Coronavirus : une des conséquences aussi des atteintes à la biodiversité.
Un collectif* de responsables environnementaux met en cause dans le JDD les atteintes à la diversité.
« Le coronavirus n’est que l’un des symptômes du dysfonctionnement de nos sociétés mondialisées dont l’une des conséquences est la transmission facilitée d’agents infectieux entre les animaux sauvages et l’humain. Même si la littérature scientifique en fait déjà état depuis plusieurs dizaines d’années, il n’est plus possible d’ignorer les liens existants entre déforestation, commerce d’espèces sauvages, agriculture intensive ou artificialisation des sols et incidence de maladies infectieuses chez l’homme. La presse nationale et internationale s’est d’ailleurs très largement faite le relais de ces constats et l’ensemble de la classe politique semble s’être rangé derrière les appels croissants à un changement de société, socialement et environnementalement plus juste. Comment ne pas formuler ce vœu?
Face à cette crise sanitaire, et à la crise économique majeure qui s’annonce, il est frappant de trouver une communauté d’origine avec la crise climatique et le déclin dramatique de la biodiversité. Nous nous devons de profiter du « jour d’après » pour tenter de résoudre transversalement l’équation, d’autant que nos efforts en la matière restent pour le moins insuffisants.
Cette réalité est appréhendée de façon différente selon nos sensibilités mais elle se traduit déjà par des projets de relance de l’économie d’une ampleur jamais atteinte et par des projets de relocalisation massifs. Que notre gouvernement se consacre à cette priorité est tout à fait légitime mais nous croyons qu’il est tout aussi légitime de privilégier dans sa démarche la construction d’une économie résiliente, centrée sur la préservation de la nature et des services qu’elle nous rend.
Ainsi, quel que soit le plan qui sera retenu il est impératif que les États ne privilégient pas des stratégies de relance à court terme au détriment de leurs engagements climatiques et environnementaux. En d’autres termes, le répit que vit la planète pendant que nous sommes confinés ne doit pas se transformer en sursis.
La France est entrée en récession et il nous sera extrêmement difficile de soutenir une économie dont la vulnérabilité est exacerbée par les effets du changement climatique. Nous savons qu’il est déjà impossible à certains territoires d’accueillir de nouvelles entreprises, faute d’une ressource en eau de qualité, en quantité suffisante. L’an dernier, en France, 85 départements faisaient l’objet de restrictions d’usage du fait d’une sécheresse généralisée et les pénuries, qui se multiplient dans un contexte climatique changeant, remettent aujourd’hui en question la pérennité d’activités économiques historiques.
Des territoires vulnérables aux aléas climatiques sont le support d’activités économiques fragiles
Notre capacité à rembourser la dette que nous allons contracter pour relancer notre économie est fortement conditionnée à la capacité de notre pays à s’adapter au changement climatique. C’est une priorité, car des territoires vulnérables, dont les fonctionnalités écologiques ont été dégradées, sont eux même le support d’un tissu économique fragile.
En toute logique, si nous voulons rebâtir une économie résiliente, nos territoires ruraux et urbains doivent eux aussi êtres résilients aux effets du changement climatique, capables de protéger la ressource en eau (en préservant les stocks naturels et en l’épurant), de conserver leur stock de carbone naturel, de préserver les paysages, les espaces et les espèces, non pas uniquement pour leur intérêt propre mais parce qu’ils sont indispensables à toute vie et à toute activité économique. Il en va ainsi de l’ensemble des écosystèmes et notamment des milieux humides : des marais, des mangroves, des récifs coralliens, des tourbières, des prairies inondables, des lagunes, des mares et des étangs, en passant par l’ensemble des cours d’eau, ruisseaux et chevelus de tête de bassins versants (qui sont les châteaux d’eau naturels de la France).
Depuis des années, nous détruisons nos espaces naturels. 7 m2 de nature sont bétonnés chaque seconde dans le monde. Ce qui est vrai au Brésil l’est aussi chez nous, d’autant que nous contribuons à cette destruction en important des produits issus de la déforestation. Depuis le début du 18e siècle, ce sont 87% des zones humides mondiales qui ont été́ détruites ou dégradées.
Selon le Secrétariat de la Convention de Ramsar*, entre 1970 et 2015, environ 35% des zones humides de la planète ont disparu et le rythme de disparition s’est accéléré depuis 2000. Aucune région n’est épargnée. Nous ne pouvons plus nous permettre l’indécence de détruire notre planète dans une logique de profit à court terme et, avec elle, les services vitaux qu’elle nous rend gratuitement. Il s’agirait d’une perte à moyen-long-terme.
Cette crise nous offre l’opportunité de faire de l’adaptation au changement climatique les nouveaux déterminants de nos politiques publiques
Après la crise sanitaire, il existe un véritable risque pour que la destruction de nos écosystèmes se poursuive dans l’indifférence générale. Les responsables politiques doivent aujourd’hui prendre conscience que la relance de notre économie est illusoire si elle contribue à neutraliser les services que nous rend la nature, et si elle se fait au mépris des solidarités territoriales.
Au-delà de ses multiples conséquences sociales et économiques, cette crise nous offre en effet l’opportunité de faire de l’atténuation et de l’adaptation au changement climatique les nouveaux déterminants de nos politiques publiques, dans lesquelles les zones humides ont un rôle majeur à jouer. Ces terres d’eau sont des territoires pionniers pour la transition écologique et sociale et, comme « solutions fondées sur la nature » (SFN), elles sont plus que pertinentes pour répondre aux grands défis sociétaux : santé, sécurité alimentaire, approvisionnement en eau …
Définies par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), les SFN consistent à protéger, gérer de manière durable et restaurer des écosystèmes pour relever directement les défis de société. Elles sont à ce titre plébiscitées dans les derniers rapports du GIEC, de l’IPBES et des Nations Unies sur l’eau et le changement climatique, comme étant indispensables pour répondre à de nombreux enjeux planétaires relatifs à l’eau, et apporter dans le même temps des avantages dans tous les domaines du développement durable.
Le « jour d’après » doit donc privilégier dès que possible cette approche, dans une logique de maintien de l’approvisionnement en eau douce face à une demande qui risque de croitre rapidement du fait de la relocalisation des filières stratégiques sur le sol français.
Aujourd’hui nous devons enfin faire rimer économie et climat, relance et services écosystémiques, emploi et préservation de la biodiversité. Alors, renonçons à mettre à l’agenda politique des projets de loi qui mettent à mal le droit de l’environnement et, au contraire, mettons à l’honneur l’atténuation et l’adaptation au changement climatique et les solutions fondées sur la nature pour enrayer la lente agonie des terres d’eau, pourtant vitales pour l’humanité. »
*La Convention sur les zones humides, aussi appelée Convention de Ramsar, est le traité intergouvernemental qui sert de cadre à la conservation et à l’utilisation rationnelle des zones humides et de leurs ressources. Adoptée dans la ville iranienne de Ramsar, en 1971, entrée en vigueur en 1975 et ratifiée par la France en 1986, près de 90% des États Membres de l’ONU sont désormais parties à la convention.
Les administrateurs de Ramsar France :
- Frédérique Tuffnell, Députée de Charente-Maritime
- Jérôme Bignon, Sénateur de la Somme, Président de Ramsar France
- Luc Barbier, Président du CEN Nord Pas-de-Calais
- Laurent Godé, Secrétaire de Ramsar France
- Olivier Hubert, Directeur de la Maison du lac de Grand-Lieu
- Jean Jalbert, Directeur général de la Tour du Valat
- Thierry Lecomte, Docteur en Biologie des Organismes et des Populations
- Geneviève Magnon, Chargée de mission à l’EPAGE Haut-Doubs Haute-Loue
- Michel Métais, Président du Conseil de développement Rochefort-Océan
- Alain Salvi, Président du CEN Lorraine
- Yves Verilhac, Directeur de la LPO
Autres signataires :
- Philippe Alpy, Président de l’EPAGE Haut-Doubs Haute-Loue
- Didier Babin, Président du comité français du programme Man and Biosphere
- Michèle Bazin, Présidente du Forum des Marais Atlantiques
- Bernard Cressens, Président du comité français de l’Union internationale de conservation de la nature
- Jean-Marie Gilardeau, Président de la Fédération Nationale des Associations Syndicales de Marais
- Christophe Lépine, Président de la Fédération des Conservatoires d’espaces naturels, structure
porteuse du pôle-relais Tourbières
- Bernard Lenglet et Frédéric Molossi, co-présidents de l’Association Nationale des Elus de Bassin
- Rémi Luglia, Président de la Société Nationale de Protection de la Nature
- Charlotte Meunier, Présidente de Réserves Naturelles de France
- Didier Réault, Président de Rivages de France
- Michaël Weber, Président de la Fédération des Parcs Naturels Régionaux