Archive pour le Tag 'artificielle'

Page 11 sur 13

Développement de l’intelligence artificielle: la démocratisation par l’auto apprentissage ?

Développement de l’intelligence artificielle: la démocratisation par l’auto apprentissage ?

La spécialiste en intelligence artificielle Nozha Boujemaa décrit l’émergence de l’apprentissage machine automatisé, qui va modifier les métiers liés à l’IA dans une tribune au Monde. Un vision toutefois peut-être un peu rapide, en tout cas qui peut être discutée sur ce qu’on entend vraiment par Intelligence artificielle.

« Le développement de l’intelligence artificielle (IA) est assez ironique : il faut beaucoup d’efforts manuels et parfois ad hoc pour la construction de modèles prédictifs précis. Une technologie qui se veut entièrement dans l’automatisation de tâches humaines implique en effet plusieurs étapes fastidieuses : annotation et étiquetage des données d’apprentissage, qui nécessitent parfois un travail humain colossal ; exploration et sélection de données représentatives ; sélection de modèles ; réglages des paramètres du modèle en plus des phases de tests et de généralisation. Le cheminement à travers toute la chaîne de développement est complexe, même pour les spécialistes et les experts en sciences des données. Dans de nombreux contextes industriels, la mise sur le marché d’une solution fondée sur des modèles prédictifs est assez longue.

Cette impasse est en train de disparaître avec l’émergence de l’auto-apprentissage (AutoML, ou Automated Machine Learning), qui consiste à automatiser la recherche de l’architecture optimale d’un réseau de neurones. La maturité technologique de l’IA permet aujourd’hui de mettre au point des architectures de réseaux de neurones profonds plus efficacement que ne le feraient les experts humains, par exemple en reconnaissance d’objets et en vision par ordinateur.

Double ironie : on va pouvoir se passer en partie de certaines expertises en sciences des données et les automatiser. Dans le contexte d’AutoML, les ingénieurs vont pouvoir se consacrer à des phases plus critiques qui ont davantage besoin de l’intelligence humaine, comme l’analyse de situations de métiers complexes et les questions commerciales, au lieu de se perdre dans le processus fastidieux de construction de la solution. En réalité, cette démarche va aider les développeurs non spécialistes des données à réaliser des solutions d’IA plus facilement. Les scientifiques spécialisés vont, eux, pouvoir effectuer un travail complexe plus rapidement, grâce à la technologie AutoML, qui pourrait bien placer l’IA au cœur de l’essor des entreprises.

AutoML est une tendance qui va fondamentalement changer le paysage des solutions fondées sur l’apprentissage par machine. Elle se concentre sur deux aspects : l’acquisition de données et la prédiction. Toutes les étapes qui se déroulent entre ces deux phases seront prises en charge par les processus d’AutoML. Les utilisateurs apportent leur propre jeu de données, identifient les catégories et appuient sur un bouton pour générer un modèle parfaitement entraîné et optimisé, prêt à prédire. Ces approches d’AutoML vont faciliter la démocratisation de l’IA au service du plus grand nombre.

 

Bientôt l’intelligence artificielle au niveau de l’humain ?

Bientôt l’intelligence artificielle au niveau de l’humain ?

(Yann Le Cun )

Dans une interview aux Échos, Yann Le Cun analyses les possibilités et les limites de l’IA.  Yann Le Cun  est  responsable de la recherche en intelligence artificielle (IA) de Facebook et professeur à New York University, Yann Le Cun a reçu le prix Turing 2019, équivalent du Nobel d’informatique. Il vient de publier un livre retraçant son parcours et ses travaux.

 

Dans votre livre, vous vous montrez fier des progrès accomplis par l’intelligence artificielle (IA). Mais vous dites aussi qu’elle est loin de l’intelligence d’un rat. Diriez-vous, comme un autre expert français, Luc Julia (*), que l’intelligence artificielle n’existe pas ?

Non ! Ce n’est pas qu’elle n’existe pas, mais il y a une confusion fréquente : quand on voit une machine qui a des compétences surhumaines sur une tâche particulière, on lui attribue les compétences qu’elle aurait si cette intelligence venait d’une personne. Et donc on se dit : « la machine peut nous battre à plate couture au jeu de go, donc elle peut nous battre partout » ou bien « elle peut traduire dans une centaine de langues, donc elle est plus intelligente que n’importe quel humain ». Ce n’est pas vrai, car ces systèmes sont très spécialisés, très étroits.

Ce n’est donc pas la même intelligence que les humains…

Certaines personnes estiment que ce qui caractérise l’intelligence humaine, c’est qu’elle est générale. Je dis dans mon livre que ce n’est pas vrai non plus. L’intelligence humaine est, elle aussi, spécialisée, mais moins spécialisée que l’intelligence artificielle. Je crois à ce qu’on appelle l’intelligence artificielle de niveau humain (« human level intelligence »). Pour moi, il ne fait aucun doute que les machines arriveront tôt ou tard à des niveaux d’intelligence aussi performante et générale que les humains et, probablement, nous dépasseront assez vite.

Et l’intelligence de niveau humain, ce serait quoi ? Qu’une machine soit capable de tenir la conversation que nous avons en ce moment ?

Oui, qu’elle puisse faire toutes les tâches intellectuelles que fait un être humain, à peu près aussi bien, à l’exception de ce qui relève de l’expérience humaine.

Pensez-vous que vous verrez bientôt les machines atteindre ce niveau d’intelligence ?

Je pense que je le verrai un jour, mais pas bientôt. C’est un peu difficile de le dire. Il y a des obstacles qu’il faudra franchir, et certaines personnes ne voient pas ces obstacles et pensent qu’il suffira de prendre les techniques actuelles, et d’avoir plus de données et plus de puissance pour arriver à une intelligence de niveau humain. Je n’y crois pas du tout. Je pense qu’il faudra des progrès conceptuels qui sont du ressort de la science, pas de la technologie.

Quel genre de progrès ?

Pour moi, le premier obstacle à franchir est de permettre aux machines d’apprendre par elles-mêmes, un peu à la manière des enfants ou des animaux. Un enfant acquiert une quantité gigantesque de savoirs sur le fonctionnement du monde simplement par l’observation.

Comme celui d’intelligence artificielle, le terme d’apprentissage automatique (« machine learning », en anglais) est trompeur car une machine n’apprend pas du tout comme un humain…

Absolument. Pour qu’une machine reconnaisse des chaises, des chiens ou des chats, il faut d’abord lui montrer des milliers d’images étiquetées, dans chaque catégorie. Alors qu’un petit enfant auquel on montre trois dessins d’un éléphant saura ensuite reconnaître un éléphant dans une photo. Qu’est-ce qui fait qu’il y parvient sans avoir vu des milliers d’images ? Permettre aux machines d’apprendre de cette manière est d’autant plus important que l’on se lance dans des problèmes complexes : on veut apprendre aux voitures à se conduire toutes seules, par exemple, et cela n’est pas possible avec les méthodes traditionnelles.

Comment faire autrement ?

Ce qui manque, c’est de permettre à la machine, par un apprentissage autosupervisé, de se construire un modèle du monde. Qu’elle sache prédire que, si elle roule au bord d’un ravin et qu’elle donne un coup de volant, elle va finir au fond, et que ce n’est pas bon. Apprendre un modèle du monde, cela revient à prédire le futur à partir du passé et du présent, et peut-être d’une séquence d’actions que l’on a l’intention de faire. Pouvoir prédire, c’est un peu l’essence de l’intelligence.

Ce qui est étonnant, en lisant votre livre, c’est à quel point vous êtes fasciné par les neurosciences, par la façon dont le cerveau apprend…

C’est une inspiration. Il y a des gens qui disent que l’on peut faire de l’intelligence artificielle sans se référer du tout à l’intelligence humaine. Cela a été un des courants classiques de l’IA, fondé sur la logique, et cela a conduit aux systèmes experts, qui ont montré leurs limites notamment pour l’apprentissage car il faut entrer toutes les données « à la main ». Et puis il y a l’autre approche, qui consiste à essayer de copier ce qui se passe dans le cerveau. Mais là, il y a un autre danger, qui est de reproduire de trop près ce qui se passe, sans en comprendre les principes.

Les réseaux de neurones profonds, que vous avez contribué à inventer, sont particulièrement performants pour la reconnaissance faciale, qui est en train de se répandre partout, parfois de façon inquiétante. Qu’est-ce que cela vous inspire ?

C’est vrai pour toutes les technologies. Les technologies sont neutres, elles peuvent être utilisées à des fins bénéfiques ou moins bénéfiques. Ce qui fait qu’elles seront principalement utilisées à des fins bénéfiques, c’est la force de nos institutions démocratiques. Ceci dit, si on retourne plusieurs siècles en arrière, personne ne peut contester les bénéfices de l’invention de l’imprimerie, même si elle a permis de disséminer les écrits de Calvin et Luther qui ont causé deux cents ans de persécutions en Europe. C’est vrai que  les systèmes de reconnaissance du visage qui sont utilisés en Chine sont directement inspirés d’un de mes articles sur les réseaux convolutifs publiés en 2014. Mais la même invention sert aussi dans la sécurité routière, pour des systèmes d’aide à la conduite, ou dans l’analyse d’imagerie médicale pour augmenter la fiabilité. Elle sert à beaucoup de choses utiles, y compris chez Facebook pour lutter contre les images terroristes.

 (*) Luc Julia, aujourd’hui responsable de la recherche de Samsung, est à l’origine de Siri, l’assistant vocal d’Apple. Il a publié l’an dernier « L’intelligence artificielle n’existe pas » (First Editions).

« Quand la machine apprend », Yann Le Cun, éditions Odile Jacob, 396 pages, 22,90 euros.

 

Intelligence artificielle: la démocratisation par l’auto apprentissage ?

La  défense corporatiste de l’ENA

 

 

Dans une interview au journal l’Opinion, l’actuel directeur de l’ENA, Patrick Gérard, défend  avec vigueur cette fabrique d’élites  donc dit-il la France devrait être fière. Une Argumentation de nature très corporatiste qui ne pose absolument pas la problématique du champ et de la nature régalienne de l’État. En effet, c’est parce qu’ils sont beaucoup trop nombreux que les énarques se  reproduisent  dans des structures qu’ils pérennisent et même développent. Il n’y a même pas assez de postes pour caser de manière satisfaisante les élèves. On ajoute donc des directions aux directions, des postes de directeur adjoint à des postes de directeur, bref des structures administratives à des structures administratives quand il faudrait sans doute en réduire la moitié. L’intéressé oublie aussi d’indiquer que les énarques envahissent le monde économique et politique et que l’ENA n’a pas cette vocation première.

Interview

La suppression de l’ENA est à l’ordre du jour. Quels sont les arguments pour la défense de l’école ?

Ce sera évidemment au président de la République et au Premier ministre de prendre des décisions à l’issue du rapport Thiriez. Il m’appartient, comme directeur, de rétablir quelques vérités. Car l’image, souvent répandue, d’une institution coupée des réalités, fournissant des bataillons de hauts fonctionnaires inconscients des difficultés de leurs concitoyens, est tout simplement fausse.

Prenons le symbole des grands corps (Inspection des finances, Cour des comptes, Conseil d’État). Les jeunes gens qui les intègrent ne sont-ils pas assurés d’une belle carrière, confortée par l’entre-soi, du seul fait d’avoir été bien classés à la sortie de l’ENA ?

D’abord, contrairement aux clichés, les énarques ne sont pas de jeunes blancs-becs de 25 ans. Ils ont en moyenne 31 ans et la moitié d’entre eux ont exercé des responsabilités professionnelles avant leur entrée à l’ENA. Sur la question des corps d’inspection et de contrôle, les avis sont partagés. Certains voudraient créer un parcours où les élèves sortant de l’ENA passeraient d’abord cinq ans comme administrateur dans un ministère avant de tenter un nouveau concours, à 35-36 ans, pour intégrer un tel corps. D’autres font valoir que ces corps ont besoin de sang neuf et que dans le secteur privé les cabinets d’audit font confiance aux juniors. Je pense que l’accès direct à ces corps compte pour beaucoup dans l’attractivité de l’école. Mais il faut faire en sorte qu’il y ait davantage de brassage dans leurs effectifs, par exemple en ouvrant ces corps de façon significative aux sous-directeurs d’administration.

Le vrai sujet n’est-il pas le manque de RH dans la fonction publique ?

Sans doute peut-on améliorer la gestion des carrières, les perspectives de mobilité, valoriser davantage le travail des administrateurs civils au cours de leur carrière. On a encore trop tendance à laisser un énarque dans le même service, dans la même administration sans faire de gestion personnalisée.

Le procès en « déconnexion » de la haute fonction publique a resurgi avec la crise des Gilets jaunes…

Ce pays est fier de ses élites culturelles, sportives mais a un peu de mal avec ses élites administratives… Les Français sont-ils mécontents de leurs préfets, de leurs sous-préfets ? De leurs diplomates ? De leurs juges administratifs ? J’analyse plutôt ces critiques comme une demande supplémentaire d’Etat et, donc, un besoin de renforcer la présence des cadres de l’Etat par plus de mobilité sur le terrain.

Le manque de diversité sociale est souvent pointé du doigt. Est-ce cette image de « reproduction des élites » qui colle à l’ENA ?

Première remarque : quarante étudiants sont recrutés via le concours externe aujourd’hui. Ils étaient cent il y a quarante ans, comme à l’époque de la promotion Voltaire. En réduisant les effectifs, on diminue forcément la diversité. L’ENA accueille 26 % d’élèves qui étaient boursiers, plus que d’autres grandes écoles. Mais il faut faire mieux. C’est pourquoi nous ouvrons cette année à Strasbourg – il en existe déjà une à Paris depuis dix ans – une seconde classe prépa « égalité des chances » destinée aux étudiants d’origine modeste, très bons et, si possible, venant de province. Ces diplômés de master sont coachés par nos jeunes anciens élèves. L’idéal serait d’en créer une par région.

Pour quels résultats ?

La plupart réussissent les concours difficiles d’administrateur de l’Assemblée, de l’Institut nationale des études territoriales (INET), de la Banque de France ou de commissaire de police. En moyenne, sur dix-sept candidats de cette classe, un intègre l’ENA. Il subsiste encore une tendance chez ces étudiants, je le regrette, à penser que l’ENA « ce n’est pas pour elles ou eux »… C’est ce plafond de verre et cette autocensure qu’il faut parvenir à percer.

Parmi les pistes évoquées par Frédéric Thiriez pour « décloisonner » : la création d’un enseignement commun à tous les futurs hauts fonctionnaires (ENA, fonction publique territoriale, hospitalière, magistrats, commissaires de police) mais aussi aux quatre corps techniques (Mines, Ponts, armement, Insee). Est-ce une bonne idée ?

C’est une bonne idée d’avoir des enseignements communs. Par exemple, nos élèves travaillent sur les politiques territoriales avec ceux de l’INET et sont en scolarité avec des officiers de gendarmerie ou de l’armée de terre reçus à l’Ecole de guerre. A partir de l’an prochain, ils travailleront aussi avec l’Ecole nationale de la magistrature. En revanche, je verrais trois écueils à rallonger la scolarité d’un an. Celui de créer une sorte de « 6 année de Sciences Po » alors que les élèves, lorsqu’ils arrivent à l’ENA ou dans d’autres grandes écoles, ont envie de se préparer à leur métier. Le risque de renforcer la critique sur le mode : « Ils sont tous formatés de la même façon ». Enfin, toute année supplémentaire a un coût budgétaire… Ma préférence serait d’imaginer des travaux communs pour les élèves quand ils sont en stage.

Emmanuel Macron avait souhaité mettre en place, en début de quinquennat, un « spoil system » à la française. Près de deux tiers des directeurs d’administration centrale ont été changés depuis 2017, moins que sous ses prédécesseurs. La « technostructure » est accusée de « bloquer la France ». A juste titre ?

Les directeurs d’administration centrale ont un devoir de loyauté à l’égard du gouvernement. Quand un ministre donne des ordres, ils sont appliqués. Gérald Darmanin a instauré le prélèvement à la source, Jean-Michel Blanquer le dédoublement des classes dans les zones d’éducation prioritaires, le projet de loi pour la restauration de Notre-Dame de Paris a été écrit en quelques jours. L’image de directeurs plus puissants que les ministres qu’ils voient passer est un cliché.

L’ENA attire-t-elle toujours autant ?

Il n’y a jamais eu autant de candidatures : 1 731 cette année, record depuis 2013 ! Mais il est vrai qu’à Sciences Po comme dans les Instituts d’études politiques en région, les étudiants semblent moins attirés par le service public que par le monde des grandes entreprises, de la communication, de la finance, des start-up. Quand l’Etat, et les fonctionnaires qui le servent, sont critiqués tous les jours, ce n’est pas très engageant pour un jeune d’une vingtaine d’années… Par ailleurs, les vocations pour la politique se raréfient. Depuis la création de l’ENA en 1945, moins de 3 % des anciens élèves ont fait de la politique. Un taux encore plus bas aujourd’hui. Quant au fameux pantouflage, il concerne 20 % des élèves qui, à un moment ou un autre de leur carrière, vont dans le privé. Près de la moitié revient ensuite dans le public.

Finalement, faut-il juste changer le nom de l’ENA ?

La marque ENA bénéficie dans le monde d’un prestige considérable. Oxford, la London school of economics, le MIT n’imaginent pas changer de nom. L’administration française est admirée dans le monde entier pour l’impartialité de son recrutement, sa compétence et son intégrité. Depuis sa création, l’école a formé 3 700 élèves étrangers. Parmi ceux aujourd’hui en fonction : les ambassadeurs du Japon et de Malte en France, l’ambassadeur du Liban, qui était d’ailleurs dans la même promotion qu’Emmanuel Macron, la vice-première ministre des Pays-Bas, deux ministres belges, le directeur de cabinet du Grand-Duc du Luxembourg, le directeur du protocole de l’empereur du Japon, plusieurs dizaines de ministres africains, le secrétaire général du Tribunal constitutionnel de Karlsruhe… Au titre de la formation continue, l’ENA forme chaque année plus de 4 000 auditeurs étrangers.

« L’ENA bashing » serait donc un travers bien français ?

Peut-être… Il faut sans doute améliorer beaucoup de choses, transformer l’école mais faisons attention à ne pas se priver d’un outil précieux.

 

 

Intelligence artificielle: la démocratisation par l’auto apprentissage ?

La spécialiste en intelligence artificielle Nozha Boujemaa décrit l’émergence de l’apprentissage machine automatisé, qui va modifier les métiers liés à l’IA dans une tribune au Monde. Un vision toutefois peut-être un peu rapide, en tout cas qui peut être discutée sur ce qu’on entend vraiment par Intelligence artificielle.« Le développement de l’intelligence artificielle (IA) est assez ironique : il faut beaucoup d’efforts manuels et parfois ad hoc pour la construction de modèles prédictifs précis. Une technologie qui se veut entièrement dans l’automatisation de tâches humaines implique en effet plusieurs étapes fastidieuses : annotation et étiquetage des données d’apprentissage, qui nécessitent parfois un travail humain colossal ; exploration et sélection de données représentatives ; sélection de modèles ; réglages des paramètres du modèle en plus des phases de tests et de généralisation. Le cheminement à travers toute la chaîne de développement est complexe, même pour les spécialistes et les experts en sciences des données. Dans de nombreux contextes industriels, la mise sur le marché d’une solution fondée sur des modèles prédictifs est assez longue.

Cette impasse est en train de disparaître avec l’émergence de l’auto-apprentissage (AutoML, ou Automated Machine Learning), qui consiste à automatiser la recherche de l’architecture optimale d’un réseau de neurones. La maturité technologique de l’IA permet aujourd’hui de mettre au point des architectures de réseaux de neurones profonds plus efficacement que ne le feraient les experts humains, par exemple en reconnaissance d’objets et en vision par ordinateur.

Double ironie : on va pouvoir se passer en partie de certaines expertises en sciences des données et les automatiser. Dans le contexte d’AutoML, les ingénieurs vont pouvoir se consacrer à des phases plus critiques qui ont davantage besoin de l’intelligence humaine, comme l’analyse de situations de métiers complexes et les questions commerciales, au lieu de se perdre dans le processus fastidieux de construction de la solution. En réalité, cette démarche va aider les développeurs non spécialistes des données à réaliser des solutions d’IA plus facilement. Les scientifiques spécialisés vont, eux, pouvoir effectuer un travail complexe plus rapidement, grâce à la technologie AutoML, qui pourrait bien placer l’IA au cœur de l’essor des entreprises.

AutoML est une tendance qui va fondamentalement changer le paysage des solutions fondées sur l’apprentissage par machine. Elle se concentre sur deux aspects : l’acquisition de données et la prédiction. Toutes les étapes qui se déroulent entre ces deux phases seront prises en charge par les processus d’AutoML. Les utilisateurs apportent leur propre jeu de données, identifient les catégories et appuient sur un bouton pour générer un modèle parfaitement entraîné et optimisé, prêt à prédire. Ces approches d’AutoML vont faciliter la démocratisation de l’IA au service du plus grand nombre.

Intelligence artificielle: au niveau de l’humain ? (Yann Le Cun )

Intelligence artificielle: au niveau de l’humain ?

(Yann Le Cun )

Dans une interview aux Échos, Yann Le Cun analyses les possibilités et les limites de l’IA.  Yann Le Cun  est  responsable de la recherche en intelligence artificielle (IA) de Facebook et professeur à New York University, Yann Le Cun a reçu le prix Turing 2019, équivalent du Nobel d’informatique. Il vient de publier un livre retraçant son parcours et ses travaux.

 

Dans votre livre, vous vous montrez fier des progrès accomplis par l’intelligence artificielle (IA). Mais vous dites aussi qu’elle est loin de l’intelligence d’un rat. Diriez-vous, comme un autre expert français, Luc Julia (*), que l’intelligence artificielle n’existe pas ?

Non ! Ce n’est pas qu’elle n’existe pas, mais il y a une confusion fréquente : quand on voit une machine qui a des compétences surhumaines sur une tâche particulière, on lui attribue les compétences qu’elle aurait si cette intelligence venait d’une personne. Et donc on se dit : « la machine peut nous battre à plate couture au jeu de go, donc elle peut nous battre partout » ou bien « elle peut traduire dans une centaine de langues, donc elle est plus intelligente que n’importe quel humain ». Ce n’est pas vrai, car ces systèmes sont très spécialisés, très étroits.

Ce n’est donc pas la même intelligence que les humains…

Certaines personnes estiment que ce qui caractérise l’intelligence humaine, c’est qu’elle est générale. Je dis dans mon livre que ce n’est pas vrai non plus. L’intelligence humaine est, elle aussi, spécialisée, mais moins spécialisée que l’intelligence artificielle. Je crois à ce qu’on appelle l’intelligence artificielle de niveau humain (« human level intelligence »). Pour moi, il ne fait aucun doute que les machines arriveront tôt ou tard à des niveaux d’intelligence aussi performante et générale que les humains et, probablement, nous dépasseront assez vite.

Et l’intelligence de niveau humain, ce serait quoi ? Qu’une machine soit capable de tenir la conversation que nous avons en ce moment ?

Oui, qu’elle puisse faire toutes les tâches intellectuelles que fait un être humain, à peu près aussi bien, à l’exception de ce qui relève de l’expérience humaine.

Pensez-vous que vous verrez bientôt les machines atteindre ce niveau d’intelligence ?

Je pense que je le verrai un jour, mais pas bientôt. C’est un peu difficile de le dire. Il y a des obstacles qu’il faudra franchir, et certaines personnes ne voient pas ces obstacles et pensent qu’il suffira de prendre les techniques actuelles, et d’avoir plus de données et plus de puissance pour arriver à une intelligence de niveau humain. Je n’y crois pas du tout. Je pense qu’il faudra des progrès conceptuels qui sont du ressort de la science, pas de la technologie.

Quel genre de progrès ?

Pour moi, le premier obstacle à franchir est de permettre aux machines d’apprendre par elles-mêmes, un peu à la manière des enfants ou des animaux. Un enfant acquiert une quantité gigantesque de savoirs sur le fonctionnement du monde simplement par l’observation.

Comme celui d’intelligence artificielle, le terme d’apprentissage automatique (« machine learning », en anglais) est trompeur car une machine n’apprend pas du tout comme un humain…

Absolument. Pour qu’une machine reconnaisse des chaises, des chiens ou des chats, il faut d’abord lui montrer des milliers d’images étiquetées, dans chaque catégorie. Alors qu’un petit enfant auquel on montre trois dessins d’un éléphant saura ensuite reconnaître un éléphant dans une photo. Qu’est-ce qui fait qu’il y parvient sans avoir vu des milliers d’images ? Permettre aux machines d’apprendre de cette manière est d’autant plus important que l’on se lance dans des problèmes complexes : on veut apprendre aux voitures à se conduire toutes seules, par exemple, et cela n’est pas possible avec les méthodes traditionnelles.

Comment faire autrement ?

Ce qui manque, c’est de permettre à la machine, par un apprentissage autosupervisé, de se construire un modèle du monde. Qu’elle sache prédire que, si elle roule au bord d’un ravin et qu’elle donne un coup de volant, elle va finir au fond, et que ce n’est pas bon. Apprendre un modèle du monde, cela revient à prédire le futur à partir du passé et du présent, et peut-être d’une séquence d’actions que l’on a l’intention de faire. Pouvoir prédire, c’est un peu l’essence de l’intelligence.

Ce qui est étonnant, en lisant votre livre, c’est à quel point vous êtes fasciné par les neurosciences, par la façon dont le cerveau apprend…

C’est une inspiration. Il y a des gens qui disent que l’on peut faire de l’intelligence artificielle sans se référer du tout à l’intelligence humaine. Cela a été un des courants classiques de l’IA, fondé sur la logique, et cela a conduit aux systèmes experts, qui ont montré leurs limites notamment pour l’apprentissage car il faut entrer toutes les données « à la main ». Et puis il y a l’autre approche, qui consiste à essayer de copier ce qui se passe dans le cerveau. Mais là, il y a un autre danger, qui est de reproduire de trop près ce qui se passe, sans en comprendre les principes.

Les réseaux de neurones profonds, que vous avez contribué à inventer, sont particulièrement performants pour la reconnaissance faciale, qui est en train de se répandre partout, parfois de façon inquiétante. Qu’est-ce que cela vous inspire ?

C’est vrai pour toutes les technologies. Les technologies sont neutres, elles peuvent être utilisées à des fins bénéfiques ou moins bénéfiques. Ce qui fait qu’elles seront principalement utilisées à des fins bénéfiques, c’est la force de nos institutions démocratiques. Ceci dit, si on retourne plusieurs siècles en arrière, personne ne peut contester les bénéfices de l’invention de l’imprimerie, même si elle a permis de disséminer les écrits de Calvin et Luther qui ont causé deux cents ans de persécutions en Europe. C’est vrai que  les systèmes de reconnaissance du visage qui sont utilisés en Chine sont directement inspirés d’un de mes articles sur les réseaux convolutifs publiés en 2014. Mais la même invention sert aussi dans la sécurité routière, pour des systèmes d’aide à la conduite, ou dans l’analyse d’imagerie médicale pour augmenter la fiabilité. Elle sert à beaucoup de choses utiles, y compris chez Facebook pour lutter contre les images terroristes.

 (*) Luc Julia, aujourd’hui responsable de la recherche de Samsung, est à l’origine de Siri, l’assistant vocal d’Apple. Il a publié l’an dernier « L’intelligence artificielle n’existe pas » (First Editions).

« Quand la machine apprend », Yann Le Cun, éditions Odile Jacob, 396 pages, 22,90 euros.

Intelligence artificielle : limites, potentiels et dangers

Intelligence artificielle :  limites, potentiels et dangers

 

James Buchanan – Directeur Stratégie, Razorfish Londres, évoque les limites de l’IA.( Dans un article de la Tribune)

 

 

 

« L’intelligence artificielle a tous les attributs d’une grande révolution annoncée. Son potentiel est un peu plus « réel » chaque jour, de l’ordinateur qui bat les meilleurs joueurs de Go à la voiture autonome.  Lors de cette manifestation à laquelle j’ai participé aux côtés de 3 autres experts, j’ai eu l’occasion d’aborder l’impact des services propulsés par l’IA à l’échelle de l’individu. Au cours des cinq dernières années, les objets et services intelligents se sont essayés à tous les aspects de notre vie. Depuis la rencontre amoureuse jusqu’à la livraison, en passant par la finance et le sport, des start-ups anticipent désormais le moindre de nos problèmes et nous proposent des services toujours plus personnalisés à l’aide de l’IA. Sous couvert d’être pratiques, ces services changent notre façon de voir le monde, notre manière de penser et notre propre identité. Quelle valeur accordons-nous à notre libre-arbitre ? Sommes-nous prêts à sacrifier notre autonomie ? Avec l’émergence des machines qui apprennent, notre monde devient de plus en plus inquiétant et étrange, et il est légitime de s’interroger sur son évolution.  C’est maintenant qu’il faut en parler, alors que ces outils sont encore à notre service. Personne ne veut devenir le simple prolongement de chair et d’os d’un algorithme. L’innovation a toujours modifié notre façon de penser : ce que nous créons nous influence en retour. Le cas de l’intelligence artificielle est unique. Elle se matérialise par des outils qui ont leur intelligence propre et ne se laissent pas totalement contrôler. A la poursuite de leur logique interne, ils s’améliorent au contact de millions d’utilisateurs, leur influence croissant avec leur intelligence. Ces services semblent utiles car ils résolvent nos problèmes, révèlent ce qu’il y a de meilleur en nous et minimisent nos insuffisances. Ils nous confèrent quasiment des superpouvoirs. C’est pourtant d’un œil critique que nous devrions considérer cette situation. Dans ce futur algorithmique, qu’est ce qui compte le plus ? Avoir l’opportunité de partager mon point de vue est plutôt un accomplissement pour qui, comme moi, a grandi dans une petite ville. Mais que penser d’un futur où l’IA ne me permettra plus jamais de rencontrer ceux qui ne sont pas d’accord avec moi ? Que penser d’un service financier qui, faisant passer en premier ce qu’il sait être mes intérêts à long-terme, me rendra volontairement difficile la prise de décisions d’impulsion? In fine, peut-on sincèrement croire que « le marché » prendra soin de nous ? L’option de facilité consiste à se concentrer sur les résultats : clients enrichis, volume d’engagement, indice de satisfaction… Des données simples car elles correspondent déjà aux objectifs des entreprises. Elles offrent aussi de la lisibilité sur les variables grâce auxquelles les algorithmes s’améliorent, le reflet d’une culture scientifique dans laquelle ont grandi de nombreux tech-entrepreneurs. Mais laisser de côté toute préoccupation de sécurité devrait pourtant nous inquiéter un peu plus. Même des scientifiques de renom comme Stephen Hawkins admettent que l’intelligence artificielle pourrait bientôt nous échapper… Un autre mot pour « résultat » est « fin », et l’on sait qu’elle ne justifie pas les moyens. Enrichir un client n’est pas un argument valable si, en chemin, vous détériorez un autre aspect de sa vie, ou celle de quelqu’un d’autre, de façon imprévisible. Il y a ensuite le risque de devenir dépendant. Que se passerait-il si tous ces services devenaient soudainement inaccessibles ? Serions-nous livrés à nous-mêmes ? C’est bien une question d’éthique que pose en creux l’IA… Il existe heureusement une alternative. Et si au lieu de se focaliser sur les résultats nous aidions plutôt les gens à devenir un peu plus eux-mêmes ? En encourageant la réflexion et la connaissance de soi, nous donnerions la priorité à l’enseignement plutôt qu’à l’automation. Nous donnerions aux gens les outils pour développer leurs compétences naturelles plutôt que de chercher à les remplacer. Nous passerions probablement plus de temps à réfléchir au rôle que ces services jouent au sein de la société plutôt qu’à ce qu’ils apportent à l’individu isolé. En somme, en faisant moins nous pouvons encourager les autres à en faire plus et à agir de façon éthique et responsable. Mais cela n’arrivera pas par hasard, nous devons passer par un chemin choisi délibérément. Tant dans les instances dirigeantes, où le sujet doit être mis à l’ordre du jour des agendas politiques, qu’auprès des citoyens, nous devons nous assurer que les consciences s’éveillent à ces questions. Asseyons-nous autour d’une table et engageons dès aujourd’hui la discussion sur ce que l’IA peut proposer, non seulement aux personnes que nous sommes, mais aussi à celles que nous voulons devenir. »

L’intelligence artificielle : comment prendre en compte l’intelligence humaine ?

L’intelligence artificielle : comment prendre en compte  l’intelligence humaine ?

 

Arnaud Martin, Université Rennes 1 pose la question de l’intégration de  l’incertitude humaine dans l’intelligence artificielle. (La Tribune)

« L’intelligence artificielle est devenue aujourd’hui un enjeu économique et se retrouve au cœur de nombreuses actualités. En effet les applications d’un grand nombre d’algorithmes regroupés sous le terme d’intelligence artificielle se retrouvent dans plusieurs domaines. Citons par exemple l’utilisation de l’intelligence artificielle dans les processus de recrutement ou encore pour le développement de voitures autonomes. Dans ce contexte, la France veut jouer un rôle dans lequel le rapport Villani pose les bases d’une réflexion. Ces méthodes et algorithmes d’intelligence artificielle soulèvent cependant des craintes et des critiques liées à la perte du sens commun issu des relations humaines.

Il faut toutefois avoir conscience que l’ensemble de ces approches ne font qu’intégrer des connaissances humaines qui ont été au préalable modélisées bien souvent à partir de processus d’extraction de connaissances.

C’est dans ce cadre que nous menons des recherches dans l’équipe DRUID (Declarative and Reliable Management of Uncertain, User-generated Interlinked Data) de l’IRISA (Institut de recherche en informatique et systèmes aléatoires). Il est en effet important de pouvoir modéliser de façon la plus exacte possible les connaissances des hommes aussi imparfaites qu’elles soient. Par exemple, lorsqu’on s’exprime sur les réseaux sociaux, on peut émettre des avis entachés d’incertitude ou encore d’imprécision. Il ne serait pas raisonnable de croire tout ce qui peut se dire sur les réseaux sociaux. Mais comment modéliser ces doutes que l’on a tous ?

Nous développons ainsi des approches dans le cadre de la théorie des fonctions de croyance. Cette théorie permet de modéliser à la fois le caractère incertain d’une information mais également son caractère imprécis. Par exemple, si l’on me dit qu’il pleuvra peut-être beaucoup demain, d’une part je ne suis pas certain qu’il pleuve demain et d’autre part je ne sais pas interpréter le terme « beaucoup » qui peut correspondre à la quantité d’eau qu’il va tomber ou à la durée de la pluie. Alors dois-je prendre un parapluie ?

Cette modélisation de l’information produite par les hommes, l’intelligence naturelle, doit être particulièrement fine lorsque l’on veut combiner ces informations issues de différentes personnes. En effet, si beaucoup de personnes pensent qu’il va peut-être pleuvoir demain, sur la base de leurs connaissances diverses et indépendantes, on peut penser qu’il y a plus de chance qu’il pleuve demain, même si les personnes initialement étaient incertaines.

 

Ainsi, plusieurs stratégies de combinaison de ces informations dans le cadre de la théorie des fonctions de croyance ont été proposées. Au cœur de ces approches, réside la notion de conflit car lorsqu’on laisse la possibilité à plusieurs personnes indépendantes de s’exprimer, inévitablement certaines opinions seront contradictoires. Le conflit peut donc être vu comme une conséquence inhérente à la diversité de l’intelligence naturelle. Atteindre un consensus devient donc un des principaux défis de l’intelligence artificielle.

C’est en effet à partir d’un consensus qu’une décision peut être prise que ce soit lors d’une assemblée de personnes ou par un algorithme. Si le consensus est mou, la décision sera moins fiable et parfois peu pertinente. Il serait illusoire de penser que les décisions prises par un algorithme d’intelligence artificielle sont indiscutables et sont prises de façon certaine. Toute décision doit donc être accompagnée d’un niveau de confiance que l’on peut lui porter. Ainsi, dans le cadre de la théorie des fonctions de croyance, plusieurs stratégies de décision sont développées pour m’aider notamment à prendre ou non un parapluie.

Bien sûr le développement de ces approches sous-entend qu’on laisse suffisamment d’expressivité aux personnes afin de préciser leur incertitude et imprécision. C’est malheureusement peu souvent le cas. Aujourd’hui on nous demande notre avis sur tout : on doit noter l’hôtel dans lequel on vient de séjourner, le chauffeur qui nous a conduits, le vendeur d’électroménager ou encore le livreur. Il est cependant bien souvent difficile d’attribuer une note ou un avis, qui reste très subjectif, alors que par exemple on ne s’est même pas encore servi de l’électroménager. Les questionnaires ne permettent pas de préciser nos incertitudes et imprécisions alors qu’il est des plus naturels de les exprimer dans le langage courant. Pire, les algorithmes d’apprentissage qui sont le fondement d’un grand nombre de méthodes d’intelligence artificielle ne permettent pas d’intégrer ces connaissances naturelles puisqu’elles n’ont pas été recueillies dans les bases de données. En particulier, des plates-formes de productions participatives (crowdsourcing en anglais) permettent, entre autres, d’acquérir des bases de connaissances nécessaires à l’apprentissage d’algorithmes de plus en plus gourmands avec la résurgence des réseaux de neurones.

Ainsi dans le cadre d’un projet de recherche qui porte sur le développement de ces plates-formes, nous cherchons à proposer des questionnaires permettant des réponses incertaines et imprécises.

Ces recherches nous paraissent essentielles pour l’intégration de l’intelligence naturelle dans les algorithmes d’intelligence artificielle. »

______

Par Arnaud Martin, Intelligence Artificielle, Fouille de données, Université Rennes 1

 

Intelligence artificielle : science ou art ?

 

Intelligence artificielle : science ou art ?

Un  article intéressant de Raphael Bertholet, Vice-Président R&D de Symphony Retail AI France dans le journal la Tribune évoque les possibilités d’intégration de la sensibilité humaine dans l’intelligence artificielle au point que cette dernière pourrait être considérée comme un art. Un article qui s’attarde cependant seulement sur les problèmes méthodologiques et qui n’évoque pas les phénomènes d’aliénation et de domination de ces nouvelles technologies sur la pensée humaine, sur les comportements et pas seulement dans le domaine marchand.

 

 

Tribune

 

« Alors que l’on croyait, il y a encore peu, que l’une des limites de l’IA était la créativité – notamment artistique -, nous savons à présent qu’il n’en est rien et que l’homme peut être challengé aussi dans ce domaine. En témoigne la première exposition qui se tient en ce moment en Angleterre, rassemblant les œuvres d’AI-Da, humanoïde doté d’une intelligence artificielle. Il n’aura fallu que quelques jours pour que tous ses dessins, tableaux et sculptures se vendent, pour plus d’un million d’euros. Preuve, s’il était besoin, que l’IA est un placement d’avenir !

Au-delà de son caractère médiatique, cet évènement montre un point capital : l’IA lève le voile sur des domaines que l’on croyait hors du champ de la rationalité et des sciences, des domaines où seuls l’instinct et le talent humains pouvaient agir et apporter des réponses. L’IA montre que ce n’est pas si vrai et que les algorithmes peuvent, contre certaines certitudes, trouver des réponses à des questions qui étaient censées échapper à la science.

La prévision de la demande est, pour partie, l’un de ces domaines.

Jusqu’à récemment, l’approche en matière de prévision de la demande dans le retail a consisté à s’appuyer sur des outils statistiques et analytiques pour une grande partie des catégories de produits – et sur l’expérience et l’instinct des prévisionnistes pour ce qui sortait du cadre des modèles bien établis.

Bien que très performants, les outils statistiques classiques touchent, en effet, à leurs limites dès que l’on n’est plus dans une situation habituelle. Comment anticiper, par exemple, la demande d’un produit qui va faire l’objet d’une importante promotion le mois prochain alors que le vécu de ce même produit est vide de ce genre d’expérience ? Comment savoir à quel point le lancement d’un nouveau produit – pour lequel il n’y a pas de données existantes – va susciter la demande ?

Pour toutes ces situations inhabituelles pour lesquelles les statistiques ne peuvent plus venir en aide au travail des prévisionnistes, ces derniers se fient généralement à leur expérience. C’est l’intuition qui prend le relai. C’est le point au-delà duquel la prévision de la demande cesse d’être une science et devient un art.

Or c’est précisément ce point où l’IA est aujourd’hui en train de renverser la situation. En analysant des corrélations et des probabilités de corrélations avec d’autres articles, d’autres lieux de vente, d’autres données contextuelles, l’IA va se comporter comme l’instinct ou l’intuition du prévisionniste et permettre à la prévision de la demande de continuer à être une science, là où l’on pensait qu’elle restait un art.

Dans le retail comme ailleurs, la valeur d’une prévision se mesure à sa fiabilité et sa précision. Si la prévision de la demande pour les produits connus atteint des niveaux de précision élevés, celle des produits ou situations inhabituels fait chuter le taux de précision global, qui se heurte à une limite que l’on croyait difficile, pour ne pas dire impossible, à briser.

Parce qu’elle sait non seulement traiter des volumes de données immenses et hétérogènes, mais aussi faire les corrélations qui permettent d’expliquer l’inhabituel, l’IA gomme aujourd’hui cette limite. Elle donne aux prévisionnistes les moyens de passer une étape supérieure majeure dans leur travail, en leur fournissant les pistes et les corrélations qui leur permettent d’expliquer l’inhabituel et en industrialisant le bénéfice de l’intuition pour anticiper, avec une précision inédite, les situations pour lesquelles il n’existe pas ou peu de données directement reliées à l’évènement.

Avec l’IA, le talent des prévisionnistes peut ainsi être mis au profit de cette nouvelle marge de progression du taux de précision des prévisions. Leur intuition servira à proposer et tester de nouvelles données contextuelles aux évènements, de nouveaux attributs descriptifs pour enrichir l’IA et améliorer ses performances. Sans être encore une science exacte, la prévision de la demande s’en rapproche de plus en plus avec l’IA, et pourrait bien tendre à le devenir. »

L’intelligence artificielle : comment y intégrer l’intelligence humaine ?

L’intelligence artificielle : comment y intégrer l’intelligence humaine ?

 

Arnaud Martin, Université Rennes 1 pose la question de l’intégration de  l’incertitude humaine dans l’intelligence artificielle. (La Tribune)


« L’intelligence artificielle est devenue aujourd’hui un enjeu économique et se retrouve au cœur de nombreuses actualités. En effet les applications d’un grand nombre d’algorithmes regroupés sous le terme d’intelligence artificielle se retrouvent dans plusieurs domaines. Citons par exemple l’utilisation de l’intelligence artificielle dans les processus de recrutement ou encore pour le développement de voitures autonomes. Dans ce contexte, la France veut jouer un rôle dans lequel le rapport Villani pose les bases d’une réflexion. Ces méthodes et algorithmes d’intelligence artificielle soulèvent cependant des craintes et des critiques liées à la perte du sens commun issu des relations humaines.

Il faut toutefois avoir conscience que l’ensemble de ces approches ne font qu’intégrer des connaissances humaines qui ont été au préalable modélisées bien souvent à partir de processus d’extraction de connaissances.

C’est dans ce cadre que nous menons des recherches dans l’équipe DRUID (Declarative and Reliable Management of Uncertain, User-generated Interlinked Data) de l’IRISA (Institut de recherche en informatique et systèmes aléatoires). Il est en effet important de pouvoir modéliser de façon la plus exacte possible les connaissances des hommes aussi imparfaites qu’elles soient. Par exemple, lorsqu’on s’exprime sur les réseaux sociaux, on peut émettre des avis entachés d’incertitude ou encore d’imprécision. Il ne serait pas raisonnable de croire tout ce qui peut se dire sur les réseaux sociaux. Mais comment modéliser ces doutes que l’on a tous ?

Nous développons ainsi des approches dans le cadre de la théorie des fonctions de croyance. Cette théorie permet de modéliser à la fois le caractère incertain d’une information mais également son caractère imprécis. Par exemple, si l’on me dit qu’il pleuvra peut-être beaucoup demain, d’une part je ne suis pas certain qu’il pleuve demain et d’autre part je ne sais pas interpréter le terme « beaucoup » qui peut correspondre à la quantité d’eau qu’il va tomber ou à la durée de la pluie. Alors dois-je prendre un parapluie ?

Cette modélisation de l’information produite par les hommes, l’intelligence naturelle, doit être particulièrement fine lorsque l’on veut combiner ces informations issues de différentes personnes. En effet, si beaucoup de personnes pensent qu’il va peut-être pleuvoir demain, sur la base de leurs connaissances diverses et indépendantes, on peut penser qu’il y a plus de chance qu’il pleuve demain, même si les personnes initialement étaient incertaines.

 

Ainsi, plusieurs stratégies de combinaison de ces informations dans le cadre de la théorie des fonctions de croyance ont été proposées. Au cœur de ces approches, réside la notion de conflit car lorsqu’on laisse la possibilité à plusieurs personnes indépendantes de s’exprimer, inévitablement certaines opinions seront contradictoires. Le conflit peut donc être vu comme une conséquence inhérente à la diversité de l’intelligence naturelle. Atteindre un consensus devient donc un des principaux défis de l’intelligence artificielle.

C’est en effet à partir d’un consensus qu’une décision peut être prise que ce soit lors d’une assemblée de personnes ou par un algorithme. Si le consensus est mou, la décision sera moins fiable et parfois peu pertinente. Il serait illusoire de penser que les décisions prises par un algorithme d’intelligence artificielle sont indiscutables et sont prises de façon certaine. Toute décision doit donc être accompagnée d’un niveau de confiance que l’on peut lui porter. Ainsi, dans le cadre de la théorie des fonctions de croyance, plusieurs stratégies de décision sont développées pour m’aider notamment à prendre ou non un parapluie.

Bien sûr le développement de ces approches sous-entend qu’on laisse suffisamment d’expressivité aux personnes afin de préciser leur incertitude et imprécision. C’est malheureusement peu souvent le cas. Aujourd’hui on nous demande notre avis sur tout : on doit noter l’hôtel dans lequel on vient de séjourner, le chauffeur qui nous a conduits, le vendeur d’électroménager ou encore le livreur. Il est cependant bien souvent difficile d’attribuer une note ou un avis, qui reste très subjectif, alors que par exemple on ne s’est même pas encore servi de l’électroménager. Les questionnaires ne permettent pas de préciser nos incertitudes et imprécisions alors qu’il est des plus naturels de les exprimer dans le langage courant. Pire, les algorithmes d’apprentissage qui sont le fondement d’un grand nombre de méthodes d’intelligence artificielle ne permettent pas d’intégrer ces connaissances naturelles puisqu’elles n’ont pas été recueillies dans les bases de données. En particulier, des plates-formes de productions participatives (crowdsourcing en anglais) permettent, entre autres, d’acquérir des bases de connaissances nécessaires à l’apprentissage d’algorithmes de plus en plus gourmands avec la résurgence des réseaux de neurones.

Ainsi dans le cadre d’un projet de recherche qui porte sur le développement de ces plates-formes, nous cherchons à proposer des questionnaires permettant des réponses incertaines et imprécises.

Ces recherches nous paraissent essentielles pour l’intégration de l’intelligence naturelle dans les algorithmes d’intelligence artificielle. »

______

Par Arnaud Martin, Intelligence Artificielle, Fouille de données, Université Rennes 1

 

INTELLIGENCE ARTIFICIELLE : PARIS ET BERLIN POUR UN FONDS COMMUN .

Intelligence artificielle : Paris et Berlin pour  un fonds commun

La France et l’Allemagne viennent  d’annoncer la mise en place d’un fonds commun pour développer  la filière de l’intelligence artificielle. Il était temps car ni en Allemagne, ni en France il n’existe de stratégies à la hauteur des enjeux dans ce domaine. Pour tout dire,  on a nettement sous-estimé le développement exponentiel des  algorithmes qui vont nourrir les transformations du mode de production mais aussi du mode de consommation voir même influencer le domaine naturel. Certes la France ne manque pas de bidouilleurs de génie capable de développer une start-up dans un domaine particulier mais souvent revendues en quelques années  à des firmes américaines voire chinoises. Cette émergence un peu spontané de ne saurait constituer une stratégie. Les insuffisances françaises et allemandes dans ce domaine du numérique sont à l’image des mêmes carences qui concernent cette autre filière que sont les batteries électriques.

Notons que le projet sur l’intelligence artificielle s’inspirera du modèle retenu pour financer le développement d’une filière européenne de batteries de quatrième génération pour les véhicules électriques, déjà fruit d’une initiative franco-allemande, qui vise à contrer le quasi-monopole actuel de la Chine dans ce domaine.

Bruno Le Maire plaide régulièrement pour une plus grande coordination européenne sur les questions industrielles et technologiques, indispensable à ses yeux pour favoriser l’émergence de “géants européens” à même de garantir la “souveraineté technologique” de l’Europe face aux Etats-Unis et à la Chine.

Il est soutenu dans ce projet par le ministre allemand de l’Economie et de l’Energie, Peter Altmaier, qui a jugé dans son discours devant les patrons français que l’intérêt de l’Europe était de se donner les moyens de conserver les données de ses citoyens et de “créer une infrastructure souveraine de données”.

Intelligence artificielle : les limites

Intelligence artificielle : les limites

James Buchanan – Directeur Stratégie, Razorfish Londres, évoque les limites de l’IA.( Dans un article de la Tribune)

 

 

 

« Omniprésente cette année au salon South by Southwest, l’intelligence artificielle a tous les attributs d’une grande révolution annoncée. Son potentiel est un peu plus « réel » chaque jour, de l’ordinateur qui bat les meilleurs joueurs de Go à la voiture autonome.  Lors de cette manifestation à laquelle j’ai participé aux côtés de 3 autres experts, j’ai eu l’occasion d’aborder l’impact des services propulsés par l’IA à l’échelle de l’individu. Au cours des cinq dernières années, les objets et services intelligents se sont essayés à tous les aspects de notre vie. Depuis la rencontre amoureuse jusqu’à la livraison, en passant par la finance et le sport, des start-ups anticipent désormais le moindre de nos problèmes et nous proposent des services toujours plus personnalisés à l’aide de l’IA. Sous couvert d’être pratiques, ces services changent notre façon de voir le monde, notre manière de penser et notre propre identité. Quelle valeur accordons-nous à notre libre-arbitre ? Sommes-nous prêts à sacrifier notre autonomie ? Avec l’émergence des machines qui apprennent, notre monde devient de plus en plus inquiétant et étrange, et il est légitime de s’interroger sur son évolution.  C’est maintenant qu’il faut en parler, alors que ces outils sont encore à notre service. Personne ne veut devenir le simple prolongement de chair et d’os d’un algorithme. L’innovation a toujours modifié notre façon de penser : ce que nous créons nous influence en retour. Le cas de l’intelligence artificielle est unique. Elle se matérialise par des outils qui ont leur intelligence propre et ne se laissent pas totalement contrôler. A la poursuite de leur logique interne, ils s’améliorent au contact de millions d’utilisateurs, leur influence croissant avec leur intelligence. Ces services semblent utiles car ils résolvent nos problèmes, révèlent ce qu’il y a de meilleur en nous et minimisent nos insuffisances. Ils nous confèrent quasiment des superpouvoirs. C’est pourtant d’un œil critique que nous devrions considérer cette situation. Dans ce futur algorithmique, qu’est ce qui compte le plus ? Avoir l’opportunité de partager mon point de vue est plutôt un accomplissement pour qui, comme moi, a grandi dans une petite ville. Mais que penser d’un futur où l’IA ne me permettra plus jamais de rencontrer ceux qui ne sont pas d’accord avec moi ? Que penser d’un service financier qui, faisant passer en premier ce qu’il sait être mes intérêts à long-terme, me rendra volontairement difficile la prise de décisions d’impulsion? In fine, peut-on sincèrement croire que « le marché » prendra soin de nous ? L’option de facilité consiste à se concentrer sur les résultats : clients enrichis, volume d’engagement, indice de satisfaction… Des données simples car elles correspondent déjà aux objectifs des entreprises. Elles offrent aussi de la lisibilité sur les variables grâce auxquelles les algorithmes s’améliorent, le reflet d’une culture scientifique dans laquelle ont grandi de nombreux tech-entrepreneurs. Mais laisser de côté toute préoccupation de sécurité devrait pourtant nous inquiéter un peu plus. Même des scientifiques de renom comme Stephen Hawkins admettent que l’intelligence artificielle pourrait bientôt nous échapper… Un autre mot pour « résultat » est « fin », et l’on sait qu’elle ne justifie pas les moyens. Enrichir un client n’est pas un argument valable si, en chemin, vous détériorez un autre aspect de sa vie, ou celle de quelqu’un d’autre, de façon imprévisible. Il y a ensuite le risque de devenir dépendant. Que se passerait-il si tous ces services devenaient soudainement inaccessibles ? Serions-nous livrés à nous-mêmes ? C’est bien une question d’éthique que pose en creux l’IA… Il existe heureusement une alternative. Et si au lieu de se focaliser sur les résultats nous aidions plutôt les gens à devenir un peu plus eux-mêmes ? En encourageant la réflexion et la connaissance de soi, nous donnerions la priorité à l’enseignement plutôt qu’à l’automation. Nous donnerions aux gens les outils pour développer leurs compétences naturelles plutôt que de chercher à les remplacer. Nous passerions probablement plus de temps à réfléchir au rôle que ces services jouent au sein de la société plutôt qu’à ce qu’ils apportent à l’individu isolé. En somme, en faisant moins nous pouvons encourager les autres à en faire plus et à agir de façon éthique et responsable. Mais cela n’arrivera pas par hasard, nous devons passer par un chemin choisi délibérément. Tant dans les instances dirigeantes, où le sujet doit être mis à l’ordre du jour des agendas politiques, qu’auprès des citoyens, nous devons nous assurer que les consciences s’éveillent à ces questions. Asseyons-nous autour d’une table et engageons dès aujourd’hui la discussion sur ce que l’IA peut proposer, non seulement aux personnes que nous sommes, mais aussi à celles que nous voulons devenir. »

 

Intelligence artificielle : l’esquisse d’une stratégie

Intelligence artificielle : l’esquisse d’une stratégie

 

 

Comme on le sait, la mode n’est pas aux réflexions stratégiques dans ce gouvernement qui lui préfère une sorte de l’idéologie du court terme. Pourtant pour certains grands sujets industriels ou autres, la complexité de la problématique et l’ampleur des moyens à mettre en œuvre exigent  nécessairement une vision à long terme et la mise en place de synergies entre les acteurs concernés. Faute de ce type de démarche, la France et l’Europe ont perdu la maîtrise de la technologie 5G  au profit seulement des Chinois et des Américains. Concernant l’intelligence artificielle là aussi chinois et américains ont engagé des moyens considérables pour maîtriser cette révolution technologique. On peut donc se réjouir que Huit  grands groupes industriels français de secteurs aussi variés que l’aérospatiale, l’énergie et l’automobile aient  annoncé mercredi avoir signé un manifeste pour préparer l’utilisation de l’intelligence artificielle (IA) dans leurs activités respectives. Air Liquide, Dassault Aviation, EDF, Renault, Safran, Thales, Total et Valeo précisent dans un communiqué commun vouloir définir d’ici la fin d’année un “plan d’action coordonné avec l’écosystème français de l’IA». Les groupes industriels ont signé ce manifeste avec le ministère de l’Economie et des Finances dans le cadre de la stratégie “AI for Humanity” du gouvernement. “L’objectif est d’atteindre plus rapidement une masse critique sur les sujets de recherche prioritaires”, soulignent-ils pour expliquer leur volonté de coopérer, tout en invitant d’autres acteurs publics ou privés à les rejoindre. Le groupe de télécoms Orange, le fabricant de semi-conducteurs STMicroelectronics, le groupe de services pétroliers Schlumberger et l’éditeur de jeux vidéo Ubisoft ont déjà franchi le pas ces derniers jours en participant eux aussi au manifeste, a précisé Marko Erman, directeur technique de Thales. “La rupture technologique fondatrice pour les économies du 21e siècle, ce sera l’intelligence artificielle”, a souligné lors d’un discours le ministre de l’Economie et des Finances Bruno Le Maire. “C’est pour ça qu’il est absolument impératif (…) que ce soit une technologie que nous maîtrisions et non pas une technologie que nous subissions”, a-t-il ajouté. On peut cependant regretter que le rapprochement des compétences et les moyens de recherche sur le sujet n’ait  pas une dimension européenne

Intelligence artificielle : enjeux (rapport Villani)

Intelligence artificielle : enjeux (rapport Villani)

 

Un rapport parlementaire sorti il y a un an mais qui demeure d actualité (www.aiforhumanity.fr/pdfs/9782111457089_Rapport_Villani_accessible.pd).  Introduction.

« Définir l’intelligence artificielle n’est pas chose facile. Depuis ses origines comme domaine de recherche spécifique, au milieu du XXe siècle, elle a toujours constitué une frontière, incessamment repoussée. L’intelligence artificielle désigne en effet moins un champ de recherches bien défini qu’un programme, fondé autour d’un objectif ambitieux : comprendre comment fonctionne la cognition humaine et la reproduire ; créer des processus cognitifs comparables à ceux de l’être humain. Le champ est donc naturellement extrêmement vaste, tant en ce qui concerne les procédures techniques utilisées que les disciplines convoquées : mathématiques, informatiques, sciences cognitives… Les méthodes d’IA sont très nombreuses et diverses (ontologique, apprentissage par renforcement, apprentissage adversarial, réseaux de neurones…) et ne sont pas nouvelles : beaucoup d’algorithmes utilisés aujourd’hui ont été développés il y a plusieurs dizaines d’années. Depuis la conférence de Dartmouth de 1956, l’intelligence artificielle s’est développée, au gré des périodes d’enthousiasme et de désillusion qui se sont succédées, repoussant toujours un peu plus les limites de ce qu’on croyait pouvoir n’être fait que par des humains. En poursuivant son projet initial, la recherche en IA a donné lieu à des vrais succès (victoire au jeu d’échecs, au jeu de go, compréhension du langage naturel…) et a nourri largement l’histoire des mathématiques et de l’informatique : combien de dispositifs que nous considérons aujourd’hui comme banals étaient à l’origine une avancée majeure en IA – une application de jeux d’échecs, un programme de traduction en ligne… ? Du fait de ses ambitions, qui en font un des programmes scientifiques les plus fascinants de notre époque, la discipline de l’IA s’est toujours développée de concert avec les imaginaires les plus délirants, les plus angoissants et les plus fantastiques, qui ont façonné les rapports qu’entretient le grand public avec l’IA mais également ceux des chercheurs eux-mêmes avec leur propre discipline. La (science) fiction, les fantasmes et les projections collectives ont accompagné l’essor de l’intelligence artificielle et guident parfois ses objectifs de long terme : en témoignent les productions fictionnelles abondantes sur le sujet, de 2001 l’Odyssée de l’espace, à Her en passant Blade Runner et une grande partie de la littérature de science-fiction. Finalement, c’est probablement cette alliance entre des projections fictionnelles et la recherche scientifique qui constitue l’essence de ce qu’on appelle l’IA. Les imaginaires, souvent ethno-centrés et organisés autour d’idéologies politiques sous-jacentes, jouent donc un rôle majeur, bien que souvent négligé, dans la direction que prend le développement de cette discipline. L’intelligence artificielle est entrée, depuis quelques années, dans une nouvelle ère, qui donne lieu à de nombreux espoirs. C’est en particulier dû à l’essor de l’apprentissage automatique. Rendues possibles par des algorithmes nouveaux, par la multiplication des jeux de données et le décuplement des puissances L’intelligence artificielle est entrée, depuis quelques années, dans une nouvelle ère, qui donne lieu à de nombreux espoirs 10 Introduction de calcul, les applications se multiplient : traduction, voiture autonome, détection de cancer,… Le développement de l’IA se fait dans un contexte technologique marqué par la « mise en données » du monde (datafication), qui touche l’ensemble des domaines et des secteurs, la robotique, la blockchain1, le supercalcul et le stockage massif. Au contact de ces différentes réalités technologiques se jouera sûrement le devenir de l’intelligence artificielle. Ces applications nouvelles nourrissent de nouveaux récits et de nouvelles peurs, autour, entre autres, de la toute-puissance de l’intelligence artificielle, du mythe de la Singularité et du transhumanisme. Depuis quelques années, ces représentations sont largement investies par ceux qui la développent et participent à en forger les contours. Le cœur politique et économique de l’intelligence artificielle bat toujours dans la Silicon Valley, qui fait encore office de modèle pour tout ce que l’Europe compte d’innovateurs. Plus qu’un lieu, davantage qu’un écosystème particulier, elle est, pour beaucoup d’acteurs publics et privés, un état d’esprit qu’il conviendrait de répliquer. La domination californienne, qui subsiste dans les discours et dans les têtes, nourrit l’idée d’une voie unique, d’un déterminisme technologique. Si le développement de l’intelligence artificielle est pensé par des acteurs privés hors de nos frontières, la France et l’Europe n’auraient d’autre choix que de prendre le train en marche. Les illustrations sont nombreuses : rien qu’en France, l’accord signé entre Microsoft et l’éducation nationale sous le précédent quinquennat ou l’utilisation par la DGSI de logiciels fournis par Palantir, une startup liée à la CIA, ne disent finalement pas autre chose. On observe la même tentation chez les entreprises européennes qui, persuadées d’avoir déjà perdu la course, cèdent bien souvent aux sirènes des géants de la discipline, parfois au détriment de nos pépites numériques. Contrairement aux dernières grandes périodes d’emballement de la recherche en intelligence artificielle, le sujet a très largement dépassé la seule sphère scientifique et est sur toutes les lèvres. Les investissements dans la recherche et dans l’industrie atteignent des sommes extraordinaires, notamment en Chine. Les responsables politiques du monde entier l’évoquent dans les discours de politique générale comme un levier de pouvoir majeur : l’emblématique interview à Wired de Barack Obama en octobre 2016 montrait que ce dernier avait bien compris l’intérêt de faire de l’avance américaine en intelligence artificielle un outil redoutable de soft power. Le Président russe Vladimir Poutine a quant à lui affirmé que « celui qui deviendra le leader dans ce domaine sera le maître du monde », comparant l’intelligence artificielle aux technologies nucléaires. S’il s’agissait vraisemblablement pour lui de compenser le retard de la Russie en matière d’intelligence artificielle par un discours musclé sur le sujet, cette affirmation est révélatrice de l’importance géostratégique prise par ces technologies. Dans la mesure où les chaînes de valeur, surtout dans le secteur numérique, sont désormais mondiales, les pays qui seront les leaders dans le domaine de l’intelligence artificielle seront amenés à capter une grande partie de la valeur des systèmes qu’ils transforment, mais également à contrôler ces mêmes systèmes, mettant en cause l’indépendance des autres pays. C’est que l’intelligence artificielle va désormais jouer un rôle bien plus important que celui qu’elle jouait jusqu’alors. Elle n’est plus seulement un programme 1. La blockchain correspond à un registre distribué qui permet d’éviter de recourir à un tiers de confiance lors de transactions et qui est notamment au fondement du bitcoin. 11 Introduction Donner un sens, c’est-à-dire donner un cap, une signification et des explications. Voilà l’objectif de ce rapport de recherche confiné aux laboratoires ou à une application précise. Elle va devenir une des clés du monde à venir. En effet nous sommes dans un monde numérique, de plus en plus, de part en part. Un monde de données. Ces données qui sont au cœur du fonctionnement des intelligences artificielles actuelles. Dans ce monde-là, qui est désormais le nôtre, ces technologies représentent beaucoup plus qu’un programme de recherche : elles déterminent notre capacité à organiser les connaissances, à leur donner un sens, à augmenter nos facultés de prise de décision et de contrôle des systèmes. Et notamment à tirer de la valeur des données. L’intelligence artificielle est donc une des clés du pouvoir de demain dans un monde numérique. Voilà pourquoi il est d’intérêt général que nous nous saisissions collectivement de cette question. Et que la France et l’Europe puissent faire entendre leur voix. Il est nécessaire de tout faire pour rester indépendants. Or la concurrence est rude : les États-Unis et la Chine sont à la pointe de ces technologies et leurs investissements dépassent largement ceux consentis en Europe. Le Canada, le Royaume-Uni et, tout particulièrement, Israël, tiennent également une place essentielle dans cet écosystème naissant. Parce qu’à bien des égards, la France et l’Europe peuvent déjà faire figure de « colonies numériques »2, il est nécessaire de ne céder à aucune forme de déterminisme, en proposant une réponse coordonnée au niveau européen. C’est pourquoi le rôle de l’État doit être réaffirmé : le jeu du marché seul montre ses limites pour assurer une véritable politique d’indépendance. De plus les règles qui régissent les échanges internationaux et l’ouverture des marchés intérieurs ne servent pas toujours les intérêts économiques des États européens – qui l’appliquent trop souvent à sens unique. Plus que jamais, l’État doit donner un sens au développement de l’intelligence artificielle. Donner un sens, c’est-à-dire donner un cap, une signification et des explications. Voilà l’objectif de ce rapport »

Les perspectives de l’intelligence artificielle dans les transports (Patrice Caine, PDG de Thales)

Les perspectives de l’intelligence artificielle dans les transports (Patrice Caine, PDG de Thales)

 

Une interview de Patrice Caine, PDG de Thales dans la Tribune sur les perspectives de l’intelligence artificielle dans les transports et qui ne cache pas cependant la vulnérabilité de certains systèmes

 

Quelles pourraient être les nouvelles frontières dans l’aérospatiale et le transport terrestre grâce à l’arrivée de l’intelligence artificielle (IA) ?
PATRICE CAINE -
 Des cas d’usage faisant appel à ces technologies peut être déployés dès à présent par les compagnies aériennes. Celles-ci sont de grandes entreprises, qui disposent d’une supply chain, de nombreux salariés, des ERP [progiciel de gestion intégrée, ndlr] et qui intensifient la numérisation de leur exploitation. Un des éléments clés de cette digitalisation est l’utilisation de l’IA. Par exemple, Thales propose d’ores et déjà de tels cas d’usage aux compagnies aériennes et aux opérateurs de transport, comme dans le cas du métro de Londres ou de Singapour, ou encore pour la SNCF ou la Deutsche Bahn. La prochaine étape sera l’utilisation de l’IA dans les avions, les trains, les métros, ou encore les voitures. La question de savoir jusqu’où on utilise l’IA est en discussion. En d’autres termes, quel degré d’autonomie vise-t-on ? Le monde du transport terrestre est un peu moins complexe que l’aérien. Pour le transport terrestre, il s’agit d’un monde à deux dimensions, voire une seule dans le cas des trains ou des métros. Donner de l’autonomie à ces objets évoluant dans un monde à une ou deux dimensions est moins complexe que dans un monde à trois dimensions comme pour un avion.

Est-ce possible aujourd’hui dans les transports terrestres ?
La technologie a bien progressé. Thales est passé du stade de laboratoire il y a deux à trois ans, à la preuve de concept, par exemple avec le métro de New York. L’automne dernier, pour la première fois, Thales a équipé une rame de métro de multiples capteurs pour lui permettre de se repérer dans l’espace sans avoir besoin de balises sur la voie ferrée. Et nous avons mis des ordinateurs dans le poste de pilotage, avec des algorithmes utilisant de l’IA, pour permettre à la rame de métro de se repérer et de prendre des décisions par elle-même face à des cas de figure imprévus. Cela a permis de voir comment la machine réagissait à un événement qui n’était pas programmé. Et cela a bien fonctionné. Il y a un vrai bénéfice économique lié à l’utilisation de ces technologies, l’économie n’est pas vraiment liée à la présence humaine ou non dans les rames de métro. D’ailleurs, dans les métros automatiques, les opérateurs de transport qui ont gardé la présence humaine, l’ont fait principalement à des fins psychologiques, car en réalité l’homme ne pilote plus ces métros. Le vrai bénéfice des trains ou des métros autonomes sera d’être encore plus efficaces, mais aussi plus économes en pouvant, par exemple, se passer de tous les équipements de positionnement à la voie, les fameuses balises ou même de la signalisation à la voie.

N’aurons-nous pas besoin de redondance pour des systèmes autonomes ?
Pour passer à l’échelle industrielle, il faut faire la démonstration que cette technologie est « safety critical ». Pour cela, on a besoin notamment de redondance, comme dans le secteur aéronautique, en utilisant par exemple deux chaînes de calcul en parallèle comme avec les radioaltimètres qui peuvent être jusqu’à trois exemplaires dans un même appareil afin d’assurer la concordance des informations. Néanmoins, dans l’aérien, c’est encore plus compliqué. Je n’irais pas jusqu’à dire que les normes « safety » [de sécurité] sont plus drastiques, mais l’environnement est différent. Les avionneurs, qui ont une vue d’ensemble du sujet, travaillent notamment sur la notion de SPO (Single Pilot Operation). La question qui se pose n’est pas d’avoir un avion sans pilote et totalement autonome, mais plutôt de passer un jour de deux pilotes humains à un seul pilote humain assisté d’un pilote à base d’intelligence artificielle.

À quel horizon les compagnies aériennes pourront-elles proposer des avions avec un seul pilote assisté par la machine et l’IA ?
C’est une question pour les constructeurs et les compagnies aériennes. Thales ne maîtrise qu’une partie de ce grand défi technologique qui concerne toute la chaîne de pilotage. De plus, ce sont des questions réglementées. C’est bien le constructeur qui dira « je sais faire ou pas », la compagnie aérienne « j’en ai besoin ou pas », et le régulateur « je certifie ou pas ».

Aujourd’hui, est-il possible de faire voler des drones autonomes ?
Est-on capable de rendre les drones autonomes ? Pas encore. Mais cela est imaginable à l’avenir. Là encore, il faudra que tout cela soit conforme aux règles de sécurité. Aujourd’hui, un drone non piloté est automatique et non pas autonome : il fait juste ce qu’on lui a demandé de faire avant qu’il décolle, typiquement en lui indiquant les coordonnées GPS pour définir un parcours à suivre. Ceci rend son pilotage automatique, mais pas autonome.

Du point de vue de Thales, l’IA est-elle déjà mature pour des applications dans le monde réel ?
La technologie est mature pour tout un tas d’application et de cas d’usage. La question est de savoir à quel rythme les clients seront prêts à l’utiliser dans les systèmes, et à quelle vitesse les clients et les utilisateurs seront prêts à l’accepter. Par exemple, pour les compagnies aériennes, le passager peut se poser légitimement la question de la sécurité. Autre exemple, en matière de défense se posent des questions de responsabilité, d’éthique voire de morale. Pour autant, il y a des sujets qui ne posent pas vraiment de problème éthique : c’est le cas de l’auto-apprentissage, une forme d’autonomie-amont, qui permet aux objets d’apprendre par eux-mêmes. C’est le cas des capteurs en général, par exemple les radars, les sonars, ou tout autre capteur électronique, qui peuvent acquérir une autonomie en matière d’apprentissage. La technologie est mature, et Thales est capable d’en faire bénéficier les systèmes qu’il développe dès lors que les questions de responsabilité et d’acceptabilité sociétale, éthique ou morale sont réunies.

Quel est le marché de l’IA dans l’aérospatial ?
L’IA n’est pas un produit ou un marché, c’est une technologie qui permet de créer de la différentiation. Cela permet de faire de l’avionique, des systèmes de contrôle aérien, avec des services supplémentaires plus efficaces et plus intelligents. On ne vend pas de l’IA à proprement parler, on l’embarque dans nos produits ou solutions pour en décupler les capacités. En matière de services de cybersécurité, quand on injecte des algorithmes IA dans les sondes de supervision des réseaux informatiques, on vend toujours des sondes, mais elles sont encore plus performantes grâce à l’IA.

Peut-on ou pourra-t-on certifier l’IA ? Et donc contrôler l’IA ?
C’est une question très sérieuse sur laquelle nous travaillons. Nous sommes pour le moment à une étape intermédiaire, à savoir la mise au point de l’IA explicable. Aujourd’hui, la branche de l’IA qui repose sur l’apprentissage par les données [data based AI] fait appel essentiellement au machine learning ; c’est une IA dite « boîte noire ». On ne saura jamais expliquer pourquoi elle arrive au résultat, mais on constate que ce résultat est exact dans 99,99 % des cas. C’est le cas de la reconnaissance faciale. Mais lorsqu’il lui arrive de se tromper, on ne sait pas l’expliquer. La première étape pour arriver à une IA explicable fera très vraisemblablement appel à de l’IA à base d’apprentissage par les données et à de l’IA à base d’apprentissage par les modèles. Cette hybridation de ces deux types d’IA devrait permettre de produire des algorithmes permettant d’expliquer les résultats de l’IA. On y travaille et on a bon espoir d’y arriver. La deuxième étape, c’est l’IA certifiable. Les grands experts disent que cela prendra sans doute des années et qu’on n’est pas sûr d’y arriver, mais on cherche. Si on y arrive, on pourra l’utiliser de manière plus extensive. Et la plupart des réticences seront levées. On sera dans un autre univers. Enfin, contrôler l’IA, c’est encore autre chose. L’IA produit un résultat. Ce qu’on en fait derrière peut se faire de manière automatique ou en gardant le contrôle.

Est-il possible de développer un cloud souverain à l’échelle de la France ou de l’Europe ?
Dans le champ des technologies numériques, Thales est utilisateur du cloud et pas un fournisseur de cloud en tant que tel. On constate qu’il y a des solutions particulièrement efficaces comme Azure de Microsoft ou AWS d’Amazon. Ces produits mettent à disposition des micro-services, des composants logiciels, qui permettent aux développeurs qui les utilisent d’aller plus vite pour créer leurs propres applications. Le cloud est devenu un élément important de compétitivité et d’efficacité pour les équipes d’ingénierie afin de gagner en temps dans leurs développements. Il sera sans doute très difficile pour des acteurs différents de ceux cités de fournir autant de micro-services. Toutes les semaines Azure et AWS mettent à jour leurs micro-services en en proposant de meilleurs et en y ajoutant de nouveaux.

Mais comment peut-on se protéger de lois extraterritoriales américaines comme le Cloud Act ?
Pour nos activités, on utilise soit du cloud public, soit du cloud privé ou encore nos propres data centers selon la sensibilité des applications et des données. Mais Thales est surtout fournisseur de solutions pour tous ceux qui veulent utiliser le cloud tout en protégeant leurs données. Par exemple, on va systématiquement chiffrer les données avant qu’elles soient stockées dans le Cloud et offrir un service de type « Bring your own key », permettant de créer des clés d’accès personnalisées. La plupart des industriels, qui offrent des services de cloud, proposent des « packages » pour s’occuper de tout : hébergement des données et chiffrage de celles-ci. Cela marche bien pour les industriels qui n’ont pas de sujets de confidentialité. Mais pour les acteurs qui veulent dissocier fournisseur d’hébergement et fournisseur de chiffrement pour des raisons de sécurité et de confidentialité ou d’autres raisons, il est possible de le faire. Thales propose des offres de protection des données en complément des services des hébergeurs de données dans le cloud. Est-ce possible d’avoir un cloud souverain ? Oui, c’est possible pour l’hébergement, mais il sera difficile de rattraper le niveau des acteurs américains quant aux micro-services associés, leur avance dans ce domaine est considérable.

L’affaire Huawei est-elle le début d’une guerre froide technologique ?
D’une façon générale, il s’est ouvert dans le monde de nouveaux champs de confrontation : après les champs de confrontation classiques, militaires ou diplomatiques, on observe de plus en plus une confrontation technologique. Les puissances cherchent à asseoir une domination, qui n’est plus aujourd’hui que militaire et diplomatique. Il y a aussi une course à l’armement sur le terrain technologique qui répond à une logique de puissance. Mais cela n’a-t-il pas toujours été le cas dans l’histoire ? L’invention de la roue n’a-t-elle pas permis de récolter davantage et donc de nourrir plus de personnes et d’avoir des nations plus nombreuses ? Aujourd’hui, le champ des confrontations englobe sans complexe les aspects industriels et technologiques.

De façon plus générale, faut-il craindre un cyber-Pearl Harbor ?
Personne ne le sait avec certitude mais autant s’y préparer. À notre niveau, nous faisons tout pour protéger nos clients et notre entreprise, mais il faut rester modeste. Tous les grands groupes sont attaqués quotidiennement. Il y a derrière les attaques informatiques des intérêts, qui ne sont pas uniquement économiques. On se prépare à toutes les éventualités. Mais la créativité étant sans limite, c’est un combat de tous les instants. Ceci dit, ce type de menace représente également une opportunité et un marché pour Thales. Nous aidons nos clients, les États ou les OIV [Opérateurs d'importance vitale] sur ces questions de cyberprotection. Thales se spécialise plutôt sur les solutions et les produits sachant que les clients font appel aujourd’hui à deux types d’acteurs : ceux axés sur le pur conseil et ceux axés sur les solutions.

Est-on arrivé à une vraie prise de conscience de la menace cyber ?
Le monde économique en parle de plus en plus, mais tous les acteurs n’ont pas encore mené des actions concrètes. Il y a encore un écart entre intention et action, car cela requiert des moyens, mais le sujet n’est plus ignoré. Un cap sera franchi lorsque tous les acteurs investiront suffisamment pour se protéger.

La généralisation de l’Internet des objets (IoT) augmente-t-elle les risques ?
L’IoT est un démultiplicateur du champ des possibles, mais aussi une source additionnelle de vulnérabilité. Pour Thales, c’est un champ de questionnements en interne, et d’opportunités de marché en externe. Dans notre analyse des marchés, le fait de connecter des objets à haute valeur ajoutée, comme des trains, des avions, des voitures, implique une exigence de sécurisation élevée. C’est dans ce domaine que Gemalto va nous apporter des technologies que nous n’avions pas. Cela aurait été un non-sens de vouloir les développer par nous-mêmes. Gemalto sait identifier les objets de manière très sécurisée et sait les gérer, c’est-à-dire les activer et les configurer de manière hautement sécurisée. Il propose des plateformes capables de gérer des millions d’objets de manière hautement sécurisée quant à leur identité numérique. Thales fait le reste, notamment l’exploitation et la gestion des données de mission.

L’acquisition de Gemalto par Thales amène certains observateurs à se demander si Thales va rester dans la défense. Que leur répondez-vous ?
Thales réalise 8 milliards d’euros dans la défense, sur un chiffre d’affaires total de 19 milliards en incluant l’acquisition de Gemalto – 16 milliards avant. Déduire de l’acquisition de Gemalto qu’on se désintéresse du militaire est un non-sens total. Si demain nous avions des opportunités de croissance externe dans la défense, nous les regarderions. Il y a des cycles, et en ce moment on avance plus vite en matière d’acquisition dans nos métiers civils. Mais je tiens à cette dualité défense-­civil. Il faut reconnaître que les acquisitions en matière de défense se font dans un domaine contraint, où on a besoin d’accords qui vont au-delà de celui du conseil d’administration de Thales. De mon point de vue, l’Europe de la défense ne pourra se faire que s’il y a, à un moment donné, une consolidation industrielle. Imaginer qu’on puisse le faire uniquement par de la coopération n’est pas suffisant sur le long terme. Cela renvoie à l’envie des États de pousser ou d’accompagner ce type de consolidation industrielle. Force est de constater que depuis la création d’EADS, il n’y a pas eu de très grande consolidation dans la défense.

Thales est concurrent de Naval Group, dont il est actionnaire, de MBDA dans les missiles et de Safran dans l’optronique. N’y a-t-il pas des rectifications de frontière qui s’imposent ?
Il y a tellement à faire dans le naval, un secteur où on est à la fois concepteur de senseurs/capteurs, de radars, de sonars ainsi que de CMS [Combat Management Systems] avec nos activités aux Pays-Bas. Mais nous ne sommes pas maître d’œuvre, ni plateformiste. Sur les 8 milliards d’euros d’activité que nous réalisons dans le secteur de la défense, il y a déjà énormément de projets à lancer pour améliorer ce que nous faisons déjà avant d’entamer autre chose. Thales a des activités historiques qui sont le fruit de l’héritage du groupe, comme son activité missilière à Belfast. Elle découle d’une volonté politique du Royaume-Uni. Le fait de produire des véhicules blindés en Australie est également le résultat de la volonté du gouvernement australien d’avoir ses activités hébergées par un acteur de confiance comme Thales. Notre groupe est un jardin mixte, à la française et à l’anglaise.

Thales va-t-il rester actionnaire de Naval Group ?
Oui, absolument. Nous avons apporté, à l’époque, notre activité
de CMS à Naval Group afin de consolider et renforcer l’équipe de France du naval. Devenir actionnaire de Naval Group a été, pour nous, à la fois une opération industrielle et un mouvement stratégique longuement réfléchis. Nous avons donc une stratégie de long terme avec Naval Group dans le cadre d’un partenariat industriel, technologique et capitalistique.

Quelle sera la feuille de route du nouveau président de Naval Group ?
Elle sera bien évidemment à définir avec l’État. Il faut trouver un PDG qui écrive la suite de l’histoire de Naval Group pour les dix prochaines années et qui puisse donc s’inscrire dans la durée.

Concernant les exportations, trop de compliances [règles de conformité anti-corruption] ne tuent-elles pas le business ?
Il y a des règles, il faut les appliquer, un point c’est tout. Si on les respecte, on fait du business dans certains pays ou pas. Quand on ne parvient pas à faire du business dans certains pays en respectant les règles, tant pis pour nous…

Pour Thales, le spatial reste-t-il une activité cœur de métier ?
Le spatial est au cœur de nos métiers et représente une activité importante chez Thales : Thales Alenia Space réalise environ 2,5 milliards de chiffre d’affaires. Avec Telespazio, le groupe affiche un chiffre d’affaires d’environ 3 milliards d’euros dans le spatial. Ce n’est donc pas une activité accessoire et dans ce domaine d’activité, nous avons de nombreux projets passionnants à réaliser, des projets créateurs de valeur, bien sûr. Le fait que cette activité soit au cœur de Thales n’empêche pas de travailler ou de coopérer avec d’autres acteurs. La meilleure façon de répondre à un marché exigeant comme celui du spatial, a fortiori lorsqu’un tel marché est difficile et où certains acteurs renoncent, c’est de chercher à travailler de manière pragmatique avec son écosystème. D’une façon générale, nous avons une analyse lucide quelle que soit l’activité concernée. Si nous avons la conviction que nous sommes les mieux placés pour développer telle ou telle activité, nous la développons et nous y investissons de façon significative.

Quelle serait votre position si l’État proposait une consolidation dans le spatial entre Thales et Airbus ?
Comme vous le savez, je ne commente jamais de tels sujets. Ce n’est pas parce que le marché est difficile pour tout le monde en ce moment qu’il faut immédiatement se poser une telle question.

Les géants américains ont des projets pour aller sur Mars, contrairement aux groupes européens. Ne manque-t-il pas des projets emblématiques en Europe pour entraîner le grand public ?
On est déjà allé sur Mars avec ExoMars en 2015. L’ESA l’a fait. L’Europe, qui a été capable de créer l’Agence spatiale européenne (ESA), consacre des sommes importantes à l’espace. La question que l’Europe doit se poser est : comment maintenir une industrie aérospatiale au plus haut niveau capable de rivaliser avec la Chine et les États-Unis ? Aujourd’hui, c’est encore le cas. Par exemple, les Chinois sont encore demandeurs de coopérer avec les Européens : c’est le signe qu’ils ne maîtrisent pas encore tout par eux-mêmes. Quant à la question de l’incarnation en Europe du rêve de la conquête spatiale, peut-être manque-t-on effectivement de fortes personnalités emblématiques, comme Elon Musk ou Jeff Bezos aux États-Unis ?

Pourquoi l’Europe ne veut pas dire qu’elle veut aller coloniser Mars ?
Le spatial est un secteur qui concerne aussi bien la science que le commercial. Aller sur Mars relève difficilement d’une logique de business plan, et les clients, ou candidats au voyage, ne semblent pas très nombreux. C’est peut-être important d’aller explorer ou coloniser Mars, mais ceci relève de la mission scientifique ; ce n’est pas un business pour un acteur industriel comme Thales. Peut-être a-t-on un discours trop réaliste ? Les entrepreneurs qui annoncent vouloir le faire, le font avec leur argent et ils assument leurs rêves. Force est de constater qu’en Europe, nous n’avons pas bénéficié de l’émergence d’entrepreneurs milliardaires emblématiques du numérique.

La France est sur le point de changer de doctrine dans l’espace. Quelle est votre analyse sur ce champ de confrontations ?
Nous avons soumis des idées au ministère des Armées, par exemple dans le domaine de la surveillance de l’espace depuis l’espace [SSA, Space Situational Awarness]. Nous pouvons aider notre pays et l’Europe, à se doter de capacités nouvelles au service de notre défense autonome des capacités tierces. Maintenant, c’est une décision qui appartient au pouvoir politique. Ce qui est relativement nouveau, c’est que l’espace est en train de devenir, voire est devenu, un champ de confrontations assumé, là où il ne l’était pas, ou l’était mais de manière non assumée. Un peu à l’instar de ce qui s’est passé dans le cyberespace où, avant la loi de programmation militaire du précédant quinquennat, la France ne reconnaissait pas l’attaque dans ce domaine. Depuis celle-ci, la France s’est donné la possibilité de se défendre, mais aussi d’attaquer dans le cyber­espace. Les responsables politiques assument qu’il y ait une menace et une stratégie aussi bien défensive qu’offensive.

Comment voyez-vous Thales dans dix ans ?
D’ici à trois ans, j’ai envie de poursuivre tout ce qui a été lancé : consolider Gemalto, intégrer de plus en plus de technologies pour créer de nouveaux différenciateurs et de nouvelles innovations pour nos clients. Au-delà de cette période, il s’agira de continuer de trouver des technologies de rupture pour offrir à nos clients, à nos équipes et à nos actionnaires des perspectives passionnantes au-delà de la décennie pour faire de Thales un laboratoire du monde de demain, axé sur la recherche du progrès pour tous.

Avez-vous des projets qui vous font rêver ?
Oui, et ils sont nombreux. Par exemple, le laser de haute puissance ouvre des champs fantastiques. La question, au-delà de la technologie mise au point pour ce projet ELI-NP [Extreme Light Infrastructure for Nuclear Physics] qui nous a permis de battre un record mondial avec l’émission d’une puissance incroyable de 10 pétawatt [10 millions de milliards de watts], est de savoir s’il va créer du business ou si cet outil restera un outil scientifique. Potentiellement, les applications font rêver : l’une d’elles permettrait de réduire la période de vie des éléments radioactifs. Mais ce champ d’application et de business s’adresse aux acteurs comme EDF, pas à Thales.

Autre projet à dix ans : comment va-t-on utiliser les propriétés quantiques de la matière pour ouvrir de nouveaux champs d’application ?
Le champ d’application de ces propriétés est quasiment sans limite. Nous avons communiqué sur l’utilisation de la « spintronique » [technique qui exploite la propriété quantique du spin des électrons] pour mettre au point des nano­synapses, des nano-neurones avec pour objectif final de faire baisser d’un facteur 10 ou 100 la consommation électrique des supercalculateurs. Si nous y arrivons, nous pourrons transformer l’industrie informatique et des supercalculateurs ainsi que l’utilisation de l’IA, qui est fortement consommatrice en puissance de calcul et donc très énergivore. Mais on se doit encore de rester modeste. Autre champ à l’étude sur lequel Thales a commencé à travailler : les senseurs quantiques, secteur où on peut être capable d’améliorer d’un facteur 10 à 100 - ce qui est colossal pour l’industrie - les précisions de mesure du champ magnétique, de la gravité, du champ électrique, etc. Cela ouvre des champs d’application qui sont totalement disruptifs.

Quelles peuvent être les applications de cette technologie ?
Imaginez un avion qui décollerait de Paris pour atterrir à l’aéroport de New York- JFK et perdrait ses repères extérieurs. Avec les technologies actuelles, il arriverait à destination avec une précision de 2 kilomètres. Grâce à ces technologies utilisant les propriétés quantiques de la matière, il y parviendrait avec une précision de 20 mètres, ce qui lui permettrait de se poser sur la piste. On raisonne beaucoup défense, aéronautique, mais pour autant, l’utilisation de ces capteurs quantiques ouvre des possibilités fantastiques, notamment dans la connaissance et l’exploitation du sol et du sous-sol. On va pouvoir mesurer et détecter ce qui ne peut pas l’être par la sismique classique ou l’observation depuis le ciel ou l’espace. Par exemple, dans la défense, cela permettrait de détecter des mines sous l’eau et, in fine, de mettre l’homme en sécurité.

Ces capteurs quantiques pourraient augmenter la résilience des avions, qui auraient fait l’objet d’un brouillage du GPS ou de Galileo ?
Bien sûr, c’est un gain en précision mais aussi en résilience. Un avion pourrait devenir autonome, sans s’appuyer sur des moyens extérieurs de navigation, potentiellement vulnérables. Brouiller un signal GPS, c’est presque à la portée de tout le monde. On peut imaginer des avions dotés des capteurs quantiques pour disposer de capacités autonomes, leur permettant de se guider indépendamment du GPS. Nous travaillons aussi sur le champ des communications quantiques. C’est de la recherche-amont mais qui nous projette dans le futur au-delà de la décennie.

À quel horizon ce champ de recherches peut-il devenir un champ applicatif ?
Année après année, nous franchissons des étapes qui nous confortent dans nos choix. On a déjà fait des mesures dans nos laboratoires. Cela fonctionne dans le cadre de manipulations de labo, car on est sur des TRL [Technology Readiness Level] très bas en termes de maturité. C’est au moins à cinq ans, voire dix ans, mais aujourd’hui nous avons des pans entiers de la science qui permettent d’entrevoir des applications dans le champ industriel et économique.

L’intelligence artificielle : chance ou menace ?

L’intelligence artificielle : chance ou menace ?

  • ·        

 

Lintelligence artificielle constitue-t-elle une chance pour notre économie et où une menace pour les libertés démocratiques. C’était le thème dun débat du Forum Europe 1 organisé au Bataclan. (Source Europe 1) 

« L’intelligence artificielle (IA) souffre-t-elle d’une mauvaise image dans l’Hexagone ? « On vit en France une vraie schizophrénie sur ce sujet », estime Eric Hazan, directeur associé chez McKinsey, cabinet de conseil en intelligence artificielle, interrogé lors du Forum Europe 1 Liberté, Egalité, Fraternité, organisé mardi au Bataclan.

Quatre fois plus de chômage sans l’IA ?  »On veut plus de vie privée et en même temps on est sur trois ou quatre réseaux sociaux. On vit avec le stress d’être écouté et on est bien content d’avoir des logiciels de traduction », énumère ce spécialiste pour qui l’intelligence artificielle est l’un des enjeux économiques majeurs des décennies à venir. « Si on déploie l’Intelligence artificielle, on va croître de 0,1 à 0,2% par an la croissance des pays développés. On créerait quatre fois plus de chômage en n’utilisant pas l’IA. On estime en effet à 5 à 10% des emplois qui seront supprimés à cause de l’IA. Mais il y aura aussi beaucoup de créations d’emploi ». Selon Eric Hazan, les bénéfices pourront toucher tous les secteurs. Détection ultraprécise du diabète, lutte contre le braconnage en Afrique, identification des prémices d’un ouragan, réduction des déchets de production dans l’industrie, analyse des capacités de remboursement de dette des ménages… « L’intelligence artificielle est un facteur de segmentation, de détails dans la compréhension des choses. On peut optimiser énormément de choses », conclut-il.

« La société de consommation existait bien avant l’intelligence artificielle »

Une incitation à la consommation ? L’intelligence artificielle est-elle pour autant une panacée ? Ne menace-t-elle pas notre vie privée et notre liberté ? « Ne risque-t-elle pas de nous pousser à consommer non-stop ? Aujourd’hui, je peux recevoir des publicités (ciblées) dans mes toilettes avec mon téléphone. Cela ne pousse-t-il pas à son maximum notre asservissement à la société de consommation ? », interroge pour sa part David Abiker, journaliste à Europe 1 et animateur du forum Europe 1. « La société de consommation existait bien avant l’intelligence artificielle », balaye pour sa part Eric Hazan, qui reconnaît que les enjeux éthiques sont importants et que l’IA devra être encadrée.

Pour Marie-Laure Denis, présidente de la CNIL, « les consommateurs d’IA doivent avoir conscience que leurs données sont enregistrées, comprendre comment elles sont enregistrées et utilisées » par l’IA. Si elle assure que la France est bien armée pour lutter contre les dérives en matière de protections des données, elle s’étonne encore de recevoir certains types de publicités : « Des publicités pour de l’alcool par exemple. Cela risque de poser problèmes pour ceux qui luttent contre une addiction… »

« L’économie de la connaissance, on y va ».  »Il y a des enjeux éthiques très importants. Si tous les logiciels d’intelligence artificielle sont faits par des hommes blancs, pour des hommes blancs, cela peut poser des problèmes » de discrimination, ajoute pour sa part Olivier Derrien, directeur général de Salesforce, éditeur de logiciels, participants aussi au débat. Mais pour Eric Hazan, toutes ces questions, légitimes, ne freineront pas le développement de l’IA. Elles devront être résolues mais il est désormais impossible de revenir en arrière. « L’intelligence artificielle, l’économie de la connaissance, on y va », conclut-il.

 

Vers le remplacement de l’homme par l’intelligence artificielle ?

Vers le remplacement de l’homme par l’intelligence artificielle ?

 

L’intelligence artificielle est un thème très à la mode c’est aussi l’occasion de faire un amalgame très approximatif de toutes les évolutions notamment technologiques, biologiques et sociétales. De ce point,  un article du site Atlantico (pourtant souvent intéressant) rend compte d’un ouvrage sur la question dans la lecture mérite le détour. Pas vraiment une analyse et une prospective scientifique mais plutôt une approche scientiste qui brasse des concepts mal maîtrisés et qui constituent plutôt une sorte de science-fiction alimentée par l’observation du marc de café et le courant transhumaniste.

 

«  Engagés depuis des milliards d’années dans une implacable course aux armements, nos gènes ont fini par se montrer plus malins. Ils ont fabriqué une arme si puissante que dans cette lutte il n’y aura ni gagnants ni perdants. Il ne s’agit pas de la bombe à hydrogène, car un conflit nucléaire généralisé ne ferait que retarder ce qui se trame et qui est immensément plus intéressant. Ce qui nous attend, ce n’est pas l’anéantissement. C’est plutôt un futur qui, vu de la position privilégiée qui est la nôtre aujourd’hui, mérite d’être qualifié de « postbiologique », voire de « surnaturel ». C’est un monde dans lequel le genre humain sera balayé par une mutation culturelle et détrôné par sa propre progéniture artificielle. Les conséquences ultimes de ce bouleversement ne sont pas connues, bien que nombre d’étapes intermédiaires puissent être prévues et, pour certaines, aient déjà été franchies. Aujourd’hui, nos machines restent des créations élémentaires : elles exigent les soins maternels et l’attention constante que l’on doit aux nouveau-nés et ne méritent guère d’être qualifiées d’« intelligentes ». Mais, dès le siècle prochain, elles deviendront des entités aussi complexes que nous-mêmes, puis, bientôt, elles transcenderont tout ce que nous connaissons. Nous pourrons alors être fiers qu’elles se disent nos descendants.

 

Délivrés des pesantes contraintes de l’évolution biologique, ces enfants de notre esprit pourront se mesurer aux grands défis de l’univers. Nous autres humains bénéficierons un temps de leurs efforts, mais, tôt ou tard, tels des enfants biologiques, ils iront chercher fortune pour leur propre compte, tandis que nous, leurs vieux parents, nous éteindrons doucement. Perdra-t-on beaucoup à ce passage du flambeau ? Pas nécessairement, car nos rejetons pourront garder en mémoire presque tout ce qui nous concerne, peut-être même jusqu’aux détails du fonctionnement des esprits humains individuels.

Ce processus a commencé il y a environ cent millions d’années, lorsque certaines lignées génétiques ont trouvé le moyen de donner naissance à des animaux capables d’apprendre durant leur vie certains comportements de leurs aînés durant leur vie, au lieu d’en hériter en bloc à la conception. Une première étape a été franchie il y a dix millions d’années, lorsque nos ancêtres primates ont commencé à se servir d’outils faits d’os, de bâtons et de pierres. Le processus s’est à nouveau accéléré avec la maîtrise du feu et le développement de langages complexes, il y a environ un million d’années. Au moment où notre espèce est apparue, il y a environ cent mille ans, l’évolution culturelle, la mécanique implacable que nos gènes avaient involontairement fabriquée, avait acquis une dynamique irrésistible.

Au cours des derniers dix mille ans, les changements intervenus au sein du patrimoine génétique humain ont été dérisoires en regard des progrès foudroyants de la culture humaine. Nous avons d’abord assisté à une révolution agricole, suivie de l’établissement de vastes bureaucraties capables de lever des impôts pour subvenir à leurs besoins, du développement de l’écriture et, enfin, de l’émergence de classes oisives disposant du temps et de l’énergie nécessaires pour se consacrer à des occupations intellectuelles. Au cours du dernier millénaire, les inventions, à commencer par celle de l’imprimerie à l’aide de caractères mobiles, ont grandement accéléré le flot de l’information culturelle, et donc le rythme de son évolution.

Avec l’arrivée de la révolution industrielle, il y a deux cents ans, nous sommes entrés dans la phase finale, celle au cours de laquelle les substituts artificiels aux fonctions du corps humain, telles que soulever ou porter, sont devenus de plus en plus économiquement intéressants – et même indispensables. Puis, il y a une centaine  d’années, avec l’invention des premières machines à calculer réellement utilisables, nous avons, pour la première fois, été capables de reproduire quelques-unes des fonctions élémentaires, mais tout de même délicates, de l’esprit humain. Le pouvoir de calcul des machines a depuis été multiplié par un facteur mille tous les vingt ans.

Aujourd’hui, nous sommes très proches du moment où toutes les fonctions humaines, qu’elles soient physiques ou intellectuelles, connaîtront leur équivalent artificiel. Cette convergence des développements culturels aura pour incarnation le robot intelligent, machine capable de penser et de réagir comme un humain, bien que certaines de ses caractéristiques physiques ou intellectuelles puissent être non humaines. De telles machines seraient capables de mener plus loin notre évolution culturelle, de parfaire leur construction et leur sophistication, sans nous et sans les gènes qui nous constituent. Quand cela se produira, notre ADN se retrouvera au chômage : il aura perdu la course de l’évolution au profit d’une nouvelle forme de compétition. »

Extrait du livre de Hans Moravec,  »L’avenir des robots et l’intelligence humaine », publié aux éditions Odile Jacob.

1...910111213



L'actu écologique |
bessay |
Mr. Sandro's Blog |
Unblog.fr | Annuaire | Signaler un abus | astucesquotidiennes
| MIEUX-ETRE
| louis crusol