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Israël-Palestine : un affrontement apocalyptique

Israël-Palestine : un affrontement apocalyptique

Depuis le 7 octobre, l’opposition entre les partisans d’Israël et ceux de la Palestine prend parfois des allures « huntingtoniennes » – ou schmittiennes, selon le principe de la distinction basique ami/ennemi élaborée par Carl Schmitt. Cette opposition, souvent caricaturale, se manifeste sans discontinuer dans les rues, sur les campus et sur les plateaux de télévision des grands pays occidentaux comme des pays arabes et musulmans, donnant le vertige aux observateurs et, surtout, aux décideurs. La confrontation a de multiples dimensions – militaire, certes, mais aussi politique et hautement symbolique. Elle met en jeu deux représentations mémorielles profondément traumatisées : celle des Israéliens, hantés par la Shoah et les pogroms du début du XXe siècle, auxquels les massacres du 7 octobre ont souvent été assimilés ; et celle des Palestiniens, marqués par la Nakba, cette date originelle de 1948 qui a provoqué leur premier exode massif et à laquelle est comparable aujourd’hui la situation de la population de Gaza. Il est impératif de toujours tenir compte de ces visions quand on cherche à comprendre les motivations et les enjeux psychologiques des deux parties.

par Mohamad Moustafa Alabsi
Chercheur postdoctoral au Mellon Fellowship Program, Columbia Global Centers, Amman. Membre associé à l’Institut de philosophie de Grenoble, Université Grenoble Alpes (UGA) dans The Conversation

Le traumatisme de la mémoire juive n’a pas pris fin en 1948 : il venait seulement de commencer
Du côté palestinien, et du côté arabe et pro-palestinien en général, la perception de l’année 1948 demeure centrale. Cette année fut celle de la Nakba – littéralement la catastrophe, le premier grand exil, qui a jeté 700 000 Palestiniens sur les routes.

Pour les Juifs, 1948 fut seulement la date à partir de laquelle le peuple juif a pu se relever afin de comprendre ce qui lui est arrivé. En effet, la création d’Israël, le 14 mai de cette année, fut une petite victoire, un instant de joie avant des décennies de fouilles traumatiques dans la tragédie collective que représente l’entreprise de l’extermination des Juifs d’Europe par les nazis.

Au niveau de la construction et de la reconstruction de la mémoire juive, le temps ne faisait que révéler et agrandir les reliefs et détails du traumatisme de la Seconde Guerre mondiale.

Par conséquent, la seconde moitié du XXe siècle ne fut pas, pour la société israélienne, un temps de convalescence post-traumatique, mais plutôt le début d’une interminable exploration du traumatisme. La mémoire de la Shoah incarne un constituant commun et collectif au sein de la société et de l’espace public israéliens. Les deux minutes de sirènes qui retentissent dans tout Israël chaque année le jour de la commémoration de la Shoah en constituent un exemple.

Or, cette tragédie humaine fut souvent instrumentalisée par la démagogie politique arabo-musulmane et, aussi, par la démagogie politique israélienne. Côté arabo-musulmans, on se souvient par exemple de l’appel à « jeter les Israéliens dans la mer », propos volontairement génocidaire de l’ancien dictateur syrien Hafez Al-Assad dans les années 1960, et des déclarations négationnistes du président iranien Ahmadinejad en 2009. En Israël, l’instrumentalisation de la mémoire de la Shoah peut aller jusqu’à l’accusation de « nazisme » prononcée à l’encontre des Palestiniens lorsque ces derniers résistent aux arrêts de leur expulsion et de leur remplacement à Jérusalem-Est par des colons juifs.

Depuis 1948, la résistance culturelle et littéraire de la Palestine rayonne dans le monde par le biais de son traumatisme. Au niveau de la culture, de l’art et de la littérature, l’identité palestinienne peut être considérée comme la plus mondialisée, la plus libre et la plus remarquable par rapport aux autres identités arabes dotées d’États. Il suffit de comparer l’impact de l’œuvre du critique littéraire palestinien Edward Saïd et la naissance officielle des études post-coloniales avec son ouvrage L’Orientalisme, paru en 1978, aux dégâts sociaux et politiques provoqués par l’anti-impérialisme creux et idéologique des régimes arabes pendant plus de 50 ans.

Soulignons aussi, entre autres, l’influence de l’iconique artiste palestinien Naji al-Ali, assassiné à Londres en 1987, qui fut la cible de menaces à la fois de la part de l’occupation israélienne, des différents régimes arabes mais aussi de l’OLP (Organisation de libération de la Palestine).

Entre-temps, la situation réelle des Palestiniens en Palestine et dans la diaspora n’a fait que se dégrader. Des guerres, des défaites, des massacres en Jordanie (1970), au Liban (1982), jusqu’à la destruction par le régime syrien du camps Yarmouk, le plus grand camp de réfugiés palestinien au monde entre 2012 et 2015. Avant que les bombardements actuels de Gaza ne tuent des milliers de Palestiniens et qu’un ministre israélien n’évoque la bombe nucléaire comme solution, plus de 200 Palestiniens avaient déjà été tués en 2023 par l’armée israélienne ou par des colons en Cisjordanie.

Un autre événement symbolique sur la voie de la liquidation de la mémoire et de l’existence de la Palestine fut la reconnaissance par les États-Unis de Donald Trump de Jérusalem comme capitale officielle de l’État hébreu (2017). Les États-Unis, en tant que première puissance mondiale, n’ont pas légalisé par cette décision la politique de colonisation israélienne, mais ils lui ont plutôt donné une force absolue, extra-légale et arbitraire.

Ces dernières années, les Palestiniens ont donc vécu une révision voire une abrogation des termes légaux de leur cause, la trahison des monarchies arabes qui accélèrent le processus de normalisation avec Israël, et surtout, l’agressivité sans précédent des colons en Cisjordanie sous la protection de l’armée et du gouvernement radical israéliens. Serait-il imaginable pour ce peuple-symbole de voir ensemble sa mémoire et son existence périr dans une défaite politique ennuyeuse et sans bruit ?

L’affrontement d’aujourd’hui est engagé sur plusieurs niveaux pour les belligérants : la violence, les symboles et les mémoires. Entre-temps, les élites des grandes puissances occidentales se trouvent envahies par la question de l’importation du conflit et par la basse politique qui en découle. Ainsi, les cycles de vengeance entre ces deux traumatismes semblent-ils se dérouler sans arbitre, au risque d’échapper à toute lecture normative, qu’elle soit légaliste ou humaniste.

Sur le plan formel, on peut admettre que le Hamas fut élu démocratiquement en 2006 à l’issue des législatives palestiniennes et immédiatement boycotté par les diplomaties occidentales car qualifié par ces dernières de terroriste. Or, et à la lumière de la philosophie politique, les élections démocratiques constituent moins un exercice procédural qu’une réactualisation du consensus sur le contrat social. Il s’agit d’une réaffirmation régulière et anticipée de la liberté politique et de la souveraineté dépersonnalisée du droit et des institutions. Rien de tout cela n’était apparu dans ce scrutin palestinien de 2006 car il s’agissait d’un moment négatif et révisionniste du processus de paix avec Israël par des électeurs palestiniens privés d’État. Les accords d’Oslo signé en 1993 entre Yasser Arafat, chef de l’OLP, et Yitzhak Rabin, premier ministre israélien, ont seulement permis à Israël d’arracher sa reconnaissance par les Palestiniens, sans jamais arrêter la colonisation ni donner lieu à un État palestinien.

De nos jours, même avant la guerre déclenchée le 7 octobre, très peu d’experts croyaient dans le réalisme et la faisabilité d’un État palestinien souverain en raison du morcellement qu’ont subi ses présumés territoires tels que les définissent les accords d’Oslo. Du côté israélien, retirer 700 000 colons des territoires occupés serait un suicide politique pour tout gouvernement. Au contraire, le discours nationaliste et extrémiste dominent désormais la vie politique israélienne, allant jusqu’à l’idée d’un « grand Israël », c’est-à-dire la continuation de la colonisation jusqu’au départ du dernier Palestinien.

Une lecture psychologique
Dans un récent article publié dans NewLinesMagazine, la journaliste Lydia Wilson expose la lecture psychologique de l’histoire de ce conflit et de la nature des émotions de ses deux belligérants.

Elle rappelle que Gerard Fromm, psychothérapeute ayant publié sur les traumatismes du 11 Septembre et sur la psychologie du conflit israélo-palestinien, oppose la mentalité « Never again » de la psyché juive à la mentalité « Never surrender » de la psyché palestinienne.

Le « Never again » israélien fut construit sur le souvenir de quelque deux mille ans de persécutions et d’exil, jusqu’à la tentative d’anéantissement. Tandis que le « Never surrender » des Palestiniens traduit un traumatisme continu de dépossession, d’humiliation et d’occupation. Les deux attitudes belligérantes sont d’abord portées par des émotions extrêmes de nature traumatique, et elles se construisent mutuellement de manière négative. Le plus dangereux et le plus imprévisible événement qui soit, de ce point de vue, serait un affrontement violent, existentiel et non arbitré entre ces deux parties.

Pour le psycho-historien Charles Strozier, co-auteur de The Fundamentalist Mindset, la « mentalité apocalyptique » est caractéristique du Hamas, mais aussi du conflit israélo-palestinien au sens large, en raison de la présence de l’apocalypse dans les deux récits, articulée à leur négation l’un de l’autre.

Commentant les événements récents, notamment les attaques du Hamas, Strozier affirme :

« [Le Hamas] veut la surréaction, il veut amener Israël à déchaîner la force entière d’une des meilleures armées du monde sur des combattants dotés de fusils et de drones bon marché. »

Pourquoi le Hamas mènerait-il une opération si suicidaire pour son avenir politique ? Qu’espéraient ses chefs lorsqu’ils planifiaient cette opération sinon l’embarras de leurs alliés et la brutalité de leurs ennemis ?

Deux possibles explications apparaissent chez les observateurs dans le monde arabe et au-delà. La première : le Hamas aurait décidé tout seul de déclencher la « dernière bataille » et d’entraîner ses alliés, le Hezbollah et l’Iran, dans un conflit régional engageant mêmes les États-Unis. Autrement dit, seule une guerre ouverte et illimitée pourrait remettre la question palestinienne au centre de la politique internationale et conduire à une solution finale de la cause palestinienne.

Seconde hypothèse : cette guerre fut couverte en coulisses par des capitales de la région comme l’Iran ou/et la Turquie. L’objectif est d’abord de nuire à la perspective de normalisation entre Israël et l’Arabie saoudite et, ensuite, de forcer les Américains, grâce à une crise majeure, à procéder à une redistribution égalitaire et durable des rôles dans la région au-delà de la place exceptionnelle d’Israël ou du rôle accru des monarchies arabes. Comme vient de le souligner un historien américain dans le New York Times, les États-Unis ont en tout cas perdu, avec ce conflit, le contrôle sur Israël et sur tout le Moyen-Orient.

David et Goliath, par Dan Craig. C’est ainsi que les Palestiniens se représentent volontiers leur affrontement avec Israël.
Pendant que les scènes globale et médiatique opposent pro-Palestiniens et pro-Israéliens dans des controverses terminologiques relevant de la sphère du droit (occupation, colonisation, terrorisme, etc.), l’affrontement armé entre ces deux belligérants se situe ailleurs : dans la vengeance. Selon la lecture psychologique, les émotions extrêmes provoquent un comportement extrême qui va jusqu’à la violence extrême.

Si certains Juifs et certains Palestiniens crient à la vengeance devant une caméra, et ces scènes font le tour du monde via les réseaux sociaux, rien ne les accompagne pour expliquer que ces personnes « haineuses » sont habitées par des mémoires traumatisées et exacerbées par un événement traumatisant récent. L’humanité a-t-elle déjà perdu la main sur le flux des réseaux sociaux et les impacts de ceux-ci sur le temps de la raison humaine et sur celui de la politique ?

Les enjeux d’amalgames entre Juifs et colonisation, entre Palestiniens et terrorisme, ne deviennent-ils pas toxiques pour les sociétés démocratiques ? Quels seront les dégâts de ce conflit sur le pluralisme apaisé et les libertés épanouies de nos sociétés ?

Ce n’est pas l’ONU, mais l’Occident politique qui se présente comme le protecteur inconditionnel de l’État d’Israël. La nature inconditionnelle de cette protection ne devrait-elle pas exiger, en contrepartie, des pouvoirs inconditionnels ? N’est-ce pas à ces protecteurs que revient la tâche d’imposer une paix absolue et finale au Moyen-Orient ? Les porte-avions et sous-marins nucléaires ne peuvent-ils pas, pour une fois, traduire une Décision et une volonté politique positives ?

Budget France : une dette apocalyptique

Budget France : une dette apocalyptique

 

Agnès Verdier-Molinié, directrice de l’Ifrap et auteure du « Vrai état de la France », s’inquiète des déficits de nos comptes publics. Il est clair qu’à la moindre remontée des taux qui parait incontournable compte tenu de l’inflation qui tourne autour de 5 % en Europe et de 7 % aux États-Unis sur un an, la dette française deviendra apocalyptique avant peu. La France ne rembourse en effet que les intérêts de la dette et le plus souvent en outre en empruntant. Or pendant la crise sanitaire la dette a explosé de 700 milliards en plus en cinq ans. Une dette à des taux très négligeables voire nulles Avec la politique accommodante de la banque centrale européenne mais qui va s’avérer mortelle quand il faudra la payer avec des taux d’intérêt de 4  à 5 %.

Rapporté à chaque ménage cela représente une dette d’environ 100 000 € !

 

Interview dans le JDD

Quel est le bilan du quinquennat Macron en matière de finances publiques?
La dette a explosé : 700 milliards de plus en cinq ans alors qu’elle avait déjà augmenté de 400 milliards pendant le quinquennat de François Hollande. On atteint des niveaux préoccupants, d’autant plus que la stratégie qui consiste à laisser filer l’inflation pour faire à court terme baisser mécaniquement la dette et faire entrer les impôts va vite devenir intenable pour les ressortissants de la zone euro. Les crises sociales pourraient se révéler violentes et Christine Lagarde commence à reconnaître que la Banque centrale va devoir augmenter ses taux cette année. Ce qui pèsera sur la charge annuelle de notre dette. Elle grèvera le budget de la France à hauteur de 39,5 milliards cette année, contre 36,2 en 2020 en comptabilité budgétaire. Le boomerang de la dette est en route.

On dit parfois que la France pourrait se retrouver dans une situation à la grecque ou à l’italienne. Est-ce vrai ou abusif?
Nous avons besoin d’emprunter entre 300 et 400 milliards par an, car les montants de dette qui arrivent à échéance sont énormes. Plus de 180 milliards en 2023. Un taux d’emprunt de 4 % porterait notre charge à 80 milliards d’euros par an.

Quels sont les autres points noirs de notre pays?
Le déficit commercial de la France s’est alourdi, à plus de 80 milliards en 2021 contre 48 en 2016. L’Allemagne est à 183 milliards d’excédent commercial. Même l’Italie a une balance excédentaire! La Péninsule, dont on s’est trop souvent moqué, produit plus de valeur ajoutée dans l’industrie que la France. On décroche. Notre PIB par habitant pointe à la 23e place mondiale. Il était 11e dans les années 1980.

Notre pays crée néanmoins de nombreuses entreprises…
Sur le quasi-million d’entreprises fondées, 90% n’emploient que le créateur : ce sont des entreprises unipersonnelles fondées par nécessité – s’autoemployer – et non par opportunité.

Le gouvernement avance une amélioration sur le front de l’emploi.
À ce stade, j’ai encore quelques doutes. Certes il y a une tension sur l’emploi : les entreprises peinent à recruter pour cause d’inadéquation de la formation. Mais le halo du chômage est hyper élevé. Entre 1,9 et 2 millions de personnes ne sont pas comptées comme chômeurs car elles n’ont pas fait de recherches actives dans les quatre semaines écoulées et qu’elles ne sont pas disponibles dans les quinze jours qui viennent. Si on les réintègre dans les statistiques du chômage, ça fait monter notre taux à plus de 12%. Là où les Allemands sont à 7%.

Pourquoi tant de Français renoncent-ils à chercher un emploi?
Parce que notre modèle social ne les incite pas à le faire! La Cour des comptes vient de souligner que 42% d’une cohorte de bénéficiaires du RSA le touchaient encore sept ans plus tard… Autre indicateur, nous avons un écart de 7 milliards d’heures travaillées en moins par an par rapport aux sept pays les plus proches de nous.

Votre tableau est apocalyptique!
Reconnaissons que la prise de conscience s’est faite sur la nécessité d’arrêter de surtaxer les entreprises, sinon on aurait détruit encore davantage d’emplois. Emmanuel Macron a poursuivi ce que François Hollande avait fait avec le CICE [crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi] et le pacte de responsabilité. Mais pas assez vite ni assez fort. Nos entreprises paient toujours 140 milliards de plus par an d’impôts, taxes et cotisations que leurs homologues de la zone euro. Pendant que nous essayons d’alléger le poids de nos boulets fiscaux et réglementaires, nos voisins européens ne nous attendent pas et continuent de réformer pour garder leurs entreprises et leurs emplois. En 2017, les prélèvements obligatoires s’élevaient à 45,1% du PIB ; en 2021, ils seront probablement à 44,9%. Cela dit, paradoxalement, tout peut encore être sauvé! Comme la France est le pays qui dépense le plus, taxe le plus et travaille le moins, nos marges de manœuvre sont énormes. Et nos capacités de rebond aussi! Si on baisse la dépense publique de 80 à 100 milliards d’euros d’ici à 2030, les impôts des entreprises et des ménages d’un peu plus de 60 milliards avec un maximum de baisse de taxes de production, tout redevient possible. La France pourrait créer alors 2 millions d’emplois supplémentaires dans le secteur marchand tout en équilibrant les comptes publics et en baissant la dette.

Quelles sont vos préconisations pour diminuer la dépense publique de 100 milliards d’ici à 2030?
Ce chiffre semble important. Pourtant, quand on compare ce que dépense notre pays par rapport au reste de la zone euro, nous sommes à 262 milliards d’euros de plus par an! Donc ces 100 milliards d’économie ne représentent même pas la moitié du chemin. En repoussant l’âge de la retraite à 67 ans en 2030, on économise plus de 20 milliards par an. Une allocation sociale unique plafonnée à 90% du smic dégagerait 5 milliards par an d’économies. La suppression des régimes spéciaux : 2,5 milliards. Une réforme de l’assurance chômage pour inciter tous les demandeurs d’emploi à rechercher tout de suite du travail, c’est encore 4 milliards d’économies. On pourrait multiplier les exemples.

Pourquoi l’endettement et la fiscalité sont-ils si peu abordés depuis le début de la campagne électorale?
On entre en campagne beaucoup plus tard à cause de la pandémie, donc bien des questions n’ont pas encore été abordées. Le gouvernement est également soucieux de présenter le meilleur bilan possible et escamote les « gros sujets ». Aujourd’hui, nous sommes dans la phase que l’on pourrait qualifier de préparation de la mariée : la croissance est extraordinaire, le chômage recule, les investisseurs étrangers sont pléthoriques. Mais on ne cachera pas longtemps l’éléphant dans la pièce. Mieux vaut faire l’audit de la France maintenant et avoir conscience des défis qui vont se présenter à nous plutôt que de tout mettre sous le tapis et de se réveiller avec la gueule de bois. Ce livre, Le Vrai État de la France, a vocation à lever les écrans de fumée. Pour que les Français sachent. Avant d’aller voter.

France : une dette apocalyptique

France : une dette apocalyptique

 

Agnès Verdier-Molinié, directrice de l’Ifrap et auteure du « Vrai état de la France », s’inquiète des déficits de nos comptes publics. Il est clair qu’à la moindre remontée des taux qui parait incontournable compte tenu de l’inflation qui tourne autour de 5 % en Europe et de 7 % aux États-Unis sur un an, la dette française deviendra apocalyptique avant peu. La France ne rembourse en effet que les intérêts de la dette et le plus souvent en outre en empruntant. Or pendant la crise sanitaire la dette a explosé de 700 milliards en plus en cinq ans. Une dette à des taux très négligeables voire nulles Avec la politique accommodante de la banque centrale européenne mais qui va s’avérer mortelle quand il faudra la payer avec des taux d’intérêt de 4  à 5 %.

Rapporté à chaque ménage cela représente une dette d’environ 100 000 € !

 

Interview dans le JDD

Quel est le bilan du quinquennat Macron en matière de finances publiques?
La dette a explosé : 700 milliards de plus en cinq ans alors qu’elle avait déjà augmenté de 400 milliards pendant le quinquennat de François Hollande. On atteint des niveaux préoccupants, d’autant plus que la stratégie qui consiste à laisser filer l’inflation pour faire à court terme baisser mécaniquement la dette et faire entrer les impôts va vite devenir intenable pour les ressortissants de la zone euro. Les crises sociales pourraient se révéler violentes et Christine Lagarde commence à reconnaître que la Banque centrale va devoir augmenter ses taux cette année. Ce qui pèsera sur la charge annuelle de notre dette. Elle grèvera le budget de la France à hauteur de 39,5 milliards cette année, contre 36,2 en 2020 en comptabilité budgétaire. Le boomerang de la dette est en route.

On dit parfois que la France pourrait se retrouver dans une situation à la grecque ou à l’italienne. Est-ce vrai ou abusif?
Nous avons besoin d’emprunter entre 300 et 400 milliards par an, car les montants de dette qui arrivent à échéance sont énormes. Plus de 180 milliards en 2023. Un taux d’emprunt de 4 % porterait notre charge à 80 milliards d’euros par an.

Quels sont les autres points noirs de notre pays?
Le déficit commercial de la France s’est alourdi, à plus de 80 milliards en 2021 contre 48 en 2016. L’Allemagne est à 183 milliards d’excédent commercial. Même l’Italie a une balance excédentaire! La Péninsule, dont on s’est trop souvent moqué, produit plus de valeur ajoutée dans l’industrie que la France. On décroche. Notre PIB par habitant pointe à la 23e place mondiale. Il était 11e dans les années 1980.

Notre pays crée néanmoins de nombreuses entreprises…
Sur le quasi-million d’entreprises fondées, 90% n’emploient que le créateur : ce sont des entreprises unipersonnelles fondées par nécessité – s’autoemployer – et non par opportunité.

Le gouvernement avance une amélioration sur le front de l’emploi.
À ce stade, j’ai encore quelques doutes. Certes il y a une tension sur l’emploi : les entreprises peinent à recruter pour cause d’inadéquation de la formation. Mais le halo du chômage est hyper élevé. Entre 1,9 et 2 millions de personnes ne sont pas comptées comme chômeurs car elles n’ont pas fait de recherches actives dans les quatre semaines écoulées et qu’elles ne sont pas disponibles dans les quinze jours qui viennent. Si on les réintègre dans les statistiques du chômage, ça fait monter notre taux à plus de 12%. Là où les Allemands sont à 7%.

Pourquoi tant de Français renoncent-ils à chercher un emploi?
Parce que notre modèle social ne les incite pas à le faire! La Cour des comptes vient de souligner que 42% d’une cohorte de bénéficiaires du RSA le touchaient encore sept ans plus tard… Autre indicateur, nous avons un écart de 7 milliards d’heures travaillées en moins par an par rapport aux sept pays les plus proches de nous.

Votre tableau est apocalyptique!
Reconnaissons que la prise de conscience s’est faite sur la nécessité d’arrêter de surtaxer les entreprises, sinon on aurait détruit encore davantage d’emplois. Emmanuel Macron a poursuivi ce que François Hollande avait fait avec le CICE [crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi] et le pacte de responsabilité. Mais pas assez vite ni assez fort. Nos entreprises paient toujours 140 milliards de plus par an d’impôts, taxes et cotisations que leurs homologues de la zone euro. Pendant que nous essayons d’alléger le poids de nos boulets fiscaux et réglementaires, nos voisins européens ne nous attendent pas et continuent de réformer pour garder leurs entreprises et leurs emplois. En 2017, les prélèvements obligatoires s’élevaient à 45,1% du PIB ; en 2021, ils seront probablement à 44,9%. Cela dit, paradoxalement, tout peut encore être sauvé! Comme la France est le pays qui dépense le plus, taxe le plus et travaille le moins, nos marges de manœuvre sont énormes. Et nos capacités de rebond aussi! Si on baisse la dépense publique de 80 à 100 milliards d’euros d’ici à 2030, les impôts des entreprises et des ménages d’un peu plus de 60 milliards avec un maximum de baisse de taxes de production, tout redevient possible. La France pourrait créer alors 2 millions d’emplois supplémentaires dans le secteur marchand tout en équilibrant les comptes publics et en baissant la dette.

Quelles sont vos préconisations pour diminuer la dépense publique de 100 milliards d’ici à 2030?
Ce chiffre semble important. Pourtant, quand on compare ce que dépense notre pays par rapport au reste de la zone euro, nous sommes à 262 milliards d’euros de plus par an! Donc ces 100 milliards d’économie ne représentent même pas la moitié du chemin. En repoussant l’âge de la retraite à 67 ans en 2030, on économise plus de 20 milliards par an. Une allocation sociale unique plafonnée à 90% du smic dégagerait 5 milliards par an d’économies. La suppression des régimes spéciaux : 2,5 milliards. Une réforme de l’assurance chômage pour inciter tous les demandeurs d’emploi à rechercher tout de suite du travail, c’est encore 4 milliards d’économies. On pourrait multiplier les exemples.

Pourquoi l’endettement et la fiscalité sont-ils si peu abordés depuis le début de la campagne électorale?
On entre en campagne beaucoup plus tard à cause de la pandémie, donc bien des questions n’ont pas encore été abordées. Le gouvernement est également soucieux de présenter le meilleur bilan possible et escamote les « gros sujets ». Aujourd’hui, nous sommes dans la phase que l’on pourrait qualifier de préparation de la mariée : la croissance est extraordinaire, le chômage recule, les investisseurs étrangers sont pléthoriques. Mais on ne cachera pas longtemps l’éléphant dans la pièce. Mieux vaut faire l’audit de la France maintenant et avoir conscience des défis qui vont se présenter à nous plutôt que de tout mettre sous le tapis et de se réveiller avec la gueule de bois. Ce livre, Le Vrai État de la France, a vocation à lever les écrans de fumée. Pour que les Français sachent. Avant d’aller voter.




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