Entreprises : ouvrir le capital aux salariés
L’actionnariat salarié, levier essentiel de performance et d’engagement, fait encore face en France à un certain nombre d’obstacles qui freinent son développement. Attribuer des actions aux salariés permet pourtant de réaliser leur véritable association – au capital, aux résultats et à la gouvernance – au devenir de leur entreprise. Par Sébastien Crozier, président de la CFE-CGC Orange (*)
dans la Tribune
Sur la pelouse de Bagatelle, le 1er mai 1950, le général de Gaulle appelait à bâtir « l’association des hommes, de leurs intérêts, de leurs capacités ». C’est ainsi qu’il a été à l’initiative du partage de la valeur au travers de la participation et de l’intéressement.
Soixante-quinze ans plus tard, compte tenu de l’évolution des entreprises, cette association apparait incomplète. En dépit des bonnes intentions affichés par nos gouvernants pour démocratiser l’actionnariat salarié (Ordonnance de 1986, Loi TEPA (2007), Loi Florange (2014), Loi PACTE (2019)), la pleine participation des salariés aux droits auxquels ils peuvent prétendre en tant détenteurs d’actions, reste toujours entravée par des règles qui limitent la portée des initiatives du législateur.
L’actionnariat salarié dispose d’un atout majeur par rapport aux autres modalités du partage de la valeur : là où la participation et l’intéressement récompensent la réalité d’aujourd’hui et sont ainsi adaptés à une société « constante » du travail accompli, l’actionnariat salarié récompense une espérance de gains, la dynamique et l’avenir. Il est donc en phase avec notre époque où les enjeux opérationnels ne cessent de de se modifier. La qualité d’actionnaire génère pour le salarié un engagement supplémentaire dans la compréhension des enjeux stratégiques (la constante augmentation de la participation aux élections liées à l’actionnariat salarié en est l’illustration) et l’acquisition d’une culture financière (pour appréhender les enjeux de la bonne marche de l’entreprise). Reste encore un effort à fournir pour obtenir le bénéfice d’un actionnariat salarié.
Lever les blocages qui nuisent aux droits des salariés actionnaires
Une grande Loi sur l’actionnariat salarié permettrait à celui-ci de jouer pleinement complètement son rôle dans l’entreprise. Quelques mesures simples à mettre en place pourraient y figurer :
Garantir la présence d’un nombre de représentants des personnels actionnaires au Conseil d’administration de l’entreprise à proportion du capital détenu (au lieu d’un seul au-dessus de 3%)
Donner la personnalité morale aux FCPE (comme pour les SICAVS) qui gèrent l’épargne salariale pour qu’ils puissent être représentés en tant que tel dans les conseils d’administration sans forcément avoir à passer par la nomination d’une personne physique et qu’ils puissent ester en justice pour faire valoir les droits des porteurs de parts qu’ils représentent sans passer par le gestionnaire du fonds.
Assurer l’autonomie des représentants du personnel actionnaire dans le choix du gestionnaire des actions détenues, et interdire la transmission du nombre d’actions détenu par chaque salarié à la Direction de l’entreprise, dans le FCPE. Ce qui éviterait l’ingérence trop fréquente des Directions.
L’actionnariat salarié peut être un puissant outil de démocratie et de gouvernance dans l’entreprise mais il doit aussi s’envisager comme outil de justice : en obligeant par exemple les entreprises à distribuer des actions gratuites aux salariés si elles en distribuent aux dirigeants ou en imposant que l’abondement doit être versé sans contribution des salariés. Les plus fragiles seraient ainsi automatiquement associés.
Alors que le travail ne paie plus assez, que le sens du travail se trouble, que le sentiment d’appartenance des salariés à leur entreprise se réduit, le développement et surtout l’amélioration de l’actionnariat salarié est une voie qui mérite d’être étudiée pour que chacun trouve dans son travail « sa place, sa part et sa dignité » (Charles de Gaulle).
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(*) Sébastien Crozier est administrateur d’Orange représentant les membres du personnel. Il est par ailleurs président de la CFE-CGC Orange. Au sein du groupe Orange, il est Senior vice-président en tant que Directeur du Mécénat Public. Il rejoint France Télécom Multimédia en 1994 afin de préparer le lancement des services en ligne et à ce titre il participe au lancement de Wanadoo.À partir de 1998, il fonde plusieurs start-ups dans le domaine de la publicité on-line et de la fourniture d’accès à Internet en tant qu’opérateur télécom avec plus de 1,3 million de clients sous les marques Fnac, M6 et Société Générale. À la suite de leur acquisition en 2001 par France Télécom (devenue Orange), il réintègre le Groupe et se voit confier la responsabilité de la direction de la stratégie et de l’innovation d’une partie de la branche entreprises en 2003. Il a dirigé pour le compte du groupe Orange, plusieurs filiales en France et à l’étranger, en Afrique et Amérique latine, en tant que Directeur du développement international.Il est également président d’honneur de l’ADEAS (Association pour la Défense de l’Épargne et de l’Actionnariat Salariés).Lors de la campagne présidentielle de 2001-2002, il est conseiller permanent logistique et nouvelles technologies de Jean-Pierre Chevènement. Il est vice-président de la Fondation Reconnue d’Utilité Publique Le Refuge.Sébastien Crozier a fait ses études d’ingénieur à l’École Supérieure d’Ingénieurs en Électrotechnique et Électronique (ESIEE) et au Karlsruher Institut für Technologie (KIT) dans le domaine de l’intelligence artificielle.