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Anticorruption : peu d’utilisation des dispositifs dans l’entreprise

Anticorruption : peu d’utilisation des dispositifs dans l’entreprise

Un travail de recherche montre notamment que ceux qui pourraient lancer l’alerte ne réalisent pas toujours le caractère non éthique de la situation ou n’osent pas franchir le pas. Par Anne Goujon Belghit, Université de Bordeaux et Jocelyn Husser, Aix-Marseille Université (AMU).

 

Depuis 2016 et la loi dite « Sapin II », la notion d’éthique dans le management a pris une tournure plus concrète. Cette loi vise à renforcer la transparence des pratiques organisationnelles et ambitionne de lutter contre la corruption ou encore le trafic d’influence dans le secteur privé comme celui du secteur public.

Cependant, un rapport parlementaire publié début juillet vient d’en souligner les limites, ce qui pourrait ouvrir la voie à une nouvelle version du texte. Plus tôt, en mars 2022, une nouvelle loi avait déjà été adoptée pour renforcer la protection des lanceurs d’alerte, en abandonnant l’octroi de ce statut au caractère « grave et manifeste » de la violation dénoncée.

En l’état, le texte de loi Sapin II repose sur huit fondamentaux dont l’établissement d’un code de conduite anticorruption, la mise en place de dispositif de lancement d’alerte dans les organisations, l’élaboration d’une cartographie des risques de corruption, l’instauration de procédures d’évaluation des tiers sur leurs pratiques managériales éthiques, l’assurance du caractère honnête des procédures de contrôles comptables, la mise en place de formations ainsi que de mesures disciplinaires et un dispositif de contrôle et d’évaluation interne du management.

La loi Sapin 2 s’inscrit dans trois moments spécifiques de la vie des organisations. Tout d’abord, il s’agit du temps de la prévention de la corruption grâce à la mise en place de formations, de codes de conduite ou encore de procédures d’évaluation des pratiques des parties prenantes externes partenaires comme les fournisseurs ou encore les distributeurs.

Le second moment est celui de la détection des comportements non éthiques ; celui-ci devient possible par l’instauration de dispositif de lancement d’alerte ou encore des méthodes de contrôles internes et comptables transparents et vertueux. Le troisième moment concerne la remédiation qui consiste à la mise en place par l’organisation de mesures correctives des pratiques non conformes à l’éthique et l’application de sanctions disciplinaires lorsque la charte éthique organisationnelle n’a pas été respectée.

Malgré ces dispositions très précises, nous montrons dans nos travaux de recherche qu’il existe encore des insuffisances en faveur du lancement d’alerte sur le terrain, comme l’ont souligné les députés Olivier Marleix (LR) et Raphaël Gauvain (Renaissance). Trois raisons principales peuvent être avancées : les relations avec les parties prenantes de proximité, les risques pour la carrière professionnelle à long terme et les risques de sanction immédiate.

Au quotidien, les managers gèrent des problématiques d’innovation, de délais, de coût, de qualité et de gestion des relations commerciales à plus long terme. Il apparaît que ces objectifs multiples occasionnent des situations dilemmes complexes. Ainsi un acheteur, un logisticien ou un donneur d’ordre peut être incité à accepter de collaborer avec un fournisseur en échange d’un intérêt en retour, d’un cadeau ou parce qu’il se trouve proche d’un des cadres de l’entreprise prestataire.

Dans nos travaux, réalisés au cours de l’année 2021, nous avons exposé 173 professionnels issus de divers secteurs (grande distribution, luxe, banque, transport routier, construction navale, automobile, etc.) à cinq situations dilemmes différentes qui décrivent de façon exhaustive les situations rencontrées par les managers opérationnels :

  • La coercition et le contrôle, qui renvoient à des forces externes qui contraignent l’individu dans la prise de décision par la menace, l’exercice d’un pouvoir ou le chantage. Cela se retrouve lorsqu’une personne se présente comme déterminante et s’impose dans la réussite d’une affaire en contrepartie d’une compensation financière.
  • Le conflit d’intérêt, qui caractérise les situations dans lesquelles les objectifs poursuivis s’opposent, dont au moins l’un d’entre eux pourrait aller à l’encontre de l’intérêt organisationnel. Par exemple lorsqu’une personne détient des informations clés protégées par une clause de confidentialité et que l’entreprise tente de les obtenir malgré la loi.
  • L’environnement physique, qui désigne la prise en compte de l’environnement dans le processus décisionnel en sachant que cet intérêt spécifique peut aller à l’encontre de celui de l’organisation.
  • Le paternalisme, qui correspond à la recherche d’un équilibre entre les finalités du fournisseur et son autonomie individuelle dans le processus décisionnel. Par exemple, lorsqu’un individu décide seul sans prendre en compte les conséquences possibles des pratiques professionnelles.
  • Enfin, l’intégrité personnelle détermine les problèmes de conscience du décideur. Cela représente les situations pour lesquelles les décideurs tranchent dans leur décision de diffusion d’information entre enjeux professionnels ou respect de la morale, notamment lorsque la santé des consommateurs peut être menacée, même sur du long terme.

Nos résultats montrent que les professionnels ne perçoivent pas toujours le caractère non éthique dans les 5 situations présentées. Ils réagissent essentiellement lorsque la santé des consommateurs est clairement menacée ; la santé des parties prenantes est un élément de vigilance privilégié par les managers opérationnels.

Par ailleurs, nous montrons que les pratiques managériales éthiques ne peuvent s’appréhender de manière générique ; il faut plutôt prendre en considération leur caractère contingent ainsi que les caractéristiques spécifiques de l’individu, notamment le degré moral cognitif de chacun.

Ce développement moral se retrouve dans le célèbre dilemme de Heinz : l’épouse de M. Heinz est très malade et elle ne peut survivre que si elle prend un médicament spécifique très cher que son mari ne peut pas acquérir. Il demande au pharmacien s’il peut l’acheter à crédit mais ce dernier refuse aussi on peut se demander comment est susceptible de réagir M. Heinz, doit-il voler le produit ou accepter la situation ?

Ce dilemme renvoie au stade de développement moral cognitif des individus qui peut se subdiviser en trois étapes distinctes :

  • La morale préconventionnelle, lorsque les individus raisonnent selon une logique de sanction/récompense. Par exemple Heinz peut craindre de finir en prison s’il vole le médicament.
  • La morale conventionnelle, quand les règles et les normes sont respectées. Heinz se résigne à la situation car il respecte la loi.
  • La morale postconventionnelle lorsque les personnes fondent leurs décisions selon leurs propres valeurs, logiques. Heinz peut décider d’opter pour une décision alternative en lançant un appel à l’aide citoyen.

Nos travaux montrent en outre que le management éthique ne peut s’envisager sans considérer le contexte car les professionnels ne décident pas sur les mêmes critères en fonction des situations dilemmes. Un modèle « circomplexe » émerge de nos travaux. Il comprend deux éléments principaux : le degré de risque perçu par les individus face aux situations dilemmes rencontrées et le degré de développement moral des professionnels.

Selon la loi Sapin II, les professionnels qui sont confrontés à des situations dilemmes doivent lancer l’alerte en respectant 3 étapes clés : (1) informer la hiérarchie, (2) saisir le comité éthique interne, les autorités judiciaires ou administrative, et finalement (3) alerter le grand public.

Bien que la loi prévoit de protéger les lanceurs d’alerte de représailles de la part de l’entreprise, certains ont témoigné des difficultés rencontrées après leurs révélations, à l’image du « chemin de croix » décrit par l’ancien auditeur interne Nicolas Forissie, licencié il y a 13 ans pour avoir dénoncé des pratiques illégales du groupe bancaire suisse UBS.

Les professionnels préfèrent ainsi généralement partager le secret dans leur espace micro-social de proximité, c’est-à-dire avec leurs collègues proches, leur « N+1 » ou leur famille proche. Il apparaît qu’alerter est perçu comme un acte de trahison et que les individus préfèrent privilégier la qualité de leurs relations avec les parties prenantes proches.

Le dilemme rencontré se transforme en secret, car il pourrait devenir un fardeau qui risque de menacer l’équilibre de leur environnement de travail. Si un début de divulgation émerge au sein des espaces de proximité dans le travail et dans le cercle familial, le lancement d’alerte dans des cercles de relation plus « lointains » (professionnels trop éloignés des problématiques de la gestion quotidienne, journalistes, grand public) n’est que très rarement envisagé.

Les professionnels optent donc pour le silence plutôt que la divulgation du secret, même s’ils connaissent l’existence de dispositifs internes anticorruption. En effet, les risques perçus à lancer l’alerte restent trop importants au regard des bénéfices éventuels, même moraux, qu’ils perçoivent à transmettre l’information.

 

Par Anne Goujon Belghitn, Maître de Conférences HDR, Université de Bordeaux et Jocelyn Husser, Professeur des Universités, Aix-Marseille Université (AMU).

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

 

Pour une vraie politique de lutte anticorruption

Pour une vraie politique de lutte anticorruption 

 

Le projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire, en cours d’examen au Sénat, n’est pas à la hauteur de son objectif initial, soulignent, dans une tribune au « Monde », quatre représentants de syndicat et d’associations engagés pour la justice financière.Ils évaluent le montant de la corruption à environ 1000 milliards par an en Europe . (extrait)

 

Tribune.

 

 Dans quelques jours, le Sénat va se prononcer sur le projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire que le garde des sceaux, Eric Dupond-Moretti, a présenté en commission des lois comme « longuement nourri de [s]es trente-six années de barreau et qui vise l’un des principaux objectifs [qu’il] s’est fixé en venant à la chancellerie : renforcer la confiance de nos concitoyens dans leur justice ». Ce texte proposait, à l’issue de son examen à l’Assemblée nationale, dans ses articles 2 et 3, d’encadrer la durée des enquêtes préliminaires et de renforcer le secret professionnel des avocats.

Pour nous, organisations de la société civile, qui militons chaque jour pour une véritable justice financière et économique, et pour une meilleure protection des lanceurs et lanceuses d’alerte, non seulement le texte en cours d’examen au Sénat n’est pas à la hauteur de son objectif initial, mais ces deux dispositions affaibliraient la lutte contre la délinquance financière, à contre-courant des engagements internationaux de la France et des objectifs poursuivis par la politique publique anticorruption depuis une dizaine d’années.

En durcissant les règles de procédure, sans s’appuyer sur un diagnostic préalable des éventuels dysfonctionnements de la justice économique et financière, sans se poser la question centrale des effectifs de juges et des services d’enquête judiciaire − oubliés des derniers arbitrages budgétaires −, l’intention initiale du projet de loi revient à affaiblir la réponse à apporter à la délinquance économique et financière.

 

Les dispositions, prévues aux articles 2 et 3 du projet de loi initial, risquent en effet d’entraver la détection des cas de corruption, de fraude fiscale et de blanchiment, d’affaiblir la collecte des preuves d’infractions économiques et financières, tout cela en renforçant le secret professionnel des avocats aux activités de conseil, mais également en réduisant la durée des enquêtes préliminaires de ces infractions.

Reposant bien souvent sur une ingénierie complexe et portant sur des sommes si vertigineuses qu’elles en deviennent abstraites, les infractions liées à la corruption − et au premier chef à la corruption d’agent public étranger − nécessitent des moyens significatifs de détection et de collecte de preuve à la hauteur du coût de ces agissements, estimé à près de 1 000 milliards d’euros par an en Europe, soit 6,3 % du PIB.

S’il fallait encore se convaincre de la nécessité de protéger les moyens d’enquête et l’accès aux preuves, rappelons que l’enquête OpenLux avait révélé que 6 500 milliards d’euros étaient stockés dans des sociétés enregistrées au Luxembourg et notamment détenus par des contribuables français. A l’heure où il s’agit de financer le « quoi qu’il en coûte », comment justifier ces freins à la détection et à la poursuite de telles infractions alors que les inégalités se sont encore creusées au cours de la crise sanitaire ?

France : la faiblesse de la politique anticorruption

 

France : la faiblesse de la politique anticorruption

 

La crédibilité de l’Hexagone dans sa volonté de lutter efficacement contre la délinquance économique et financière à l’international est atteinte, estime, dans une tribune au « Monde » (extrit), Laurent Cohen-Tanugi, avocat spécialisé dans les dossiers internationaux.

Tribune

 

La France a longtemps été aux abonnés absents dans la lutte contre la corruption dans la vie économique internationale, les pots-de-vin y étant même fiscalement déductibles jusqu’à il y a une vingtaine d’années. Sous la pression de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et des poursuites américaines contre plusieurs fleurons industriels français, la loi dite Sapin 2 du 9 décembre 2016 a changé la donne, en imposant aux entreprises d’une certaine taille la mise en place d’un dispositif de conformité exigeant, en créant une Agence française anticorruption (AFA) investie de missions de contrôle et en ouvrant aux personnes morales et aux parquets la possibilité d’une résolution transactionnelle des affaires de corruption sous la forme d’une convention judiciaire d’intérêt public (CJIP), méthode ayant fait la preuve de son efficacité aux Etats-Unis.


L’entrée en vigueur de la loi en juin 2017 a donné un réel élan à la lutte anticorruption dans la vie des affaires, tant au sein des entreprises, avec la montée en puissance des dispositifs de compliance [le respect des normes], que du côté des pouvoirs publics, avec l’entrée en scène de l’AFA au niveau national et celle du Parquet national financier (PNF) parmi les principaux acteurs de la lutte anticorruption à l’échelle internationale. Cinq ans après, tandis que l’OCDE se penche à nouveau sur les performances françaises en la matière, le bilan est cependant mitigé. Comme l’indique la récente mission parlementaire d’évaluation de la loi Sapin 2, les résultats stagnent et la France est à la recherche d’un nouveau souffle dans sa politique de lutte contre la corruption.

Le diagnostic est particulièrement sévère dans la sphère publique, également couverte par la loi Sapin 2 avec des moyens insuffisants,‎ et il n’épargne pas la lutte anticorruption dans la vie des affaires internationales. La raison en incombe pour partie au dispositif institutionnel mis en place par la loi Sapin 2.

A la différence des modèles américain et britannique du FCPA [loi fédérale américaine de 1977 pour lutter contre la corruption d’agents publics à l’étranger] et de l’UK Bribery Act‎ [loi britannique de 2010 relative à la répression et la prévention de la corruption], le schéma français repose en effet tout d’abord sur l’obligation faite aux entreprises d’une certaine taille de mettre en place un dispositif opérationnel de prévention et de détection de la corruption en leur sein. Compte tenu du retard accusé par les acteurs économiques français en la matière, ce choix était probablement indispensable. De même, l’AFA, agence étatique dépendant des ministères de l’économie et de la justice, se voyait investie, avec des moyens trop modestes, d’une double mission de conseil et de contrôle – deux fonctions difficiles à concilier –, aux côtés du PNF et d’autres parquets, chargés des poursuites.




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