Culture- La mainmise de Netflix et autres plates-formes sur la création et la distribution
- Pierre Jolivet président de l’ARP, la Société des auteurs, réalisateurs et producteurs français, se bat pour défendre les intérêts des créateurs et craint la mainmise deux plates-formes comme Netflix sur la création et la distribution.
- Omar Sy vient de signer un contrat avec la plateforme Netflix. De quel œil voyez-vous cet accord, une première pour un acteur français ?
- Netflix fait son job. La plateforme va chercher les talents qui sont les plus pertinents. C’est normal, et ce n’est que le début. On est dans une situation inédite et inquiétante pour l’avenir.
- Quels sont vos motifs de préoccupation ?
- Les plateformes font la loi du marché. Elles s’introduisent dans notre écosystème. Que pouvons-nous proposer en face pour garantir qu’un talent, comme Fanny Herrero par exemple (créatrice de la série Dix pour cent), aura une liberté de création et d’insolence tout en gagnant autant qu’avec Netflix ? Pour l’instant, nous nous protégeons du mieux que nous pouvons.
- Mardi, vous avez signé un accord au ministère de la Culture. Il porte sur les « clauses type ». De quoi s’agit-il précisément ?
- C’est un garde-fou fondamental pour défendre notre souveraineté et la singularité de notre modèle. Jusqu’à présent c’était la loi du copyright imposée par les plateformes qui s’exerçait. Cela signifie qu’elles délivrent le « final cut », c’est-à-dire qu’elle ont le dernier mot sur l’œuvre. Le film ou la série appartient totalement à la plateforme, à vie. L’auteur et ses ayants droit n’ont pas leur mot à dire. Ce n’est pas notre façon de raisonner. Chez nous, une œuvre est terminée quand le réalisateur ou l’auteur disent qu’elle l’est, de concert avec l’industriel, qui l’écoute. Nous avons réussi à casser cette machine du copyright qui attaque notre droit moral à l’européenne. Désormais, ces clauses seront présentes dans chaque contrat français signé entre auteurs et producteurs de cinéma. Quand les plateformes signeront avec un producteur français, elles devront appliquer le droit moral français. Si elles ne respectent pas cela, alors leurs œuvres ne toucheront pas les aides du CNC (le Centre national du cinéma et de l’image animée).
- La menace est-elle assez forte pour les encourager à signer ces clauses ?
- Peut-être pas. Surtout si l’affaiblissement du cinéma est structurel. C’est la pandémie qui a entraîné l’explosion des plateformes. Mais ce n’est peut-être que conjoncturel. Ce qui nous tient à cœur, c’est de pouvoir encore faire des films que le marché ne veut pas. Les plateformes qui font changer le script au troisième épisode d’une série parce que ça ne marche pas commercialement, ce n’est pas dans notre culture. C’est pourquoi depuis l’année dernière, via la transposition de la directive européenne SMA (Service de médias audiovisuels), nous avons imposé aux plateformes d’exposer 30 % d’œuvres européennes. Nous avons également obtenu que 20 % du chiffre d’affaires réalisé en France soit consacré au financement d’oeuvres françaises.
- « Ce que je redoute, c’est que Netflix rachète les salles de cinéma »
- Le décret Smad, entré en vigueur le 1er juillet, garantit que Netflix, Disney + et Amazon financent le cinéma français à hauteur de 20 % à 25 % de leur chiffre d’affaires réalisé en France. Cela représente entre 150 et 200 millions par an. Netflix joue le jeu et contribue depuis le mois de janvier. En revanche, il y avait une contrepartie — la modification de la chronologie des médias — que vous ne respectez pas. Pourquoi ?
- Pour l’instant, une fois qu’un film est sorti en salles, les plateformes doivent attendre trois ans avant de le récupérer et de le diffuser. C’est une négociation. On leur dit : “Combien vous mettez ?” Ensuite, on verra combien de mois elles devront attendre avant de diffuser. Les plateformes doivent entrer dans une régulation auxquelles elles ne sont pas habituées. Ce n’est pas simple pour elles. J’insiste sur le fait que, pour cette négociation, la profession est extrêmement unie.
- Comment voyez-vous l’avenir ?
- Moi, ce que je redoute, c’est que Netflix rachète les salles de cinéma. Imaginez si Amazon acquiert UGC. Imaginez le catalogue de Canal+ qui part chez les Chinois et Netflix qui rachète Pathé Gaumont, alors que toute notre industrie a été aidée par l’Etat français. Si l’Europe a son imaginaire financé par l’étranger, l’Europe ne sera plus l’Europe. On n’est pas dans une guerre classique. Les plateformes veulent gagner la guerre des esprits. C’est pourquoi nous voulons que la France considère la culture comme un actif stratégique.
- Quel serait le vrai contre-feu ?
- Je voudrais une grande plateforme européenne qui contrebalance la puissance d’Amazon et de Netflix. Mais il n’en existe même pas une esquisse !
- Qu’attendez-vous de la présidence française de l’Union européenne qui va débuter le 1er janvier ?
- D’affirmer que les produits de l’esprit ne sont pas des biens comme les autres. Ils ne peuvent pas tomber dans l’escarcelle chinoise ou américaine. Chez eux, tout s’achète, pas chez nous. C’est le combat fondamental des deux années qui viennent.