Armée: Pour un vrai statut des réservistes
Les réservistes sont une force cruciale en temps de paix comme de guerre, affirme Philippe Ribatto, président de l’Union nationale des officiers de réserve. Il plaide pour qu’on leur octroie un statut protecteur et une reconnaissance à la hauteur de leur mérite.
Un plaidoyer pertinent en faveur d’une reconnaissance et d’un développement des forces de réservistes. En cas de guerre de haute intensité comme en Ukraine, on vérifie que la mobilisation générale concerne une grande partie de la population civile qui doit donc être formée mais aussi reconnue. Les experts admettent qu’en l’état l’armée française ne tiendrait pas six mois avec 200 000 militaires de carrière dans un conflit de haute intensité . En clair, il faut aussi envisager le retour du service militaire obligatoire NDLR
Tribune dans le Figaro
Nos chefs militaires ne cessent de le répéter. Notre pays doit se préparer à l’éventualité de «soutenir d’ici 2030 un engagement majeur». La guerre à moins de quatre heures d’avion de Paris, en Ukraine, nous le rappelle tous les jours et nous presse de repenser le format des armées surtout l’emploi des réserves, seule force immédiatement opérationnelle en cas de conflit majeur pour soutenir, sur court préavis, le personnel d’active. Dans les deux conflits mondiaux, en Indochine, en Algérie, et dans les nombreuses opérations extérieures depuis près de 60 ans, les réservistes ont été plus que des «forces supplétives», des «intermittents du spectacle» ou encore des «bouche-trous», comme il arrive encore de l’entendre aujourd’hui. Ils ont parfois payé le prix du sang pour la Patrie.
Si le contexte a changé, la mission des réservistes, quels que soient leurs grades, armées, armes, subdivision d’arme, reste la même : «continuer dans la paix l’œuvre qu’ils ont accomplie pendant la guerre (…) apporter à la défense nationale une collaboration effective et permanente », selon les mots du premier président de l’UNOR (Union Nationale des Officiers de Réserve), Raymond Poincaré.
Pour préparer nos armées de demain et pour que la réserve soit une réelle force dans la force, il faut impérativement accorder un statut protecteur au réserviste.
En cas de conflit de haute intensité, le personnel d’active et la hiérarchie militaire doivent pouvoir s’appuyer sur les compétences multispectrales des réservistes. En doubler les effectifs comme l’a clairement annoncé le chef de l’État, les faire passer de 40 000 à 80 000, constitue à l’évidence une bonne nouvelle. Il reste maintenant à débloquer le budget nécessaire, à déterminer la manière dont ces recrues vont être formées (comment ? par qui ? dans quel délai ? dans quelles conditions ?) et la manière dont elles seront concrètement employées (à quel poste ? pour quoi faire et pour quels effets ?). Chaque jour ce sont entre 2 500 et 3 000 réservistes, de tous grades, qui sont mobilisés dont 500 dans des missions de sécurité telles que l’opération Sentinelle. Quelques dizaines sont mobilisés en opérations extérieures. Et demain ?
Pour préparer nos armées de demain et pour que la réserve soit une réelle force dans la force, il faut impérativement accorder un statut protecteur au réserviste militaire opérationnel, de son recrutement à son départ. Aujourd’hui, nombreux sont ceux qui, au mieux ne répondent pas (ou plus) aux sollicitations de leur unité, et au pire finissent par abandonner la réserve en raison des contingences quotidiennes. Le risque est en effet grand pour le réserviste de ne plus retrouver son poste de travail au retour d’une opération extérieure. Quand celle-ci dure trois, quatre mois, parfois six quand elle est à cheval sur deux années civiles, il doit (quand il est dans le secteur privé) partir avec un congé sans solde. Heureux est-il quand sa solde lui est versée après trois mois de présence sur le terrain. En attendant, la famille restée en France doit vivre et faire face aux échéances. Tout autant, dans le service courant, les délais de défraiement de la période de réserve sont trop longs. Même si l’immense majorité des réservistes s’engagent pour le drapeau et les valeurs qu’il représente, raccourcir les délais de paiement serait bienvenu.
Il serait opportun que l’institution militaire mette à l’honneur les réservistes lors de la Fête nationale par exemple, et reconnaisse leur mérite d’être « citoyen deux fois », selon la formule de Winston Churchill.
Sécuriser le réserviste militaire opérationnel à travers un statut qui pose les bases juridiques de son emploi, de sa mobilisation, de sa formation, de son avancement, et de ses récompenses contribuerait à fidéliser la ressource et peut-être à attirer d’autres compétences indispensables à la conduite des conflits futurs. L’objectif n’est pas de fixer un carcan mais plutôt de donner un cadre large et souple, ce que l’on appelle dans le jargon militaire les « limite gauche – limite droite ». Sécurité juridique et flexibilité opérationnelle doivent permettre aux employeurs de libérer leurs salariés et leurs fonctionnaires à l’instar de la mobilisation des pompiers volontaires qui, pendant l’été, ont été omniprésents sur le front des incendies. Ce qui est possible pour la sécurité civile doit l’être pour celle des intérêts vitaux de notre pays.
Augmenter le nombre de jours que le réserviste peut obtenir (huit au maximum actuellement) en plus de ses congés sur lesquels il pioche de manière quasi systématique pour exercer sa période militaire est une piste à développer avec les représentants du patronat et la hiérarchie militaire. En contrepartie, les entreprises ne pourraient-elles pas se voir accorder un avantage supplémentaire (crédit d’impôt, allègement de l’impôt sur les sociétés… ?) pour avoir mis un de leurs salariés à disposition de la Nation ?
Enfin, il serait opportun que l’institution militaire valorise les actions des réservistes opérationnels au sein de leurs unités respectives, les mette à l’honneur lors de la Fête nationale par exemple, et reconnaisse leur mérite d’être «citoyen deux fois», selon la formule de Winston Churchill. L’accès aux ordres nationaux, qui ferait partie intégrante de ce statut dont les contours restent à définir en pleine concertation, mériterait là aussi d’être élargi et valorisé. Ce sont autant de thèmes qui animeront les échanges au cours de la mission sur les réserves voulue par le ministre des Armées. Les réservistes et leurs associations y participeront avec entrain pour que ce statut réclamé par beaucoup puisse voir le jour. Car ce statut est conforme aux attentes du chef de l’État : «renforcer l’esprit de résilience, sa force morale et faire converger toutes ces forces vives, militaires comme civiles, pour la défense de notre souveraineté.»