de Karim Benzema dans l’affaire dite de la sextape ou encore les abus sexuels dans le patinage de haut niveau.

Née avec le sport moderne, cette conviction est aujourd’hui relayée par un cercle de croyants bien plus large que les seuls sportifs : élus politiques, dirigeants d’entreprise, recruteurs, consultants, éducateurs accréditent l’idée que le sport est un tremplin pour l’insertion professionnelle.

Pourtant, les usages, les valeurs et l’image du sport ont changé depuis la naissance du sport moderne. Dans les quartiers populaires, le sport est aujourd’hui davantage la vitrine d’une réussite sociale et économique (à travers le modèle du sport de compétition) que le vecteur d’une réelle citoyenneté.

Et l’individualisme et les revendications d’ordre identitaire qui minent le corps social n’épargnent pas le monde du sport. On pourra citer le refus de Djokovic de se plier à la règle de la vaccination contre le Covid-19 tout en revendiquant le droit de concourir à l’Open d’Australie. La revendication des hijabeuses de porter le voile islamique pour jouer sur un terrain de football, la demande de repas spécifiques aux fédérations sportives ou les demandes d’horaires de piscine réservés aux femmes illustrent l’incidence dans le sport de la montée récente de la communautarisation de nos sociétés.

L’histoire du sport en explique les transformations mais également l’évolution de son usage politique et social. Dès 1830, le pasteur anglais Thomas Arnold enseigne le sport au collège de Rugby car il est censé permettre l’expression de valeurs bourgeoises comme le fair-play (le respect de l’adversaire, des règles, des décisions de l’arbitre et de l’esprit du jeu) et le self government(la capacité de se contrôler dans le jeu, de ne pas « être pris par le jeu »).

Tout au long du XXe siècle, à mesure qu’il se démocratise, le sport de compétition désigne conjointement un idéal (l’éthique ou l’esprit sportif) et une pratique physique de compétition régie par des règles communes. Pour les institutions (sportives ou éducatives), « faire du sport » c’est non seulement se dépenser physiquement dans un cadre sportif mais surtout acquérir une morale et, plus récemment, accéder à une forme de citoyenneté.

Des éducateurs des public schools (destinées à l’élite sociale anglaise) du milieu du XIXe siècle aux dirigeants sportifs des années 1980, en passant par les ministres gaullistes de la Jeunesse et des Sports et les militants communistes de la Fédération Sportive et Gymnique du Travail dans les années 60, tous ont contribué à promouvoir et consolider la vision d’un sport de compétition intrinsèquement vertueux et éducatif. Pour le général De Gaulle aussi, « le sport est un moyen exceptionnel d’éducation » (De Gaulle, 1934, p. 150).

À partir des années 1980, le sport sort du cercle restreint de la stricte compétition et acquiert le statut d’outil d’intégration à destination des banlieues dans le contexte d’une montée en puissance du sport-spectacle lié à la privatisation des télévisions. Le football devient le sport le plus regardé par les jeunes hommes des quartiers populaires et leur offre un modèle d’excellence. En France, Bernard Tapie (président de l’Olympique de Marseille de 1986 à 1993) symbolisera l’avènement du sport-business et d’une nouvelle méritocratie par le sport.

Sous l’effet conjugué des transformations du monde des sports (démocratisation, professionnalisation, médiatisation, marchandisation) et de nouvelles dynamiques (libéralisation du marché, désengagement de l’État et décentralisation, montée des inégalités, crise économique, chômage, premières émeutes urbaines, changements politiques), le sport est de plus en plus convoqué pour lutter contre les nouvelles exclusions sociales à mesure qu’il offre une vitrine de la réussite dans les sports les plus populaires (football, basket, athlétisme, boxe).

Le sport devient alors « social » et les dispositifs mis en place à destination des jeunes des cités sont progressivement qualifiés de « socio-sportifs ». En arrivant au pouvoir, la gauche crée un ministère du Temps Libre intégrant la Jeunesse et les Sports alors que les premières émeutes urbaines éclatent à l’été 1981 dans le quartier des Minguettes à Lyon et où l’on enregistre les premiers effets du regroupement familial lié à l’immigration sur fond de hausse du chômage et d’émergence du Front national.

A partir de 1990 (date de création d’un ministère d’État chargé de la politique de la ville), les ministères de la Ville et des Sports travaillent ainsi de concert pour redynamiser et « pacifier » les banlieues. Sous les ministres de la Ville Michel Delebarre puis Bernard Tapie, des équipements sportifs de proximité et des animations sportives de quartiers, animés par des policiers et des éducateurs, voient progressivement le jour.

La volonté de faire du sport un outil de développement social est ensuite largement partagée par les gouvernements qui se sont succédés depuis 1991. Profitant de la dynamique créée par la victoire de l’équipe de France « Black Blanc Beur » en 1998, de nombreux dispositifs ont ainsi été mis en place par les pouvoirs publics (État et collectivités territoriales) et les fédérations sportives selon cette logique qui traverse les frontières des appartenances politiques sans qu’une évaluation objective et longitudinale des effets de ces politiques sur l’insertion sociale et/ou professionnelle des publics cibles ait été diligentée.

Par ailleurs, ces dispositifs encadrés par les « grands-frères », ont longtemps ciblé prioritairement les garçons et jeunes adultes. Ce faisant, la volonté politique d’intégrer prioritairement des jeunes adolescents par le sport afin d’éviter la rébellion la plus visible a paradoxalement entraîné une exclusion des filles et des jeunes femmes et une masculinisation de l’espace public à travers les sports urbains, libres ou encadrés. Et force est de constater qu’après la fin de la scolarité obligatoire, beaucoup de jeunes filles des classes populaires cessent toute activité physique.

Ce n’est qu’à partir des années 2000, dans le contexte de politiques plus affirmées en faveur de la parité que l’action sportive publique dans les banlieues se féminise. Mais si l’égalité hommes femmes est proclamée, les terrains de sports publics et les dispositifs d’insertion professionnelle via le sport dans les QPV restent encore majoritairement conçus pour les garçons et les jeunes hommes. Il faut, au contraire, que les élus locaux et l’État s’engagent pour que le sport devienne, avec l’école, l’un des lieux privilégiés de la mixité et de la lutte contre les stéréotypes sexistes cantonnant les filles à des pratiques et des tenues « adaptées » à leur genre.

Société- Des ballons pour pacifier les banlieues ?

Société- Des ballons pour pacifier les banlieues ?

Par , Professeur, sociologie du sport, Université de Strasbourg

Le sport et la politique entretiennent des liens ambigus. La pratique sportive et les compétitions peuvent être des lieux de lutte et d’émancipation mais aussi de contrôle social. Notre série d’été « Sport et politique : liaisons dangereuses ? » explore et décrypte la place qu’occupe aujourd’hui le sport dans nos sociétés.

 

Un article qui évoque le retour du sport comme élément intégrateur dans les banlieues. Pas vraiment une proposition nouvelle puisque par exemple Tapie  proposait de révolutionner les quartiers sensibles avec le foot. Le sport peut sans doute jouer un rôle mais très marginal car aujourd’hui la régulation des quartiers est assurée par le commerce de drogue et le radicalisme. Éducation, développement économique et rétablissement de l’ordre républicain sont sans doute aujourd’hui davantage prioritaires que le ballon de foot NDLR

 

 


En janvier 2021, les maires membres du Comité interministériel des villes proposaient de consacrer une enveloppe de 1 % du budget global des Jeux olympiques et paralympiques au financement de projets dédiés aux quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV).

Grande manifestation de l’élite sportive mondiale, les JO de Paris 2024 doivent-ils également apporter une réponse aux problématiques sociales qu’affrontent les quartiers populaires défavorisés ? C’est le vœu de nombreux acteurs tant du sport français que des collectivités territoriales.

Considéré comme un lieu de brassage et un vecteur d’égalité républicaine, le sport amateur serait-il délaissé dans les banlieues ? Cette question avait déjà été identifié dans le rapport Borloo sur les banlieues françaises (2018) mais également par les précédents gouvernements. Parmi les 19 recommandations de Jean-Louis Borloo, le sport arrivait en sixième position avec des propositions dans la formation et le recrutement de coachs d’insertion par le sport.

Le Premier ministre Édouard Philippe déclarait par ailleurs en avril 2018 :

« Il y a 500 000 jeunes au chômage dans les quartiers et on n’a pas le droit de les laisser à l’écart. Le sport est l’une des clés du vivre-ensemble ».

La circulaire interministérielle « Sports-Villes-Inclusion » de 2019 précise d’ailleurs que chaque contrat de ville doit comprendre un volet intitulé « Action sportive à vocation d’inclusion sociale et territoriale ». L’activité sportive y est présentée comme « révélatrice de talents » mobilisables pour l’accès à la formation et à l’emploi mais également comme « porteuse de valeurs citoyennes ». Plus que toute autre activité, le sport serait ainsi susceptible de mobiliser les jeunes publics dans une dynamique d’insertion et/ou de citoyenneté.

Qu’est-ce qui explique le recours récurrent au sport dans les banlieues ? Quel modèle sportif y est véhiculé ?

Reposant sur un mythe qui s’exprime à travers l’idéologie sportive promue par les pères fondateurs du sport moderne, le consensus autour des fonctions sociales d’un sport naturellement intégrateur et socialisant est aujourd’hui largement partagé.

En premier lieu, parce que le sport présente de nombreuses figures de la réussite sociale tant populaires qu’issues de l’immigration.

Ainsi, selon une conviction largement partagée dans nos sociétés démocratiques, la seule pratique sportive pourrait produire, au-delà des stades, un comportement citoyen et éthique. Le sport serait alors porteur de valeurs susceptibles de pacifier les quartiers, de créer du vivre-ensemble et de constituer un tremplin pour l’emploi. Cependant, le transfert de compétences sportives dans d’autres espaces sociaux (travail, école…) n’est en rien mécanique.

Le respect de la règle sportive ou des consignes de match n’entraîne pas forcément le respect de règles sociales comme en témoignent les multiples affaires auxquelles sont mêlés des acteurs du monde sportif : pensons ainsi à la condamnation de Karim Benzema dans l’affaire dite de la sextape ou encore les abus sexuels dans le patinage de haut niveau.

Née avec le sport moderne, cette conviction est aujourd’hui relayée par un cercle de croyants bien plus large que les seuls sportifs : élus politiques, dirigeants d’entreprise, recruteurs, consultants, éducateurs accréditent l’idée que le sport est un tremplin pour l’insertion professionnelle.

Pourtant, les usages, les valeurs et l’image du sport ont changé depuis la naissance du sport moderne. Dans les quartiers populaires, le sport est aujourd’hui davantage la vitrine d’une réussite sociale et économique (à travers le modèle du sport de compétition) que le vecteur d’une réelle citoyenneté.

Et l’individualisme et les revendications d’ordre identitaire qui minent le corps social n’épargnent pas le monde du sport. On pourra citer le refus de Djokovic de se plier à la règle de la vaccination contre le Covid-19 tout en revendiquant le droit de concourir à l’Open d’Australie. La revendication des hijabeuses de porter le voile islamique pour jouer sur un terrain de football, la demande de repas spécifiques aux fédérations sportives ou les demandes d’horaires de piscine réservés aux femmes illustrent l’incidence dans le sport de la montée récente de la communautarisation de nos sociétés.

L’histoire du sport en explique les transformations mais également l’évolution de son usage politique et social. Dès 1830, le pasteur anglais Thomas Arnold enseigne le sport au collège de Rugby car il est censé permettre l’expression de valeurs bourgeoises comme le fair-play (le respect de l’adversaire, des règles, des décisions de l’arbitre et de l’esprit du jeu) et le self government(la capacité de se contrôler dans le jeu, de ne pas « être pris par le jeu »).

Tout au long du XXe siècle, à mesure qu’il se démocratise, le sport de compétition désigne conjointement un idéal (l’éthique ou l’esprit sportif) et une pratique physique de compétition régie par des règles communes. Pour les institutions (sportives ou éducatives), « faire du sport » c’est non seulement se dépenser physiquement dans un cadre sportif mais surtout acquérir une morale et, plus récemment, accéder à une forme de citoyenneté.

Des éducateurs des public schools (destinées à l’élite sociale anglaise) du milieu du XIXe siècle aux dirigeants sportifs des années 1980, en passant par les ministres gaullistes de la Jeunesse et des Sports et les militants communistes de la Fédération Sportive et Gymnique du Travail dans les années 60, tous ont contribué à promouvoir et consolider la vision d’un sport de compétition intrinsèquement vertueux et éducatif. Pour le général De Gaulle aussi, « le sport est un moyen exceptionnel d’éducation » (De Gaulle, 1934, p. 150).

À partir des années 1980, le sport sort du cercle restreint de la stricte compétition et acquiert le statut d’outil d’intégration à destination des banlieues dans le contexte d’une montée en puissance du sport-spectacle lié à la privatisation des télévisions. Le football devient le sport le plus regardé par les jeunes hommes des quartiers populaires et leur offre un modèle d’excellence. En France, Bernard Tapie (président de l’Olympique de Marseille de 1986 à 1993) symbolisera l’avènement du sport-business et d’une nouvelle méritocratie par le sport.

Sous l’effet conjugué des transformations du monde des sports (démocratisation, professionnalisation, médiatisation, marchandisation) et de nouvelles dynamiques (libéralisation du marché, désengagement de l’État et décentralisation, montée des inégalités, crise économique, chômage, premières émeutes urbaines, changements politiques), le sport est de plus en plus convoqué pour lutter contre les nouvelles exclusions sociales à mesure qu’il offre une vitrine de la réussite dans les sports les plus populaires (football, basket, athlétisme, boxe).

Le sport devient alors « social » et les dispositifs mis en place à destination des jeunes des cités sont progressivement qualifiés de « socio-sportifs ». En arrivant au pouvoir, la gauche crée un ministère du Temps Libre intégrant la Jeunesse et les Sports alors que les premières émeutes urbaines éclatent à l’été 1981 dans le quartier des Minguettes à Lyon et où l’on enregistre les premiers effets du regroupement familial lié à l’immigration sur fond de hausse du chômage et d’émergence du Front national.

A partir de 1990 (date de création d’un ministère d’État chargé de la politique de la ville), les ministères de la Ville et des Sports travaillent ainsi de concert pour redynamiser et « pacifier » les banlieues. Sous les ministres de la Ville Michel Delebarre puis Bernard Tapie, des équipements sportifs de proximité et des animations sportives de quartiers, animés par des policiers et des éducateurs, voient progressivement le jour.

La volonté de faire du sport un outil de développement social est ensuite largement partagée par les gouvernements qui se sont succédés depuis 1991. Profitant de la dynamique créée par la victoire de l’équipe de France « Black Blanc Beur » en 1998, de nombreux dispositifs ont ainsi été mis en place par les pouvoirs publics (État et collectivités territoriales) et les fédérations sportives selon cette logique qui traverse les frontières des appartenances politiques sans qu’une évaluation objective et longitudinale des effets de ces politiques sur l’insertion sociale et/ou professionnelle des publics cibles ait été diligentée.

Par ailleurs, ces dispositifs encadrés par les « grands-frères », ont longtemps ciblé prioritairement les garçons et jeunes adultes. Ce faisant, la volonté politique d’intégrer prioritairement des jeunes adolescents par le sport afin d’éviter la rébellion la plus visible a paradoxalement entraîné une exclusion des filles et des jeunes femmes et une masculinisation de l’espace public à travers les sports urbains, libres ou encadrés. Et force est de constater qu’après la fin de la scolarité obligatoire, beaucoup de jeunes filles des classes populaires cessent toute activité physique.

Ce n’est qu’à partir des années 2000, dans le contexte de politiques plus affirmées en faveur de la parité que l’action sportive publique dans les banlieues se féminise. Mais si l’égalité hommes femmes est proclamée, les terrains de sports publics et les dispositifs d’insertion professionnelle via le sport dans les QPV restent encore majoritairement conçus pour les garçons et les jeunes hommes. Il faut, au contraire, que les élus locaux et l’État s’engagent pour que le sport devienne, avec l’école, l’un des lieux privilégiés de la mixité et de la lutte contre les stéréotypes sexistes cantonnant les filles à des pratiques et des tenues « adaptées » à leur genre.

Des ballons pour pacifier les banlieues ?

Des ballons pour pacifier les banlieues ?

Par , Professeur, sociologie du sport, Université de Strasbourg

Le sport et la politique entretiennent des liens ambigus. La pratique sportive et les compétitions peuvent être des lieux de lutte et d’émancipation mais aussi de contrôle social. Notre série d’été « Sport et politique : liaisons dangereuses ? » explore et décrypte la place qu’occupe aujourd’hui le sport dans nos sociétés.

 

Un article qui évoque le retour du sport comme élément intégrateur dans les banlieues. Pas vraiment une proposition nouvelle puisque par exemple Tapie  proposait de révolutionner les quartiers sensibles avec le foot. Le sport peut sans doute jouer un rôle mais très marginal car aujourd’hui la régulation des quartiers est assurée par le commerce de drogue et le radicalisme. Éducation, développement économique et rétablissement de l’ordre républicain sont sans doute aujourd’hui davantage prioritaire que le ballon de foot NDLR

 

 


En janvier 2021, les maires membres du Comité interministériel des villes proposaient de consacrer une enveloppe de 1 % du budget global des Jeux olympiques et paralympiques au financement de projets dédiés aux quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV).

Grande manifestation de l’élite sportive mondiale, les JO de Paris 2024 doivent-ils également apporter une réponse aux problématiques sociales qu’affrontent les quartiers populaires défavorisés ? C’est le vœu de nombreux acteurs tant du sport français que des collectivités territoriales.

Considéré comme un lieu de brassage et un vecteur d’égalité républicaine, le sport amateur serait-il délaissé dans les banlieues ? Cette question avait déjà été identifié dans le rapport Borloo sur les banlieues françaises (2018) mais également par les précédents gouvernements. Parmi les 19 recommandations de Jean-Louis Borloo, le sport arrivait en sixième position avec des propositions dans la formation et le recrutement de coachs d’insertion par le sport.

Le Premier ministre Édouard Philippe déclarait par ailleurs en avril 2018 :

« Il y a 500 000 jeunes au chômage dans les quartiers et on n’a pas le droit de les laisser à l’écart. Le sport est l’une des clés du vivre-ensemble ».

La circulaire interministérielle « Sports-Villes-Inclusion » de 2019 précise d’ailleurs que chaque contrat de ville doit comprendre un volet intitulé « Action sportive à vocation d’inclusion sociale et territoriale ». L’activité sportive y est présentée comme « révélatrice de talents » mobilisables pour l’accès à la formation et à l’emploi mais également comme « porteuse de valeurs citoyennes ». Plus que toute autre activité, le sport serait ainsi susceptible de mobiliser les jeunes publics dans une dynamique d’insertion et/ou de citoyenneté.

Qu’est-ce qui explique le recours récurrent au sport dans les banlieues ? Quel modèle sportif y est véhiculé ?

Reposant sur un mythe qui s’exprime à travers l’idéologie sportive promue par les pères fondateurs du sport moderne, le consensus autour des fonctions sociales d’un sport naturellement intégrateur et socialisant est aujourd’hui largement partagé.

En premier lieu, parce que le sport présente de nombreuses figures de la réussite sociale tant populaires qu’issues de l’immigration.

Ainsi, selon une conviction largement partagée dans nos sociétés démocratiques, la seule pratique sportive pourrait produire, au-delà des stades, un comportement citoyen et éthique. Le sport serait alors porteur de valeurs susceptibles de pacifier les quartiers, de créer du vivre-ensemble et de constituer un tremplin pour l’emploi. Cependant, le transfert de compétences sportives dans d’autres espaces sociaux (travail, école…) n’est en rien mécanique.

Le respect de la règle sportive ou des consignes de match n’entraîne pas forcément le respect de règles sociales comme en témoignent les multiples affaires auxquelles sont mêlés des acteurs du monde sportif : pensons ainsi à la condamnation de Karim Benzema dans l’affaire dite de la sextape ou encore les abus sexuels dans le patinage de haut niveau.

Née avec le sport moderne, cette conviction est aujourd’hui relayée par un cercle de croyants bien plus large que les seuls sportifs : élus politiques, dirigeants d’entreprise, recruteurs, consultants, éducateurs accréditent l’idée que le sport est un tremplin pour l’insertion professionnelle.

Pourtant, les usages, les valeurs et l’image du sport ont changé depuis la naissance du sport moderne. Dans les quartiers populaires, le sport est aujourd’hui davantage la vitrine d’une réussite sociale et économique (à travers le modèle du sport de compétition) que le vecteur d’une réelle citoyenneté.

Et l’individualisme et les revendications d’ordre identitaire qui minent le corps social n’épargnent pas le monde du sport. On pourra citer le refus de Djokovic de se plier à la règle de la vaccination contre le Covid-19 tout en revendiquant le droit de concourir à l’Open d’Australie. La revendication des hijabeuses de porter le voile islamique pour jouer sur un terrain de football, la demande de repas spécifiques aux fédérations sportives ou les demandes d’horaires de piscine réservés aux femmes illustrent l’incidence dans le sport de la montée récente de la communautarisation de nos sociétés.

L’histoire du sport en explique les transformations mais également l’évolution de son usage politique et social. Dès 1830, le pasteur anglais Thomas Arnold enseigne le sport au collège de Rugby car il est censé permettre l’expression de valeurs bourgeoises comme le fair-play (le respect de l’adversaire, des règles, des décisions de l’arbitre et de l’esprit du jeu) et le self government(la capacité de se contrôler dans le jeu, de ne pas « être pris par le jeu »).

Tout au long du XXe siècle, à mesure qu’il se démocratise, le sport de compétition désigne conjointement un idéal (l’éthique ou l’esprit sportif) et une pratique physique de compétition régie par des règles communes. Pour les institutions (sportives ou éducatives), « faire du sport » c’est non seulement se dépenser physiquement dans un cadre sportif mais surtout acquérir une morale et, plus récemment, accéder à une forme de citoyenneté.

Des éducateurs des public schools (destinées à l’élite sociale anglaise) du milieu du XIXe siècle aux dirigeants sportifs des années 1980, en passant par les ministres gaullistes de la Jeunesse et des Sports et les militants communistes de la Fédération Sportive et Gymnique du Travail dans les années 60, tous ont contribué à promouvoir et consolider la vision d’un sport de compétition intrinsèquement vertueux et éducatif. Pour le général De Gaulle aussi, « le sport est un moyen exceptionnel d’éducation » (De Gaulle, 1934, p. 150).

À partir des années 1980, le sport sort du cercle restreint de la stricte compétition et acquiert le statut d’outil d’intégration à destination des banlieues dans le contexte d’une montée en puissance du sport-spectacle lié à la privatisation des télévisions. Le football devient le sport le plus regardé par les jeunes hommes des quartiers populaires et leur offre un modèle d’excellence. En France, Bernard Tapie (président de l’Olympique de Marseille de 1986 à 1993) symbolisera l’avènement du sport-business et d’une nouvelle méritocratie par le sport.

Sous l’effet conjugué des transformations du monde des sports (démocratisation, professionnalisation, médiatisation, marchandisation) et de nouvelles dynamiques (libéralisation du marché, désengagement de l’État et décentralisation, montée des inégalités, crise économique, chômage, premières émeutes urbaines, changements politiques), le sport est de plus en plus convoqué pour lutter contre les nouvelles exclusions sociales à mesure qu’il offre une vitrine de la réussite dans les sports les plus populaires (football, basket, athlétisme, boxe).

Le sport devient alors « social » et les dispositifs mis en place à destination des jeunes des cités sont progressivement qualifiés de « socio-sportifs ». En arrivant au pouvoir, la gauche crée un ministère du Temps Libre intégrant la Jeunesse et les Sports alors que les premières émeutes urbaines éclatent à l’été 1981 dans le quartier des Minguettes à Lyon et où l’on enregistre les premiers effets du regroupement familial lié à l’immigration sur fond de hausse du chômage et d’émergence du Front national.

A partir de 1990 (date de création d’un ministère d’État chargé de la politique de la ville), les ministères de la Ville et des Sports travaillent ainsi de concert pour redynamiser et « pacifier » les banlieues. Sous les ministres de la Ville Michel Delebarre puis Bernard Tapie, des équipements sportifs de proximité et des animations sportives de quartiers, animés par des policiers et des éducateurs, voient progressivement le jour.

La volonté de faire du sport un outil de développement social est ensuite largement partagée par les gouvernements qui se sont succédés depuis 1991. Profitant de la dynamique créée par la victoire de l’équipe de France « Black Blanc Beur » en 1998, de nombreux dispositifs ont ainsi été mis en place par les pouvoirs publics (État et collectivités territoriales) et les fédérations sportives selon cette logique qui traverse les frontières des appartenances politiques sans qu’une évaluation objective et longitudinale des effets de ces politiques sur l’insertion sociale et/ou professionnelle des publics cibles ait été diligentée.

Par ailleurs, ces dispositifs encadrés par les « grands-frères », ont longtemps ciblé prioritairement les garçons et jeunes adultes. Ce faisant, la volonté politique d’intégrer prioritairement des jeunes adolescents par le sport afin d’éviter la rébellion la plus visible a paradoxalement entraîné une exclusion des filles et des jeunes femmes et une masculinisation de l’espace public à travers les sports urbains, libres ou encadrés. Et force est de constater qu’après la fin de la scolarité obligatoire, beaucoup de jeunes filles des classes populaires cessent toute activité physique.

Ce n’est qu’à partir des années 2000, dans le contexte de politiques plus affirmées en faveur de la parité que l’action sportive publique dans les banlieues se féminise. Mais si l’égalité hommes femmes est proclamée, les terrains de sports publics et les dispositifs d’insertion professionnelle via le sport dans les QPV restent encore majoritairement conçus pour les garçons et les jeunes hommes. Il faut, au contraire, que les élus locaux et l’État s’engagent pour que le sport devienne, avec l’école, l’un des lieux privilégiés de la mixité et de la lutte contre les stéréotypes sexistes cantonnant les filles à des pratiques et des tenues « adaptées » à leur genre.

Nouvelle ENA : 74 classes préparatoires …. pour résoudre la crise des banlieues ?

Nouvelle ENA : 74 classes préparatoires …. pour résoudre la crise des banlieues ?

 

 

 

On peut sérieusement s’interroger sur le sérieux de la stratégie gouvernementale pour gérer la crise économique, sociale et culturelle des banlieues. En effet parmi les mesures envisagées figurent la réforme de l’ENA appelée institut du service public.

 

Grâce à 74 classes prépas qui permettront de faire entrer au maximum sept ou huit élèves à l’ENA par an, on escompte un changement de situation dans les quartiers difficiles.

Créée en 1945 par le général de Gaulle, l’ENA, qui sélectionne 80 élèves par an, était régulièrement critiquée pour sa formation d’élites «hors sol».

 

Début avril, Emmanuel Macron a annoncé sa suppression, pour la remplacer par un Institut du Service public (ISP). Ce qui évidemment ne changera strictement rien. L’ENA nouvelle appellation va donc demeurer et ce n’est pas l’entrée de quelques élèves de quartiers difficiles qui vont changer la donne sociale , économique et culturel des zones en crise.

Dérives ou opportunités des banlieues ?

Dérives ou opportunités des  banlieues ?

 

Erwan Ruty , entrepreneur social en banlieue, défend une autre idée et voit un autre avenir des banlieues dans une interview à l’Opinion. Il a publié «Macron et les banlieues» dans la revue Esprit (novembre 2017) et sort Une histoire des banlieues françaises (éditions François Bourin, février 2020).

Vous relevez que les banlieues sont la «somme de toutes les peurs». Pourquoi ?

Je dis surtout que la banlieue est le laboratoire de la France de demain, mais il est vrai qu’elle charrie toutes les représentations négatives. Son sens commun n’a plus rien à voir avec le sens étymologique, c’est-à-dire le territoire situé à une «lieue» des villes, qu’un homme peut rejoindre en une heure. C’est l’idée de coupure qui l’emporte : on voit la banlieue à travers la délinquance, la misère, les trafics, le salafisme, le terrorisme et, en miroir, à travers la panique morale des élites qui reflète l’impuissance de l’Etat. La France est hantée par ses banlieues, parce que celles-ci sont un concentré des crises de la société française. Il ne s’agit pas d’une indication géographique — on ne désigne pas Levallois ou Neuilly. On parle de relégation, de territoires constitués de grands ensembles, habités par une forte proportion de descendants de l’immigration africaine et des catégories populaires. La «banlieue» est un concept politique qui n’est pas devenu un outil de mobilisation, mais un repoussoir.

Emmanuel Macron parle de «sécession» et Marine Le Pen, de «zones de non France»…

La rupture entre les élites politiques et les classes populaires des banlieues semble consommée. Comme dans l’ensemble de la société qu’illustre l’«archipel français» de Jérôme Fourquet, chacun est dans sa bulle. Jusqu’aux années 1980, il y avait une capacité des politiques, notamment à gauche, d’être en lien avec ces quartiers et leurs habitants. En 1983, la Marche pour l’égalité et contre le racisme, dite «des Beurs», était accompagnée par les chrétiens de gauche, les communistes, les grandes associations… Les choses se sont délitées. La campagne présidentielle de 2002 a installé le concept d’insécurité ; le quinquennat de 2007 celui de l’«identité nationale». Avec les émeutes de 2005, la perception collective s’est cristallisée autour des violences urbaines. Depuis 2015, c’est le prisme du djihadisme qui prévaut. Sans surprise : le massacre de Charlie Hebdo a été un traumatisme national qui a refermé une page de l’histoire de France. Le slogan des terroristes du 7 janvier («Nous aimons la mort plus que vous n’aimez la vie») sonne comme l’antithèse absolue de Mai 68. Et la peur du terrorisme a fait des quartiers un épouvantail électoral. Personne ne niera que la situation se dégrade dans certaines zones, que ceux qui tiennent le haut du pavé, mafieux ou religieux, leur font du mal. Le problème, c’est qu’aucun leader ne tient de discours audible par la majorité silencieuse, qui fait profil bas, et par les enfants de l’immigration qui ne croient plus au discours intégrateur «à l’ancienne».

 

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Cet échec est-il celui de la gauche ?

Pour partie. Une occasion en or a été manquée en 2013. Mitterrand avait accueilli les acteurs de la Marche de 1983. Trente ans plus tard, personne n’a été invité à l’Elysée. François Hollande a ignoré les demandes de commémoration émanant d’une partie de la société. Nous avions fait la tournée des ministères. Le ministre de la Ville, François Lamy, jugeait que c’était aux quartiers de tisser leur récit de cette histoire. Mais c’est à l’Etat de dire à quoi doit ressembler la Nation, pas aux associations qui n’en ont plus les moyens ! C’est une démission politique et intellectuelle. Christiane Taubira a même reconnu une faute. Or, ce raté arrive dans un contexte où, depuis des années, l’ascenseur social est en panne, les voies traditionnelles de sortie du ghetto ne font plus rêver… Emmanuel Macron arrive après cet échec et ramasse la mise.

En 2014, la droite a conquis des mairies du 93. Les banlieues deviennent-elles de droite ?

Elles participent de la droitisation de la société, par deux dynamiques parallèles : le retour au religieux et aux valeurs conservatrices, et le libéralisme économique, le consumérisme, l’entrepreneuriat… «Chacun pour soi et Dieu pour tous» est un slogan qui a de l’écho dans les quartiers. Les banlieues sont entrées dans une autre ère : les jeunes veulent se débrouiller, réussir, créer. Saïd Hammouche a créé Mozaïk RH pour repérer les talents, avant de soutenir Emmanuel Macron à la présidentielle. Moussa Camara parlait avec les élus et faisait de l’éducation à la citoyenneté ; il développe à présent l’esprit d’initiative en banlieues avec Les Déterminés, emmenant régulièrement des cohortes de jeunes des quartiers au Medef, à Paris. On sait que le 93 est le département à plus forte création d’entreprises, même s’il a un fort taux d’échec à moins de trois ans. Emmanuel Macron a perçu cet air du temps en 2016, quand il encourageait les jeunes à «devenir millionnaire». Dynamique, hors des codes, il a suscité un espoir, un appel d’air… Deux ans après, le résultat est plus que mitigé.

Reconquête républicaine, dédoublement des classes… Comment jugez-vous la politique d’Emmanuel Macron à l’égard des quartiers ?

L’enterrement du rapport de Jean-Louis Borloo à l’Elysée était le symptôme d’une tabula rasa de la traditionnelle politique de la ville. Pourquoi pas ? L’urbain c’est bien, l’humain c’est mieux ! Mais cela a surtout créé un grand vide. Nos interlocuteurs auprès des décideurs ont disparu. La coupure s’est accentuée. Le Conseil présidentiel des villes s’est révélé une coquille vide. L’Elysée s’est fié à des conseillers comme Yassine Belattar, qui ont de l’intuition, mais ni ligne, ni solutions. Au final, Emmanuel Macron a perdu la main sur les quartiers.

Il a adressé un discret signe lors de la sortie des Misérables, film nominé aux Oscars, qui raconte une émeute à Montfermeil. Pourquoi cet engouement ?

Ladj Ly donne une vision effrayante, brutale de la banlieue, peuplée de personnages antipathiques. Cela colle sans doute à la vision, l’intuition commune. Le cinéma a toujours été un puissant vecteur dans la perception que le pays se fait de ses quartiers. Dans les années 1930, c’était les guinguettes des bords de la Marne ou de la Seine, rendues célèbres par La Belle Equipe de Julien Duvivier. En 1960, Marcel Carné montre avec Terrain vague des larcins sur fond de HLM en chantier. En 1988, De bruit et de fureur de Jean-Claude Brisseau, à Bagnolet, s’intéresse à l’apprentissage de la violence par des loubards. Il existe aujourd’hui une pluralité de visions. Avec Divines, récompensé par la Caméra d’Or, Houda Benyamina donne leur place aux femmes dans un tableau très dur et quasi-désespéré du ghetto. Swagger d’Olivier Babinet est plus poétique tout en étant criant de vérité.

Vous évoquez le «pessimisme maladif des élites». C’est-à-dire ?

Les élites intellectuelles ont peu de prise sur le réel des quartiers. Les grandes voix de la gauche, dont l’hégémonie idéologique est terminée, s’éteignent. Beaucoup se sont discréditées à force d’avoir cantonné les populations au statut de victimes. Le discours néoconservateur se développe. Mais Alain Finkielkraut et beaucoup d’autres n’ont qu’une connaissance livresque de ces réalités ; ils ne côtoient pas les gens dont ils parlent. Aucun n’évoque les phénomènes positifs à côté des phénomènes négatifs, qu’ils pointent à raison. Or, la face immergée de l’iceberg est numériquement plus importante. Et connaître le quotidien des quartiers permet de comprendre sur quels leviers jouer pour sortir de la crise. Les élites sont comme un lapin pris dans les phares d’une voiture : paralysées par la peur du délitement national.

Qu’est-ce que les élites ne voient pas ?

Les banlieues sont le terreau d’innovations sociales foisonnantes, d’une créativité culturelle prolifique. Les cultures urbaines sont au fondement de la culture populaire française : Médine, Youssoupha et Sofiane ont raison de dire «La banlieue influence Paname, Paname influence le monde». On assiste aussi à l’émergence d’élites nouvelles : Rachid Benzine, politologue et islamologue ; Marwan Mohammed, sociologue ; Mohamed Mechmache, fondateur du collectif «Pas Sans Nous»… D’autres, sans en être issues, y bâtissent leur engagement comme Nassira El Moaddem à Bondy, qui raconte dans Les Filles de Romorantin comment elle s’en est sortie quand son amie d’enfance est devenue Gilet jaune. Ce sont des influenceurs, qui s’imposent par eux-mêmes, leur parcours et leur message, et non plus dans le cadre de partis ou d’associations d’éducation populaire.

Est-il trop tard ?

L’enjeu est de prendre conscience qu’un fort potentiel d’avenir réside là, dans ces territoires. Les banlieues sont le back office des métropoles ; sans les infirmières, sans les conducteurs de bus et tous les autres, il n’y a pas de dynamisme métropolitain. Dans les années 1970, les cités étaient le cœur de la société industrielle et de la mixité sociale. Elles peuvent être le centre de l’économie circulaire de demain ; c’est là où il y a du foncier disponible et des compétences. Les élites politiques ont à saisir en quoi les banlieues sont conformes à l’humeur hexagonale, alors qu’elles sont rejetées comme étrangères. Il faut faire une histoire convergente, intégrée, sans quoi le pays se fracturera dans des conflits que la société française, depuis les Lumières et la République, avait réussi à dépasser en créant la citoyenneté.

Le guet-apens de policiers à Mantes remet la question des banlieues à l’ordre du jour

Le   guet-apens de policiers à Mantes remet la question des banlieues à l’ordre du jour

 

Non seulement nombre de services publics ne pénètrent plus dans les quartiers sensibles sauf  les pompiers mais en plus ils sont souvent agressés comme ce fut le cas pour les forces de police jeudi à Mantes qui ont été victimes d’un véritable guet-apens. En fait, ils sont intervenus suite à l’incendie d’un véhicule et ont été la cible  de violences délibérées par une bande organisée de voyous du quartier. Un policier aurait même été atteint par un tir de mortier. On sait que cette question des banlieues a été complètement négligée par le pouvoir actuel ( les précédents aussi). Macron a même rejeté avec un certain mépris le très intéressant rapport qu’il avait demandé à Borloo sur le sujet. Pas un rapport se limitant à la question du maintien de l’ordre mais un rapport abordant les questions concernant la formation, la réinsertion et le développement économique de ces zones où le chômage atteint 20 à 25 % et dont la drogue constitue souvent le moyen de régulation économique et sociale sur fond de développement communautariste. Comme d’habitude, les autorités vont se satisfaire de déclaration en forme de protestation mais qui n’auront pas d’effet sur le maintien de l’art en général dans ces zones et encore moins sur les aspects économiques sociaux et culturels. Officiellement on dénombre en France de 750 quartiers dits sensibles qui concerneraient 7 % de la population. Dans la réalité on doit être plus proche de 1000 car il y a bien une dizaine de quartiers difficiles dans chaque  département sinon davantage. Des quartiers par exemple qu’il vaut mieux ne  pas fréquenter après 22 heures quand les  voyous ont repris en main la gestion de la zone. Pour l’instant les autorités se contentent donc de constats et d’incantations. Et pour cause, Macron ne veut surtout pas créer de motifs de mécontentement dans ces quartiers dont il espère un retour d’ascenseur électoral. Il faudra donc se satisfaire des cris de vierges effarouchées des ministres. Par exemple Le secrétaire d’État auprès du ministre de l’Intérieur, Laurent Nunez, a qualifié ce vendredi à Trappes, dans les Yvelines, de « guet-apens » l’ »attaque extrêmement violente » la nuit précédente contre des policiers à Mantes-la-Jolie.

De son côté, le ministre de l’Intérieur Christophe Castaner a « condamné sans réserve » dans un tweet ans « les violences commises » à Mantes-la-Jolie. « La République ne peut tolérer que l’on attaque ceux qui la protègent, au péril de leur vie (…). L’enquête permettra de faire la lumière sur les faits », a écrit le ministre.

La République ne peut tolérer que l’on attaque ceux qui la protègent, au péril de leur vie.
Je condamne sans réserve les violences commises hier à Mantes-la-Jolie.
L’enquête permettra de faire la lumière sur les faits.

En visite dans le commissariat de Trappes, ville proche de Mantes-la-Jolie, le secrétaire d’Etat a affirmé que les policiers étaient tombés « dans un guet-apens organisé, qui a réuni une centaine d’individus ». « C’est totalement inacceptable », a-t-il insisté devant la presse.

« Pendant plus d’une heure » les policiers, venus sur place les premiers après un appel pour un incendie de voiture, ont été la cible « de tirs de mortier » notamment, a expliqué Laurent Nuñez. « Les effectifs étaient encerclés, isolés (…) ensuite les renforts sont arrivés », a-t-il poursuivi.

C’est une « attaque extrêmement violente que je dénonce de manière catégorique », a ajouté le secrétaire d’Etat, qui devait rencontrer plus tard les équipes prises à partie à Mantes-La-Jolie.

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