Finances : Crise bancaire ou pas ?
Par
Aurore Burietz
Professeur de Finance, LEM-CNRS 9221, IÉSEG School of Management
Loredana Ureche-Rangau
Professeur des Universités en Sciences de Gestion, spécialisation Finance, Université de Picardie Jules Verne (UPJV)
dans the Conversation
En octobre 2009, quelques mois après le déclenchement de la crise des subprimes et la faillite de Lehman Brothers, Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff, deux des économistes les plus influents dans le monde, publiaient un ouvrage intitulé Cette fois, c’est différent. Huit siècles de folie financière. Ils y défendaient l’idée qu’avant chaque crise financière émergeait, face à des risques pourtant visibles, une tendance à se rassurer en se disant que les leçons du passé avaient été tirées et que rien de catastrophique ne se produirait. Pourtant, à chaque fois, ce fut chômage et endettement élevés.
Quelques heures après la faillite de la SVB, le ministre de l’Économie, Bruno le Maire se disait tranquille, sûr de la solidité du système français dont les établissements agissent de manière diversifiée. « Ce qui s’est passé aux États-Unis est très singulier » affirmait-il. Au-delà de ces propos, au moment où le cours de l’or, valeur refuge, atteint des sommets, des similitudes avec les crises passées invitent à la prudence et à ne pas affirmer trop rapidement que « cette fois, c’est différent ».
De manière générale, une crise financière se caractérise par un cycle en deux phases : une période d’expansion puis une récession, le point de départ étant la résolution de la crise précédente. À ce moment, les cartes semblent avoir été redistribuées afin de réduire la probabilité qu’un tel évènement ne se reproduise à l’avenir.
Cela passe souvent, et ce fut le cas lors de la dernière décennie, par un ajustement des politiques fiscale, via une hausse des dépenses du gouvernement par exemple, et monétaire avec un assouplissement des conditions d’emprunts et une baisse des taux d’intérêt directeurs. L’objectif premier est de réduire au maximum les conséquences de la crise financière (Wall Street) sur le reste de l’économie (Main Street). Néanmoins, l’abondance de liquidités combinée avec un accès au crédit plus facile alimente une nouvelle bulle de crédit, première cause d’une crise financière.
S’y associe généralement un engouement des marchés financiers pour un actif spécifique, qui commence à capter une grande majorité des liquidités nouvellement disponibles. Cela favorise le développement d’une bulle de prix sur cet actif en particulier et une spécialisation des acteurs du marché (institutions financières et investisseurs). Les investissements se concentrent alors dans un secteur au détriment d’autres opportunités d’investissement. Il s’agissait de l’immobilier en 2008 lors de la crise des subprimes, des nouvelles technologies en 2000 lors de la bulle Internet. En 1637, l’attention des investisseurs s’est portée sur le bulbe d’une tulipe, un épisode que l’on a nommé « tulipomania ». À cette époque, l’engouement était tel qu’un bulbe a pu valoir jusque l’équivalent de deux belles maisons bourgeoises à Amsterdam.
En se focalisant sur un seul actif, les portefeuilles se trouvent de moins en moins diversifiés. C’est pourtant la première des sécurités face au risque qu’un problème survienne sur un marché en particulier.
La mise en place de nouvelles réglementations ou la suppression de celles existantes compte parmi les autres outils destinés à diminuer les risques et à éviter la reproduction des erreurs du passé. Dans un contexte de ruée aux guichets, une solution mise en avant est la garantie des dépôts : pas besoin de se précipiter pour retirer ses fonds quand on les sait protégés et cela évite aux établissements bancaires de s’effondrer dans un mouvement de panique.
Actuellement plafonnée, certains ont proposé de la rendre illimitée. Une telle garantie réduirait cependant la vigilance des épargnants quant à l’utilisation de leurs fonds par la banque, qui peut ainsi être incitée à prendre davantage de risques. Changer les règles peut ainsi s’avérer contre-productif.
La dérèglementation dans les années 1980 aux États-Unis avait permis aux caisses d’épargne, dont le cœur de métier était les dépôts, les crédits et les hypothèques, d’investir dans des actifs assez éloignés de leur cœur de métier. L’objectif était de rendre les activités de ces institutions plus flexibles que ce que le cadre réglementaire instauré après la Grande dépression des années 1930 le permettait. La course à la recherche de rendements de plus en plus élevés, issus d’activités de plus en plus risquées, était lancée. La fin fut cruelle : sur les 4 000 établissements recensés en 1980, 563 ont fait faillite à la fin de la décennie.
Ce n’est pas sans rappeler la situation actuelle : le Economic Growth, Regulatory Relief and Consumer Protection Act de 2018 a relâché les réglementations introduites après la crise des subprimes en faisant grimper le seuil définissant ce qu’est une banque systémique, et les exigences qu’il implique, de 50 à 250 milliards de dollars.
Parmi les soutiens de la mesure on retrouvait Greg Backer, CEO de la Silicon Valley Bank, concerné par le changement de ces règles, qui lui offrait plus de souplesse dans ses activités.
On remarque également que les crises surviennent souvent après une période de forte innovation, technologique et financière. Toute phase de croissance s’accompagne d’une phase propice au développement des innovations financières entre autres. Il y a eu l’essor des produits dérivés et le début de la titrisation à la fin des années 1970, ou le développement massif du trading à haute fréquence grâce aux avancées technologiques du début du XXe siècle.
Certes, l’innovation conduit à des progrès notables à tous les niveaux mais elle apporte aussi son lot d’incertitudes quant à l’évolution de l’économie, de la réglementation, des comportements des opérateurs et de ce qu’elle implique sur les marchés.
En 2023, les progrès exceptionnels des technologies numériques, surtout après la crise sanitaire, apportent autant d’opportunités nouvelles que de risques. Elles ont attiré des capitaux énormes de la part des financeurs divers, une manne de liquidités qui a trouvé une niche profitable et nouvelle, peut-être aussi moins régulée que d’autres.
La digitalisation contribue cependant aussi à accélérer la transmission des informations, qu’elles soient vraies ou fausses, avec pour conséquence non seulement d’augmenter la volatilité sur les marchés financiers pour les professionnels mais aussi de générer des paniques parmi les particuliers. Ces phénomènes de panique, couplés aux possibilités de retrait instantané en ligne dans une base de clients très concentrée comme celle des investisseurs de la SVB ont conduit au swipe crash de cette dernière.
Le scénario final de ces phénomènes est écrit d’avance : dans un système de plus en plus complexe et opaque où l’information circule, où les acteurs du marché manquent d’expertise ou de temps pour évaluer correctement les situations, le risque systémique s’accroît à cause de la concentration des investissements dans un secteur particulier et la perte de confiance de l’ensemble des acteurs conduit à des faillites.
La suite semble, elle aussi, assez classique : intervention des banques centrales et des gouvernements pour ajuster les politiques fiscale et monétaire et tenter d’enrayer la crise avant qu’elle ne se propage en dehors de la sphère financière…
Dans la littérature économique et financière, on évoque régulièrement la mémoire courte des marchés. La mise en place de nouvelles règles, des opportunités économiques nouvelles créées par l’innovation donnent l’illusion que le présent est différent du passé. On en vient à oublier les leçons du passé, et à penser que cette fois le cadre est tellement bien défini qu’il ne pourra pas craquer, voire à sous-estimer les risques, surtout dans une période d’euphorie où l’optimisme des investisseurs affecte leur vigilance. Aujourd’hui aussi, il semble bien délicat d’affirmer : « Cette fois c’est différent ».