Loi de partage de la valeur au sein de l’entreprise : une vraie avancée à améliorer
Le 29 juin 2023, l’Assemblée nationale a adopté en première lecture, avec modifications, le projet de loi relatif au partage de la valeur au sein de l’entreprise. Ce dernier prévoit, entre autres mesures, d’étendre des dispositifs tels que l’intéressement, la participation ou les primes de partage de la valeur (PPV ou « prime Macron ») à toutes les entreprises de plus de 11 employés. Ce projet de loi transpose l’accord national interprofessionnel (ANI) sur le partage de la valeur en entreprise, conclu en février 2023 entre les syndicats et le patronat. En bref, cet accord vise à mieux associer les salariés aux performances des entreprises, notamment dans les TPE/PME. Dans quelle mesure ce projet de loi relatif au partage de la valeur au sein de l’entreprise est-il une proposition prometteuse ? Est-ce une réelle avancée pour transformer la façon dont les entreprises fonctionnent et distribuent leurs bénéfices ? Comment prévoit-il de faire en sorte que les collaborateurs bénéficient directement des performances financières de l’entreprise ? Quelles sont les limites de ce projet de loi ? Quelles sont les autres pistes à explorer pour créer un modèle de gouvernance équitable et responsable ?
Xavier Roussillon, cofondateur et PDG de la startup FUTURZ se réjouit de la loi de partage de la valeur mais souhaite qu’elle soit améliorée. (Dans la Tribune)
Oui, ce projet de loi est une bonne nouvelle
Pour commencer, notons que cet accord est à l’initiative des syndicats de dirigeants et des syndicats de salariés. Tout le monde semble donc s’accorder autour des bienfaits de ce texte et y voir un intérêt. Et un tel alignement, c’est forcément une bonne nouvelle !
Intéressons-nous ensuite aux fondements de ce projet de loi. Ils reposent sur une vision qui va au-delà de la simple maximisation des profits pour les actionnaires. Ils cherchent à reconnaître le rôle crucial des travailleurs et des autres parties prenantes dans la création de valeur patrimoniale au sein de l’entreprise. L’objectif est de garantir que cette valeur soit distribuée de manière plus équitable, offrant ainsi une meilleure rémunération aux employés, renforçant l’engagement global envers la croissance et le succès de l’entreprise. En renforçant le lien entre la performance de l’entreprise et le bien-être de ses employés, le projet de loi améliore la productivité, stimule l’innovation et crée une plus grande cohésion sociale au sein des entreprises. Autant de promesses dont nous ne pouvons que nous réjouir !
Sans parler du timing, qui est plus que favorable. Avec l’influence marquante du Big Quiet, les préoccupations liées à la marque employeur se sont intensifiées. Les entreprises recherchent des leviers à activer pour recruter et surtout retenir les collaborateurs. En accroissant la valeur du capital humain, le projet de loi adresse directement les défis actuels auxquels les dirigeants font face en termes de recrutement et de fidélisation de leur force de travail.
Bon pour la théorie et les belles valeurs… Mais concrètement, comment cet accord entend-il dynamiser le partage de la valeur en entreprise ? Dans les faits, comment les choses vont-elles se mettre en place ?
Les pierres angulaires du projet de loi
Ce projet de loi compte 15 articles répartis en quatre axes :
Renforcer le dialogue social sur les classifications des emplois ;
Faciliter la généralisation des dispositifs de partage de la valeur ;
Simplifier la mise en place de dispositifs de partage ;
Développer l’actionnariat salarié.
Zoom sur le nouveau « plan de partage de la valorisation de l’entreprise »
Ce dispositif facultatif sera mis en place par accord et devra bénéficier à tous les salariés ayant au moins un an d’ancienneté. En cas de hausse de la valeur de l’entreprise lors des trois années de durée du plan, les salariés pourront bénéficier d’une « prime de partage de la valorisation de l’entreprise ». Cette prime pourra être placée sur un plan d’épargne salariale. Autrement dit, les salariés auront la possibilité d’affecter la prime de partage de la valeur (PPV) sur un plan d’épargne salariale ou un plan d’épargne retraite, avec abondement éventuel de l’employeur au même titre que l’intéressement, la participation ou les versements volontaires.
Les limites du projet de loi relatif au partage de la valeur au sein de l’entreprise
Oui mais voilà. Bien sûr les fondements et les valeurs qui sous tendent ce projet sont louables. Mais en pratique, lorsqu’on creuse, les choses sont plus complexes qu’elles n’y paraissent. Ce projet de loi est encore trop limité car les solutions qu’il propose ne concernent que trop peu d’entreprises et de collaborateurs.
Pour commencer, intéressons-nous au nouveau plan de partage de la valorisation de l’entreprise. Il prévoit une prime de partage de la valeur (PPV) pour les salariés en cas de hausse de la valeur de l’entreprise lors des trois années de durée du plan. Mais qui va payer et verser ces primes aux salariés ? Et bien oui, ce sont les entreprises. Ces dépenses vont donc irrémédiablement peser sur leur trésorerie. Il faut d’ailleurs faire le distingo entre valeur d’entreprise et bénéfices ; une entreprise peut prendre de la valeur sans augmenter ses bénéfices. C’est donc bien une charge additionnelle qui peut empêcher le dirigeant de mener à bien d’autres projets. Les bénéfices d’une entreprise devraient être redistribués aux actionnaires pour qu’ils les investissent dans des projets de croissance seulement et seulement si l’entreprise n’a plus de projets industriels à finaliser.
Deuxièmement, inciter les salariés à placer leur PPV sur un plan d’épargne salariale en entreprise (PEE) et penser que cela va les motiver à s’impliquer davantage dans la réussite de LEUR propre entreprise est un leurre. Pour la simple et bonne raison, qu’il est rare qu’un PEE flêche vers la performance de sa propre entreprise. Pourquoi ? Car cela coûte trop cher à maintenir. Une société de gestion prend classiquement 1% de frais sur l’encours et n’est pas intéressée à moins de 40 000 euros par an pour la gestion du fonds d’épargne salariale. Il faut donc 4 millions d’euros d’encours sur le fonds fléché sur une entreprise pour pouvoir le proposer dans un PEE. Vous en connaissez beaucoup vous des entreprises qui font cet investissement ? Nous non plus. Pratiquement aucune PME et moins de la moitié des ETI françaises mettent ce type d’investissement en place ; ce qui est bien dommage. En d’autres termes, 40% des salariés français ne peuvent pas investir dans leur propre société et être véritablement acteurs de la croissance de leur patrimoine placé sur dans leur PEE. Et si les salariés des PME ne peuvent pas investir dans leur entreprise (comme le font ceux des grands groupes qui ont des PEE fléchés sur leur entreprise), ils ne vont pas percevoir les fruits de leur travail. En d’autres termes, le dispositif de partage de la valeur ne tient pas ses promesses et prive un grand nombre d’entrepreneurs de la substance même de ce bel outil de motivation et de rétention.
Quelle option reste-il alors aux entreprises qui ne peuvent pas faire de PEE fléché sur leur entreprise ? Réponse : le quatrième axe du projet de loi, à savoir l’actionnariat salarié avec l’attribution gratuite d’actions (AGA) pour les entreprises éligibles. Mais ce dispositif pose problème pour d’autres raisons. L’actionnariat salarié implique en effet que le partage de la valeur soit associé à un partage de la gouvernance de l’entreprise (souvent avec des droits de vote) et un droit d’accès à des informations confidentielles, car les salariés deviennent actionnaires. Certes, la mise en place d’un plan d’actionnariat salarié n’impacte pas négativement la trésorerie de l’entreprise mais le partage de la gouvernance avec les salariés n’est pas nécessairement souhaité par les dirigeants. Ceci est d’autant plus vrai au sein des PME / ETI non cotées où chaque actionnaire joue un rôle bien précis.
Il serait donc souhaitable de pouvoir dissocier la gouvernance du partage de valeur comme le fait le projet de loi en adressant la partie gouvernance dans les paragraphes décrivant les dispositions de gouvernance participative.
Dernier point et pas des moindre, le temps de l’entreprise ne coïncide pas toujours avec le temps des collaborateurs. Les plans d’actionnariat salarié se dénouent souvent lors de la vente de l’entreprise. C’est à ce moment que les salariés encaissent leurs investissements, comme on l’a récemment vu avec La Redoute. Évidemment, ces belles histoires rassurent et tout salarié se réjouit à l’idée de toucher 100 000€ lors d’une vente. Malheureusement, la réalité est autre et les collaborateurs ont plus souvent besoin de coups de pouce réguliers pour être soutenu lors des étapes clés de leur vie (achat d’un appartement, financement des études des enfants, etc.). Or, l’actionnariat salarié tel qu’il est proposé aujourd’hui ne répond à ces enjeux. En effet, le placement en action de son entreprise est illiquide notamment du fait de la gouvernance attachée à cette détention d’actions.
Actionnariat salarié : heureusement d’autres solutions existent
Face à ces limites, il est rassurant de savoir qu’il existe des dispositifs d’actionnariat salariés alternatifs qui permettent de partager la valeur sans partager la gouvernance et qu’ils sont peu coûteux, à l’instar des Futurz. Il est également essentiel de lutter contre les idées reçues : non il n’est pas nécessaire de générer des bénéfices pour partager la valeur patrimoniale de son entreprise. Certains dirigeants le font déjà avec beaucoup de succès. La loi doit faire une place de choix à ces plans d’incentive hybrides, plus modernes et plus souples.
Proposer ces nouveaux dispositifs, c’est également faire davantage confiance aux dirigeants français. Ces derniers sont tout à fait capables de faire les meilleurs choix pour leur entreprise et pour leurs salariés car ils ont bien conscience que leurs destins sont liés. Afin de permettre le meilleur arbitrage possible, ils doivent pouvoir choisir parmi plusieurs dispositifs d’intéressement à la prise de valeur de l’entreprise et ne pas se limiter à deux options (PEE ou AGA). Or, le projet de loi ne met en lumière que certaines solutions qui ont chacune leurs avantages mais aussi leurs contraintes. D’autres options existent.
Enfin, arrêtons de prendre les Français pour des assistés où le tout gratuit prime. Pour rendre performant un salarié, il ne faut pas lui donner des actions ou tout autre dispositif de partage de la valeur mais lui permettre d’en acheter. Toute la nuance est là. C’est à ce prix que le collaborateur intensifie ses efforts dans le but de faire fructifier son investissement alignant ainsi ses intérêts à ceux de l’entreprise. C’est d’ailleurs ce que font systématiquement les fonds d’investissement du Private Equity : les collaborateurs clés doivent acheter des actions puis ils travaillent efficacement pour faire fructifier leur investissement par la réussite du projet de l’entreprise.
En conclusion, peut-être serait-il pertinent d’inclure dans le texte de loi une proposition permettant aux salariés de PME d’investir dans des produits structurés pointant vers la performance de leur propre entreprise, sans pour autant devenir actionnaire et entrer dans sa gouvernance. C’est ainsi que le collaborateur prendra ses responsabilités et travaillera pour faire croître son investissement. De plus, il bénéficiera d’un investissement beaucoup plus liquide dont il pourra disposer selon ses besoins personnels sans lien direct avec le calendrier de l’entreprise.
En conclusion, le projet de loi relatif au partage de la valeur au sein de l’entreprise représente une avancée vers un modèle économique plus équitable, responsable, inclusif et durable. La volonté de rééquilibrage des rapports entre les différentes parties prenantes et la reconnaissance de la contribution essentielle des travailleurs à la création de valeur patrimoniale de l’entreprise est essentielle à l’émergence de nos PME comme des champions de l’économie. Ce projet de loi a le mérite d’ouvrir la voie à des discussions intéressantes. Encore faut-il prendre le temps d’explorer toutes les voies possibles en matière d’incentive collaborateurs pour ne qu’il ne soit pas, au contraire de son objet premier, un nouveau fil à la patte des entreprises.