Secret des avocats : risque de délinquance économique
Laurence Vichnievsky, députée MoDem, et ancienne juge d’instruction, s’inquiète d’une « justice à deux vitesses » dans l’Opinion
Le secret professionnel des avocats est renforcé par le projet de loi « pour la confiance dans l’institution judiciaire ». Un amendement adopté en commission des lois l’a même étendu : il couvre non seulement la défense mais aussi les activités de conseil des avocats. Qu’en pensez-vous ?
Le secret de la défense doit être protégé et il l’est déjà largement. J’y suis favorable, par principe, et ne suis pas opposée à ce qu’il le soit davantage. Cette volonté d’une plus grande protection répond sans doute à l’émotion légitime des avocats à la suite de l’affaire dite « des fadettes », qui a choqué aussi nombre de magistrats et d’anciens magistrats, dont je fais partie. Mais les excès individuels ne sont pas systémiques. Le secret est respecté dans la quasi-totalité des enquêtes. Combien de perquisitions dans un cabinet d’avocat sont-elles menées par an ? Le nombre n’a pas été communiqué, je ne pense pas qu’il soit très élevé. Et les magistrats ne débarquent pas dans un cabinet comme bon leur semble mais parce qu’une procédure pénale en cours vise un client de l’avocat.
L’extension du secret aux activités de conseil va-t-elle changer la donne en matière économique et financière ?
L’activité de conseil fait partie intégrante de la mission de l’avocat, qui ne se limite pas à la représentation et à l’assistance de ses clients en justice. Elle doit donc être protégée. Dans la pratique les juges ne saisissent pas n’importe quel document. Et toute la correspondance entre un avocat et son client est déjà couverte par le secret.
Les autres mesures pour encadrer les enquêtes vont-elles constituer un frein pour les magistrats ?
L’un des changements importants apportés par le texte est qu’il prévoit que lorsque la perquisition est justifiée par la mise en cause de l’avocat, elle ne pourra être autorisée que s’il existe des raisons plausibles de soupçonner celui-ci d’avoir commis ou tenté de commettre l’infraction qui fait l’objet de la procédure. Actuellement, ce n’est pas le cas. La protection des avocats en sera renforcée mais les enquêtes deviendront sans doute plus difficiles à faire progresser. C’est la raison pour laquelle j’ai déposé un amendement (retenu par le gouvernement) tendant à ce que la perquisition soit possible lorsqu’il existe des raisons plausibles de soupçonner l’avocat d’avoir commis non seulement l’infraction qui fait l’objet de la procédure mais encore une infraction connexe comme des actes de recel ou de blanchiment des produits de l’infraction.
Votre autre amendement permettant aux enquêtes préliminaires en matière de grande délinquance économique et financière, menées par le Parquet national financier, de pouvoir durer jusqu’à cinq ans, comme c’est le cas pour le terrorisme et la criminalité organisée, n’a pas été retenu. Pourquoi ?
Le garde des Sceaux a refusé cette extension, qui permettait pourtant de donner les moyens aux services de police judiciaire de mener à bien des enquêtes lourdes et complexes. L’ouverture d’une information, au bout de trois ans d’une enquête préliminaire inachevée n’est pas une réponse pénale satisfaisante. Cela pourrait ressembler à un enterrement ou presque : les affaires seront sans doute jugées, mais dix à quinze ans après les faits. Je déposerai à nouveau cet amendement en séance publique.
Il faut faire attention. En sanctuarisant la délinquance économique et financière, on risque d’accréditer l’idée d’une justice à deux vitesses, selon le degré de fortune des justiciables, ce qui n’est pas de nature à renforcer la confiance des Français en l’institution judiciaire. Mon autre crainte, plus fondamentale, est que cette réforme constitue un premier pas pour ceux qui n’acceptent pas la logique procédurale de l’enquête préliminaire, au motif qu’elle n’est pas contradictoire et qu’elle est en décalage par rapport aux normes anglo-saxonnes. Il faudra là encore trouver le bon équilibre entre le besoin toujours croissant de transparence et de contradictoire et l’efficacité de notre justice pénale.